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Date : 20030529

Dossier : IMM-204-02

Référence neutre : 2003 CFPI 680

ENTRE :

                                              SUTHARSAN KATHIRAVEL

                                                                                                                              demandeur

                                                                       et

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A.        INTRODUCTION et CONTEXTE


[1]         Sutharsan Kathiravel (le demandeur) est un Tamoul âgé de 24 ans qui vient du nord de Sri Lanka, le pays dont il a la citoyenneté. Le 12 décembre 2001, la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a conclu que le demandeur craignait avec raison d'être persécuté par les Tigres de libération et par l'armée sri-lankaise (l'ASL), mais elle a conclu que le demandeur avait commis des crimes contre l'humanité et qu'il était donc exclu de la définition du « réfugié au sens de la Convention » en vertu de la section (F)a) de l'article premier de la Convention de Genève, incorporée dans la Loi sur l'immigration (la Loi).

[2]         Dans le cadre de l'argumentation orale, l'avocat du demandeur a soulevé deux motifs de contestation :

(1)        le demandeur n'avait pas bénéficié d'une audience équitable devant le tribunal; et

(2)        le tribunal avait appliqué d'une façon erronée le moyen de défense fondé sur la contrainte aux actions commises par le demandeur en sa qualité d'informateur masqué identifiant des Tigres de libération agissant sous contrainte.

[3]         Au coeur de la question de l'équité, il y a la façon dont le tribunal, composé d'un seul membre, a mené l'audience, le tribunal ayant, au début de l'audience, soulevé la possibilité de l'exclusion fondée sur la perpétration de crimes contre l'humanité. À l'audience (les 17 août et 17 octobre 2001), il n'y avait pas d'agent chargé de la revendication (l'ACR) et de représentant du ministre. Le demandeur était représenté par un avocat. Sur ce point, le demandeur se plaint principalement que le tribunal a agi à la fois comme juge et comme poursuivant.


[4]         L'exclusion est fondée sur le fait, qui a été admis par le tribunal, que le demandeur, qui avait été détenu par les Tigres de libération pendant trois mois dans divers camps militaires secrets des Tigres, avait ensuite été capturé par l'ASL, qui l'a torturé pour lui faire reconnaître qu'il avait été détenu dans ces camps. Cet aveu a amené l'ASL à croire que le demandeur pouvait identifier des membres des Tigres de libération.

[5]         On faisait sortir le demandeur avec un masque sur le visage, lorsqu'il était emprisonné dan le camp de Palaly de l'ASL, pour l'amener à des séances d'identification de personnes soupçonnées d'être membres des Tigres afin d'identifier les personnes qu'il avait vues dans les camps des Tigres.


[6]         Le demandeur a témoigné qu'initialement, il ne pouvait reconnaître personne, ce qui, a-t-il affirmé, était vrai. Il avait dit la même chose lorsque, immédiatement après son arrestation, on l'avait amené au camp de Jaffna de l'ASL et qu'on lui avait montré des photos de dirigeants des Tigres de libération. On le ramenait ensuite au camp de Palaly, où on le battait et où on le privait d'aliments. Cette façon d'agir, à savoir l'absence de reconnaissance, les coups et les punitions, se sont produits à plusieurs reprises, au point où le demandeur a commencé à craindre pour sa vie. À cause des mauvais traitements qui lui étaient infligés, le demandeur s'est mis à identifier des Tamouls innocents en tant que personnes qu'il avait vues dans les camps des Tigres, mais il a témoigné qu'une fois revenu au camp de Palaly de l'ASL, il se rétractait pendant chaque débreffage, après la séance d'identification. Il disait qu'il ne savait pas trop s'il avait réellement vu, dans les camps des Tigres, la personne qu'il venait d'identifier -- la personne en cause ressemblait à quelqu'un qu'il avait vu dans l'un des camps des Tigres, mais il n'en était pas certain. On le battait parce qu'il se rétractait et que l'ASL croyait qu'il mentait.

[7]         Le demandeur a témoigné qu'il avait été en captivité pendant environ quarante-quatre mois et qu'aucune des personnes qu'il avait identifiées en hochant la tête derrière son masque n'était réellement membre des Tigres; chaque fois qu'il identifiait quelqu'un comme faisant partie des Tigres, il se rétractait.

[8]         Le moyen de défense fondé sur la contrainte a été examiné par Monsieur le juge MacGuigan, au nom de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306, pages 327 et 328 :

40 L'appelant n'a pas invoqué les ordres donnés par ses supérieurs comme moyen de défense, et les arguments qu'il a fait valoir à l'égard de la contrainte et du remords ne sont pas suffisants pour l'exonérer. À propos de la contrainte, Hathaway (précité), résumant le projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité sur lequel la Commission du droit international travaille depuis 1947, écrit (à la page 218) :

[TRADUCTION] Deuxièmement, il est possible d'invoquer la coercition, l'état de nécessité ou la force majeure [en défense]. Cette exception reconnaît essentiellement que, lorsqu'une personne agit dans le but d'éviter un péril grave et imminent, il n'y a pas d'intention. Il faut que le danger soit de nature « à inspirer à un homme raisonnable la crainte d'un péril corporel imminent tel qu'il se trouve privé de sa liberté de choisir ce qui est juste ou de s'abstenir de ce qui est illicite » . Le danger ne doit pas non plus résulter du fait de la personne qui se prévaut de l'exception ou découler de sa volonté. Plus important encore, les torts causés ne doivent pas excéder ceux que cette personne aurait subis.

En supposant que l'auteur ait exprimé l'état actuel du droit international, comme le soutient l'appelant, il serait possible de considérer que la contrainte exercée sur l'appelant était suffisante pour justifier des infractions moins graves. Mais il me faut conclure, en l'occurrence, que le danger auquel il se serait exposé en affichant sa dissidence ou en refusant de participer était nettement moins important que le mal effectivement infligé aux victimes. L'appelant lui-même a affirmé ce qui suit à l'égard de la peine appliquée aux déserteurs [...] :

[TRADUCTION] R : C'est-à-dire, ils imposent d'abord un entraînement extrêmement rigoureux, puis ils vous jettent en prison pour cinq à dix ans.


Le châtiment, je le reconnais, est sévère, mais il est beaucoup moins grave que la torture et la mort qui attendaient les victimes des forces militaires auxquelles il s'était joint.

¶ 41 Pour ce qui est du remords que, je n'en doute pas, il ressent véritablement, il ne peut annuler sa présence constante et participative. [non souligné dans l'original.]

[9]         Le juge MacGuigan avait antérieurement dit ce qui suit, aux pages 319 et 320 de cet arrêt :

¶ 22 Il faut prendre particulièrement soin de ne pas condamner automatiquement quiconque est mêlé à un conflit en situation de guerre. Dans la plupart des guerres de l'histoire de l'humanité, la plupart des combattants ont probablement vu leur propre armée se livrer à des actes qu'ils auraient normalement trouvés répréhensibles mais qu'ils se sont sentis absolument incapables d'arrêter, du moins sans courir de risques graves. Bien que la loi puisse obliger ceux qui reçoivent l'ordre de commettre des crimes internationaux à faire un choix, elle ne requiert pas des gens se trouvant sur les lieux d'un tel crime qu'ils se portent immédiatement au secours des victimes à leurs propres risques. La loi n'a pas habituellement pour effet d'ériger l'héroïsme en norme.

[10]       Voici ce que Monsieur le juge Linden a dit au sujet de ces remarques dans la décision Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433, page 441 :

On ne saurait donc exiger que, pour éviter l'accusation de complicité pour cause d'association avec les principaux auteurs, l'intéressé mette en danger sa vie ou sa sécurité pour sortir d'une mauvaise situation ou d'une organisation. Mais il ne saurait non plus se comporter en robot amoral.

B.        LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[11]       L'expression « réfugié au sens de la Convention » est définie comme suit au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration (la Loi) :



« réfugié au sens de la Convention »

Toute personne_ :

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_ :

                [. . .]Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

[non souligné dans l'original.]

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

                                         . . .

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;

[emphasis mine]


[12]       La section 1(F)a) de l'article premier de la Convention, qui est énoncée à l'annexe de la Loi, est ainsi libellée :


F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser_ :

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that :

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;


[13]       Le paragraphe 69.1(5) de la Loi est ainsi libellé :


69.1 (5) À l'audience, la section du statut :

a) est tenue de donner :

(i) à l'intéressé, la possibilité de produire des éléments de preuve, d'interroger des témoins et de présenter des observations,

(ii) au ministre, la possibilité de produire des éléments de preuve, d'interroger l'intéressé ou tout autre témoin et de présenter des observations, ces deux derniers droits n'étant toutefois accordés au ministre que s'il l'informe qu'à son avis, la revendication met en cause la section E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi;

b) peut, dans tous les cas, si elle l'estime indiqué, autoriser le ministre à interroger l'intéressé ou tout autre témoin et à présenter des observations.


69.1 (5) At the hearing into a person's claim to be a convention refugee, the Refugee Division

(a) shall give

(i) the person a reasonable opportunity to present evidence, question witnesses and make representations, and

(ii) the Minister a reasonable opportunity to present evidence and, if the Minister notifies the Refugee Division that the Minister is of the opinion that matters involving section E or F of Article 1 of the Convention or subsection 2(2) of this Act are raised by the claim, to question the person making the claim and other witnesses and make representations; and

(b) may, if it considers it appropriate to do so, give the Minister a reasonable opportunity to question the person making the claim and any other witnesses and to make representations concerning the claim.


[14]       L'article 9 des Règles de la section du statut de réfugié (les Règles) est ainsi libellé :



9. (1) Lorsque le ministre, conformément au sous-alinéa 69.1(5)a)(ii) de la Loi, informe la section du statut qu'à son avis la revendication met en cause les sections E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la Loi, il fait état des motifs et des éléments des sections E ou F ou du paragraphe 2(2) qui, selon lui, sont pertinents et expose brièvement le droit et les faits sur lesquels il s'appuie.

9(2)

(2) Lorsque, avant le début d'une audience, l'agent d'audience ou la section du statut est d'avis qu'une revendication dont elle est saisie pourrait mettre en cause les sections E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la Loi, l'agent d'audience en informe sans délai le ministre et lui fournit les renseignements nécessaires.

9(3)

(3) Lorsque, au cours d'une audience, l'agent d'audience ou un membre est d'avis qu'une revendication dont est saisie la section du statut pourrait mettre en cause les sections E ou F de l'article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la Loi, il en informe le président de l'audience et, si ce dernier l'ordonne, l'agent d'audience en informe sans délai le ministre et lui fournit les renseignements nécessaires.

9(4)

(4) L'agent d'audience signifie sans délai à l'intéressé une copie de tous les renseignements écrits qu'il a fournis au ministre conformément aux paragraphes (2) et (3).

[non souligné dans l'original.]

9. (1) Where the Minister informs the Refugee Division pursuant to subparagraph 69.1(5)(a)(ii) of the Act that the Minister is of the opinion that matters involving section E or F of Article 1 of the Convention or subsection 2(2) of the Act are raised by the claim, the Minister shall specify the grounds and the parts of section E or F or of subsection 2(2) that in the opinion of the Minister are relevant to the claim and shall set out briefly the law and facts on which the Minister relies.

9(2)

(2) Where, before the commencement of a hearing, the refugee hearing officer or the Refugee Division is of the opinion that a claim before the Refugee Division might involve section E or F of Article 1 of the Convention or subsection 2(2) of the Act, the refugee hearing officer shall forthwith notify the Minister and provide the Minister with such information as is necessary.

9(3)

(3) Where, during a hearing, the refugee hearing officer or a member is of the opinion that a claim before the Refugee Division might involve section E or F of Article 1 of the Convention or subsection 2(2) of the Act, the refugee hearing officer or the member shall so inform the presiding member and, if the presiding member so directs, the refugee hearing officer shall forthwith notify the Minister and provide the Minister with such information as is necessary.

9(4)

(4) The refugee hearing officer shall serve the person concerned forthwith with a copy of all written information that the refugee hearing officer provides to the Minister pursuant to subrules (2) and (3). [emphasis mine]


B.        LA DÉCISION DU TRIBUNAL

(i)         Inclusion

[15]       Les motifs que le tribunal a énoncés pour reconnaître que le demandeur craignait avec raison d'être persécuté figurent dans un seul paragraphe de la décision du tribunal :


Bien qu'il s'interroge sur la crédibilité du revendicateur à l'égard de certaines de ses allégations, le tribunal accepte les faits établis dans les allégations du revendicateur. Le tribunal croit que le revendicateur a été détenu par les Tigres pendant une période relativement longue et qu'il a été contraint de faire de la peinture pour eux. Le tribunal croit aussi que le revendicateur a été détenu par l'armée pendant une période prolongée et qu'il a été contraint d'agir à titre d'homme masqué et qu'il a identifié des Tamouls innocents comme étant des Tigres. Par conséquent, le tribunal reconnaît que, selon l'analyse du revendicateur, si ce dernier retournait au Sri Lanka, il serait la cible des Tigres et des forces de sûreté du gouvernement, et il aurait par conséquent une crainte fondée d'être persécuté en vertu des raisons invoquées dans la Convention s'il retournait au Sri Lanka. Les Tigres le persécuteraient pour avoir agi comme informateur. L'ASL le persécuterait pour avoir fui le Sri Lanka et ne pas s'être présenté à l'ALS toutes les deux semaines, comme on lui avait ordonné de le faire. [Non souligné dans l'original.]

(ii)        Exclusion

[16]       Tout en acceptant les éléments fondamentaux de l'histoire du demandeur, le tribunal n'a pas cru toute l'histoire et il a conclu à l'absence de crédibilité, en particulier à l'égard des parties du témoignage se rapportant à son rôle d'informateur. Le tribunal croyait que le demandeur essayait de minimiser l'étendue de sa coopération avec l'ASL, une conclusion qu'il a tirée en se fondant sur les contradictions internes relevées dans son témoignage, sur des réponses évasives et sur la connaissance spécialisée du tribunal (que je qualifierais d'expérience cumulative dans les cas venant de Sri Lanka).

[17]       Compte tenu du témoignage du demandeur et du temps pendant lequel il a été emprisonné à Palaly, le tribunal estimait qu'on avait fait sortir le demandeur quatre à cinq cents fois afin d'agir comme informateur masqué. L'avocat du demandeur a dit qu'on avait fait sortir le demandeur à des fins d'identification de 200 à 300 fois.

[18]       Le tribunal a rejeté le témoignage du demandeur selon lequel, pendant la période de quarante-quatre mois où il a été emprisonné, il avait identifié dix à quinze Tamouls innocents seulement lors des sorties effectuées sous contrainte. Voici ce que le tribunal a dit :


Par conséquent, le tribunal ne croit pas que le revendicateur n'ait identifié que dix à quinze personnes au cours d'une période de quarante-quatre mois. Toutefois, dans son témoignage, il avait auparavant indiqué qu'il avait identifié deux personnes au cours des deux premières semaines. Par conséquent, le tribunal ne croit pas que le revendicateur n'ait identifié que de dix à quinze personnes au cours d'une période de quatre mois, et ce, pour deux raisons : premièrement, à cause des contradictions dans le propre témoignage du revendicateur et, deuxièmement, comme le tribunal l'a souligné au cours de l'audience, compte tenu de ses connaissances spécialisées, le tribunal ne croit pas que l'armée détiendrait quelqu'un pendant quarante-quatre mois et qu'elle le ferait défiler à l'extérieur plusieurs centaines de fois pour agir à titre d'homme masqué et qu'elle obtiendrait aussi peu de résultats de lui sans le relâcher plus tôt ou sans lui administrer de plus mauvais traitements que ce que le revendicateur allègue.

[19]       Le tribunal n'a pas entièrement retenu l'histoire du demandeur, qui affirmait que chaque fois qu'il identifiait quelqu'un comme étant membre des Tigres, il disait ensuite à l'armée qu'il avait peut-être commis une erreur. Voici ce que le tribunal a dit :

Compte tenu des contradictions présentes dans le propre témoignage du revendicateur et de sa propension à fournir des réponses évasives, le tribunal croit la déclaration initiale du revendicateur, selon laquelle il a identifié de quarante à cinquante personnes au cours des quarante-quatre mois pendant lesquels il a été détenu. Le tribunal ne croit pas qu'il se soit rétracté chaque fois qu'il a identifié quelqu'un. Comme cela a été mentionné au cours de l'audience, selon les connaissances spécialisées du tribunal, ce dernier ne croit pas que l'armée aurait gardé pendant quarante-quatre mois une personne qui n'aurait jamais identifié avec certitude quelqu'un comme étant un Tigre. De plus, compte tenu de la documentation susmentionnée, toute personne que l'armée soupçonne d'être un Tigre, et particulièrement toute personne identifiée comme étant un Tigre, s'expose aux formes de torture les plus cruelles et à une exécution sommaire. (Non souligné dans l'original.]


[20]       Le tribunal s'est reporté à une photo du demandeur qui avait été prise pour une carte d'identité nationale quelques jours seulement après que celui-ci eut été mis en liberté après avoir été détenu pendant quarante-quatre mois. En examinant la photo, le tribunal s'est demandé « comment il était possible qu'après quarante-quatre mois de détention au cours desquels il avait été battu tant de fois et privé de nourriture, il ait pu faire prendre une photo sur laquelle il semblait avoir de bonnes joues et être en santé » . Le tribunal a rejeté l'explication du demandeur, à savoir que son agent lui avait demandé de « se gonfler un peu les joues et d'appliquer une poudre » . Le tribunal a rejeté cette explication parce que, en réponse à son avocat, le demandeur a ajouté qu'on ne l'avait pas battu pendant les trois derniers mois de sa détention. Le tribunal a conclu ce qui suit :

Il s'agit d'un autre exemple illustrant comment le revendicateur a présenté un témoignage contradictoire ou évasif, dans le but de minimiser la perception de collusion avec l'armée en identifiant des victimes tamoules innocentes. Cette déclaration concernant le fait de ne pas avoir été battu ou privé de nourriture au cours des trois derniers mois de sa détention n'a été mentionnée qu'à la fin de la présente audience.

[21]       Le tribunal a ajouté ce qui suit :

Toutefois, dans le contexte du témoignage du revendicateur et de sa tendance à modifier son témoignage par la suite pour minimiser la perception de sa collusion avec l'armée, le tribunal ne croit pas que le revendicateur était en si bonne condition au moment de sa libération seulement parce qu'il n'avait pas été battu au cours des trois derniers mois. Pour le tribunal, il est plus probable que le revendicateur a été relâché parce qu'il était plus coopératif dans l'identification de victimes qu'il ne l'a admis et que, par conséquent, il n'était pas nécessaire de continuer à le battre.

[22]       La conclusion principale que le tribunal a tirée au sujet de la contrainte figure dans le paragraphe suivant :

Le tribunal admet que le revendicateur ne s'est pas acquitté de cette tâche de son plein gré au sein de l'armée sri lankaise et qu'il a agi sous la contrainte. Le tribunal n'admet pas que l'invocation de la contrainte suffise à exonérer le revendicateur de l'exclusion dans ce cas particulier. La contrainte invoquée comme moyen de défense peut être suffisante si la menace pour le revendicateur ou la revendicatrice était, tout compte fait, au moins égale aux préjudices qu'il ou elle a infligés à la victime, ou qui ont été infligés à la victime par sa faute. Dans ce cas particulier, le tribunal croit que le revendicateur soumettait des gens innocents à la torture cruelle et inhumaine et que, compte tenu de la preuve documentaire, le tribunal a de sérieuses raisons de considérer que certaines des personnes que le revendicateur a identifiées auraient été tuées et certainement torturées de manière pire que le revendicateur. [non souligné dans l'original.]


[23]       En mentionnant la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Ramirez, précitée, qui portait sur le degré de complicité nécessaire pour que des complices soient visés par l'exclusion, le tribunal a conclu ce qui suit : « Bien que dans ce cas-ci, le revendicateur n'ait pas été un complice consentant, il était néanmoins un complice. »

[24]       Le tribunal a traité d'un élément de preuve soumis sous la forme d'un rapport d'évaluation psychologique rédigé par M. Woodbury, qui avait conclu que le demandeur [TRADUCTION] « était incapable de formuler une intention quant au fait qu'il ait agi à titre d'informateur » parce qu'il [TRADUCTION] « essayait désespérément, au contraire, d'éviter d'être torturé de nouveau par ses ravisseurs » .

[25]       Le tribunal a rejeté cet élément de preuve en disant ce qui suit :

Le revendicateur a déclaré très clairement qu'il savait parfaitement bien ce qu'il faisait, qu'il identifiait des Tamouls innocents qui seraient détenus préventivement par l'armée et qui seraient battus et torturés. Le revendicateur a aussi déclaré qu'il était lui-même battu et privé de nourriture, qu'il identifie ou non quelqu'un, en raison des rétractations qu'il prétend avoir faites après chaque identification. Selon l'analyse du tribunal, le commentaire de M. Woodbury n'est pas pertinent. Le revendicateur a agi en toute connaissance de cause, en étant conscient de ce qu'il faisait. Étant donné que cela est arrivé tant de fois et que le revendicateur était lui-même battu, qu'il identifie ou non quelqu'un, il est difficile de comprendre comment le revendicateur pourrait avoir essayé d'éviter d'être de nouveau battu lorsqu'il était aux mains de ses ravisseurs. Selon son propre témoignage, il était battu indépendamment de ce qu'il faisait. Il est aussi clair pour le tribunal que l'intention du revendicateur était claire et bien formulée.

[26]       Le tribunal a ensuite examiné la documentation portant sur le pays, qui « démontr[ait] trop bien que le fait d'identifier quelqu'un comme étant un Tigre ou une personne soupçonnée d'être un Tigre risque d'entraîner la torture la plus inhumaine, voire une exécution sommaire » .


[27]       Le tribunal a conclu comme suit l'analyse qu'il avait effectuée au sujet de la contrainte :

[D]'après son témoignage, le revendicateur était battu et était privé de nourriture, qu'il identifie ou non des Tamouls innocents comme étant des Tigres. Compte tenu de la documentation susmentionnée, le tribunal a plus qu'une raison sérieuse de considérer que toute personne que le revendicateur aurait identifiée comme étant un Tigre, même avec une rétractation subséquente de la part du revendicateur, aurait été soumise à une torture pire que celle que le revendicateur a ou aurait lui-même endurée. De plus, compte tenu de la preuve documentaire, le tribunal a une raison plus que sérieuse de considérer que certaines des personnes que le revendicateur aurait identifiées sont mortes des suites de leur torture ou ont été volontairement exécutées par l'armée.

[28]       Le tribunal a ensuite mentionné les remarques que Monsieur le juge Linden avait faites dans la décision Sivakumar, précitée; il a conclu ce qui suit :

Plus particulièrement, étant donné que selon son témoignage, son traitement était le même, qu'il identifie une personne comme étant un Tigre ou qu'il n'identifie personne comme étant un Tigre, le revendicateur a agi d'une manière tout à fait immorale, en sachant très bien et en étant conscient de la torture ou d'un traitement pire qui était infligé par sa faute à des civils innocents.

C.        ANALYSE ET CONCLUSIONS

[29]       Comme il en a été fait mention, l'avocat du demandeur, qui n'est pas l'avocat qui a comparu devant le tribunal ou qui a déposé le dossier du demandeur, a limité son argument à l'iniquité de la procédure et à une erreur dans l'application du moyen de défense fondé sur la contrainte. Plus précisément, l'avocat du demandeur n'a pas cherché à contester les conclusions factuelles du tribunal sous-tendant l'application du moyen de défense fondé sur la contrainte.

(1)        Les procédures ont-elles été menées d'une façon inéquitable?


[30]       L'argument primordial de l'avocat du demandeur était que le tribunal, composé d'un seul membre (et je note encore une fois l'absence d'un ACR ou d'un représentant du ministre), a dirigé l'instance en agissant comme poursuivant entrant en lice, alors que son rôle consistait à être celui d'un observateur et d'un décideur impartial.

[31]       Un élément de cet argument portait sur le régime législatif dans le cadre duquel le représentant du ministre intervient lorsque des questions d'exclusion risquent de se poser. Le droit du ministre d'intervenir est régi par le paragraphe 69.1(5) de la Loi; l'obligation de la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié d'informer le ministre dans un cas précis, avant ou pendant une audience, que la revendication comportera peut-être une question d'exclusion est prévue dans les Règles, en particulier, au paragraphes 9(2) et (3).

[32]       Dans l'argumentation qu'il a soumise en réponse, l'avocat du demandeur a dit que le tribunal aurait dû informer le ministre de la question de l'exclusion au cours de l'audience, conformément au paragraphe 9(3), de sorte que le ministre aurait pu intervenir et soustraire le tribunal à l'obligation qu'il s'était lui-même imposée de mener l'interrogatoire relatif à la question de l'exclusion.

[33]       Je note que la question de l'exclusion a été définie en ces termes lorsque le tribunal s'est adressé à l'avocat du demandeur au début de l'audience, qui a commencé le 17 août 2001 :


[TRADUCTION] Bien sûr, comme c'est le cas pour toute revendication, la crédibilité entre en ligne de compte en l'espèce. Toutefois, ce qui est tout aussi important, c'est la question de l'exclusion prévue à la section 1Fb) [sic] de l'article premier, dont je vous ai déjà parlé pour ce qui est de sa revendication.

L'intéressé allègue avoir été contraint à agir comme homme masqué pour l'armée pendant une période fort longue, soit pendant près de trois ans, mais son formulaire de renseignements personnels et la pièce P-7 ne montrent pas clairement s'il a réellement identifié des membres ou des dirigeants des Tigres pour l'armée et, dans l'affirmative, ce qui est arrivé à ces gens, s'il le sait, ou ce qui, selon lui, leur serait arrivé.

Et bien sûr, il se pose une question; de toute évidence, il agissait sous contrainte du fait qu'il était détenu par l'armée, mais je crois qu'il serait opportun de déterminer s'il a identifié des gens et ce qui peut... ou quelle conséquence la chose a eu pour ces gens, à sa connaissance ou selon ce qu'il croit, puis, à supposer qu'il ait de fait désigné des gens, d'examiner la question de la contrainte et de déterminer ce qui aurait pu lui arriver s'il n'avait pas coopéré avec l'armée. Je crois que ces questions seraient probablement fort pertinentes pour ce qui est de la question de la crédibilité.

[34]       Dans l'arrêt Arica c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 670, la Cour d'appel fédérale a examiné le régime législatif dans le cadre duquel le représentant du ministre intervient lorsqu'il est question d'exclusion; Monsieur le juge Robertson a dit ce qui suit au paragraphe 8 :

[8] Il faut également noter que le cadre général d'analyse en ce qui concerne le recours à la clause d'exclusion se trouve à la règle 9 des Règles de la section du statut de réfugié. La règle 9(2) édicte que, si l'agent d'audience ou les commissaires saisis de l'affaire sont d'avis que l'article 1F pourrait s'appliquer, le premier doit en avertir le ministre. Si la question de l'exclusion doit, cependant, être soulevée durant l'audience, alors, conformément à la règle 9(3), le président de l'audience a le pouvoir discrétionnaire de décider d'ordonner à l'agent d'audience d'informer le ministre. Si le président de l'audience se décide contre le fait d'informer le ministre, il est alors évident que la Commission peut prendre une décision relativement à la clause d'exclusion en se fondant sur la preuve présentée. Le fait que le ministre ne participe pas à l'audience, soit parce qu'il ne le désire pas soit parce qu'il n'a pas droit à l'avis aux termes de la règle 9(3), ne diminue pas le droit de la Commission de rendre une décision sur la question de l'exclusion. [non souligné dans l'original] [renvois omis].


[35]       Je note que, dans la décision Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 537 (C.F. 1re inst.), rendue avant la décision Arica, précitée, mon collègue Monsieur le juge Gibson a annulé la conclusion que la SSR avait tirée au sujet de l'exclusion pour les motifs suivants :

¶ 48       Je suis convaincu que, compte tenu de l'omission de la SSR et de l'agent d'audience d'informer le ministre et de l'absence d'intervention du ministre de son plein gré, le défaut d'informer effectivement le requérant et de lui donner l'occasion de présenter une preuve et des observations à une étape quelconque de la procédure constitue un manquement à un principe d'équité procédurale qui touche au fond de l'affaire.

[36]       Mon examen du dossier certifié du tribunal m'amène à tirer les conclusions ci-après énoncées :

(1)        Rien n'indique que l'ACR (il semble qu'un ACR eût initialement été désigné) ait informé le ministre que l'exclusion était en cause;

(2)        Le ministre n'est pas intervenu de son propre chef;

(3)        Le membre du tribunal était celui qui avait soulevé la question de l'exclusion étant donné que, dans ses motifs, il dit ce qui suit : « Compte tenu du rôle du revendicateur dans l'identification de Tamouls innocents qui étaient par la suite battus et torturés, la question d'exclusion en vertu de l'article 1Fa) - Crimes contre l'humanité a été soulevée par le tribunal » ;

(4)        La possibilité de l'exclusion a été constatée par le tribunal au début de l'audience relative à la revendication du demandeur;

(5)        L'avocat du demandeur a discuté de la question de l'exclusion avec le demandeur avant que celui-ci témoigne. En réponse à une question posée par le tribunal, page 427 de la transcription, l'avocat du demandeur a dit ce qui suit :


[TRADUCTION] Je n'ai pas discuté avec lui des termes techniques, pour ce qui est de l'exclusion elle-même, mais je lui ai dit que la perpétration possible de crimes posait un problème du fait qu'il avait travaillé « comme homme masqué » . Il sait que cette question préoccupe le tribunal.

(6)        L'avocat du demandeur a d'abord interrogé son client; il a commencé l'interrogatoire comme suit, page 427 de la transcription :

[TRADUCTION] Comme je l'ai dit, Monsieur le président, vous avez eu la possibilité, ou nous avons eu la possibilité, de discuter de la question; nous devrions donc l'examiner. À quel moment avez-vous été arrêté par l'armée?

(7)        L'avocat du demandeur a ensuite interrogé son client; le tribunal l'a interrompu à maintes reprises. Si je comprends bien, le tribunal cherchait parfois à obtenir des éclaircissements; à d'autres moments, il cherchait à obtenir plus de renseignements du demandeur après que celui-ci eut donné une réponse particulière et, dans d'autres cas, il a posé toute une série de questions, en particulier quant au fondement factuel de la question de la contrainte (voir la transcription, pages 430 à 445);

(8)        L'avocat du demandeur ne s'est jamais opposé. En fait, à la page 445 de la transcription, le tribunal a dit ce qui suit : [TRADUCTION] « D'accord, Maître, je ne dirai plus rien [...] Je ne puis vous dire pour combien de temps, mais [...] » ce à quoi l'avocat du demandeur a répondu : [TRADUCTION] « En fait, je vais vous demander de ne pas vous taire. » À la page 446 de la transcription, l'avocat du demandeur a demandé au tribunal de définir en fait ce qui, selon lui, constituait un crime contre l'humanité [TRADUCTION] « de façon qu'il soit possible d'examiner la question » .


[37]       Je ne puis constater aucune iniquité dans la façon dont s'est déroulée l'instance relative à la revendication du demandeur.

[38]       Quant à la violation des Règles régissant l'avis qui doit être donné au ministre au sujet de la possibilité que la question de l'exclusion soit soulevée, il ressort du dossier qu'aucun ACR n'était présent; or, la tâche de donner un avis en vertu du paragraphe 9(2) des Règles incombe à un ACR.

[39]       En ce qui concerne le président de ce tribunal composé d'un seul membre, le dossier semble montrer qu'avant l'audience, le président avait soulevé la question avec l'avocat du demandeur, qui en avait parlé à son client. On ne sait rien des circonstances régissant l'exercice par le président du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 9(3) des Règles, parce que le tribunal et l'avocat du demandeur étaient satisfaits de la façon dont la question de l'exclusion devait être traitée. Plus précisément, rien n'indique dans le dossier que l'on ait demandé au président d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 9(3) de la Loi.

[40]       Indépendamment d'une violation des Règles, l'argument invoqué par l'avocat du demandeur met en cause l'alinéa 18.1(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale, se rapportant à l'omission d'observer un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale.


[41]       Il ne s'agit pas ici d'un cas tel que l'affaire Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1228, dans laquelle l'avocat n'avait pas été autorisé à interroger le demandeur d'une façon plus détaillée. Il ne s'agit pas d'un cas comme celui qui s'était produit dans l'affaire Malouf, précitée, où le demandeur était tombé dans un piège. Il ne s'agit pas d'un cas dans lequel le membre du tribunal a interrompu le demandeur lorsque celui-ci répondait. Il ne s'agit pas d'un cas dans lequel le demandeur s'est vu refuser le droit de présenter la preuve qui, croyait-il, était nécessaire pour établir sa revendication.

[42]       Si je comprends bien, l'avocat du demandeur et le tribunal se sont entendus sur le déroulement de l'audience. À mon avis, eu égard aux circonstances, le demandeur a bénéficié d'une audience équitable.

(2)        L'application du moyen de défense fondé sur la contrainte a-t-elle donné lieu à une erreur?

[43]       L'avocat du demandeur n'a pas soutenu que le tribunal avait commis une erreur dans le choix des éléments juridiques du moyen de défense fondé sur la contrainte. À mon avis, il lui serait difficile de le faire parce que le tribunal a appliqué le critère défini par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Ramirez, précité, qui lie le tribunal et la présente cour.


[44]       Selon le demandeur, le tribunal a commis une erreur en appliquant le critère juridique aux faits de l'affaire puisqu'il n'a pas accordé l'importance appropriée au fait que le demandeur était un prisonnier, qu'il n'était pas un complice et qu'il n'identifiait pas volontairement les personnes lors des séances d'identification; en effet, s'il omettait de les identifier, on le battait et on le privait de nourriture et il craignait pour sa vie et sa sécurité. Dans ce contexte, l'avocat du demandeur a soutenu que le tribunal voulait qu'il soit un héros.

[45]       À mon avis, le moyen de défense fondé sur la contrainte tel qu'il a été adopté dans la décision Ramirez, précitée, (un critère récemment repris dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (alinéa 31d)) comporte deux éléments. En premier lieu, pour que le moyen de défense fondé sur la contrainte s'applique, l'acte que le demandeur était contraint à accomplir doit être le résultat d'un péril grave et imminent que l'on cherche à éviter (ou comme le juge Linden l'a dit dans la décision Sivakumar, précitée, qu'il « mette en danger sa vie ou sa sécurité pour sortir d'une mauvaise situation » ).

[46]       Le tribunal n'a pas expressément examiné cet élément du moyen de défense fondé sur la contrainte, mais il a reconnu que le demandeur agissait sous contrainte, ce qui m'amène à conclure qu'il était convaincu, comme le montre le dossier, que le demandeur courait un risque sérieux s'il n'identifiait pas quelqu'un lors de la séance d'identification.


[47]       Le deuxième élément nécessaire à l'application du moyen de défense fondé sur la contrainte incorpore la notion de proportionnalité, c'est-à-dire que le tort causé aux victimes, les Tamouls innocents que le demandeur identifiait comme ressemblant à ceux qu'il avait vus dans les camps militaires tamouls, ne doit pas être plus grand que celui qui aurait par ailleurs été causé au demandeur.

[48]       Le tribunal a conclu qu'en fait, comme Monsieur le juge McGuigan l'avait fait dans la décision Ramirez, les victimes du demandeur souffriraient plus que le mal que l'on faisait réellement au demandeur parce qu'il n'avait pas identifié de gens lors de la séance d'identification ou parce qu'il les identifiait et qu'il se rétractait ensuite.

[49]       L'examen de la preuve m'amène à conclure qu'il était raisonnablement loisible au tribunal de tirer cette conclusion, compte tenu en particulier des conclusions qu'il a tirées au sujet de la crédibilité, de son appréciation de la preuve documentaire et du propre témoignage que le demandeur a présenté au sujet des atrocités que l'ASL pouvait commettre, ce qui est précisément la raison pour laquelle le demandeur a expliqué au tribunal pourquoi il se rétractait. Voici ce qu'il a dit, page 441 de la transcription :

[TRADUCTION] Si je ne le dis pas [...] Si je ne lui dis pas comme cela, ils seront abattus à coup de feu. Voici ce que je dis [...] Si je dis qu'il s'agit d'un tel, alors ils [...] cette personne sera abattue à coups de feu et on mettra son cadavre sur la route. C'est pourquoi je le disais autrement.

[50]       L'avocat du demandeur n'a pas soutenu que le tribunal avait commis une erreur en rejetant l'évaluation de M. Woodbury selon laquelle le demandeur n'avait pas l'intention requise, mais mon examen de la transcription m'amène à penser que le demandeur était parfaitement au courant des conséquences, s'il identifiait quelqu'un lorsqu'il portait un masque, et ce, même s'il se rétractait ensuite.


[51]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. J'ai informé les deux avocats que, compte tenu de ma décision, ils pourraient proposer la certification de questions.

[52]       Les avocats devront échanger les questions dont la certification est proposée au plus tard le vendredi le 6 juin 2003, après quoi, ils devront soumettre leurs observations à la Cour au plus tard le 18 juin 2003, en ce qui concerne les questions dont la certification est proposée et les motifs à l'appui ou à l'encontre de la certification.

                                                                                                                « François Lemieux »         

                                                                                                                                         Juge                       

OTTAWA (ONTARIO)

LE 29 MAI 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           IMM-204-02

INTITULÉ :                                                          Sutharsan Kathiravel

et

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  Le 30 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                    MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                         Le 29 mai 2003

COMPARUTIONS :

M. Stephen Fogarty                                                 POUR LE DEMANDEUR

M. Guy Lamb                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Stephen J. Fogarty                                             POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


                                                                       

Date : 20030529

Dossier : IMM-204-02

ENTRE :

                                              SUTHARSAN KATHIRAVEL

                                                                                                                              demandeur

                                                                       et

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                                                          ORDONNANCE

Pour les motifs exposés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


Si les avocats veulent présenter des questions en vue de la certification, ils devront échanger les questions dont la certification est proposée au plus tard le vendredi le 6 juin 2003, après quoi, ils devront soumettre leurs observations à la Cour au plus tard le 18 juin 2003, en ce qui concerne les questions dont la certification est proposée et les motifs à l'appui ou à l'encontre de la certification.

                                                                                                    « François Lemieux »            

                                                                                                                             Juge                           

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL .L.


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