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Date : 20210527


Dossier : IMM-3516-19

Référence : 2021 CF 503

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2021

En présence de l'honorable juge Shore

ENTRE :

ANATOLII MELNYK

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 4 juin 2019, par un agent d’immigration du Service des visas de l’Ambassade du Canada en Ukraine, refusant une demande de résidence temporaire pour interdiction de territoire pour raison de sécurité, en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, art 34(1)(f) [LIPR ou Loi].

[2] Le demandeur, citoyen de l’Ukraine, était membre du Komitet gossoudarstvennoï bezopasnosti (KGB), avant de se joindre à l’organisation qui lui a succédé en Ukraine, le Service de Sécurité d’Ukraine (SBU). Une demande de visa de visiteur a été soumise en février 2017 pour visiter sa famille au Canada.

[3] Deux autres demandes de résidence temporaire ont été faites auparavant, lesquelles ont été refusées pour interdiction de territoire en raison de son appartenance au SBU. Le demandeur aurait aussi abandonné une demande de parrainage en 2011, et se serait fait refuser une demande de permis de séjour temporaire en 2014.

[4] Le 3 novembre 2017, la dernière demande de visa de résidence temporaire a été rejetée pour les mêmes motifs précédemment soulevés. Cette décision a fait l’objet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qui s’est soldée en janvier 2018 par un règlement pour retourner l’affaire pour considération par un nouvel agent.

[5] Le 4 juin 2019, le nouvel agent a rendu sa décision refusant la demande pour motifs raisonnables de croire que le demandeur est interdit de territoire en raison de son appartenance au KGB et au SBU, au cours de laquelle ces organisations se sont livrées à la subversion (voir paragraphe 11 ci-dessous).

[6] Le présent contrôle judiciaire porte sur l’observation des principes d’équité procédurale et sur la raisonnabilité de la dernière décision dans ce dossier eu égard à la preuve. Hormis l’argument sur l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable par cette Cour est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 77).

[7] Le demandeur avance que le délai de traitement et le changement apporté à la demande de visa (soit l’ajout du motif de l’appartenance au KGB) constituent un abus de procédure. De plus, quant à l’interdiction de territoire, le demandeur soumet que le dossier soulève une analyse déraisonnable et contraire à l’opinion rédigée par un docteur affilié à l’Université John Hopkins, indiquant que le SBU n’ait pas commis d’acte d’espionnage contre le Canada ou ses intérêts.

[8] A priori, les obligations d’équité procédurale en matière de demandes de résidence temporaire sont restreintes. Ce sont des décisions hautement discrétionnaires, mais il importe que la personne soit informée des préoccupations et qu’elle ait une chance d’y répondre (Tuiran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 324 aux para 14-15).

[9] En l’espèce, le demandeur a été informé à de multiples reprises qu’il y avait des préoccupations concernant son appartenance au KGB et au SBU. Plusieurs échanges en sont issus, incluant deux lettres d’équité procédurale invoquant une interdiction de territoire pour son affiliation avec le KGB et le SBU. Rien n’indique que l’omission ou le défaut de soulever son historique avec le KGB dans les décisions antérieures, forclos à cette occasion son analyse, ni serait-il souhaitable compte tenu des objectifs du régime de citoyenneté et d’immigration. Le présent cas se distingue notamment d’un cas où un motif soit ajouté sciemment rétrospectivement.

[10] Il n’y a ainsi pas eu de manquement à l’équité procédurale. Le demandeur a été informé des préoccupations liées à son appartenance aux deux organisations et il a eu l’occasion de répondre à celles-ci. L’agent a légitimement agi dans le cadre de l’exercice de sa prérogative de considérer, d’analyser et de conclure sur le fondement des informations et de la preuve recueillie, et ce, avec prudence.

[11] Quant à la raisonnabilité de la décision de l’agent eu égard à la preuve, soit la production d’un académicien, la Cour constate que l’agent a pris connaissance de celle-ci, jugeant cette opinion moins probante à l’étude notamment du rapport de l’Agence des services frontaliers du Canada ou du document produit par Affaires mondiales Canada. Dans son analyse, l’agent abonde d’ailleurs dans le sens du contenu de l’opinion à l’effet qu’il n’y pas de preuve d’espionnage du SBU en sol canadien, mais qu’il demeure des indications d’espionnage marquées qui seraient contraires aux intérêts du Canada et aux valeurs du Canada.

[12] La Cour n’y voit pas une analyse déraisonnable à l’évidence de ce qui précède. L’argument du demandeur semble à cet égard exprimer plutôt un désaccord avec les conclusions de l’agent à l’effet que la production universitaire, ou qualifiée comme provenant d’un expert, alors pertinente, n’est pas irréfutable ni contraignante. Cette mise en garde est d’ailleurs présente dans la jurisprudence (voir par exemple White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23 aux para 17-18). Une telle preuve doit être pondérée avec circonspection compte tenu de la Loi et de la jurisprudence; elle ne peut usurper le rôle légitime du décideur, dans ce sens, elle ne dicte pas en soi l’application de la LIPR.

[13] Enfin, il y a lieu de remarquer que les conclusions sur l’appartenance du demandeur au SBU en matière de subversion et le bien-fondé de l’analyse sur son appartenance au KGB comme source d’interdiction de territoire ne sont pas contestées par le demandeur.

[14] En conclusion, la Cour estime que l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale et la décision est intelligible et transparente. Pour les motifs ci-haut, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire. Le tout sans dépens.


JUGEMENT au dossier IMM-3516-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Le tout sans dépens. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3516-19

INTITULÉ :

ANATOLII MELNYK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 MAI 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 MAI 2021

 

COMPARUTIONS :

Guillaume Cliche-Rivard

 

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Daniel Latulippe

 

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cliche-Rivard, Avocats inc.

Montréal (Québec)

 

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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