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Date : 20210507


Dossier : T‑189‑20

Référence : 2021 CF 415

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2021

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

LAURENCE PASKEMIN

demandeur

et

LORIE ANN WHITECALF, DARIUS ALBERT, ELDON ATCHEYNUM, TOMMY WHITECALF, HAZEN PASKIMIN, RALPH FOX ET OMER WHITE EN LEUR QUALITÉ DE CHEF ET DE CONSEILLERS DE LA PREMIÈRE NATION DE SWEETGRASS AU MOMENT PERTINENT, AARON LEDOUX, EN SA QUALITÉ DE GESTIONNAIRE DE PROJET DE LA SCHL POUR LA PREMIÈRE NATION DE SWEETGRASS AU MOMENT PERTINENT, JANICE WILMA KENNEDY, ADJOINTE ADMINISTRATIVE DE LA CHEF DE LA PREMIÈRE NATION DE SWEETGRASS AU MOMENT PERTINENT

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE

[1] La Cour est saisie d’une requête présentée par le demandeur visant une prorogation du délai de signification et de dépôt de sa demande de contrôle judiciaire [la demande] à l’égard de décisions rendues en 2016 et en 2017 jusqu’à la date du dépôt de sa demande le 5 février 2020.

[2] Le demandeur a été chef de la Première Nation de Sweetgrass [la Première Nation] du 30 novembre 2017 au 29 novembre 2019. Le demandeur avait des préoccupations concernant des pratiques de ses prédécesseurs en tant que chef et conseillers [le Conseil défendeur] relativement aux projets de logement [le Programme] de la Société canadienne d’hypothèques et de logement [la SCHL] pendant les deux années de leur mandat au sein du Conseil de la Première Nation [le Conseil], soit de novembre 2015 au 29 novembre 2017. À la fin de son mandat de deux ans en 2019, le demandeur s’est présenté de nouveau et a été défait par la même chef qui était en place dans le Conseil défendeur.

[3] Lorsqu’il était chef, le demandeur a commandé une vérification du Programme de la Première Nation. Il affirme que le Conseil avait [TRADUCTION] « l’intention d’engager un cabinet d’experts‑comptables pour effectuer une vérification juricomptable de tous les programmes, mais comme la bande était dans une situation financière déficitaire, le Conseil ne pouvait se permettre que la vérification d’un seul programme ».

[4] Un rapport de vérification intitulé « Sweetgrass First Nation ‑ Housing Capital Project: Financial Review » a été remis par MNP SENCRL et était daté du 14 novembre 2019 [le Rapport]. Le Rapport a été remis à la Première Nation peu avant la tenue des élections en novembre 2019. Le demandeur allègue que ce Rapport a montré des irrégularités dans le Programme et il sollicite réparation de la Cour à cet égard.

[5] La demande proposée porte sur les actions des défendeurs lorsqu’ils participaient aux activités du Conseil pendant leur mandat, qui a pris fin le 30 novembre 2017.

[6] Plus précisément, dans l’avis de demande, la décision visée par le contrôle est la décision de la Première Nation [TRADUCTION] « de ne pas régler la question de l’enquête sur le programme de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) » de la Première Nation [TRADUCTION] « pour l’exercice 2016‑2017 ».

[7] Bien que le demandeur ait signifié et déposé sa demande le 5 février 2020, il semble qu’une requête en prorogation ait été signifiée, mais non déposée.

[8] Le demandeur cherche à obtenir les ordonnances suivantes dans sa demande :

[TRADUCTION]

  1. Une déclaration selon laquelle l’actuelle chef Lorie Ann Whitecalf et d’autres personnes qui étaient membres du Conseil pendant le mandat et au moment pertinents ont manqué à leur devoir fiduciaire et, à ce titre, les défendeurs doivent être dégagés des avantages qu’ils ont reçus;

  2. Une déclaration de la Cour visant à suspendre la chef actuelle et les membres du Conseil respectifs qui ont manqué à leur devoir fiduciaire au moment pertinent, car ils pourraient commettre le même manquement ou des manquements similaires à leur devoir fiduciaire maintenant en tant que Conseil élu;

  3. Une déclaration visant à interdire à la conseillère actuellement élue et ancienne adjointe administrative de l’ancienne chef de la Première Nation de Sweetgrass, Janice Wilma Kennedy, de continuer à siéger en tant que conseillère élue, car elle était au courant du manquement au devoir fiduciaire concernant le programme de la SCHL et elle n’a rien fait pour arrêter les paiements aux entrepreneurs;

  4. Une déclaration selon laquelle les personnes qui n’étaient pas membres du Conseil pendant le mandat et au moment pertinents et qui n’ont pas commis de manquement continueraient d’être des dirigeants élus de la Première Nation de Sweetgrass;

  5. Une déclaration selon laquelle l’administration de la Première Nation de Sweetgrass doit faire l’objet d’une surveillance indépendante, c’est‑à‑dire être visée par un séquestre‑administrateur;

  6. Une déclaration selon laquelle l’autre programme et tous les programmes administrés par la Première Nation de Sweetgrass devront être soumis à la vérification juricomptable afin d’assurer la transparence et la responsabilité;

  7. Une ordonnance de mandamus exigeant que le défendeur Aaron Ledoux fournisse tous les documents relatifs à tous les projets de logement de la Première Nation de Sweetgrass dont il était responsable au moment pertinent;

  8. Une ordonnance d’interdiction empêchant la chef et le Conseil actuels de prendre d’autres décisions unilatérales sans avoir recours aux lois de gouvernance appropriées, comme le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens et le Guide d’administration des fonds des bandes;

  9. Une ordonnance de dépens contre les défendeurs, solidairement;

  10. Toute autre réparation que la Cour juge appropriée.

[9] La protonotaire Molgat a émis plusieurs directives relativement à la présente affaire. Deux d’entre elles, en particulier, concernent le retard du demandeur dans le dépôt des documents relatifs à la prorogation du délai.

[10] La première directive, datée du 9 décembre 2020, ordonnait au demandeur de déposer une copie de son dossier de requête en prorogation de délai au plus tard le 23 décembre 2020. La protonotaire a demandé aux défendeurs de confirmer qu’ils avaient reçu le dossier de la requête, de joindre une copie du dossier à leur lettre de confirmation et de déposer les documents demandés auprès de la présente Cour. Le dossier de requête a été déposé le 17 décembre 2020 par les défendeurs, et non pas par le demandeur.

[11] Le 25 janvier 2021, le demandeur a demandé un délai supplémentaire pour déposer son dossier de requête, lequel délai lui a été accordé, et ce, jusqu’au 8 février 2021.

[12] Le 9 mars 2021, la protonotaire Molgat a émis une autre directive, parce que le demandeur n’avait pas respecté la directive du 25 janvier 2021, concernant une réunion et une mise à jour sur la gestion de l’instance. Il semble que le demandeur n’ait pas déposé une copie de son dossier de requête en prorogation de délai conformément aux directives du 9 décembre 2020 et du 25 janvier 2021, parce qu’il avait l’impression qu’il devait également déposer une preuve de signification et qu’il avait des difficultés à obtenir cette preuve. Le 11 mars 2021, la protonotaire Molgat a ordonné au demandeur de déposer son dossier de requête et a supprimé l’exigence de preuve de signification.

[13] Après une conférence de gestion de l’instance, la protonotaire Molgat a ordonné aux défendeurs le 23 mars 2021 de déposer une copie complète du dossier de requête du demandeur signifié en février 2020, ce que les défendeurs ont fait. Elle a également permis au demandeur et aux défendeurs de déposer des documents supplémentaires relatifs à la requête.

[14] Le droit à cet égard est énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Hennelly, 1999 CanLII 8190 (CAF) [Hennelly], où [le juge McDonald] a déclaré ce qui suit :

[3] Le critère approprié est de savoir si le demandeur a démontré :

1. une intention constante de poursuivre sa demande;

2. que la demande est bien‑fondé;

3. que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; et

4. qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

[15] Dans l’arrêt Chan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CAF 130 [le juge Evans], la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[5] Lorsque la Cour applique ces critères, elle devrait prendre en considération la question de savoir si justice sera rendue entre les parties si elle accorde ou refuse la prorogation de délai demandée : Canada (Procureur général) c. Pentney, 2008 CF 96 (CanLII), [2008] 4 R.C.F. 265 (C.F.), par. 31 et suivants.

[16] Il est important de se rappeler qu’il incombe au demandeur de prouver les éléments nécessaires pour obtenir la prorogation de délai. En règle générale, cela se fait au moyen d’une déposition par affidavit signée (Virdi c Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 38 [le juge Décary]).

[17] Les défendeurs s’opposent à la requête pour plusieurs motifs, le premier étant que toute décision du Conseil défendeur serait antérieure au 29 novembre 2017, soit environ 26 mois avant le dépôt de la demande et de la requête en prorogation de délai du demandeur. Les défendeurs soutiennent que le demandeur a occupé le poste de chef pendant deux ans et qu’il aurait eu connaissance des questions relatives au Programme. Les défendeurs soutiennent que le demandeur n’a offert aucune preuve de son intention de présenter la demande à partir du 30 novembre 2017 ni aucune explication de son retard à présenter cette demande à partir de la date de son entrée en fonction.

[18] En toute déférence, les arguments des défendeurs sont fondés. Selon la preuve présentée, le demandeur est entré en fonction le 30 novembre 2017. Le demandeur affirme avoir eu des préoccupations concernant la situation financière de Sweetgrass, et plus particulièrement au sujet du Programme, lequel fait l’objet de sa demande. En fait, il dit avoir ordonné une vérification du Programme. Je suis d’accord avec les défendeurs sur le fait que, peu après le début du mandat de chef du demandeur en 2017, il devait être au courant des décisions du Conseil défendeur en ce qui concerne le Programme.

[19] Cela dit, rien dans le dossier n’indique une intention de poursuivre une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision contestée entre le 30 novembre 2017, date de l’entrée en fonction du demandeur, et le dépôt de sa demande en février 2020. Je comprends que le demandeur, en tant que chef, cherchait à obtenir des renseignements sur ce qui s’était passé après son entrée en fonction, mais il n’a pris aucune mesure pour présenter un contrôle judiciaire de novembre 2017 au 30 novembre 2019, date à laquelle il a terminé son mandat. Je ne considère pas non plus la conduite du demandeur de novembre 2017 au 30 novembre 2019 comme une explication adéquate de son retard de novembre 2017 (la dernière date de tout acte répréhensible présumé) jusqu’à la date à laquelle la demande a été présentée le 5 février 2020. La réception du Rapport en novembre 2019 n’excuse pas le retard car, selon le témoignage du demandeur, il était au courant des décisions contestées, qui ont eu lieu bien avant le 30 novembre 2019, date à laquelle il a cessé d’être chef.

[20] S’il est vrai que tout litige doit avoir une fin, il est également vrai qu’une partie doit intenter des poursuites en temps opportun, ce qui, avec respect, n’est pas le cas dans la présente affaire.

[21] Dans une autre observation, les défendeurs soutiennent que ni Janice Wilma Kennedy ni Aaron Ledoux ne relevaient d’un office, d’une commission ou d’un autre tribunal fédéral, et que, par conséquent, ils ne sont pas assujettis à la compétence de la Cour en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales [la Loi]. Les défendeurs ont raison sur ce point; les parties s’entendent également sur le fait que M. Ledoux est décédé. Sans plus, et c’est le cas ici, aucun des deux ne peuvent être désigné comme défendeur.

[22] À mon avis, la requête en prorogation de délai ne répond pas au critère établi dans l’arrêt Hennelly et sera donc rejetée.

[23] Les défendeurs demandent des dépens de 4 410 $ et ont déposé à l’appui un mémoire de dépens fondé sur la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Il n’y a aucune raison pour que les dépens ne suivent pas l’issue de la cause. À mon avis, 2 500 $ est une somme raisonnable dans les circonstances et, par conséquent, c’est ce que la Cour ordonnera.


ORDONNANCE dans le dossier T‑189‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en prorogation de délai est rejetée.

  2. Le demandeur doit payer aux défendeurs la somme de 2 500 $ à titre de dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑189‑20

 

INTITULÉ :

LAURENCE PASKEMIN c LORIE ANN WHITECALF, DARIUS ALBERT, ELDON ATCHEYNUM, TOMMY WHITECALF, HAZEN PASKIMIN, RALPH FOX ET OMER WHITE EN LEUR QUALITÉ DE CHEF ET DE CONSEILLERS DE LA PREMIÈRE NATION DE SWEETGRASS AU MOMENT PERTINENT, AARON LEDOUX, EN SA QUALITÉ DE GESTIONNAIRE DE PROJET DE LA SCHL POUR LA PREMIÈRE NATION DE SWEETGRASS AU MOMENT PERTINENT, JANICE WILMA KENNEDY, ADJOINTE ADMINISTRATIVE DE LA CHEF DE LA PREMIÈRE NATION DE SWEETGRASS AU MOMENT PERTINENT

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 MAI 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Laurence Paskemin

POUR LE DEMANDEUR

(AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Christopher C. Boychuk

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MacDougall Gauley SENCRL

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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