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Date : 20030612

Dossier : IMM-1571-00

Référence : 2003 CFPI 741

Ottawa (Ontario), le jeudi 12 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                               HAIQUAN YAO

                                                                                                                                           demandeur

                                                                          - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 Le 16 février 2000, un agent des visas au Consulat général du Canada à New York a décidé qu'il existait des motifs raisonnables de croire que M. Yao est ou a été membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des actes d'espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s'entend au Canada. M. Yao appartenait donc à une catégorie non admissible au Canada prévue par la disposition 19(1)f)(iii)(A) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne Loi). L'agent des visas a également conclu qu'il n'était pas convaincu, en sa qualité de représentant du Ministre, que l'admission de M. Yao au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national du Canada. Par conséquent, M. Yao n'a pas réussi à établir qu'il était visé par l'exception énoncée à l'alinéa 19(1)f) de l'ancienne Loi.

[2]                 Voici les raisons pour lesquelles j'ai fait droit à la demande présentée par le Ministre en application de l'article 87 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2002, ch. 27 (la Loi), afin d'obtenir l'interdiction de la divulgation des renseignements que l'agent des visas a examinés et pris en compte, ainsi que le rejet subséquent de la demande de contrôle judiciaire.

CONTEXTE FACTUEL

[3]                 Monsieur Yao est citoyen de la République populaire de Chine (RPC). Il a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des immigrants indépendants au motif qu'il a suivi une formation et travaillé comme éditeur de journal et journaliste.


[4]                 Monsieur Yao a été convoqué à une première entrevue le 1er février 1996. Sa demande a alors été approuvée à la condition que les vérifications médicales, judiciaires et de sécurité se révèlent favorables. Par suite des vérifications de sécurité, le Service canadien du renseignement de sécurité (le Service ou le SCRS) a interrogé M. Yao et son épouse en mars 1997 et à nouveau en septembre 1997.


[5]                 Lors de la première rencontre avec les représentants du SCRS, M. Yao a mentionné qu'il avait fait ses études au Institute of International Relations (BIRI) et qu'il avait ensuite été affecté à un poste à New York pour le journal People's Daily (PD). Il a affirmé avoir été choisi pour travailler à New York en raison de sa compétence linguistique, de sa maturité et de sa loyauté. Avant d'être affecté à l'étranger, il a fait l'objet d'un endoctrinement politique d'une durée d'un mois. Il est ensuite allé aux États-Unis à titre de journaliste débutant; il a effectué des reportages sur les activités des Nations Unies à New York et en particulier sur les questions intéressant l'économie. M. Yao se rendait à des salons commerciaux avec des délégations économiques chinoises. Il réalisait des reportages sur les délégations de moindre importance et faisait des entrevues avec des membres de la collectivité des émigrés chinois, des collègues et des diplomates des Nations Unies. M. Yao a précisé qu'il ne [traduction] « ciblait » personne, mais tentait plutôt d'établir des liens amicaux avec les citoyens américains qu'il rencontrait lors de diverses réceptions officielles. Il a également indiqué que ses rapports portaient principalement sur Taïwan et que tous les renseignements obtenus sur ce pays étaient transmis à Beijing. En réponse à une question touchant le ministère de la sécurité d'État (MSÉ), M. Yao a affirmé qu'à sa connaissance, ce dernier n'avait pas de liens avec le PD.

[6]                 Au cours de sa seconde entrevue avec le SCRS, M. Yao a insisté sur le fait qu'il n'était pas un agent du MSÉ, bien que ce ministère se soit initialement intéressé à lui. Quant à son affectation aux États-Unis, il a mentionné qu'il soupçonnait son supérieur hiérarchique d'être un officier du MSÉ, mais qu'il n'avait aucune preuve de ce fait. M. Yao a allégué qu'il s'occupait de tous les correspondants du PD de passage à New York et qu'il avait entendu dire que certains d'entre eux étaient affiliés au MSÉ, mais que lui-même n'en connaissait aucun. Le seul nom dont il se souvenait était celui d'un individu connu des autorités pour être un transfuge. M. Yao a déclaré qu'il avait appris que le transfuge était un officier du MSÉ seulement après que ce dernier eut fui son pays. Il a nié avoir discuté, lors de la première entrevue, du point de savoir si le PD accordait une importance particulière aux relations entre les États-Unis et Taïwan. Il a refusé de fournir des précisions sur des amis et des parents qui vivaient au Canada et déclaré qu'il préférait ne pas émigrer au Canada si cela l'obligeait à répondre à des questions aussi personnelles. Il a également refusé d'écrire son nom en caractères chinois.


[7]                 En janvier 1999, le SCRS a délivré un document relatif à M. Yao. Selon ce document, le SCRS était en possession de renseignements lui permettant de croire que M. Yao faisait partie du MSÉ, organisme qui se livre ou s'est livré à des actes d'espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s'entend au Canada. Le document donne les grandes lignes de ce qui s'est passé lors des entrevues, comme il est exposé plus haut. Ce document ainsi qu'un rapport sur le MSÉ préparé par le SCRS ont été remis à Citoyenneté et Immigration Canada, puis acheminé au responsable du programme des services d'information à New York.

[8]                 En conséquence, par une lettre datée du 16 novembre 1999, l'agent des visas a informé M. Yao qu'il était en possession de renseignements lui donnant des motifs raisonnables de croire que ce dernier appartenait à la catégorie non admissible prévue par la disposition 19(1)f)(iii)(A) de l'ancienne Loi. Dans sa lettre, l'agent des visas précise à M. Yao que, s'il souhaite donner suite à sa demande de résidence permanente, il devra subir une autre entrevue personnelle, au cours de laquelle il aura l'occasion de produire des éléments de preuve pour détromper l'agent des visas sur ce point ou de présenter tous les éléments de preuve qui, à son avis, permettraient de convaincre le Ministre que son admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national du Canada.

[9]                 En février 2000, M. Yao s'est présenté à une dernière entrevue au Consulat général du Canada à New York.


[10]            Pendant cette entrevue, M. Yao a, sur demande, écrit son nom en caractères chinois et a nié avoir refusé de le faire auparavant. Il a toutefois reconnu qu'il avait peut-être refusé de divulguer le nom de son ami le plus intime, avec lequel il partageait un appartement. Il affirme avoir agi ainsi parce que son ami avait également présenté une demande de citoyenneté au Canada et qu'il ne voulait pas risquer de lui faire perdre ses chances.

[11]            Monsieur Yao n'a pas réussi à persuader l'agent des visas qu'il n'existait pas de motifs raisonnables de croire qu'il faisait ou avait fait partie du MSÉ. Il n'a pas non plus réussi à convaincre l'agent des visas que sa résidence permanente au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national. Sa demande a donc été refusée.

[12]            Monsieur Yao nie faire ou avoir jamais fait partie du MSÉ, et nie avoir jamais effectué du travail pour le compte de celui-ci. Il déclare ignorer les fonctions, les obligations, la nature fondamentale, les activités, l'objet et la mission du MSÉ.

[13]            Tous ces renseignements figurent dans le dossier public relatif à la présente instance.


RENSEIGNEMENTS CONFIDENTIELS

[14]            Avant l'audition de la demande de contrôle judiciaire, le Ministre a présenté une demande en application du paragraphe 87(1) de la Loi afin d'obtenir l'interdiction de la divulgation de certains renseignements pris en compte par l'agent des visas au moment de traiter la demande d'entrée de M. Yao. Ces renseignements ont été noircis dans le dossier certifié du tribunal déposé devant la Cour (les renseignements confidentiels).

[15]            Voici le texte de l'article 87 de la Loi :


87. (1) Le ministre peut, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, demander au juge d'interdire la divulgation de tout renseignement protégé au titre du paragraphe 86(1) ou pris en compte dans le cadre des articles 11, 112 ou 115.

87. (2) L'article 78 s'applique à l'examen de la demande, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l'obligation de fournir un résumé et au délai.

87. (1) The Minister may, in the course of a judicial review, make an application to the judge for the non-disclosure of any information with respect to information protected under subsection 86(1) or information considered under section 11, 112 or 115.

87. (2) Section 78, except for the provisions relating to the obligation to provide a summary and the time limit referred to in paragraph 78(d), applies to the determination of the application, with any modifications that the circumstances require.


[16]            L'article 78 de la Loi, auquel renvoie le paragraphe 87(2), est ainsi rédigé :



78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire_:

a) le juge entend l'affaire;

b) le juge est tenu de garantir la confidentialité des renseignements justifiant le certificat et des autres éléments de preuve qui pourraient lui être communiqués et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

c) il procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive;d) il examine, dans les sept jours suivant le dépôt du certificat et à huis clos, les renseignements et autres éléments de preuve;

e) à chaque demande d'un ministre, il examine, en l'absence du résident permanent ou de l'étranger et de son conseil, tout ou partie des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

f) ces renseignements ou éléments de preuve doivent être remis aux ministres et ne peuvent servir de fondement à l'affaire soit si le juge décide qu'ils ne sont pas pertinents ou, l'étant, devraient faire partie du résumé, soit en cas de retrait de la demande;

g) si le juge décide qu'ils sont pertinents, mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui, ils ne peuvent faire partie du résumé, mais peuvent servir de fondement à l'affaire;

h) le juge fournit au résident permanent ou à l'étranger, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

i) il donne au résident permanent ou à l'étranger la possibilité d'être entendu sur l'interdiction de territoire le visant;

j) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu'il estime utile - même inadmissible en justice - et peut fonder sa décision sur celui-ci.

78. The following provisions govern the determination:

(a) the judge shall hear the matter;

(b) the judge shall ensure the confidentiality of the information on which the certificate is based and of any other evidence that may be provided to the judge if, in the opinion of the judge, its disclosure would be injurious to national security or to the safety of any person;

(c) the judge shall deal with all matters as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness and natural justice permit;

(d) the judge shall examine the information and any other evidence in private within seven days after the referral of the certificate for determination;

(e) on each request of the Minister or the Solicitor General of Canada made at any time during the proceedings, the judge shall hear all or part of the information or evidence in the absence of the permanent resident or the foreign national named in the certificate and their counsel if, in the opinion of the judge, its disclosure would be injurious to national security or to the safety of any person;

(f) the information or evidence described in paragraph (e) shall be returned to the Minister and the Solicitor General of Canada and shall not be considered by the judge in deciding whether the certificate is reasonable if either the matter is withdrawn or if the judge determines that the information or evidence is not relevant or, if it is relevant, that it should be part of the summary;

(g) the information or evidence described in paragraph (e) shall not be included in the summary but may be considered by the judge in deciding whether the certificate is reasonable if the judge determines that the information or evidence is relevant but that its disclosure would be injurious to national security or to the safety of any person;

(h) the judge shall provide the permanent resident or the foreign national with a summary of the information or evidence that enables them to be reasonably informed of the circumstances giving rise to the certificate, but that does not include anything that in the opinion of the judge would be injurious to national security or to the safety of any person if disclosed;

(i) the judge shall provide the permanent resident or the foreign national with an opportunity to be heard regarding their inadmissibility; and

(j) the judge may receive into evidence anything that, in the opinion of the judge, is appropriate, even if it is inadmissible in a court of law, and may base the decision on that evidence.



[17]            Conformément à la demande du Ministre, j'ai examiné les renseignements confidentiels et la preuve par affidavit déposés afin d'établir que la divulgation des renseignements confidentiels en cause porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui, et entendu à huis clos les observations présentées par les avocates du Ministre.

[18]            Bien que nouveau, le paragraphe 87(1) de la Loi est analogue au paragraphe 82.1(10) de l'ancienne Loi, lequel prévoit ce qui suit :



82.1 (10) Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire d'une décision de l'agent des visas de refuser un visa au motif que l'intéressé appartient à l'une des catégories visées aux alinéas 19(1)c.1) à g), k) ou l) :

a) le ministre peut présenter à la Section de première instance de la Cour fédérale, à huis clos et en l'absence de l'intéressé et du conseiller le représentant, une demande en vue d'empêcher la communication de renseignements obtenus sous le sceau du secret auprès du gouvernement d'un État étranger, d'une organisation internationale mise sur pied par des États étrangers ou l'un de leurs organismes;

b) la Section de première instance de la Cour fédérale, à huis clos et en l'absence de l'intéressé et du conseiller le représentant :

(i) étudie les renseignements,

(ii) accorde au représentant du ministre la possibilité de présenter ses arguments sur le fait que les renseignements ne devraient pas être communiqués à l'intéressé parce que cette communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes;

c) ces renseignements doivent être remis au représentant du ministre et ne peuvent servir de fondement au jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale sur la demande de contrôle judiciaire si la Section de première instance de la Cour fédérale détermine que leur communication à l'intéressé ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes;

d) si la Section de première instance de la Cour fédérale décide que cette communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes, les renseignements ne sont pas communiqués mais peuvent servir de fondement au jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale sur la demande de contrôle judiciaire.

82.1 (10) With respect to any application for judicial review of a decision by a visa officer to refuse to issue a visa to a person on the grounds that the person is a person described in any of paragraphs 19(1)(c.1) to (g), (k) and (l),

(a) the Minister may make an application to the Federal Court - Trial Division, in camera, and in the absence of the person and any counsel representing the person, for the non-disclosure to the person of information obtained in confidence from the government or an institution of a foreign state or from an international organization of states or an institution thereof;

(b) the Court shall, in camera, and in the absence of the person and any counsel representing the person,

(i) examine the information, and

(ii) provide counsel representing the Minister with a reasonable opportunity to be heard as to whether the information should not be disclosed to the person on the grounds that the disclosure would be injurious to national security or to the safety of persons;

(c) the information shall be returned to counsel representing the Minister and shall not be considered by the Court in making its determination on the judicial review if, in the opinion of the Court, the disclosure of the information to the person would not be injurious to national security or to the safety of persons; and

(d) if the Court determines that the information should not be disclosed to the person on the grounds that the disclosure would be injurious to national security or to the safety of persons, the information shall not be disclosed but may be considered by the Court in making its determination.


[19]            L'importante différence entre les deux dispositions tient au fait que le paragraphe 87(1) de la Loi est plus large. Il permet au Ministre de présenter une demande de non-divulgation de « tout renseignement » au motif que leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui, tandis que la disposition antérieure visait uniquement les renseignements « obtenus sous le sceau du secret auprès du gouvernement d'un État étranger, d'une organisation internationale mise sur pied par des États étrangers ou l'un de leurs organismes » .

[20]            Malgré cette différence, je suis convaincue que, de façon générale, la jurisprudence relative à l'ancienne Loi demeure pertinente. En conséquence, pour décider si la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui, j'estime approprié d'appliquer le critère élaboré par Monsieur le juge Addy dans la décision Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité) (1988), 53 D.L.R. (4th) 568; confirmé par 88 D.L.R. (4th) 575. Voici ce qu'a écrit le juge Addy aux pages 578 et 579 :


[...] en matière de sécurité, existe la nécessité non seulement de protéger l'identité des sources humaines de renseignement mais encore de reconnaître que les types suivants de renseignements pourraient avoir à être protégés, compte tenu évidemment de l'administration de la justice et plus particulièrement de la transparence de ses procédures : les renseignements relatifs à l'identité des personnes faisant l'objet d'une surveillance, qu'il s'agisse de particuliers ou de groupes, les moyens techniques et les sources de la surveillance, le mode opérationnel du service concerné, l'identité de certains membres du service lui-même, les systèmes de télécommunications et de cryptographie et, parfois, le fait même qu'il y a ou non surveillance. Cela signifie par exemple que des éléments de preuve qui, en eux-mêmes, peuvent ne pas être particulièrement utiles à reconnaître une menace, pourraient néanmoins devoir être protégés si la simple révélation que le SCRS en a possession rendrait l'organisme visé conscient du fait qu'il est placé sous surveillance ou écoute électronique, ou encore qu'un de ses membres a fait des révélations.

Il importe de se rendre compte qu'un « observateur bien informé » , c'est-à-dire une personne qui s'y connaît en matière de sécurité et qui est membre d'un groupe constituant une menace, présente ou éventuelle, envers la sécurité du Canada, ou une personne associée à un tel groupe, connaîtra les rouages de celui-ci dans leurs moindres détails ainsi que les ramifications de ses opérations dont notre service de sécurité pourrait être relativement peu informé. En conséquence de quoi l'observateur bien informé pourra parfois, en interprétant un renseignement apparemment anodin en fonction des données qu'il possède déjà, être en mesure d'en arriver à des déductions préjudiciables à l'enquête visant une menace particulière ou plusieurs autres menaces envers la sécurité nationale. Il pourrait, par exemple, être en mesure de déterminer, en tout ou en partie, les éléments suivants : (1) la durée, l'envergure et le succès ou le peu de succès d'une enquête; (2) les techniques investigatrices du service; (3) les systèmes typographiques et de téléimpression utilisés par le SCRS; (4) les méthodes internes de sécurité; (5) la nature et le contenu d'autres documents classifiés; (6) l'identité des membres du service ou d'autres personnes participant à une enquête.

[21]            Lorsqu'il a fait valoir que les renseignements devaient demeurer confidentiels en l'espèce, le Ministre a soutenu dans son dossier de requête public que la divulgation de ces renseignements pourrait faire en sorte qu'un observateur soit en mesure de déterminer ou de découvrir, en tout ou en partie, les éléments suivants :

a)              la durée, l'envergure et le succès ou le peu de succès d'une enquête;

b)             les techniques d'enquête utilisées par l'État étranger;

c)              la nature et l'objet de l'enquête;

d)             l'identité de particuliers travaillant pour les États étrangers ou d'autres personnes participant à une enquête;

e)              les techniques et le mode opérationnel propres à l'enquête;

f)              le succès ou le peu de succès de l'enquête;

g)             la divulgation pourrait mettre en danger la vie des personnes touchées;


h)             les relations, entre les organismes du gouvernement canadien et ceux de gouvernements étrangers, susceptibles d'être mises en péril par la divulgation de ces renseignements parce que les gouvernements étrangers ne seraient plus disposés à conclure ce genre d'accords à l'avenir;

i)              l'identité de particuliers visés par l'enquête des gouvernements canadien et étrangers.

[22]            Après avoir examiné les renseignements et l'affidavit confidentiels déposés à l'appui de la présente requête, je suis persuadée que la divulgation de ces renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale du Canada ou à la sécurité d'autrui. En effet, s'ils étaient communiqués, ces renseignements pourraient faire en sorte qu'un observateur bien informé soit en mesure de découvrir, en tout ou en partie, les éléments susmentionnés. Par conséquent, j'ai ordonné que les renseignements confidentiels et l'affidavit confidentiel invoqué par le Ministre ne soient pas divulgués et demeurent confidentiels.

DÉCISION VOULANT QUE M. YAO APPARTIENNE À UNE CATÉGORIE NON ADMISSIBLE

(i) Questions en litige

[23]            Au cours des plaidoiries, trois questions ont été soulevées pour le compte de M. Yao :

a)          L'agent des visas a-t-il commis une erreur lorsqu'il a conclu qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Yao fait ou a fait partie du MSÉ?

b)          L'agent des visas a-t-il commis une erreur lorsqu'il a omis de recommander que M. Yao obtienne une réparation ministérielle?


c)          Si la demande est accueillie, l'affaire devrait-elle être renvoyée pour nouvel examen en application des dispositions de l'ancienne Loi?

[24]            Le demandeur n'a soulevé la dernière question que deux jours ouvrables avant l'audition du contrôle judiciaire, dans une correspondance échangée entre les avocats. Les avocates du Ministre se sont opposées à ce que la Cour se penche sur cette question. Elles ont invoqué la décision Sandhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 258 N.R. 100, de la Cour d'appel fédérale pour faire valoir que les avocats ne doivent pas être autorisés à soulever à l'audience des arguments n'ayant pas été présentés dans l'exposé des faits et du droit.

[25]            À l'audience, j'ai sursis au prononcé de ma décision concernant cette objection et j'ai entendu les plaidoiries relatives à la question de fond, à savoir la nature de la réparation susceptible d'être prononcée.

(ii) Dispositions législatives applicables

[26]            La disposition 19(1)f)(iii)(A) de l'ancienne Loi porte :



19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

[...]

f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles :

[...]

(iii) soit sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée :

(A) soit à des actes d'espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s'entend au Canada,

[...]

le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

[...]

(f) persons who there are reasonable grounds to believe

[...]

(iii) are or were members of an organization that there are reasonable grounds to believe is or was engaged in

(A) acts of espionage or subversion against democratic government, institutions or processes, as they are understood in Canada, or

[...]

except persons who have satisfied the Minister that their admission would not be detrimental to the national interest.


(iii) L'agent des visas a-t-il commis une erreur lorsqu'il a décidé qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Yao fait ou a fait partie d'un organisme se livrant à de l'espionnage?

[27]            M. Yao n'a pas contesté la conclusion de l'agent des visas selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que le MSÉ se livre ou s'est livré à de l'espionnage au sens où l'entend l'ancienne Loi. En conséquence, il est seulement nécessaire d'examiner la conclusion voulant qu'il y ait des motifs raisonnables de croire que M. Yao fait ou a fait partie du MSÉ.


[28]            La norme de preuve à satisfaire pour montrer qu'il existe des motifs raisonnables de croire quelque chose est définie comme « la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » . Voir l'arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), au paragraphe 60. Il est donc inutile pour le Ministre d'établir que la personne appartient réellement à un organisme d'espionnage ou que des actes d'espionnage ont réellement été commis.

[29]            En l'espèce, il existait, dans le dossier public dont l'agent des visas était saisi, des éléments de preuve selon lesquels :

i)           Monsieur Yao a fait ses études au BIRI. Il est connu que le MSÉ embauche des diplômés de cette école;

ii)          Monsieur Yao parle couramment l'anglais. Le MSÉ recherche les personnes qui parlent anglais;

iii)          Immédiatement après ses études, M. Yao a été affecté au PD sans avoir demandé une telle affectation;

iv)         Il est connu que le PD a à son services des agents du MSÉ qui se font passer pour des journalistes travaillant pour le MSÉ;

v)          Pendant ses entrevues avec le SCRS, M. Yao s'est montré peu enclin à collaborer. En effet, il a d'abord totalement nié avoir une quelconque connaissance des activités du MSÉ. Or, lorsque cette assertion a été contestée, il a par la suite mentionné qu'il soupçonnait son supérieur hiérarchique de faire partie du MSÉ, puis qu'il avait entendu dire qu'un certain nombre de correspondants du PD avaient des liens avec le MSÉ;


vi)         Monsieur Yao a nié avoir déclaré à sa première entrevue avec le SCRS que ses rapports portaient principalement sur Taïwan et que tous les renseignements relatifs à ce pays étaient transmis à Beijing;

vii)         Au cours de son affectation à New York, M. Yao a réalisé des entrevues avec des membres de la collectivité chinoise locale. Une tâche importante des officiers du MSÉ affectés à l'étranger consiste à surveiller les mouvements de dissidence. Il s'agit notamment d'infiltrer des groupes et d'élaborer le profil des membres afin de déterminer dans quelle mesure ces derniers adhèrent à leurs croyances et constituent une menace pour la RPC;

viii)        Pendant son entrevue avec le SCRS, M. Yao a soutenu qu'il préférerait ne pas obtenir la citoyenneté canadienne plutôt que de répondre à des questions que le SCRS considère comme tout à fait habituelles. Cette affirmation a amené le SCRS à douter de la véritable raison pour laquelle M. Yao a présenté une demande de résidence permanente au Canada.

[30]            Outre ces éléments de preuve, l'agent des visas était saisi des renseignements confidentiels.


[31]            À la lumière de l'ensemble des éléments de preuve produits devant l'agent des visas, je suis convaincue que la conclusion de ce dernier voulant que M. Yao soit non admissible au Canada suivant la disposition 19(1)f)(iii)(A) de l'ancienne Loi n'était ni déraisonnable ni manifestement déraisonnable. L'agent des visas était saisi d'une preuve digne de foi l'autorisant à croire, en toute légitimité, qu'il existait une possibilité sérieuse d'appartenance. L'ensemble de la preuve justifiait davantage qu'un vague soupçon. Pour tirer cette conclusion, je m'appuie sur les renseignements confidentiels et le fait que M. Yao, en plus de correspondre au profil d'un membre du MSÉ, a donné lors des deux entrevues avec le SCRS des réponses notablement contradictoires au sujet de la participation du MSÉ au PD.

(iv) L'agent des visas a-t-il commis une erreur lorsqu'il a omis de recommander que M. Yao obtienne une réparation ministérielle?

[32]            Monsieur Yao a été informé par la lettre du 16 novembre 1999 que lui a envoyée l'agent des visas que la dernière entrevue qui lui était accordée lui offrait l'occasion de présenter des éléments de preuve relatifs à la dispense ministérielle. M. Yao n'allègue pas avoir donné de tels renseignements; il affirme plutôt que, comme il lui est possible de s'établir avec succès au Canada, il devrait être admis. Il ressort des notes consignées dans le CAIPS que, lorsque l'agent des visas a demandé à M. Yao s'il avait des renseignements supplémentaires à fournir, celui-ci s'est contenté de répondre qu'il avait quarante ans, deux enfants et se consacrait maintenant à ces derniers, et que cela constituait sa plus convaincante allégation.


[33]            L'alinéa 19(1)f) de l'ancienne Loi prévoit que la dispense ministérielle s'applique à ceux « qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national » . Il appartient au demandeur de persuader le Ministre ou son représentant de ce fait.

[34]            J'estime que l'agent des visas n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle. Compte tenu des maigres éléments de preuve produits par M. Yao, ce dernier ne pouvait convaincre l'agent des visas que son admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

(v) Portée de la réparation susceptible d'être prononcée

[35]            Comme j'arrive à la conclusion qu'il n'y a pas eu d'erreur susceptible de contrôle en l'espèce, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n'est donc pas nécessaire que je me penche sur la demande de M. Yao voulant que tout nouvel examen soit effectué sous le régime de l'ancienne Loi. Bien que je doute fort qu'une ordonnance renvoyant l'affaire pour nouvel examen sous le régime de l'ancienne Loi soit compatible avec les dispositions transitoires prévues par la Loi et ses règlements d'application, l'argument présenté devant moi n'est pas très étoffé. Je m'abstiens donc d'exprimer ce qui, en tout état de cause, constituerait une remarque incidente.


[36]            Les avocats n'ont demandé la certification d'aucune question et aucune question ne peut être soulevée dans le cadre du dossier dont la Cour est saisie.

ORDONNANCE

[37]            LA COUR ORDONNE QUE :

La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Eleanor R. Dawson »

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                                                                                                                                                      Juge                             

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-1571-00

INTITULÉ :                                           HAIQUAN YAO C. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Les 28 janvier et 20 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                       Le 12 juin 2003

COMPARUTIONS :

Matthew Moyal                                      POUR LE DEMANDEUR

28 janvier et 20 mai 2003

Marissa Bielski                           POUR LE DÉFENDEUR

28 janvier 2003

Marissa Bielski

Pamela Larmondin                                   POUR LE DÉFENDEUR

28 janvier et 20 mai 2003

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Moyal et Moyal

Avocats

Toronto (Ontario)                                    POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada        POUR LE DÉFENDEUR


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