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Date : 20031028

Dossier : IMM-6700-02

Référence : 2003 CF 1255

Ottawa (Ontario) le 28 octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN                          

ENTRE :

                                                                        ALI NAWAZ

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 M. Ali Nawaz (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la Commission), datée du 15 novembre 2002. Dans sa décision, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                 Le demandeur, un citoyen du Pakistan, est né dans une famille musulmane sunnite le 20 décembre 1965. Il a voulu en connaître plus sur le chi'isme à la suite d'une expérience de travail à Abu Dhabi, où son employeur était fondamentalement opposé aux chiites et n'hésitait pas à verbaliser son opposition. Le demandeur a pris la décision de se convertir à la religion chiite et c'est ce qu'il a fait le 4 juillet 1998.

[3]                 En apprenant que son fils s'était converti, le père du demandeur est devenu très en colère. Il a mis son fils en garde contre les dommages que pourrait éventuellement subir la famille si des membres du Sipah-I-Sahaba Pakistan (SSP) apprenaient qu'il s'était converti. Le SSP est un organisme fondamentaliste sunnite/wahabi militant. Le refus du demandeur de revenir à la religion chiite a causé un désaccord entre le demandeur et son père.

[4]                 À la fin de juillet 1998, le demandeur s'est rendu à l'Imambara où il a fait la connaissance d'un ancien musulman sunnite qui s'était également converti à la religion chiite. Une semaine plus tard, le demandeur a appris que cet homme avait été tué par le SSP en raison de sa conversion. En raison de ces événements, le demandeur a envoyé son épouse et ses enfants vivre avec les parents de son épouse et il est rentré à Abu Dhabi. Même s'il a tenté de garder le secret concernant sa religion, son employeur a appris qu'il s'était converti quand il s'est rendu sans préavis à la résidence du demandeur une journée où il s'y tenait un majlis, une cérémonie religieuse. Le demandeur a été congédié le lendemain.


[5]                 En juillet 2001, le demandeur est retourné au Pakistan pour voir ses parents, son épouse et ses enfants. Ses parents ont refusé de le voir, ses beaux-parents ont refusé de le laisser voir son épouse, et son beau-père a menacé de dénoncer sa conversion à la police et l'a traité de « Kafir » , ce qui signifie « infidèle » .

[6]                 Le demandeur a tenté d'obtenir l'aide de la police qui a refusé puisque, selon elle, le problème du demandeur était de nature familiale et privée. Quand il est retourné à la résidence de son beau-père, le demandeur a été menacé de mort.

[7]                 Plusieurs jours plus tard, en août 2001, le demandeur a été battu par cinq membres du SSP. Avec l'aide de passants, il a réussi à s'enfuir, mais les membres du SSP l'ont menacé en lui disant que la prochaine fois qu'ils le verraient, ce serait le jour de sa mort.

[8]                 Le demandeur s'est enfui à Lahore le lendemain pour y trouver refuge. Il a quitté Lahore le 6 août 2001 et est arrivé au Canada le 8 août 2001. Peu de temps après son arrivée, il a exprimé son intention de demander le statut de réfugié.


[9]                 La Commission a décidé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, en se fondant sur ses conclusions selon lesquelles il y avait eu un changement dans la situation au Pakistan et que, dans les circonstances, l'État offrait une protection adéquate. La Commission a conclu qu'il y avait des preuves de harcèlement et de menaces proférées à l'endroit d'individus qui s'étaient convertis et de minorités religieuses, mais elle a également conclu qu'il y avait des « efforts soutenus du gouvernement » pour contrôler les groupes comme le SSP. Elle a invoqué la preuve documentaire qui démontrait que le gouvernement avait entrepris des mesures graduelles mais systématiques contre la terreur motivée par le sectarisme au Pakistan.

[10]            La Commission a fait référence à l'arrêt Villafranca c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130, dans laquelle la Cour d'appel fédérale a décidé que la protection de l'État n'a pas à être parfaite et qu'un gouvernement n'est pas tenu d'offrir une protection parfaite contre des activités terroristes. En s'appuyant sur l'arrêt Villafranca, précité, la Commission a tiré les conclusions suivantes :

La violence entre sectes musulmanes au Pakistan existe encore. L'État a mis en oeuvre plusieurs mesures qui ont amélioré la situation. Selon la prépondérance des probabilités, le tribunal conclut que l'État pakistanais continuera d'améliorer la situation entre ses citoyens chiites et sunnites. Le tribunal conclut que le Pakistan fait de sérieux efforts pour offrir une protection adéquate, bien que non parfaite, à ses citoyens.

[11]            La question déterminante qui ressort de la présente demande est de savoir si la conclusion de la Commission concernant le changement de situation et la disponibilité de la protection de l'État était manifestement déraisonnable, à la lumière des éléments de preuve qui lui étaient soumis.

[12]            Dans l'arrêt Canada (Procureur Général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 709, la Cour suprême du Canada décrit la raison d'être de la protection des réfugiés sur le plan international comme suit :


Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu'on s'attend à ce que l'État fournisse à ses ressortissants.__Il ne devait s'appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement.__La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s'adresser à leur État d'origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d'autres États ne soit engagée. C'est pourquoi James Hathaway qualifie le régime des réfugiés de [TRADUCTION] « protection auxiliaire ou supplétive » fournie uniquement en l'absence de protection nationale.

[13]            Le concept de protection « auxiliaire ou supplétive » aide à établir le contexte approprié pour les décisions en matière de statut de réfugié au sens de la Convention. L'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), définit « réfugié au sens de la Convention » comme suit :


A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.


[14]            À la page 712 de l'arrêt Ward, précité, le juge LaForest analyse la définition en accordant une attention particulière à la question de la protection de l'État :


[...] La disposition semble mettre l'accent sur la question de savoir si le demandeur « craint avec raison » d'être persécuté. C'est le premier point que le demandeur doit établir.__Tout ce qui vient après doit être « du fait de cette crainte » .__Le demandeur qui fait partie de la première catégorie doit, du fait de cette crainte, se trouver hors du pays dont il a la nationalité et doit être incapable de se réclamer de la protection de ce pays.__Le demandeur qui fait partie de la deuxième catégorie doit être à la fois hors du pays dont il a la nationalité et ne pas vouloir se réclamer de la protection de ce pays, du fait de cette crainte. Par conséquent, quelle que soit la catégorie dont le demandeur fait partie, il s'agit d'établir s'il craint « avec raison » d'être persécuté.__C'est à ce stade que l'incapacité de l'État d'assurer la protection devrait être prise en considération.__Le critère est en partie objectif; si un État est capable de protéger le demandeur, alors, objectivement, ce dernier ne craint pas avec raison d'être persécuté._

[15]            Les questions principales dans la présente affaire sont de savoir, dans un premier temps, à quel moment il faut considérer qu'un État est incapable de protéger ses citoyens contre la violence sectaire et, dans un deuxième temps, s'il existe une preuve d'un « changement de situation » qui soit important, tangible et durable depuis que le demandeur a quitté le Pakistan.

[16]            Dans l'arrêt Villafranca, précité, aux pages 132 et 133, la Cour d'appel fédérale a répondu à la première question de la façon suivante :

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. Le terrorisme au service d'une quelconque idéologie perverse est un fléau qui afflige aujourd'hui de nombreuses sociétés; ses victimes, bien qu'elles puissent grandement mériter notre sympathie, ne deviennent pas des réfugiés au sens de la convention simplement parce que leurs gouvernements ont été incapables de supprimer ce mal. Toutefois, lorsque l'État se révèle si faible, et sa maîtrise sur une partie ou sur l'ensemble de son territoire est si ténue qu'il n'est qu'un gouvernement nominal, comme cette Cour a trouvé que c'était le cas dans l'arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration) [...], un réfugié peut à bon droit affirmer être incapable de se réclamer de sa protection. Le demandeur qui fait valoir cette incapacité doit normalement invoquer la guerre civile, une invasion ou l'effondrement total de l'ordre au pays. Par contre, lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection. [Souligné dans l'original.]


[17]            En se fondant sur cet arrêt et sur la preuve documentaire qui lui a été soumise, la Commission a conclu que, même si le Pakistan n'offre pas une protection parfaite, on y a mis des efforts importants pour protéger ses citoyens de la violence sectaire. Toutefois, le demandeur a contesté la conclusion de la Commission selon laquelle il existe une protection adéquate de l'État et il invoque la preuve documentaire qui, selon lui, n'appuie pas les conclusions de la Commission concernant la suffisance de la protection de l'État disponible au Pakistan.

[18]            La preuve documentaire soumise à la Commission comprenait le rapport préparé par le Département d'État des États-Unis concernant le Pakistan pour l'année 2001, publié le 4 mars 2002. Ce rapport contient de la documentation qui démontrerait que le Pakistan prend des mesures pour contrôler la violence sectaire et utilise des ressources publiques pour atteindre son but. La preuve documentaire soumise à la Commission comprenait aussi des reportages de journaux qui, selon le demandeur, jetaient un doute sur la suffisance de la protection de l'État qui est disponible. Le demandeur s'en remet au rapport préparé par Amnistie Internationale, daté du 14 janvier 2002, à un rapport paru dans le quotidien New York Times le 27 mai 2002 et à un article paru dans le journal Globe and Mail le 3 septembre 2002.

[19]            Il est loisible à la Commission, en tant que tribunal de première instance, de choisir la preuve documentaire sur laquelle elle entend s'appuyer. Même si la preuve documentaire invoquée par le demandeur est moins encourageante que le rapport du Département d'État, elle n'appuie pas une conclusion selon laquelle aucune protection de l'État n'est disponible. À la lumière de l'arrêt Villafranca, précité, et des éléments de preuve soumis à la Commission, je ne peux conclure que la décision de la Commission était manifestement déraisonnable.


[20]            Par conséquent, la demande sera rejetée. Toutefois, les éléments de preuve dans la présente affaire démontrent que le demandeur, que la Commission a reconnu comme un témoin crédible, est une des personnes qui, comme dans Villafranca, précité, « peuvent être dignes de considération à un titre autre que strictement juridique » de la part du défendeur.

[21]            Aucune question n'est soulevée pour certification.

                                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est soulevée pour certification.

                                                                                                                   _ E. Heneghan _                

ligne

                                                                                                                                       Juge                          

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  IMM-6700-02

INTITULÉ :                                                ALI NAWAZ

c.

MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                     LE 12 AOÛT 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                               LE 28 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

John Savaglio                                                 POUR LE DEMANDEUR

Amina Riaz                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Savaglio                                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocat

1919, Brookshire Square

Pickering (Ontario)

L1V 6L2

Amina Riaz                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest, bureau 3400

C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

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