Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030214

Dossier : T-1294-01

Référence neutre : 2003 CFPI 169

Ottawa (Ontario), le 14 février 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                    HUSSEIN MOHAMED ALIBHAL

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

L'instance

[1]                 Le demandeur a interjeté appel en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi), de la décision du juge de la citoyenneté Doreen Wicks (le juge de la citoyenneté), datée du 7 juin 2001, dans laquelle celle-ci a rejeté la demande d'attribution de la citoyenneté que le demandeur avait présentée en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi.


Le contexte

[2]                 Hussein Mohamed Alibhal (le demandeur) est un homme de cinquante-deux ans, citoyen de la Tanzanie. Le demandeur est arrivé au Canada le 12 juillet 1997, en tant que résident permanent, avec sa femme et trois de ses enfants.

[3]                 En septembre 1997, le demandeur a obtenu un emploi chez Industrial Textiles Limited (Industrial Textiles) en tant que représentant spécial engagé pour faire l'achat de textiles au Pakistan, au Sri Lanka et sur d'autres marchés internationaux et il a immédiatement quitté le Canada pour un voyage d'affaires de 41 jours au Pakistan. Au cours de cet emploi, le demandeur fut absent du Canada pendant 663 jours et présent au Canada pendant 432 jours seulement.


[4]                 En plus de posséder une résidence à Toronto, où résident sa femme et trois de ses enfants, le demandeur a établi un certain nombre d'indices passifs de résidence au Canada. Par exemple, il est membre du Sajjadiyya Trust, lequel met à exécution des projets caritatifs dans les domaines de l'éducation, de la médecine, du logement et du bien-être général pour ses membres. Il s'est joint au Jaffari Islamic Centre et il a acheté des lots dans un cimetière au Canada par l'entremise de cette organisation religieuse. Il a également fait des dons à différentes organisations caritatives canadiennes et il a produit sa déclaration de revenus et de prestations chaque année depuis qu'il est au Canada. Le demandeur a une assurance médicale de la Canada Life, un numéro d'assurance sociale, un médecin de famille au Canada, une carte de santé de l'Ontario, des comptes de chèques et d'épargne à une succursale de la CIBC à North York, un compte chez Bell Canada, une adhésion au programme Aéroplan et il possède une voiture, laquelle est assurée au Canada. À l'extérieur du Canada, il conserve la propriété d'une résidence au Pakistan.

[5]                 Le demandeur a signé sa demande de citoyenneté canadienne le 12 juillet 2000, trois ans après être devenu un résident permanent.

[6]                 Le 7 juin 2001, le juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté du demandeur en raison du fait que celui-ci ne satisfaisait pas aux exigences de résidence énoncées dans la Loi.

[7]                 Dans les motifs de sa décision se rapportant à la résidence, le juge de la citoyenneté a précisé les raisons pour lesquelles elle rejetait la demande de citoyenneté du demandeur :

[traduction]

J'ai un demandeur qui n'est pas approuvé. Il y a beaucoup de temps passé à l'extérieur du Canada.

Dans l'Affaire intéressant Anita F. Y. Leung (T-458-90), Monsieur le juge A. Walsh a déclaré : « Un grand nombre de citoyens canadiens, qu'ils soient nés au Canada ou naturalisés, doivent passer une grande partie de leur temps à l'étranger en relation avec leur entreprise, et il s'agit là de leur choix. Une personne qui veut obtenir la citoyenneté, toutefois, ne dispose pas de la même liberté, à cause des dispositions du paragraphe 5(1) de la Loi. »

La preuve démontre clairement que le demandeur ne pouvait pas avoir centralisé son mode d'existence au Canada avant le moment précisé, lequel est moins de trois ans avant la date de sa demande de citoyenneté canadienne.


Les observations du demandeur

[8]             Le demandeur a soumis que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit et de fait en rejetant la demande de citoyenneté du demandeur.

[9]                 Le demandeur invoque la décision du juge en chef adjoint Thurlow dans In re la Loi sur la citoyenneté et in re Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, à la page 214 (C.F. 1re inst.) pour affirmer que la présence physique réelle au Canada pendant les 1095 jours prescrits par l'alinéa 5(1)c) de la Loi n'est pas requise. La résidence peut plutôt être démontrée si le demandeur [traduction] « stablit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances » au Canada (voir aussi Lee (Re), [1988] F.C.J. no 1135 (C.F. 1 re inst.) (QL); Canada (Secrétaire d'État) c. Nakhjavani, [1988] 1 C.F. 84 (1re inst.)). Le critère pertinent à appliquer est de savoir si le demandeur vit régulièrement, normalement ou habituellement au Canada (Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.)).


[10]         Selon les observations du demandeur, ses absences physiques du Canada sont le fait d'une situation temporaire survenue dans le cadre de son emploi. La Cour a statué qu'il fallait accorder beaucoup d'importance au fait que le seul motif des absences d'un demandeur du Canada soit ses voyages d'affaires (Lai (Re), [1994] A.C.F. no 1483 (C.F. 1re inst.) (QL); Hung (Re), [1996] F.C.J. no 107 (C.F. 1re inst.) (QL); Lo (Re), [1996] A.C.F. no 1585 (C.F. 1re inst.) (QL); Chang (Re), [1997] A.C.F. no 1507 (C.F. 1re inst.) (QL); To (Re), [1997] F.C.J. no 248 (C.F. 1re inst.) (QL)). Le demandeur a prétendu que, dans les cas où le demandeur avait à voyager pour affaires, il a régulièrement été décidé que les facteurs présents dans son cas étaient des indicateurs d'un mode de vie centralisé au Canada. Le fait que lpouse et les enfants du demandeur résident au Canada est particulièrement important. (Yiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1692 (C.F. 1re inst.) (QL); Hung (Re), précitée; Lo (Re), précitée; Lai (Re), précitée et Chang (Re), précitée).

[11]            Le juge de la citoyenneté a invoqué l'affaire Leung (Re), [1991] A.C.F. no 160 (C.F. 1re inst.) (QL). Le demandeur a prétendu que cette décision diffère de la présente affaire, parce que les absences de Mme Leung du Canada étaient pour des motifs personnels et qu'elle n'avait aucune famille au Canada (voir Chan (Re), [1993] A.C.F. no 1170 (C.F. 1re inst.) (QL)).

[12]            Le demandeur a prétendu que le juge de la citoyenneté n'a pas appliqué correctement les facteurs énoncés dans la décision Koo (Re), précitée, et que sa décision selon laquelle le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de résidence de l'alinéa 5(1)c) de la Loi est erronée.


Les observations du défendeur

[13]            Le défendeur a prétendu que le juge de la citoyenneté a bien tenu compte des facteurs énoncés dans la décision Koo (Re), précitée, et bien appliqué le critère de l'existence centralisée aux faits en l'espèce.

Les dispositions légales pertinentes

[14]            Le paragraphe 5(1) de la Loi énonce les critères d'attribution de la citoyenneté canadienne. C'est l'alinéa 5(1)c) qui est en cause en l'espèce :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:

...

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

...

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within

the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

Analyse

[15]            À mon avis, le demandeur n'a pas réussi à démontrer que la décision du juge de la citoyenneté devrait être annulée, et ce pour les motifs suivants :


[16]            Le demandeur ne conteste pas les conclusions de fait formulées par le juge de la citoyenneté. Il conteste plutôt l'application faite par le juge de la citoyenneté des exigences de résidence de l'alinéa 5(1)c) aux faits en l'espèce. La norme de contrôle appropriée pour la question effectivement soulevée par le demandeur a été établie par M. le juge Lutfy, maintenant juge en chef adjoint, dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 410, au paragraphe 33 :

La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte. Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence.

[17]            Bien que se référant à la décision Leung (Re), précitée, le juge de la citoyenneté semble avoir appliqué le critère du mode d'existence centralisé, tel qu'énoncé dans la décision Koo (Re), précitée, lequel permet à une personne de satisfaire aux exigences de résidence en démontrant que le Canada est le pays dans lequel elle vit régulièrement, normalement ou habituellement.

[18]            Dans la décision Koo (Re), précitée, Mme le juge Reed a énuméré, aux pages 293 et 294, six facteurs qui laissent supposer un attachement suffisant au Canada de manière à permettre l'attribution de la citoyenneté, même lorsque l'exigence du nombre minimum de jours requis n'a pas été respectée :


La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision :         

1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?        

2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?            

4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger?                 

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[19]            Les indices officiels d'attaches avec le Canada, tels un permis de conduire, des comptes bancaires et des cartes de membre, ne seront pas suffisants en soi pour démontrer un mode d'existence centralisé au Canada. Il faut plutôt que la qualité des attaches du demandeur avec le Canada montre qu'il y réside régulièrement, normalement et habituellement (Koo (Re), précitée).


[20]        Bien que la famille immédiate du demandeur réside au Canada et qu'il ait de nombreux indices passifs d'attaches avec le Canada, lorsque l'on examine les facteurs de Koo (Re), il est clair que le Canada n'est pas l'endroit où il réside régulièrement, normalement ou habituellement. Le demandeur a été physiquement absent du Canada pendant une période importante. Dans les trois années précédant sa demande de citoyenneté, le demandeur a été absent du Canada pendant 663 jours et il n'a été présent au pays que pendant 423 jours. Il est important de noter que le demandeur n'a été présent au Canada que pendant une courte période, environ deux mois, avant de quitter pour son premier voyage d'affaires (Kong (Re), [1999] A.C.F. no 665 (C.F. 1re inst.) (QL); Kwan (Re), [1998] A.C.F. no 1734 (C.F. 1re inst.) (QL); voir également Lai (Re), précitée)). En plus, il n'y a aucune indication que les voyages d'affaires du demandeur à l'extérieur du Canada sont temporaires ou qu'ils sont susceptibles de cesser.

[21]            De plus, contrairement à plusieurs des causes mentionnées par le demandeur, il n'y a pas de preuve que le demandeur ait eu à choisir entre accepter l'offre d'emploi en tant que représentant spécial d'Industrial Textiles pour les achats de textiles sur les marchés internationaux ou continuer une recherche d'emploi au Canada qui s'avérrait infructueuse (voir par exemple Lai (Re), précitée; Lo (Re), précitée et Chan (Re), précitée). Cela donne à penser que le demandeur a choisi son emploi de son plein gré et qu'il était au courant que cet emploi impliquerait des voyages à l'étranger. À mon avis, l'affirmation suivante de M. le juge Walsh dans la décision Leung (Re), précitée, laquelle a été invoquée par le juge de la citoyenneté, s'applique en l'espèce :

Un grand nombre de citoyens canadiens, qu'ils soient nés au Canada ou naturalisés, doivent passer une grande partie de leur temps à l'étranger en relation avec leur entreprise, et il s'agit là de leur choix. Une personne qui veut obtenir la citoyenneté, toutefois, ne dispose pas de la même liberté, à cause des dispositions du paragraphe 5(1) de la Loi.

[22]            Dans la décision Leung (Re), précitée, la requérante avait choisi d'accepter un poste lucratif et enviable auprès de la Hong Kong Stock Exchange. Bien qu'elle eût également passé du temps à travailler au Canada et qu'elle possédât une liste impressionnante de réalisations faits au Canada, le juge Walsh a refusé d'annuler la décision du juge de la citoyenneté n'approuvant pas sa demande de citoyenneté en raison du fait que la requérante ne s'était pas installée au Canada.

[23]            Il y a un certain nombre d'autres facteurs qui appuient la conclusion selon laquelle le demandeur n'a pas centralisé son mode d'existence au Canada. Le demandeur possède une maison ancestrale au Pakistan, un pays où il effectue fréquemment des voyages d'affaires. Sa situation diffère donc des circonstances des affaires Banerjee (Re), [1994] A.C.F. no 1360 (C.F. 1re inst.) (QL) et Hung (Re), précitée, où le fait que les demandeurs ne possédaient aucun immeuble à l'extérieur du Canada avait été mentionné comme un exemple de leurs attaches avec le Canada.

[24]            Le juge de la citoyenneté a également conclu que, bien que le demandeur ait effectué des dons à de nombreux organismes caritatifs canadiens, il n'était pas vraiment engagé dans la collectivité.

[25]            Enfin, le demandeur a présenté une demande de citoyenneté trois ans environ après le jour de son arrivée au Canada. Il en résulte que sa demande est quelque peu prématurée, puisqu'il a « réduit ses chances de succès. En effet, il s'est donné fort peu de temps pour démontrer qu'il avait centralisé son mode habituel de vie au Canada » (Kong (Re), précitée, au paragraphe 50).


[26]            En conclusion, le juge de la citoyenneté a bien tenu compte des facteurs énoncés dans la décision Koo (Re), précitée, et a conclu que le demandeur n'avait pas centralisé son mode d'existence au Canada.

[27]            Le juge de la citoyenneté a compris la jurisprudence, l'a appliquée aux faits en l'espèce et sa décision était judicieuse en ce que le présent demandeur n'avait pas centralisé son mode de vie au Canada. Je ne suis pas prête à réévaluer la preuve et à substituer une autre conclusion à celle qu'a tirée le juge de la citoyenneté.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que le présent appel soit rejeté.

          « Judith A. Snider »                 

JUGE

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                        T-1294-01

INTITULÉ :                                  HUSSEIN MOHAMED ALIBHAL

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :               LE LUNDI 10 FÉVRIER 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :              LE JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                    LE VENDREDI 14 FÉVRIER 2003

COMPARUTIONS :                                         Ravi Jain

                                                                                                Pour le demandeur

                                                                          Stephen Jarvis

                                                                                                Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     Ravi Jain

                                                                      Avocats

390, rue Bay

Suite 2800

Toronto (Ontario)

M5H 2Y2                 

Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.