Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210525


Dossier : IMM-7156-19

Référence : 2021 CF 490

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

JIE GAO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] qui a conclu que Mme Jie Gao n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Mme Gao est une citoyenne de Chine qui dit craindre d’être persécutée par le Bureau de la sécurité publique (PSB) pour son engagement auprès de l’Église du Dieu tout‑puissant (l’Église). En mai 2016, Mme Gao a été invitée par un ami à se joindre à l’Église; en décembre 2016, avec l’accord d’un mentor de l’Église, elle a commencé à prendre part à des assemblées clandestines hebdomadaires. Le 10 mars 2017, son ami lui a annoncé que le mentor de l’Église avait été arrêté. Mme Gao a décidé de se cacher, puis s’est arrangée avec un passeur pour obtenir un visa de visiteur canadien à partir de faux renseignements. Mme Gao est arrivée au Canada le 18 mai 2017, où elle a demandé l’asile.

[3] Lorsqu’elle a quitté la Chine, elle n’était pas recherchée par le PSB; toutefois, ses parents l’ont informée que des représentants du PSB s’étaient rendus à sa résidence le 6 juin 2017 et avaient demandé à ce que Mme Gao revienne en Chine et se livre aux autorités. Elle a par ailleurs appris que deux autres adeptes de l’Église ont été arrêtés par le PSB, et que d’autres étaient toujours cachés.

[4] Au Canada, Mme Gao a trouvé une Église du Dieu tout-puissant; elle affirme pratiquer sa religion en priant à la maison et en fréquentant l’église tous les dimanches.

[5] La SPR a rejeté la demande d’asile de Mme Gao pour des raisons de crédibilité. En appel, la SAR a jugé que la SPR avait tiré des conclusions injustifiées en matière de crédibilité. Néanmoins, la SAR a rejeté l’appel de Mme Gao au motif qu’elle n’a pas réussi à établir qu’elle était une véritable adepte.

[6] Mme Gao reproche à la SAR d’avoir conclu de manière déraisonnable à l’insuffisance de preuve à l’appui de son profil religieux en tant qu’adepte véritable de l’Église. Elle soutient que les conclusions de la SAR reposent sur des motifs inintelligibles.

[7] Mme Gao n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable; par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Question préliminaire

[8] Le défendeur soulève une question préliminaire concernant l’affidavit déposé à l’appui de la demande de Mme Gao, qui a été signé par un parajuriste à l’emploi de l’avocat de Mme Gao. Le défendeur affirme que selon l’alinéa 10(2)d) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, un affidavit doit accompagner le dossier de demande. Or, Mme Gao n’a pas produit d’affidavit à titre personnel.

[9] Le défendeur ne prétend pas que la demande devrait être rejetée pour cause de dossier incomplet; par ailleurs, l’unique lacune de l’affidavit réside dans le fait que Mme Gao aurait été une déposante plus appropriée puisqu’elle est au courant des faits qui sous‑tendent la demande. Le défendeur soutient que lorsque le demandeur ne produit aucune preuve fondée sur la connaissance personnelle, toute erreur alléguée doit ressortir du dossier : Moldeveanu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1999], ACF no 55 (CAF) au para 15.

[10] L’affidavit atteste que Mme Gao a présenté une demande d’asile, contient les dates de l’audience devant la SPR, et est accompagné d’une copie du dossier d’appel déposé devant la SAR à titre de pièce justificative. L’information contenue dans l’affidavit n’est pas contestée, et il n’est pas clair que Mme Gao aurait été une déposante plus appropriée de cet élément de preuve en particulier.

[11] Quoi qu’il en soit, l’avocat de Mme Gao a confirmé que l’affidavit ne visait pas à fournir des renseignements autres que ceux déjà versés au dossier. Selon cet avocat, il n’y a pas lieu de s’appuyer sur l’affidavit. Le dossier certifié du tribunal est déposé en preuve, et les seules erreurs alléguées par Mme Gao ressortent du dossier.

III. Question en litige et norme de contrôle

[12] La seule question à trancher en l’espèce est de savoir si la décision de la SAR est déraisonnable et, en particulier, si sa conclusion selon laquelle la preuve ne permettait pas d’établir l’identité religieuse de Mme Gao est injustifiée et inintelligible.

[13] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Pour l’application de cette norme, la Cour doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci : Vavilov, aux paras 91, 99.

IV. Analyse

[14] Mme Gao soutient que la SAR a commis une erreur dans l’appréciation de son identité religieuse.

[15] Premièrement, Mme Gao fait valoir que la SAR l’a soumise à une norme de connaissance religieuse déraisonnablement élevée à propos des principes de l’Église, ce qui est contraire à la jurisprudence qui requiert un niveau de connaissance religieuse relativement faible pour établir la sincérité des convictions : Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 503 aux paras 12-14, 16-18; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1002 [Huang] aux paras 14-15. La SAR a conclu que Mme Gao pouvait définir les fondements de l’Église, mais qu’elle ne pouvait pas les approfondir lorsqu’on le lui demandait. Selon Mme Gao, sa capacité à définir correctement les principes fondamentaux de sa religion aurait dû suffire pour établir son profil religieux. Elle affirme que la SAR a déraisonnablement conclu que ses réponses auraient dû être plus précises compte tenu du nombre d’assemblées auxquelles elle a pris part. Par ailleurs, elle soutient que la SAR a commis une erreur en évaluant son témoignage à partir de sa propre conception erronée de ce qu’une personne se trouvant dans la même situation qu’elle devrait savoir ou comprendre : Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 288 au para 61.

[16] Deuxièmement, Mme Gao est d’avis que les conclusions de la SAR manquent d’intelligibilité puisque la SAR a conclu que son niveau de connaissance était insuffisant sans en expliquer les raisons et sans préciser le niveau de connaissance attendu. Elle affirme que la SAR s’est appuyée sur un seul exemple de connaissances insuffisantes, à savoir qu’elle était incapable d’expliquer le concept selon lequel seuls les croyants vont au paradis, lorsqu’elle a été interrogée par la SPR à ce propos. Selon elle, la conclusion qu’une demande d’asile fondée sur des motifs religieux est fabriquée de toute pièce commande une norme de preuve stricte puisqu’elle soulève une question d’intention de tromper : Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402 au para 23.

[17] Troisièmement, Mme Gao soutient que la SAR a fondé sa décision sur la connaissance religieuse, même si elle a reconnu que la sincérité de sa foi était la question fondamentale. Selon elle, la SAR ne s’est pas penchée ni n’a tiré des conclusions sur la sincérité de sa croyance dans ses motifs, et elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve à l’appui de sa pratique religieuse en Chine, dont ceux concernant son adhésion à cette confession, le fait que l’Église soit clandestine, et ce qui l’a poussée à quitter la Chine.

[18] Enfin, Mme Gao soutient que la SAR a commis une erreur en accordant peu de poids à une lettre d’appui rédigée par un adepte de l’Église au Canada. Selon elle, la SAR a mis l’accent à tort sur la valeur probante de la lettre pour juger de sa connaissance religieuse, sans tenir compte adéquatement, pour évaluer la sincérité de sa foi, des affirmations qu’elle contenait quant à ses activités religieuses. De plus, la SAR a donné peu de valeur à la lettre parce qu’elle ne provenait pas d’un dirigeant de l’Église et qu’elle n’était pas aussi détaillée que la SAR l’aurait souhaité. Enfin, la SAR aurait dû examiner la lettre sur la base de ce qu’elle disait, et non de ce qu’elle omettait, selon Mme Gao.

[19] Je ne suis pas convaincue que la SAR a commis les erreurs alléguées plus haut.

[20] La SAR ne devrait pas adopter une norme déraisonnablement élevée ou s’engager dans une analyse microscopique à l’égard de la connaissance religieuse (Huang, aux paras 10-12), mais je ne suis pas convaincue que c’est ce qu’elle a fait en l’espèce. Elle a plutôt évalué la connaissance religieuse de Mme Gao et son engagement auprès de l’Église [TRADUCTION] « dans le contexte de la preuve objective des principes et des rouages de l’Église du Dieu tout‑puissant », qui repose sur des normes de participation élevées, un devoir de prosélytisme, et un apport important aux services religieux sous forme de prières, de cantiques, de lectures de textes sacrés et d’un sermon. Mme Gao affirme que la SAR a évalué son témoignage à partir de sa propre conception erronée de ce qu’une personne se trouvant dans la même situation qu’elle devrait savoir ou comprendre; or, Mme Gao ne fournit aucun détail quant aux idées supposément erronées, et ne relève aucune erreur quant aux caractéristiques décrites par la SAR au sujet de l’Église. Selon moi, il était justifié que la SAR s’attende à ce que Mme Gao puisse expliquer les principes fondamentaux de sa religion lorsqu’elle lui a posé la question, et il était loisible à la SAR de conclure qu’il y avait incohérence entre sa connaissance et son profil religieux en tant que membre de cette Église.

[21] Mme Gao reproche à la SAR de ne pas avoir expliqué le genre d’informations qu’elle s’attendait à recevoir; toutefois, Mme Gao comprend mal la conclusion de la SAR. Après avoir examiné les enregistrements audio du témoignage de Mme Gao à l’audience de la SPR, la SAR a conclu de manière générale que Mme Gao ne pouvait pas approfondir les principes fondamentaux de l’Église lorsqu’on le lui a demandé. En réponse aux questions qu’elle a posées en ce sens, la SAR s’attendait à ce que Mme Gao puisse approfondir les concepts qu’elle venait d’énumérer. Dans le mémoire qu’il a déposé dans le cadre de la présente instance, le défendeur renvoie à trois segments de l’enregistrement audio, où l’on constate que Mme Gao est incapable d’approfondir le concept des croyants qui montent aux cieux, ni d’expliquer le contenu des discussions auxquelles elle a assisté lors des assemblées. J’ai écouté ces segments et selon moi, il était loisible à la SAR de conclure que Mme Gao était incapable d’approfondir ces concepts. Mme Gao n’a attiré l’attention de la Cour sur aucun élément de son témoignage qui lui permettrait de mettre en doute la conclusion de la SAR, ni n’a démontré que la SAR avait mal compris ou mal interprété son témoignage devant la SPR. Il incombe à Mme Gao, en tant que partie contestant la décision de la SAR, de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov, au para 100); or, elle n’a établi aucune erreur dans la conclusion globale de la SAR. Compte tenu des faits de l’espèce, je conviens avec le défendeur que la SAR avait raison de trouver superficielle et sommaire la connaissance de Mme Gao à propos de son Église, et que la SAR n’a pas commis d’erreur en donnant un exemple de la méconnaissance de Mme Gao.

[22] De plus, je ne suis pas convaincue que la SAR a porté son attention sur la mauvaise question. En évaluant la connaissance de Mme Gao, la SAR a tenté de mesurer l’authenticité de ses croyances, ce qui n’est pas inapproprié de sa part : Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 731 au para 17, citant Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1139 au para 26. Outre le niveau de connaissance religieuse, la SAR a fait remarquer que Mme Gao pouvait nommer la moitié des membres de son assemblée d’Église en Chine, et ce, même si elle les a vus une heure par semaine de décembre 2016 à mars 2017. Les membres utilisaient des noms spirituels, et elle connaissait celui de trois d’entre eux seulement, même si elle les a rencontrés plus de dix fois.

[23] En ce qui a trait à la lettre d’appui d’un membre de l’Église au Canada, celle‑ci est datée du 13 août 2017, et le membre y affirme qu’il a [traduction] « fait la connaissance » de Mme Gao le 4 juin 2017. La lettre contient deux affirmations : une selon laquelle Mme Gao [traduction] « prend part à nos services religieux de manière assidue; [priant], lisant et tentant de saisir les mots de Dieu, et prêchant l’Évangile avec les autres adeptes », et l’autre selon laquelle Mme Gao est une fervente adepte de l’Église du Dieu tout‑puissant. La SAR a accordé peu de poids à la lettre parce que la simple attestation qu’elle contient n’établissait pas la croyance religieuse de Mme Gao, et que son contenu avait [traduction] « peu de valeur probante » quant à l’authenticité de sa croyance. La SAR a expliqué qu’une lettre d’un dirigeant de l’Église confirmant qu’elle avait été soumise à un processus d’admission aurait eu une meilleure valeur probante au vu des éléments de preuve objectifs, selon lesquels les adeptes font l’objet d’un contrôle par le dirigeant local avant d’être admis. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur, et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier ses conclusions de fait : Vavilov, au para 125; Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 16 aux paras 16-17. Mme Gao n’a pas établi que la SAR avait commis une erreur dans son appréciation de la lettre d’appui.

V. Conclusion

[24] À mon avis, la décision de la SAR est raisonnable et, par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[25] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et j’estime qu’il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑7156‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7156-19

 

INTITULÉ :

JIE GAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JANVIER 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 MAI 2021

 

COMPARUTIONS :

Adam Wawrzkiewicz

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alex C. Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.