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Date : 20210521

Dossier : IMM‑3493‑20

Référence : 2021 CF 481

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2021

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

CAJETAN UCHE ENYE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire qui conteste la décision du 29 juillet 2020 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a pris une mesure d’exclusion à l’encontre de la demanderesse, Cajetan Enye. Les parties s’entendent pour dire que lorsque Mme Enye s’est présentée au poste frontalier de Douglas, elle était sans statut. Elle voulait régulariser son statut d’immigration avec l’aide de son consultant dans le domaine. Les choses ne se sont pas déroulées comme prévu et, au lieu de recevoir un visa, la demanderesse est devenue l’objet d’une mesure d’exclusion. Bien que Mme Enye demeure au Canada, elle court le risque d’être renvoyée immédiatement.

[2] La demanderesse ne conteste pas la décision de l’agent en tant que telle. Elle prétend plutôt que la source de ses difficultés en immigration vient de l’incompétence de son consultant et que cette situation a entraîné un manquement à l’équité procédurale. Elle soutient que si on l’avait bien conseillée et représentée, son statut d’immigration aurait été en règle et aucune mesure d’exclusion n’aurait été prise à son égard.

[3] Bien qu’il ne s’agisse pas d’un point litigieux, il convient de préciser que la décision de l’agent était légitime et raisonnable, au vu des renseignements fournis. Lorsque Mme Enye et son consultant sont arrivés à la frontière, ils étaient en train de faire le « tour du poteau », une expression euphémique qui signifie de retourner au Canada après s’être présenté brièvement devant les autorités américaines. Le statut en matière d’immigration à titre d’étudiante de la demanderesse avait expiré environ huit (8) mois plus tôt et, malgré les efforts de celle‑ci et de son employeur, la demanderesse n’avait pas été en mesure d’être de nouveau en règle. Mme Enye attribue cet échec au consultant en immigration qu’elle avait engagé sur les conseils de son employeur. Il semble que les services du consultant aient été retenus par l’employeur, du moins parce que ses honoraires étaient payés par voie de retenues sur le salaire de la demanderesse (voir le dossier de la demanderesse à la page 68).

[4] Les allégations de Mme Enye contre le consultant sont multiples. Elle lui reproche notamment :

a. de ne pas avoir sollicité dans les délais requis la prolongation de son statut de résidente temporaire.

b. de ne pas avoir sollicité dans les délais requis le rétablissement de son statut de résidente temporaire.

c. de l’avoir induit en erreur en ce qui concerne l’état de ses demandes et le statut d’autres tâches faites en son nom.

d. de ne pas avoir fait de démarches pour demander un permis de séjour temporaire [PST] depuis le Canada.

e. de ne pas avoir préparé la demande de PST qu’elle aurait dû présenter au point d’entrée.

f. d’avoir facturé à son employeur des services qu’il n’avait pas fournis et dont les coûts ont été par la suite prélevés sur son salaire.

g. de ne pas avoir fait de recherches et de ne s’être pas préparé adéquatement en ce qui concerne les questions d’immigration liées à la COVID‑19, notamment sur la compréhension des restrictions à la frontière et les échéances liées au rétablissement du statut.

h. de ne pas avoir su gérer ses dossiers de manière à conserver une preuve des demandes présentées.

i. de ne pas avoir su déterminer et garder en tête l’identité du véritable client pendant qu’il représentait un candidat au permis de travail tout en représentant aussi l’employeur.

[5] Agissant selon le protocole de la Cour fédérale concernant les allégations d’incompétence faites contre les consultants en immigration ou les conseillers juridiques, l’avocat actuel de Mme Enye a écrit au consultant afin de le mettre au courant des allégations de la demanderesse ainsi que de la possibilité pour lui d’intervenir et d’y répondre. Il semble par la suite que le consultant ait demandé puis reçu une copie du dossier de demande, mais qu’il n’ait fourni aucune autre observation. Par ailleurs, l’avocat a déposé une plainte officielle au nom de la demanderesse auprès du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada. Cette procédure est toujours en cours et menace de s’étirer.

I. Norme de contrôle

[6] La question en litige devant notre Cour concerne bien l’équité procédurale, mais ne découle pas directement du processus décisionnel. L’agent a honoré l’ensemble des obligations d’équité procédurale que Mme Enye était en droit d’exiger. Le travail que la Cour doit maintenant entreprendre est de déterminer si le consultant de la demanderesse a fait preuve d’une incompétence telle qu’il a effectivement privé cette dernière de son droit à une audience équitable devant l’agent. Il n’y a sans doute qu’une seule bonne réponse à ce problème.

II. Analyse

[7] Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que l’incompétence démontrée d’un conseiller professionnel peut aboutir à une atteinte à l’équité procédurale si elle cause un déni de justice, au sens où il existe une probabilité raisonnable que la décision initiale ait été différente : voir Yang c Canada (MCI), 2019 CF 402, [2019] ACF no 418 au para 31. La condition supplémentaire d’aviser le conseiller des allégations et de lui octroyer un délai raisonnable pour répondre a été respectée en l’espèce.

[8] Au vu du dossier, je conclus donc que le degré d’incompétence professionnelle requis a été établi et que, si le consultant avait pris la peine d’agir en temps opportun et de façon appropriée, la demanderesse aurait pu obtenir de nouveau son statut. Après tout, elle travaillait comme infirmière et son employeur avait cherché à l’embaucher à la suite d’une étude d’impact sur le marché du travail précédemment approuvée.

[9] Inexplicablement, le consultant n’a pas préparé ni présenté de demande de visa de résident temporaire et a emmené Mme Enye à la frontière sans avoir en sa possession de documents à l’appui. Cette démarche était extrêmement négligente parce qu’elle a fait courir à la demanderesse le risque de devenir l’objet d’une mesure d’exclusion.

[10] Ma conclusion selon laquelle le consultant a été négligent est aussi appuyée par l’absence de réponse de ce dernier aux allégations faites par la demanderesse dans la présente instance : voir Tapia Fernandez c Canada (MCI), 2020 CF 889, [220] ACF no 937.

[11] Pour les motifs qui précèdent, la demande est accueillie et la mesure d’exclusion prise par l’agent est annulée. Il revient désormais au défendeur de décider si l’affaire doit être réexaminée. Le cas échéant, elle le sera par un autre décideur.

[12] Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification et la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑3943‑20

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et la décision de prendre une mesure d’exclusion est annulée. Le cas échéant, l’affaire sera réexaminée par un autre décideur.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3493‑20

INTITULÉ :

CAJETAN UCHE ENYE c LE MINISTRE DE LA PROTECTION PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 MAI 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE barnes

DATE DES MOTIFS :

LE 21 MAI 2021

COMPARUTIONS :

Marvin L. Klassen

POUR LA DEMANDERESSE

Brett J. Nash

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marvin L. Klassen

Avocat

Port Coquitlam

(Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Vancouver

(Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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