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Date : 20030428

Dossier : IMM-1671-02

Référence : 2003 CFPI 521

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 28 AVRIL 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                          ABDULLAH AL-MAHAMUD

                                                                 demandeur

                                      - et -

            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                 défendeur

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]    Abdullah Al-Mahamud est un citoyen du Bangladesh qui a introduit la présente demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugiéde la Commission de l'immigration et du statut de réfugié(la CISR) a refuséde lui reconnaître le statut de réfugiéau sens de la Convention. M. Al-Mahamud affirme craindre avec raison d'être persécutépar la Ligue Awami (l'AL) et la police du Bangladesh du fait de ses opinions politiques comme membre du Parti national du Bangladesh (le BNP) et ancien membre de la section étudiante du BNP, le Jatiyotabadi Chatra Dal (le JCD).


ALLÉGATION DE CRAINTE FONDÉE DE PERSÉCUTION

[2]    La CISR a résumé comme suit les faits invoqués par M. Al-Mahamud à l'appui de son allégation :

[TRADUCTION]

D'après son témoignage, le revendicateur a été un membre actif du JCD lorsqu'il fréquentait l'université de Dacca entre août 1994 et décembre 1996. En septembre 1994, il a été élu membre du conseil étudiant du JCD à l'université et a assumé la responsabilité de secrétaire des affaires culturelles. Au cours du même mois, un dirigeant important du conseil étudiant du JCD fut poignardé à mort et des membres du JCD en ont jeté le blâme sur la section étudiante du AL. Un autre dirigeant en vue du JCD à l'université stait fait couper des tendons à la jambe par des partisans de Jamat. En septembre 1995, le revendicateur a été attaqué et blessélors d'une manifestation du JCD/BNP contre une grève générale de 72 heures organisée par le parti d'opposition AL. Les partisans de la grève ont attaqué les manifestants et le revendicateur a subi des blessures graves au genou qui ont nécessité son hospitalisation. En janvier 1996, le revendicateur a été nommé membre exécutif de la section du BNP de Dacca. En mars 1996, le gouvernement du BNP a démissionné. Puis, des élections parlementaires ont eu lieu et le parti AL fut porté au pouvoir pour gouverner le Bangladesh. En août 1996, le revendicateur fut blessé au cours d'une attaque contre des membres du JCD perpétrée par la Ligue Bangladesh Chattro, soit la section étudiante du AL.Vingt-cinq militants étudiants du JCD et du BCL ont été blessés et la police a arrêté 35 membres du JCD. En novembre 1996, le revendicateur a pris part à une manifestation du BNP pour protester contre l'assassinat du président du Juba Dal par des militants du AL, pendant laquelle il a crié des slogans accusant le gouvernement du AL dtre responsable de cet assassinat. Le lendemain, le revendicateur a été menacé par des militants locaux du AL qui ont tenté de l'agresser, mais il a réussi à prendre la fuite. Par suite de cet incident et craignant pour sa sécurité personnelle, le revendicateur s'est caché, puis s'est enfui à Chittagong en décembre 1996.

En janvier 1997, le revendicateur a été admis et s'est enrôlé dans un programme de formation de l'Académie de la marine de Chittagong, pour une période de deux ans. Il n'est pas retourné à Dacca pendant ces deux années, parce qu'il craignait les militants de la section locale du AL. Après sa formation de cadet à l'Académie de la marine, le revendicateur est retourné à Dacca et s'est joint de nouveau au BNP. En janvier 1999, il fut nommé secrétaire conjoint de l'organisation de sa section du BNP à Dacca. Ce mois-là , le revendicateur a participé à Dacca à une manifestation de soutien à une grève nationale contre le gouvernement du AL au pouvoir. Cette manifestation qu'il a aidé à organiser était parrainée par le BNP et d'autres partis d'opposition. Avec l'aide de la police, des partisans de la section locale du AL ont attaqué la manifestation et ont battu plusieurs manifestants. La police a aussi arrêté dix partisans du BNP. Le revendicateur a toutefois réussi à schapper sans être blessé ni arrêté. Au cours d'une manifestation-grève à laquelle le revendicateur a participé à Dacca en février 1999, la police a de nouveau chargé et dispersé les piqueteurs. La police a attaqué huit députés locaux du BNP.

En mai 1999, le revendicateur fut le témoin de la mort de l'enfant d'un voisin causée par l'effondrement d'une porte de fer et des piliers d'une maison appartenant à la mère du ministre de l'alimentation et de l'agriculture du gouvernement du AL. Il a aidé la mère et l'oncle de l'enfant à porter plainte auprès de la police locale contre le propriétaire pour construction défectueuse et négligence ayant causé la mort. Cependant, par suite de menaces proférées par des membres de la section locale du AL contre le revendicateur et la famille de l'enfant, la famille a retiré sa plainte contre le propriétaire de la maison. Après cet incident, le revendicateur allègue qu'il a été de plus en plus pris pour cible par des militants de la section locale du AL.


En juillet 1999, le revendicateur, ainsi que d'autres partisans du BNP, ont mis sur pied un comité pour combattre l'extorsion et le terrorisme pratiqués par le AL dans la région. Ce mois-là , le comité a organisé une assemblée publique dans le secteur de Dacca où habitait le revendicateur. Au cours de cette assemblée, le revendicateur, entre autres personnes, a prononcé un discours critique à l'endroit du AL et du gouvernement du AL, dans lequel il les enjoignait de mettre fin au terrorisme dtat. Trois jours plus tard, le revendicateur a reçu par la poste une lettre anonyme renfermant des menaces d'emprisonnement ou de mort. Le revendicateur s'est alors caché et durant la soirée du 28 juillet 1999, la police, accompagnée de trois membres de la section locale du AL, a fait une descente à sa maison afin de l'arrêter. La police a informé les membres de la famille du revendicateur qu'il était recherché pour activités antigouvernementales. La police a fait une nouvelle descente à sa maison une semaine plus tard. Le 4 août 1999, un vice-président du BNP de la région de Dacca fut assassiné par des terroristes du AL. Quand le revendicateur a appris cet assassinat dans les journaux le lendemain, il a craint pour sa sécurité personnelle et a décidé de quitter le Bangladesh.

LA DÉCISION DE LA CISR

[3]    Pour refuser de reconnaître à M. Al-Mahamud le statut de réfugiéau sens de la Convention, la CISR a conclu ce qui suit :

1.      M. Al-Mahamud a déclaré à l'agent d'immigration lors de son entrevue au point d'entrée qu'il avait suivi un cours de génie naval en 1997 et 1998 (à partir de mars 1997 et non de juin 1997) afin de pouvoir quitter le pays. Cette déclaration contredit quelque peu le témoignage qu'il a donnéà l'audience. Confronté à ces contradictions, M. Al-Mahamud a répondu qu'il n'avait pas fait ces déclarations à l'agent d'immigration au point d'entrée et a témoigné qu'il avait du mal à comprendre l'agent qui s'adressait à lui dans un mélange d'anglais et de français. La CISR a toutefois noté que le revendicateur avait reçu les services d'un interprète en bengali et qu'un avocat était présent durant l'interrogatoire au point d'entrée. La CISR a par conséquent conclu que les explications données par M. Al-Mahamud au sujet des divergences entre son témoignage et les affirmations qu'il avait faites à l'agent d'immigration étaient déraisonnables et non crédibles.

2.     M. Al-Mahamud a séjourné environ deux ans à Chittagong sans difficultés. Il est retourné à Dacca à la fin de son cours parce que ses études étaient terminées, que Dacca était son domicile et qu'il y avait plus de travail à Dacca et qu'il n'était pas intéressé à quitter le Bangladesh à l'époque. Le retour de M. Al-Mahamud à Dacca pour ces raisons était incompatible avec une crainte fondée de persécution.

3.     Le temps écoulé entre avril 1999 (lorsque M. Al-Mahamud a reçu son passeport) et septembre 1999 lorsqu'il a quitté le Bangladesh était incompatible avec une crainte fondée de persécution.

4.     Le traitement dont les activistes du JCD et du BCL ont fait l'objet de la part des activistes de la section étudiante de l'AL (la Bangladesh Chattro League) et de l'AL constituait du harcèlement politique et non de la persécution.

5.     La lettre de menaces que M. Al-Mahamud a reçue en juillet 1999 ne portait ni date ni signature et ne corroborait donc pas la revendication.


6.     M. Al-Mahamud a témoigné qu'il ne savait pas si des accusations avaient été portées contre lui ou si des mandats d'arrestation avaient été délivrés contre lui. Il a produit une lettre de son avocat suivant laquelle la police voulait arrêter M. Al-Mahamud pour avoir incité des personnes à renverser le gouvernement et pour avoir préparé une émeute. Il était également indiqué dans cette lettre que la police avait le pouvoir d'arrêter toute personne soupçonnée d'avoir participé à des activités antigouvernementales. La CISR a conclu que, si la police avait continué à s'intéresser à M. Al-Mahamud, des accusations auraient déjà été portées contre lui. Pour tirer cette conclusion, la CISR s'est fondée sur des éléments de preuve suivant lesquels :

[traduction]

ACTE D'ACCUSATION : Aux termes du paragraphe 167(5) du Code de procédure pénale, Loi de 1992, deuxième amendement, il n'existe aucune prescription de délai pour l'enquête. Toutefois, dans le cas des infractions punissables d'une peine d'emprisonnement de dix ans, le magistrat peut libérer l'accusé sous caution si l'acte d'accusation n'a pas été déposé dans un délai de 120 jours. Le juge des sessions peut permettre une libération sous caution dans le cas des infractions punissables d'une peine d'emprisonnement de plus de dix ans. Hormis l'obtention d'une caution, si l'acte d'accusation n'a pas été déposé dans un délai de 120 jours, l'accusé n'a aucun recours.

ANALYSE

i) Rejet de l'explication fournie par M. Al-Mahamud au sujet des apparentes contradictions entre les déclarations qu'il a faites au point d'entrée et celles qu'il a faites devant la CISR.

[4]    Comme elle avait conclu que M. Al-Mahamud avait bénéficiédes services d'un interprète et qu'un avocat était présent lors de l'entrevue menée au point d'entrée, la CISR a rejetél'explication de M. Al-Mahamud suivant laquelle il y avait des problèmes de communication entre l'agent d'immigration et lui et elle a jugéces explications non crédibles. L'avocat du ministre a toutefois franchement reconnu lors du débat qu'il n'y avait aucun élément de preuve qui permettait de penser qu'un avocat ou un interprète était présent lors de l'entrevue menée au point d'entrée. La preuve ne permettait donc pas à la CISR d'écarter l'explication donnée par M. Al-Mahamud au sujet des divergences en question. Il s'agit là d'une grave erreur parce que la CISR a accordéune grande importance à cette conclusion d'absence de crédibilité.

ii) Conclusion que le retour de M. Al-Mahamud à Dacca pour les raisons qu'il a invoquées était incompatible avec une crainte fondée de persécution.


[5]    Ainsi que je l'ai déjà signalé, la CISR a conclu que les raisons que M. Al-Mahamud avait citées pour expliquer son retour à Dacca étaient les suivantes : ses études étaient terminées, Dacca était son domicile, il y avait plus de travail à Dacca et il n'était pas intéresséà quitter le Bangladesh.

[6]    En fait, M. Al-Mahamud a déclarédans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'il était retournéà Dacca au bout de deux ans [TRADUCTION] « pensant que mes ennemis politiques m'avaient peut-être oublié » . Àl'audience, M. Al-Mahamud a témoignéà deux reprises qu'il avait dûpartir de Chittagong parce qu'il n'était plus autoriséà y séjourner et qu'après deux ans, il croyait que [TRADUCTION] « mes ennemis politiques m'avaient peut-être oublié » . Ce témoignage n'a pas étécontredit et il semble que la CISR n'a pas tenu compte de cette déclaration pour conclure que le revendicateur était retournéà Dacca pour d'autres raisons. Ce témoignage n'était pas incompatible avec une crainte subjective de persécution.

iii) Conclusion que le temps que le revendicateur a laissés'écouler entre avril 1999 et septembre 1999 avant de quitter le Bangladesh est incompatible avec une crainte subjective de persécution.

[7]    Suivant le témoignage non contestéet non contredit que M. Al-Mahamud a donnésous serment, ce n'est qu'en août 1999 qu'il a décidéde quitter le Bangladesh, parce que ce n'est qu'à ce moment-là qu'il a conclu qu'il n'était plus en sécuritéau Bangladesh, après avoir reçu la lettre de menaces susmentionnée et après le meurtre du vice-président du BNP commis le 4 août 1999 par des partisans de l'AL. Faute de motif déclaréjustifiant le rejet de ce témoignage, la CISR ne disposait d'aucun élément qui lui permettait de tirer des inférences négatives du temps que le revendicateur avait laissés'écouler entre avril et août 1999 avant de quitter le Bangladesh.


iv) Conclusion que le traitement dont les activistes du JCD et du BCL ont fait l'objet constituait du harcèlement politique et non de la persécution.

[8]    Il est parfois difficile de tracer la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination. La question de l'existence de la persécution est une question mixte de droit et de fait et lorsque la CISR a effectué « une analyse minutieuse de la preuve présentée et [a soupesé] comme il convient les divers éléments de la preuve » , l'intervention de la Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée par la CISR soit déraisonnable (voir le jugement Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993) 182 N.R. 398 (C.A.F.), au paragraphe 3). En l'espèce, la CISR a écrit ce qui suit :

Le tribunal a examiné la preuve documentaire dont il a été saisi eu égard au traitement des activistes du BNP par des activistes du AL et du gouvernement du AL au pouvoir. Voici un extrait du Bangladesh: Country Reports on Human Rights Practices for 1999 (Bangladesh : Rapport sur les pratiques en matière des droits de la personne par pays en 1999) du Département dtat des États-Unis :

[TRADUCTION]

La violence, qui entraîne souvent des décès, est une réalité répandue dans le monde politique du Bangladesh. Les partisans des différents partis politiques, et parfois les partisans des différentes factions d'un même parti, s'affrontent souvent entre eux et affrontent la police lors des grands rassemblements et des manifestations. Les partisans de la Ligue Awami, souvent avec la connivence et le soutien de la police, ont interrompu violemment des rassemblements et des manifestations des partis d'opposition, entraînant de nombreux décès. Les partis d'opposition ont aussi eu recours à la violence armée et à l'intimidation pour perturber les rassemblements de leurs adversaires et faire respecter des grèves générales. Au cours de l'année, 24 personnes sont mortes par suite de la violence reliée à des grèves (section 1a).

La preuve documentaire dont le tribunal est saisi fait aussi état de quelques articles de journaux qui signalent des affrontements entre les activistes du BNP d'une part, et les activistes du AL et le gouvernement d'autre part depuis mai 1999. Voici un extrait d'une autre preuve documentaire (janvier 1999) déposée devant le tribunal :

[TRADUCTION]

Malheureusement, la politique de la Ligue Awami s'apparente à un mélange de persuasion, de tentation et, comme plusieurs personnes l'allèguent, d'intimidation. La défection de deux députés du BNP et leur entrée dans le « gouvernement de consensus » il y a quelques mois constituent un exemple frappant des efforts du parti au pouvoir pour faire valoir la politique de la carotte.


Le tribunal note que le revendicateur fréquentait l'Académie de la marine de l'universitéde Chittagong en 1997 et que ce dernier a affirmé n'avoir alors éprouvé aucune difficulté aux mains des activistes du BCL ou du AL. Pour constituer de la persécution, les mauvais traitements subis ou anticipés doivent être graves et doivent normalement être répétitifs et persistants. À la lumière de la preuve documentaire qui précède, le tribunal conclut que le traitement des activistes du JCD et du BNP par les activistes du BCL et du AL sont des actes de harcèlement politique, et non de la persécution. Le tribunal conclut en outre que les actes de violence politique entre les activistes du BCL/AL et du JCD/BNP constituent des actes d'agitation sociale et politique et que les mesures prises par les autorités policières du Bangladesh représentent une tentative de faire respecter la loi et de maintenir l'ordre public. À la lumière de l'analyse qui précède, le tribunal conclut que la preuve objective dont il est saisi ne corrobore pas la crainte de persécution du revendicateur aux mains des activistes du BCL et du AL. Le tribunal accorde la préséance à la fiabilité et l'impartialité de cette preuve documentaire, par rapport au témoignage rendu et aux éléments de preuve déposés par le revendicateur. [Renvois omis.]

[9]    Cette conclusion est problématique parce que la CISR n'a pas motivésa conclusion que les actes de violence politique constituaient des « actes d'agitation sociale et politique » qui ne corroboraient pas la crainte de persécution de M. Al-Mahamud. Compte tenu des éléments de preuve suivant lesquels la violence était une réalitérépandue dans le monde politique du Bangladesh et que les activités des partisans de l'AL s'étaient souvent soldées par des décès, la CISR était tenue, pour reprendre les mots de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Sagharichi, précité, d'effectuer une analyse minutieuse de la preuve présentée en fonction des divers éléments juridiques constitutifs de la persécution pour justifier sa conclusion que ce que M. Al-Mahamud craignait, c'était l'agitation sociale et politique, et non la persécution. En ne procédant pas à cette analyse minutieuse, la CISR a commis une erreur qui justifie la révision de sa décision.

v) Conclusion que la lettre de menaces avait peu ou point de valeur.

[10] La CISR a accordépeu ou point de valeur à la lettre de menaces anonyme parce qu'elle ne portait ni date ni signature. Elle a ainsi fait fi du témoignage non contredit de M. Al-Mahamud suivant lequel le cachet de la poste apposésur l'enveloppe déposée en preuve faisait foi de la date de la lettre. Àmon humble avis, il était aussi déraisonnable de la part de la CISR de n'accorder aucune importance aux menaces de mort ou d'emprisonnement proférées dans une lettre anonyme pour la seule raison que cette lettre n'était pas signée. Des menaces anonymes n'en sont pas moins réelles et, à défaut de meilleures explications fondées sur la preuve, elles ne peuvent être écartées du simple fait qu'elles sont anonymes.


vi) Absence de mandat d'arrestation.

[11] Ainsi qu'il a déjà étésignalé, la CISR s'est fondée sur des éléments de preuve contenus dans une réponse à une demande d'information (RDI) pour conclure que, si la police avait continuéà s'intéresser à M. Al-Mahamud, des accusations auraient déjà étéportées contre lui. La CISR a déclarépréférer les éléments de preuve objectifs contenus dans la preuve documentaire au témoignage donnépar M. Al-Mahamud et son avocat à ce sujet.

[12] Cette conclusion soulève deux problèmes. En premier lieu, les renseignements cités par la CISR semblent viser le moment oùune personne peut être détenue avant la délivrance d'un acte d'accusation et non le délai dans lequel les accusations doivent être portées. Dans les renseignements sur lesquels la CISR s'est fondée, il était préciséque la tenue d'une enquête n'était assujettie à aucun délai. Qui plus est, il était précisédans certains passages non cités de la RDI que [TRADUCTION] « malheureusement, au Bangladesh, il y a souvent un écart entre la "loi" et la "pratique" » , ce qui rend douteux les conclusions fondées uniquement sur la lettre de la loi.

[13] Mais surtout, il convient de signaler que la preuve documentaire soumise à la CISR, et plus précisément un document préparépar la Direction des recherches intituléBangladesh : Political Developments December 1996 -April 1998, précisait ce qui suit :

[TRADUCTION]

3.4 Special Powers Act (SPA)


La Special Powers Act (Loi sur les pouvoirs spéciaux) de 1974 confère au gouvernement de vastes pouvoirs qui lui permet de détenir des citoyens jusqu'à 120 jours sans que des accusations formelles ou des plaintes précises ne soient portées (Country Reports 1997 1998, 1616,1617; AI 26 mars 1997; AFP 12 mars 1997). La loi a été adoptée après la déclaration d'indépendance, de toute évidence pour des raisons de sécurité nationale et a été utilisée par les gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays pour contourner le processus judiciaire et pour harceler et intimider les opposants politiques (Country Reports 1997 1998, 1614, 1617; AI 26 Mar. 1997). Alors qu'elle faisait partie de l'Opposition, la Première ministre Hasina avait réclamé à de nombreuses reprises l'abolition de cette loi (Bangladesh Observer, 14 mars 1997, 1; Country Reports 1997 1998, 1616, 1617), ce qui avait amené certains à croire qu'elle s'était engagée à abroger la loi une fois qu'elle serait au pouvoir (Dakha Courier, 13 mars 1998, 24), mais le 11 mars 1997, elle a annoncé que cette loi était essentielle pour gouverner l'État et qu'elle ne serait pas retirée (AFP, 12 mars 1997; Bangladesh Observer, 12 mars 1997, 1, 12; Dakha Courier, 14 mars 1997, 26). La Première ministre aurait déclaré devant la Parlement que les trois derniers gouvernements avaient eux aussi considéré que cette loi était nécessaire pour gouverner (AFP, 12 mars 1997; Bangladesh Observer, 12 mars 1997, 1).

Selon certains sources, environ 3 500 personnes ont été arrêtées en vertu de la SPA au cours des neuf premiers mois de 1997 (Dakha Courier, 20 février 1998a, 25; Country Reports 1997 1998, 1617), et environ 2 750 ont été remises en liberté (idem). Suivant les chiffres du gouvernement, environ 2 000 personnes ont été gardées en détention en vertu de la SPA en 1997 (DPA, 5 février 1998; Country Reports 1997 1998, 1617). Des groupes de défense des droits de la personne et des militants politiques affirment pour leur part que, depuis qu'il est au pouvoir, le gouvernement invoque la SPA [TRADUCTION] « surtout [...] pour harceler et intimider ses opposants politiques » (ibid.); des centaines, voir des milliers de partisans des partis d'opposition ont été incarcérés en vertu de la SPA et ont été relaxés lorsqu'on a constaté qu'aucune accusation ne pouvait être portée contre eux (ibid.; Dakha Courier, 13 février 1998a, 24).

[14] Il ressortait également de la preuve documentaire que la police invoquait à outrance et de façon abusive l'article 54 du Code de procédure pénale, que l'avocate de M. Al-Mahamud a citédans sa lettre, pour arrêter des individus sur des [TRADUCTION] « soupçons raisonnables » et que les policiers s'en servaient pour [TRADUCTION] « procéder à des arrestations à leur discrétion » .


[15] Les conclusions fondées sur les inférences tirées par la CISR ne peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire que si ces inférences sont déraisonnables au point de justifier l'intervention de la Cour. Or, en l'espèce, l'inférence de la CISR suivant laquelle, si la police avait continuéà s'intéresser à lui, M. Al-Mahamud aurait déjà fait l'objet d'accusations ou d'un mandat d'arrestation, a ététirée sans égard à la preuve documentaire qui démontrait que la Special Powers Act permettait de détenir quelqu'un sans que des accusations aient étéportées contre lui, que l'on se servait systématiquement de cette loi pour harceler et intimider les opposants politiques et que la police invoquait l'article 54 du Code de procédure pénale pour procéder à des arrestations à sa discrétion. La CISR a commis une erreur qui justifie l'intervention de la Cour en ne tenant pas compte des éléments de preuve abondants et importants qui étaient contenus dans les documents relatifs à la situation dans le pays en cause et qui allaient à l'encontre de la conclusion tirée par la CISR et confirmaient le témoignage de M. Al-Mahamud.

CONCLUSION

[16] Vu les erreurs signalées, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Les avocats n'ont soumis aucune question à certifier et le présent dossier n'en soulève aucune.

ORDONNANCE

[17] LA COUR ORDONNE que :

1.      la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.     la décision du 23 janvier 2002 de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié soit annulée et l'affaire, renvoyée à la Commission pour qu'elle soit jugée par une autre formation de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

                                                              « Eleanor R. Dawson »         

                                                                              Juge                          

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :              IMM-1671-02

INTITULÉ:              Abdullah Al-Mahamud c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE : Regina (Saskatchewan)

DATE DE L'AUDIENCE : Le jeudi 13 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :       LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :      Le 28 avril 2003

COMPARUTIONS:

Beverly Cleveland                           POUR LE DEMANDEUR

Glennys Bembridge                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Linka Cleveland Law Offices                 POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Regina (Saskatchewan)

Morris Rosenberg                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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