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Date : 20210610


Dossier : IMM‑3633‑20

Référence : 2021 CF 591

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

HONGLIANG WU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Hongliang Wu est un citoyen de la Chine. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 27 juillet 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé le rejet de sa demande d’asile. La SAR a confirmé les conclusions de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon lesquelles M. Wu n’avait pas de fondement pour une demande d’asile sur place, au Canada, et il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de M. Wu sera rejetée.

I. Contexte

[3] M. Wu est arrivé au Canada le 25 avril 2018 en provenance de la Chine. Il allègue avoir fui la Chine parce qu’il était recherché par les autorités chinoises, en lien avec sa participation aux activités d’une maison‑église chrétienne. M. Wu affirme qu’il participait aux activités de l’église en tant que bénévole, et qu’il n’était pas chrétien en Chine. Il a déclaré qu’il était devenu un chrétien pratiquant après son arrivée au Canada.

[4] La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Wu parce qu’elle a conclu que son récit des faits survenus en Chine n’était pas crédible. La SPR a jugé qu’il n’avait pas établi sa participation aux activités de la maison‑église, et qu’il n’avait pas été recherché ni persécuté par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) en Chine.

[5] En ce qui concerne la demande sur place de M. Wu, la SPR a conclu qu’il n’était pas un membre convaincu de son église à Toronto et qu’il n’était pas un véritable chrétien au Canada. Selon le tribunal, l’effet cumulatif des conclusions défavorables sur la crédibilité relative aux aspects principaux de la demande d’asile de M. Wu minait sa crédibilité globale en tant que témoin. Malgré l’affirmation de M. Wu selon laquelle il n’est devenu un chrétien qu’après son arrivée au Canada, la SPR a conclu que son identité religieuse en tant que véritable chrétien n’avait pas été démontrée. De plus, la SPR a affirmé que M. Wu n’avait présenté aucun élément de preuve démontrant que sa participation à une activité religieuse au Canada avait été portée à l’attention des autorités chinoises.

[6] M. Wu a interjeté appel devant la SAR, au motif que la SPR avait fait erreur dans l’appréciation de sa demande d’asile au Canada. Le principal argument de M. Wu en appel était que la SPR avait commis une erreur en concluant que le récit qu’il avait fait de ses activités en Chine, récit remis en cause, était pertinent pour l’appréciation de sa demande sur place.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[7] La SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle, selon la prépondérance des probabilités, M. Wu n’était pas un véritable chrétien, et n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La SAR a rejeté l’argument de M. Wu selon lequel la SPR avait commis une erreur en tenant compte des conclusions défavorables quant à la crédibilité, concernant sa pratique du christianisme en Chine, lorsqu’elle avait apprécié sa demande sur place.

[8] La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle M. Wu n’était pas un véritable chrétien au Canada. Elle a affirmé que les conclusions de la SPR, selon lesquelles M. Wu n’avait pas fréquenté une maison‑église en Chine, n’avait jamais été arrêté par le BSP et ne s’était pas caché, étaient pertinentes pour sa demande sur place. Ces conclusions réfutent l’affirmation de M. Wu selon laquelle il a développé son intérêt pour le christianisme au cours de ses activités bénévoles pour l’église, en Chine. Par ailleurs, la SAR a conclu que la SPR avait le droit de poser des questions sur les principes fondamentaux de la foi de M. Wu et que celui‑ci avait eu du mal à témoigner à cet égard. Enfin, la SAR a conclu qu’aucun élément de preuve convaincant n’avait été présenté à la SPR pour laisser entendre que la participation du demandeur à des activités chrétiennes au Canada avait attiré l’attention des autorités chinoises, ou qu’il serait perçu comme un véritable chrétien à son retour en Chine.

III. Question en litige et la norme de contrôle

[9] La question en litige dans la présente demande est de savoir si la décision de la SAR est raisonnable. Plus précisément, M. Wu soutient que 1) les conclusions défavorables de la SAR en matière de crédibilité n’ont aucun rapport avec la question de savoir s’il est devenu un véritable chrétien après son arrivée au Canada; 2) la SAR a commis une erreur en procédant à un examen microscopique de ses connaissances chrétiennes, soit la même erreur que celle commise par la SPR.

[10] La décision de la SAR en l’espèce est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov); Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 271 au para 14).

[11] Dans Vavilov, la Cour suprême du Canada a donné des directives aux cours de révision concernant l’application de la norme de la décision raisonnable, en insistant sur l’importance du raisonnement suivi par le décideur et le résultat pour la personne touchée par la décision (Vavilov, au para 83). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, qui est justifiée, transparente et intelligible au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 99; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 31). Une cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard d’une telle décision.

IV. Analyse

[12] Dans sa décision, la SAR a examiné en détail la demande sur place de M. Wu. Son analyse comporte trois volets. La SAR a expliqué le lien entre l’absence d’une participation crédible de M. Wu dans l’église chrétienne en Chine et son témoignage concernant l’évolution de ses croyances chrétiennes au Canada. Le tribunal a ensuite apprécié de façon indépendante l’incapacité de M. Wu à parler des principes de base mêmes du christianisme. Enfin, la SAR a confirmé que rien ne prouvait que sa présence et sa participation au sein d’une église chrétienne au Canada aient été portées à l’attention des autorités chinoises.

[13] L’argument de M. Wu selon lequel les conclusions défavorables de la SAR en matière de crédibilité n’étaient pas pertinentes pour déterminer s’il était devenu un véritable chrétien une fois au Canada n’est pas convaincant. Selon le témoignage de M. Wu, son intérêt pour le christianisme a commencé en Chine, où il a formé ses premières impressions de la religion. La SAR a expliqué ainsi la pertinence des conclusions défavorables en matière de crédibilité :

[29] Selon les allégations [de M. Wu], son intérêt pour le christianisme s’est développé en raison de circonstances en Chine. En d’autres mots, sa pratique du christianisme au Canada découle de faits qui ont commencé en Chine. Toutefois, la SPR a conclu qu’il n’était pas un véritable chrétien en Chine et je souscris à cette conclusion.

[14] La SAR a fait remarquer que M. Wu avait informé les autorités canadiennes qu’il avait découvert le christianisme en Chine grâce à un ami et qu’il avait participé aux activités d’une maison‑église en tant que bénévole. La SPR et la SAR ont conclu que cette déclaration n’était pas crédible. M. Wu ne conteste pas cette conclusion ni les autres conclusions défavorables des tribunaux en matière de crédibilité. Par conséquent, la prémisse de départ concernant l’intérêt de M. Wu pour le christianisme est remise en cause.

[15] M. Wu s’appuie sur deux décisions de la Cour concernant l’argument selon lequel son absence de participation à une église chrétienne en Chine n’est pas pertinente pour sa demande sur place : Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 749 au para 58; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 205 au para 32. Dans ces décisions, la Cour a affirmé que le fait qu’un demandeur d’asile n’était pas un véritable pratiquant d’une religion précise dans son pays d’origine ne signifie pas qu’il n’est pas devenu un pratiquant depuis son arrivée au Canada.

[16] À mon avis, il n’y a pas d’incohérence entre l’analyse de la SAR et celle de la Cour dans les deux affaires. La SAR n’a pas rendu sa décision concernant la demande sur place de M. Wu en se fondant sur le fait qu’il ne pratiquait pas le christianisme en Chine. Elle a plutôt conclu que son explication quant à l’évolution de son intérêt pour la religion n’était pas crédible. L’analyse de la SAR est similaire à celle d’un autre tribunal de la SAR dont la décision a été soumise à mon contrôle dans l’affaire Han c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 858 (Han). Mme Han avait déclaré que sa pratique du christianisme au Canada était un prolongement de ses pratiques en Chine (Han, au para 43) :

[43] À mon avis, l’analyse à deux volets de la SAR est transparente et intelligible. La demanderesse a présenté sa demande d’asile sur place comme étant un prolongement de ses pratiques chrétiennes en Chine. Une fois qu’il a été conclu que cet aspect de sa demande d’asile était frauduleux, le fondement principal de cette dernière s’est effondré. La SAR a néanmoins a examiné si la demanderesse avait véritablement adopté la foi chrétienne et pratiqué cette religion pendant son séjour au Canada, mais a conclu que ce n’était pas le cas.

[17] La SAR a procédé à la même analyse en deux étapes pour la demande sur place de M. Wu. Ainsi, je ne trouve pas d’erreur susceptible de contrôle dans le fait que la SAR se soit fondée sur les conclusions défavorables en matière de crédibilité, qui minent la description par M. Wu de la source de ses croyances chrétiennes, dans une partie de son appréciation de la demande d’asile sur place.

[18] Par ailleurs, M. Wu soutient que la SAR a procédé à un examen microscopique de ses connaissances du christianisme (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 346 au para 9; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 503 au para 14).

[19] La SAR a reconnu qu’un demandeur d’asile n’était pas tenu de démontrer une grande connaissance de la religion. Elle a affirmé que le critère d’évaluation des connaissances d’un demandeur était peu exigeant (voir, par exemple, Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1057 aux para 19‑20 (Lin)). La SAR a décrit les questions posées par la SPR sur les premiers principes du christianisme, ainsi que les difficultés répétées de M. Wu à y répondre. Cette description est détaillée et dépeint un individu incapable de répondre à des questions qui lui ont été reformulées plusieurs fois, et qui découlent de ses réponses parfois circulaires. Je conclus qu’il était loisible à la SAR de confirmer la conclusion de la SPR selon laquelle le manque de connaissances de M. Wu témoignait de l’absence de véritables croyances et pratiques religieuses (Lin, au para 23). La connaissance du christianisme par M. Wu ne correspondait pas à la durée et à la portée de ses activités religieuses, notamment sa participation à des cours sur la Bible pendant un an au Canada (Qi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 400 au para 18).

[20] Il est important de garder à l’esprit que la conclusion défavorable de la SAR concernant la demande sur place n’est pas fondée sur un seul facteur. La SAR a conclu que M. Wu n’était pas un véritable chrétien pratiquant au Canada, et a rejeté sa demande sur place pour les motifs suivants :

  1. L’explication de M. Wu concernant l’évolution de son intérêt pour le christianisme alors qu’il était en Chine n’était pas crédible. La conclusion de la SPR, selon laquelle il n’était pas membre d’une église chrétienne en Chine et n’avait pas été poursuivi par le BSP en raison d’une telle participation, était donc pertinente pour la demande d’asile sur place;

  2. M. Wu n’était pas sincère dans sa pratique du christianisme au Canada, et ne pouvait pas expliquer les principes de base de cette religion;

  3. Aucun élément de preuve convaincant n’a été présenté pour démontrer que la participation de M. Wu à des activités chrétiennes au Canada avait attiré l’attention des autorités chinoises, ou qu’il serait perçu comme un véritable chrétien à son retour en Chine. Cette conclusion est un élément essentiel de l’analyse de la SAR, parce qu’elle porte sur l’éventualité d’un risque pour M. Wu.

[21] En bref, je conclus que la décision de la SAR de rejeter la demande sur place de M. Wu repose sur un raisonnement rationnel. La SAR explique de manière intelligible à M. Wu le fondement de sa conclusion selon laquelle il n’est pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution ou à un risque de préjudice en Chine en raison de ses activités religieuses au Canada. Dans l’ensemble, la décision est justifiée au regard des éléments de preuve (Vavilov au para 99).

V. Conclusion

[22] La demande de M. Wu sera rejetée.

[23] Aucune question n’a été proposée par les parties en vue de la certification, et la présente affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3633‑20

LA COUR DÉCLARE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3633‑20

 

INTITULÉ :

HONGLIANG WU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 MAI 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 10 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Nkunda I. Kabateraine

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nkunda I. Kabateraine

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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