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Date : 20210520


Dossier : IMM-4827-19

Référence : 2021 CF 472

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 mai 2021

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

NORA ZENAYDA REYES RAMIREZ

ALINSON ELI RIVAS REYES

GENESIS ITZAYANA LOPEZ REYES

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], datée du 12 avril 2019, par laquelle leur demande d’asile a été rejetée.

[2] La demanderesse principale, Nora Zenayda Reyes Ramirez, est une citoyenne du Honduras. Elle est la mère de quatre (4) enfants mineurs, dont deux (2) sont les demandeurs mineurs en l’espèce. Les demandeurs mineurs sont le premier enfant de la demanderesse principale, soit un citoyen du Honduras, et son quatrième enfant, soit une citoyenne des États-Unis. Les deux (2) autres enfants sont des citoyens du Honduras et demeurent chez la mère de la demanderesse principale, au Honduras.

[3] Dans l’exposé circonstancié modifié joint à son formulaire Fondement de la demande d’asile [l’exposé], la demanderesse principale affirme qu’elle craint d’être persécutée au Honduras par le père de son troisième enfant. Elle soutient que cet ex-conjoint est un toxicomane et un associé d’un gang criminel. En mars 2013, il a commencé à l’intimider et à la maltraiter psychologiquement et physiquement. Il l’a menacée, alors qu’elle était enceinte, lui disant que si jamais elle le quittait, les membres de son gang criminel l’aideraient à la retrouver et à enlever leur enfant à naître. En mai 2013, la demanderesse principale l’a quitté et s’est enfuie chez sa mère, à deux heures et demie de route de chez elle. Il n’a cessé d’appeler à la maison pour demander des nouvelles d’elle et de l’enfant. Il est même venu plusieurs fois chez sa mère pour la chercher, et l’a menacée de se venger parce qu’elle l’avait quitté et de lui enlever l’enfant.

[4] En juin 2014, la demanderesse principale s’est rendue aux États-Unis avec son premier enfant afin d’échapper aux violences et aux abus subis aux mains du père de son troisième enfant, ainsi qu’aux violences et aux menaces des membres d’un gang, dont l’oncle de son premier enfant, qui a tenté d’enlever l’enfant en 2007. La demanderesse principale a laissé ses deux (2) autres enfants avec sa mère au Honduras.

[5] La demanderesse principale et son premier enfant ont été interceptés par le département de la Sécurité intérieure des États-Unis et ont été détenus parce qu’ils y sont entrés illégalement. Ils ont ensuite été libérés, et ont reçu l’ordre de comparaître devant un juge de l’immigration. La demanderesse principale a demandé l’asile en juin 2015.

[6] Pendant son séjour aux États-Unis, la demanderesse principale a donné naissance à son quatrième enfant, en 2016.

[7] Craignant d’être renvoyée au Honduras à la suite de l’arrivée du nouveau président, la demanderesse principale est venue au Canada avec les demandeurs mineurs. Ils ont demandé l’asile le 26 juin 2017.

[8] Le 12 avril 2019, la SPR a rejeté la demande d’asile pour non-crédibilité. La SPR n’a pas cru que la demanderesse principale avait été victime de violence conjugale en raison des incohérences dans son exposé, dans la déclaration manuscrite préparée dans le cadre de sa demande d’asile aux États-Unis et dans son témoignage lors de l’audience. La SPR a conclu que l’incapacité de la demanderesse principale à fournir une explication satisfaisante pour les incohérences et les omissions sur des faits importants nuisait à sa crédibilité générale. Selon la SPR, la demanderesse principale n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le père de son troisième enfant continuait à représenter une menace.

[9] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs contestent l’appréciation, par la SPR, de la crédibilité de la demanderesse principale.

II. Analyse

[10] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16 et 17 [Vavilov]).

[11] Dans les cas où la norme de la décision raisonnable s’applique, la Cour doit s’intéresser « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, au para 99). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

[12] Les demandeurs soutiennent que la SPR a tiré des conclusions erronées sur la crédibilité à plusieurs égards.

[13] Premièrement, ils soutiennent que la SPR a trop insisté sur les différences entre la déclaration manuscrite et l’exposé, et qu’elle n’a pas tenu compte du contexte dans lequel la déclaration manuscrite a été rédigée. À l’époque, la demanderesse était une jeune mère célibataire avec un faible niveau de scolarité, qui essayait d’entrer aux États-Unis sans vraiment savoir comment déposer une demande d’asile. Ce n’est que lorsqu’elle a consulté un avocat aux États-Unis qu’on lui a conseillé de s’en tenir aux problèmes avec le père de son troisième enfant.

[14] Deuxièmement, ils affirment que la SPR n’a pas accordé l’importance voulue au rapport médical de la demanderesse principale qui [traduction] « prouvait qu’elle avait été violée ». De l’avis des demandeurs, la décision de la SPR est vague dans son analyse et ne [traduction] « respecte » pas les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe].

[15] Troisièmement, ils soutiennent que la SPR a déraisonnablement écarté les déclarations des membres de la famille faisant état des mauvais traitements que la demanderesse principale a subis avant de quitter le Honduras et le fait qu’elle craignait le père de son troisième enfant.

[16] Ces arguments ne me convainquent pas.

[17] La demanderesse principale a présenté deux (2) exposés différents concernant sa crainte de persécution. Dans la déclaration manuscrite saisie par les autorités canadiennes, la demanderesse principale allègue que l’agent de persécution est l’oncle paternel de son premier enfant, qu’elle qualifie de toxicomane et de dirigeant d’une bande de jeunes qui cambriolent des maisons, pillent des voitures et s’attaquent à des gens du village. Elle craint qu’un jour, lui et ses frères lui enlèvent son premier enfant et en fassent un bandit. Malgré la rumeur selon laquelle l’oncle aurait été assassiné, elle craint qu’il ne se cache, car son corps n’a pas été retrouvé. Elle craint également que tous ses enfants ne deviennent des délinquants. Elle écrit qu’elle n’a pu trouver de travail au Honduras, et qu’elle a déménagé aux États-Unis avec son premier enfant dans le but de faire venir ses deux autres enfants, sa mère et sa grand-mère pour que tous échappent à la pauvreté. Contrairement à ce qui est écrit dans son exposé, elle omet de mentionner qu’elle et son fils aîné ont fui le Honduras à la suite des violences physiques et psychologiques subies aux mains du père de son troisième enfant, ou qu’elle craignait que ce dernier ou les membres de sa bande ne lui enlèvent son troisième enfant.

[18] La SPR a donné à la demanderesse principale l’occasion d’expliquer les différences importantes entre son exposé et sa déclaration manuscrite.

[19] La SPR a rejeté l’explication de la demanderesse principale selon laquelle au début, ce n’était pas une priorité pour elle de mentionner le père du troisième enfant dans sa déclaration manuscrite; ce n’est qu’après avoir donné sa version des faits à l’avocat américain que cela est devenu prioritaire. La SPR a conclu que la demanderesse principale a modifié sa déclaration initiale quant à son agent de persécution et aux incidents qui l’ont poussée à quitter le Honduras avec son premier enfant. Selon la SPR, si la demanderesse avait réellement craint pour sa vie et celle de son enfant, elle aurait fourni de manière cohérente l’identité de la personne qui l’avait persécutée, et les raisons de cette persécution. La SPR a conclu que les incohérences et les omissions entre les deux (2) récits, sur des faits importants, portaient atteinte à la crédibilité générale de la demanderesse principale.

[20] En outre, la SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse principale était déroutant, hésitant et évasif, et qu’il y avait des omissions et des incohérences pour lesquelles elle n’a pas fourni d’explication satisfaisante, ce qui a également nui à sa crédibilité.

[21] Par exemple, la SPR a jugé que les raisons fournies par la demanderesse principale expliquant pourquoi elle n’avait pas fui le Honduras avec son troisième enfant n’étaient pas satisfaisantes. Malgré les menaces constantes du père d’enlever l’enfant, la demanderesse principale s’est enfuie aux États-Unis avec son fils aîné, laissant de ce fait son troisième enfant au domicile de sa mère où le père lui avait rendu visite plusieurs fois dans le passé. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle avait laissé cet enfant derrière elle, la demanderesse principale a répondu que c’était parce qu’il était [traduction] « trop petit ». Invitée à expliquer pourquoi elle l’avait laissé chez sa mère, la demanderesse principale a modifié son témoignage antérieur selon lequel elle craignait que son ex-conjoint n’enlève leur enfant. Elle a plutôt dit qu’il n’avait pas l’intention de le prendre, et qu’il n’était pas retourné chez sa mère. Puis, lorsqu’on lui a demandé quand le père du troisième enfant était venu pour la dernière fois chez sa mère, la demanderesse principale a répondu qu’elle ne s’en souvenait pas. La SPR a conclu que le comportement de la demanderesse principale, qui était partie en laissant derrière elle son troisième enfant, et le fait que le père n’avait rien tenté depuis pour l’enlever ne concordaient pas avec l’allégation selon laquelle il voulait se venger d’elle parce qu’elle l’avait laissé.

[22] Un autre exemple concerne la partie de son exposé où elle dit que lorsqu’elle était enceinte de son troisième enfant, le père de l’enfant l’a emmenée chez sa tante qui lui a administré de force une injection afin de provoquer un avortement. À l’audience, la demanderesse principale a dit qu’il l’a emmenée voir une [traduction] « dame » qui lui a fait une injection, mais qu’elle ne savait pas qui était cette femme. Selon la SPR, si l’incident s’était produit, la demanderesse principale aurait indiqué de façon cohérente si la femme était une proche du père du troisième enfant.

[23] De même, la SPR a demandé à la demanderesse principale si elle craignait le père de son premier enfant. Elle a répondu par l’affirmative, disant qu’elle craignait qu’il la force à retourner avec lui, parce qu’ils avaient un enfant ensemble, ou qu’il la tue. Interrogée sur les raisons de sa crainte, vu qu’elle était sans nouvelles de lui depuis environ dix (10) ans, la demanderesse principale a répondu de manière évasive et a dit qu’une semaine avant l’audience, elle a appris que le père de son premier enfant était retourné au Honduras et avait visité la maison de sa mère à trois (3) reprises. À la question de savoir pourquoi elle ne l’avait pas relaté à son avocat ou au début de l’audience, elle a répondu qu’elle ne pensait pas que c’était important parce qu’il n’avait pas proféré de [traduction] « grandes menaces » contre elle.

[24] La SPR a clairement tenu compte des explications de la demanderesse principale et a expliqué de manière cohérente et intelligible pourquoi elle les a rejetées. Compte tenu des nombreuses incohérences et omissions dans le témoignage de la demanderesse principale, la SPR pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse principale n’était pas crédible, et rejeter ses explications concernant l’omission de faits importants dans la déclaration manuscrite. Sa relation avec le père du troisième enfant était cruciale à sa demande d’asile au Canada. Si les incidents avec lui étaient aussi importants qu’elle le prétend, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’ils soient mentionnés dans sa déclaration manuscrite.

[25] S’agissant de l’argument des demandeurs concernant le rapport médical, j’estime que la SPR a correctement appliqué les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Les demandeurs n’ont pas clairement expliqué en quoi les questions de la SPR ne respectaient pas ces directives. Quoi qu’il en soit, la SPR a dit explicitement qu’elle avait tenu compte de ces directives et que, dans les cas où il y avait confusion sur les dates ou l’ordre chronologique des événements, elle a accordé le bénéfice du doute à la demanderesse principale. La SPR a accordé peu de poids au rapport médical parce que la demanderesse principale a livré un témoignage hésitant et incohérent sur la nature de ses visites chez le médecin qui l’a rédigé, et parce qu’il ne fournissait pas suffisamment de détails sur le traumatisme.

[26] Je souligne que le rapport médical est daté de mai 2015, mais qu’il fait état d’événements survenus en mai 2013. Le rapport ne permet pas de savoir non plus si l’agression physique que son conjoint aurait commise a eu lieu le 12 mai 2013, ou si la demanderesse principale a été vue aux urgences à cette date. Le rapport indique que la demanderesse principale était enceinte de six (6) mois à l’époque. Si l’enfant est né en octobre 2013, comme le montre le dossier certifié du tribunal, on peut supposer que la demanderesse principale n’était pas enceinte de six (6) mois lorsqu’elle a consulté le médecin, ou qu’elle a attendu plusieurs mois après l’agression pour se rendre à l’hôpital. J’estime qu’il était raisonnable pour la SPR, dans les deux cas, d’accorder peu de poids au rapport médical, vu qu’il imprécis et dépourvu de détails.

[27] Quant aux déclarations des membres de la famille de la demanderesse principale, la SPR a eu raison de souligner que leurs témoignages n’étayaient pas l’allégation selon laquelle, après avoir quitté le père du troisième enfant en mai 2013, la demanderesse avait été persécutée par lui de façon telle qu’elle avait dû quitter le Honduras pour protéger sa vie.

[28] Le demandeur qui cherche à faire annuler des conclusions sur sa crédibilité doit s’acquitter d’un lourd fardeau. Les conclusions relatives à la crédibilité et à l’évaluation de la preuve constituent l’essentiel de l’expertise de la SPR, et exigent un degré élevé de déférence de la part de la Cour (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 787 au para 16; Tosha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1741 au para 21). Certes, les demandeurs peuvent ne pas souscrire aux conclusions de la SPR, mais il n’appartient pas à la Cour de faire une nouvelle appréciation de la preuve simplement parce qu’ils souhaitent qu’elle tranche en leur faveur (Vavilov au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[29] En conclusion, j’estime que, lorsqu’elle est interprétée de manière globale et contextuelle, la décision de la SPR satisfait à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov. La décision est fondée sur des motifs intrinsèquement cohérents et est justifiée au regard des faits pertinents et du droit applicable. Les motifs sont aussi transparents et intelligibles.

[30] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4827-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Le nom de la troisième demanderesse est corrigé afin d’être conforme à son orthographe correcte, à savoir « Genesis Itzayana Lopez Reyes »;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4827-19

INTITULÉ :

NORA ZENAYDA REYES RAMIREZ ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JANVIER 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 20 MAI 2021

COMPARUTIONS :

Sophie Touchette

POUR LES DEMANDEURS

Michèle Plamondon

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gisela Barraza

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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