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Date : 20040119

Dossier : IMM-5546-02

Référence : 2004 CF 36

Ottawa (Ontario), le lundi 19 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                          PEMBE YODI EMERANCE

                                                                                                                                             Demanderesse

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                                     Défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), porte sur une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal), rendue le 24 octobre 2002. Dans cette décision, le tribunal a conclu que la demanderesse ne satisfait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 de la Loi ni à celle de « personne à protéger » à l'article 97.


QUESTION EN LITIGE

[2]                 Le tribunal a-t-il erré en concluant au manque de crédibilité de la demanderesse?

[3]                 Pour les motifs suivants, je réponds par la négative à cette question et le contrôle judiciaire sera donc rejeté.

CONTEXTE FACTUEL

[4]                 La demanderesse, une citoyenne de la République démocratique du Congo (RDC), mère de cinq enfants demande la protection du Canada en raison de ses opinions politiques imputées et de son appartenance à un groupe social.

[5]                 Depuis mai 1998, la demanderesse gère une bijouterie appartenant à son mari qui était co-propriétaire avec un bijoutier libanais. En 1999, son époux est devenu seul propriétaire après avoir acquis la part de son associé.


[6]                 Le 16 janvier 2001, le président Kabila est assassiné et la communauté libanaise est soupçonnée d'avoir commandité l'assassinat. Le 24 avril 2001, trois militaires font irruption dans la bijouterie où seule la demanderesse s'y trouve. Les militaires fouillent les lieux puis quittent en menaçant de revenir. La demanderesse va rejoindre son mari. Cette nuit-là, des militaires viennent à leur domicile et menacent de forcer la porte s'ils n'ouvrent pas. La demanderesse et son mari s'enfuient par la porte arrière de la maison, laissant derrière le beau-frère de la demanderesse. Après avoir franchi le mur du voisin, ils entendent un coup de feu. La demanderesse apprend par la suite que son beau-frère a été abattu. Sur le conseil du mari, le couple se sépare et la demanderesse va se réfugier au Congo-Brazzaville chez un ami bijoutier qui, six mois plus tard, lui conseille de quitter Brazzaville en raison de la proximité de Kinshasa et de l'instabilité qui règne lorsqu'il y a des élections. La demanderesse obtient un faux passeport et les services d'une personne chargée de l'accompagner jusqu'au Canada, où elle demande l'asile à son arrivée, le 29 octobre 2001.

DÉCISION CONTESTÉE

[7]                 Le tribunal rejette la demande de protection de la demanderesse car il estime que sa crédibilité est entachée par plusieurs facteurs dont il dresse la liste dans ses motifs et que la demanderesse a fourni un témoignage ardu, laborieux, parsemé d'hésitations, et que son histoire est truffée d'incohérences.

ANALYSE

[8]                 La norme de contrôle applicable à la question de crédibilité du demandeur d'asile est la norme de l'erreur manifestement déraisonnable (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 173 F.T.R. 280 (C.F. 1re inst.), Kabeya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 106 (C.F. 1re inst.) (QL), Sivagurunathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1395, [2001] A.C.F. no 1905 (C.F. 1re inst.) (QL)).


[9]                 Le tribunal a conclu que le comportement de la demanderesse contredit l'existence d'une crainte subjective de persécution ce qui, en soi, est suffisant pour rejeter la revendication (Kamana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1695     (C.F. 1re inst.) (QL). En effet, la demanderesse a pris six mois avant de se rendre compte que le Congo-Brazzaville n'était pas un pays sécuritaire pour elle, alors qu'il l'était pour son conseiller, lui aussi un congolais. Elle n'a pas revendiqué l'asile à la première occasion raisonnable, puisqu'elle est passée par trois pays signataires (Côte d'Ivoire, Belgique, États-Unis) avant d'arriver au Canada.

[10]            Le tribunal a rédigé une liste détaillée des faits sur lesquels il s'est appuyé pour conclure au manque de crédibilité de la demanderesse. La lecture de la liste non exhaustive qui suit montre que le tribunal a utilisé le bon sens et pouvait effectivement remettre en question la véracité des événements, particulièrement en raison du grand nombre de points douteux dans le récit de la demanderesse.

[11]            Premièrement, le tribunal trouve incroyable que si les militaires la recherchaient, ils l'aurait arrêtée dans la bijouterie lorsqu'ils y ont fait irruption le 24 avril 2001 au lieu de fouiller les lieux et de s'en aller.


[12]            Le tribunal s'étonne que le beau-frère de la demanderesse ne se soit pas enfui en même temps qu'elle et son mari et que les militaires n'aient pas pris la précaution de surveiller la porte arrière pour que personne ne s'échappe, ce qui relèverait d'un amateurisme et rend l'événement invraisemblable.

[13]            Le tribunal trouve bizarre que le couple se soit séparé pour prendre la fuite. Le mari a dit à sa femme d'aller dans un certain lieu considéré comme sûr mais ne s'est pas lui-même prévalu de ce même lieu de refuge. Par ailleurs, la demanderesse a décidé de ne pas emmener ses cinq enfants avec elle car ils auraient été à risque. Encore une fois, le tribunal a jugé que si le lieu était assez sécuritaire pour la demanderesse, il aurait été logique qu'il le soit également pour ses enfants. À l'inverse, pourquoi avoir quitté la RDC étant un lieu non-sécuritaire pour elle alors qu'il le serait pour son mari et ses enfants qui y sont restés.

[14]            Pour ce qui est des documents en possession de la demanderesse, elle n'avait plus à son arrivée le faux passeport, le visa américain, les billets d'avion et les cartes d'embarquement, ce qui prive le tribunal de renseignements utiles. Par ailleurs, le fait que la demanderesse voyageait avec un faux passeport ainsi qu'avec sa vraie attestation de naissance présentait un risque selon le tribunal. Pour ce qui est de l'avis de recherche publié par la police congolaise, le tribunal ne lui a accordé aucune valeur probante car la date d'émission avait été altérée. La demanderesse n'en avait qu'une copie et non l'original qui lui avait été remise par un Congolais après son arrivée au Canada. Cet avis émis huit mois après l'intrusion des militaires dans la bijouterie émanait de la police judiciaire et non de ceux qui étaient sensés être à sa poursuite.

[15]            Les inférences dégagées par le tribunal concluant à une absence d'une crainte subjective de persécution et un risque de torture ou menace à la vie de la demanderesse ne sont pas manifestement déraisonnables. Ce tribunal spécialisé est beaucoup mieux placé que la présente Cour pour apprécier la crédibilité du récit et du témoignage de la demanderesse. Devant l'absence d'erreurs manifestement déraisonnables, je n'ai pas l'intention d'intervenir.

[16]            La demanderesse a soumis deux questions pour être certifiées :

Do refugee claimants who travel to Canada with false documents have some obligation to preserve those documents or copies thereof, for persual by Canadian authorities?

Is there a legal requirement to prove the refugee claimant's itinerary to Canada with such documents?

[17]            Le défendeur n'est pas d'accord. Je suis d'avis que ces deux questions ne rencontrent pas les critères de l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.). Je suis d'accord avec la réponse du défendeur lorsqu'il indique que ces questions n'ont pas été déterminantes dans la conclusion du tribunal. En effet, ce dernier n'a pas endossé l'histoire de la demanderesse en se basant notamment :

1)         sur le témoignage laborieux, ardu et parsemé d'hésitations;

2)         sur les omissions d'éléments importants dans son récit lorsque la demanderesse est arrivée au Canada;


3)         sur plusieurs invraisemblances dénotées par le tribunal;

4)         sur le délai pour demander l'asile;

5)         sur l'absence de valeur probante concernant les documents déposés par la demanderesse.

[18]            Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

            « Michel Beaudry »                

Juge


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                                                      IMM-5546-02

INTITULÉ :                                                                     PEMBE YODI EMERANCE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 10 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                  LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 19 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

William Sloan                                                                     POUR LE DEMANDEUR

My Dung Tran                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William Sloan                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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