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Date : 20210623


Dossier : IMM-852-20

Référence : 2021 CF 649

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

JUNIOR WECHE

MARIE LUCIANA ST-LOUIS

JAMIE-LYNN WECHE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Junior Weche demande l’asile en association avec sa conjointe, Marie Saint-Louis, et leur fille, Jamie-Lynn. M. Weche et Mme Saint-Louis se sont rencontrés aux États-Unis, bien qu’ils sont citoyen et citoyenne de l’Haïti. Jamie-Lynn est citoyenne des États-Unis. La demande d’asile de la famille est fondée sur le récit de M. Weche et son allégation de crainte de persécution aux mains de bandits militants du Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK).

[2] La Section d’appel des réfugiés (SAR) a rejeté la demande d’asile au motif que le récit de M. Weche n’était pas crédible. Bien que les demandeurs ont fourni des explications dans leur mémoire d’appel pour contester la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (SPR) quant au manquement de crédibilité de M. Weche, la SAR a rejeté ces explications. Lors de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, les demandeurs contestent la raisonnabilité de la décision de la SAR de rejeter leurs explications. De plus, ils allèguent que la SAR a appliqué le mauvais critère d’évaluation de la persécution selon l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (LIPR) et a erré en refusant de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant (ISE), soit Jamie-Lynn.

[3] À mon avis la SAR n’a pas erré et n’a pas appliqué un critère plus sévère lorsqu’elle a évalué le risque prospectif auquel seront exposé les demandeurs advenant leur retour en Haïti. En outre, bien que les demandeurs auraient voulu que la SAR accepte leurs explications quant aux méfiances de leur crédibilité, je ne trouve pas les motifs de la SAR déraisonnable. Les explications des demandeurs ont été évaluées et jugées insuffisantes pour pallier les méfiances de la SAR émanant des incohérences dans le récit de M. Weche.

[4] En ce qui a trait à Jamie-Lynn, étant citoyenne des États-Unis, l’analyse de sa demande d’asile se limite aux risques auxquels elle sera exposée advenant son retour à ce pays. Bien que le principe de l’ISE est un principe de base du système d’immigration au Canada, les critères qui s’appliquent à la détermination du statut de réfugié ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR ne comprennent pas la considération de l’ISE. La SAR n’a pas erré en refusant de traiter les arguments soulevés par les demandeurs quant à l’intérêt supérieur qu’a Jamie-Lynn d’être accordé l’asile avec sa famille.

[5] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II. Questions en litige et la norme de contrôle

[6] Dans leurs prétentions écrites, les demandeurs ont soulevé une question de manquement d’équité procédurale à l’égard du fait que la SAR ne leur a pas donné l’occasion d’expliquer les anomalies identifiées à leur dossier. Cependant, les demandeurs ont retiré cette allégation lors de l’audition.

[7] Par conséquent, les questions en litige sont :

  1. La SAR a-t-elle erré en appliquant un critère plus sévère dans son appréciation du risque de persécution?

  2. La SAR a-t-elle erré en rejetant le récit et les explications de M. Weche au motif de manquement de crédibilité?

  3. La SAR a-t-elle erré en refusant de tenir compte de l’intérêt supérieur de Jamie-Lynn lorsqu’elle traitait la demande d’asile?

[8] Les parties conviennent que la norme de contrôle que la Cour doit appliquer aux questions en litige est celle de la décision raisonnable: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras 16–17, 23–25. Cette norme exige qu’une décision administrative doit être intrinsèquement cohérente, ainsi que justifiée, intelligible et transparente à la lumière du dossier dont dispose le décideur et des soumissions des parties : Vavilov aux paras 99, 105–107, 125–128. Cependant, une cour de révision ne devrait pas faire « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Vavilov au para 102. Des lacunes superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ne justifieraient pas l’intervention de la Cour : Vavilov au para 100.

III. Analyse

A. La SAR n’a pas appliqué un critère plus onéreux

(1) Les deux critères qui s’appliquent

[9] Lorsque la SAR traite une demande d’asile qui se fonde sur l’article 96 de la LIPR, elle applique deux normes dans l’évaluation de la demande. La première est la prépondérance des probabilités, où la SAR doit évaluer la preuve dont elle est saisie et faire les déterminations de faits nécessaires: Nageem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 867 au para 24; Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593 aux paras 120, 149–150; Alam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4 au para 8; Ramanathy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 511 au para 16. La deuxième est d’évaluer, dans le contexte factuel établi par la preuve, s’il y a une « probabilité raisonnable » ou une « possibilité sérieuse » que le demandeur d’asile subirait de la persécution advenant son retour à son pays de nationalité : Nageem au para 25; Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680 (CA) aux paras 7–8. Dans les mots aptes du juge de Montigny dans l’arrêt Pacificador c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1050 au para 74 :

[O]n doit distinguer entre ce qui s’est produit dans le passé et qui doit être établi selon la norme civile de la prépondérance des probabilités et ce qu’il adviendra dans le futur, qui doit être établie selon la norme des possibilités raisonnables.

[Je souligne.]

[10] Dans le cas en l’espèce, les demandeurs allèguent que la SAR a évalué le risque de persécution selon la norme de la prépondérance des probabilités, ce qui a eu pour effet l’application d’un critère plus onéreux.

(2) La demande d’asile et la décision de la SAR

[11] M. Weche allègue avoir eu trois incidents en février et mars 2014 avec des bandits du PHTK qui l’ont menacé et qui ont agressé ses parents lorsqu’il n’était pas chez lui. Il allègue que le matin du 1er février 2014, il aurait été apostrophé par les bandits dans la rue, qui l’ont menacé. Plus tard le même jour, les bandits sont entrés par effraction dans la maison de ses parents aux Cayes où il habitait et ont promis de retrouver M. Weche et de le tuer s’il continuait à critiquer le PHTK à pleine rue. Cependant, M. Weche dit qu’il ne craignait pas pour sa vie jusqu’à la troisième rencontre le 7 mars 2014.

[12] Le 7 mars, M. Weche s’est enfui après avoir reçu un appel l’avertissant que les bandits allaient revenir chez ses parents. À leur retour, les bandits ont poussé sa mère et ils ont menacé d’égorger son père. Trois jours après cet incident, M. Weche a porté plainte au Tribunal de paix, et huit jours plus tard un juge de paix a inspecté les lieux et a rédigé un rapport. Seize jours après l’incident, M. Weche et ses parents ont quitté les Cayes pour Jérémie.

[13] Afin d’éviter des dangers, le 10 mai 2014, M. Weche a voyagé au Mexique puis ensuite aux États-Unis où il est resté, a rencontré Mme Saint-Louis et où Jamie-Lynn est née. La famille est entrée au Canada en juillet 2017.

[14] La SPR, ainsi que la SAR, a décelé plusieurs incohérences et contradictions entre le récit et le témoignage de M. Weche et l’ont jugé non-crédible. La SAR a jugé correcte la détermination de la SPR que M. Weche n’a pas démontré qu’il est un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger. J’adresserais plusieurs de ces incohérences et contradictions lorsque je traiterais de l’allégation de M. Weche que les conclusions de crédibilité n’étaient pas raisonnables.

(3) La SAR n’a pas appliqué le mauvais critère

[15] Dans leur mémoire en appel à la SAR, les demandeurs ont identifié trois paragraphes dans la décision de la SPR où elle a déterminé que M. Weche n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait été visité par des bandits du PHTK. En appel, la SAR a évalué ces trois paragraphes et a conclu que la SPR n’a pas erré, et que ces paragraphes « s’agissai[en]t d’une évaluation de la preuve présentée. »

[16] Dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire, les demandeurs prétendent qu’il était impossible dans une telle demande d’asile de distinguer l’évaluation de la preuve des incidents de l’évaluation de la crainte de persécution. Ils argumentent alors que la SAR a appliqué le mauvais critère d’évaluation de la persécution. Je ne suis pas du même avis.

[17] La SAR a appliqué la norme de la prépondérance des probabilités à son analyse de la preuve. Elle a conclu que les demandeurs n’ont pas démontré, selon cette prépondérance, que M. Weche avait subi les menaces qu’il allègue avoir vécues le 1er février et le 7 mars, 2014. Selon la jurisprudence mentionnée ci-haut, c’est exactement cette norme qui s’applique à de telles déterminations. Puisque les demandeurs fondaient leur crainte prospective sur les actes allégués de persécutions vécues préalablement, la SAR n’avait plus rien pour fonder une crainte de possibilité de persécution dans le futur lorsqu’elle a conclu qu’elle ne croyait pas que M. Weche avait vécu des menaces dans le passé.

[18] Par conséquent, je trouve que la SAR n’a pas erré dans son appréciation des deux critères et n’a fait aucune erreur en appliquant la prépondérance des probabilités à l’évaluation du récit de M. Weche et aux évènements qu’il allègue avoir vécus en 2014.

B. La SAR a raisonnablement conclu que le récit de M. Weche manquait à la crédibilité

[19] Les demandeurs contestent plusieurs des conclusions d’incohérences ou de contradictions de la SAR et fournissent des explications plausibles pour ces incohérences ou contradictions. Ce que les demandeurs sollicitent que la Cour fasse est d’évaluer à nouveau la preuve dont le décideur disposait, mais ce n’est pas son rôle lors d’une demande de contrôle judiciaire si les conclusions du décideur sont raisonnables : Vavilov au para 125. Ce n’est pas à la Cour d’infirmer la décision pour la raison qu’il y avait une autre version plausible des faits. La décision de la SAR de ne pas accepter les explications était intrinsèquement cohérente et rationnelle et donc, justifiée, transparente et intelligible tenant compte des soumissions des demandeurs : Vavilov aux paras 85, 125–127.

[20] Les demandeurs ont soulevé six conclusions de manquement de crédibilité qu’ils prétendent minent à la raisonnabilité de la décision de la SAR. Je les adresserais à tour de rôle.

(1) Absence de menace de mort le 1er février 2014

[21] Les demandeurs allèguent qu’il était déraisonnable que la SAR ait constaté une incohérence entre le récit de M. Weche dans son formulaire de fondement de la demande d’asile (FDA) et son témoignage lors de l’audience devant la SPR quant aux menaces de mort proférer par les bandits du PHTK lors de l’incident dans la rue. M. Weche prétend que son témoignage lors de l’audience, était simplement un élargissement de son récit. Bien que dans son FDA il a raconté que les bandits du PHTK lui ont « proféré des menaces de mort » dans la rue, lors de l’audience il a dit que les bandits l’ont averti qu’il devait « arrêter de parler du pouvoir de Tet Kahlé, parce [que] nous sommes là pour 5 ans ». La SPR, ainsi que la SAR, a tiré une inférence négative du fait que, à leur avis, cette menace ne s’agissait pas d’une « menace de mort » et M. Weche n’a donc pas reçu de menace de mort à sa personne malgré ce qu’il a rédigé dans son FDA. La SPR ne croyait pas donc que, selon la prépondérance des probabilités, M. Weche avait rencontré des bandits du PHTK dans la rue le matin du 1er février.

[22] À mon avis, la SAR a tenu compte du point de vue des demandeurs que ce n’était qu’un élargissement du récit, et non une incohérence entre le récit et le témoignage. La SAR a constaté « que le récit ne comporte aucun des détails fournis par l’appelant à l’audience sur sa rencontre avec les bandits » et a en tiré une inférence négative. La jurisprudence est claire que la SAR peut tirer une telle inférence lorsqu’elle constate que les détails importants fournis lors de l’audience sont absents du récit dans le FDA : Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547 au para 18; Guerrero Jimenez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 175 au para 18. Une cour de révision doit faire preuve de déférence à l’égard de l’appréciation de la crédibilité des demandeurs et à la manière dont ils témoignent. Étant donné que la SAR a justifié son inférence négative en tenant compte des arguments des demandeurs et du contexte du dossier, je ne trouve rien de déraisonnable dans son analyse ni sa conclusion que le récit de M. Weche quant à cet évènement manquait de la crédibilité.

(2) M. Weche « s’est sauvé de justesse »

[23] Semblablement, les demandeurs prétendent que l’inférence négative qu’a tirée la SAR du fait que M. Weche a dit dans son récit qu’il « s’est sauvé de justesse » la soirée du 1er février était déraisonnable. La SAR a constaté qu’étant donné son témoignage lors de l’audience de la SPR qu’il n’était pas chez lui ce soir puisqu’il était chez une amie, il y avait une incohérence « concernant l’endroit où l’appelant se trouvait et ce qui serait arrivé le 1er février. » Bien qu’elle a considéré que les demandeurs insistaient « que les deux évènements [du 1er février] pouvaient être considérés comme un tout, » la SAR n’a pas pu accepter cette prétention.

[24] À mon avis, la SAR a justifié pourquoi elle n’acceptait pas l’explication des demandeurs. Elle avait la discrétion de tirer la même conclusion que la SPR quant à l’incohérence des deux récits et l’absence de crédibilité de M. Weche.

(3) Contradictions quant aux rôles des voisins

[25] La SAR a également constaté que la preuve devant elle, soit le récit du FDA, le témoignage de M. Weche et l’Extrait des minutes du Greffe du Tribunal des Cayes, consistait de récits différents quant à l’implication des voisins dans les évènements d’agression par les bandits du PHTK. Les demandeurs ne prétendent pas que ces récits sont cohérents. Cependant, ils allèguent qu’« il est déraisonnable et arbitraire de s’attendre à une mention exacte et sans nuance » vu que les évènements ont été relatés à M. Weche par ses parents, et qu’il n’était pas présent lors des attaques.

[26] La SAR n’a pas accepté cette explication. Elle a perçu, à l’écoute de l’enregistrement de l’audience de la SPR, des différences significatives entre les diverses versions des faits. À la lumière de ces différences, elle a trouvé le récit non crédible et a jugé que, selon la prépondérance des probabilités, M. Weche n’a pas démontré que l’attaque du 1er février a eu lieu.

[27] Des conclusions de manquement de crédibilité ne devraient pas reposer sur un « test de mémoire », plus que sur une analyse trop détaillée de questions sans pertinence ou périphériques : Shabab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 872 au para 39; Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 23. Or, les voisins ont joué un rôle central dans un des récits de l’attaque du 1er février, et sont arrivés qu’après le départ des bandits dans l’autre. En outre, l’attaque du 1er février est un des évènements centraux à l’allégation de persécution de M. Weche. Il n’est pas une question périphérique ou sans pertinence, il est au cœur des évènements sur lesquels se fonde la demande des demandeurs. Par conséquent, je ne trouve rien de déraisonnable dans la conclusion de non-crédibilité qu’a tirée la SAR quant à l’attaque du 1er février.

(4) Caractérisation comme « rebelle »

[28] Les demandeurs prétendent que la SPR, et la SAR, en rejetant leur demande d’asile, a attribué à M. Weche un stéréotype de rebelle qui minait le processus décisionnel. Le passage pertinent, qui a été rédigé en anglais, se lit comme suit :

After having been targeted twice in the same day, on the street and at his home, implicating his family as well, the Panel finds his failure to move elsewhere and appeal to the authorities runs counter to his defiant profile.

Après avoir été ciblé à deux reprises au cours de la même journée, c’est-à-dire dans la rue et à son domicile, impliquant également sa famille, le tribunal conclut que son défaut de déménager ailleurs et de demander l’aide des autorités va à l’encontre de son profil de rebelle.

[Je souligne; version originale de la décision en anglais et traduction française de la SPR.]

[29] La SAR a constaté que dans le contexte le mot anglais « defiant » aurait dû être traduit davantage par le mot « provocateur » plutôt que « rebelle ». Cependant, elle observait que son choix de mot avait une importance mineure puisque la SAR était également de l’avis que le comportement de M. Weche ne correspondait pas à sa crainte.

[30] Je suis de l’avis que la SAR a clairement rejeté l’imputation d’un stéréotype négatif de rebelle à l’égard de M. Weche. De plus, le contexte de la décision de la SPR démontre que l’utilisation du mot « rebelle » est tout simplement un mauvais choix de mot, et ne porte pas atteinte au caractère de M. Weche en général.

(5) Comportement incompatible avec sa crainte

[31] M. Weche dit que malgré l’attaque du 1er février, il ne développait pas de crainte subjective qu’après l’attaque du 7 mars. Cependant, la SAR constatait que le comportement de ce dernier n’était pas compatible avec une telle crainte, ni entre le 1er février et le 7 mars, ni entre le 7 mars et le 23 mars, lorsqu’il s’est enfui à Jérémie.

[32] Je suis d’accord avec M. Weche que la SAR a erré en tranchant la question de savoir si son comportement entre le 1er février et le 7 mars était cohérent avec son récit de l’attaque contre lui le 1er février. M. Weche ne prétendait pas que son comportement entre ces dates était compatible avec une crainte subjective. De plus, la SAR avait déjà noté qu’elle ne croyait pas que l’incident du 1er février avait eu lieu étant donné les incohérences dans les récits et le témoignage de cet incident. Puisqu’elle a tranché la question centrale de savoir si M. Weche avait une crainte subjective après le 7 mars, à mon avis, cette erreur est plutôt périphérique et n’est pas suffisamment capitale ou importante pour nécessité que la Cour interviennent et infirme la décision : Vavilov au para 100.

[33] La question centrale est celle de savoir si l’allégation de M. Weche qu’il avait une crainte subjective après le 7 mars était crédible. La SAR a déterminé que le comportement de M. Weche après cette date était incohérent avec sa crainte déclarée. En outre, la SAR a constaté que dans son récit du FDA, M. Weche a dit qu’il s’est enfui pour Jérémie après l’incident du 7 mars, bien qu’il a raconté durant son témoignage n’avoir pas quitté les Cayes que le 23 mars. La SAR peut tirer des inférences quant à la crédibilité d’un demandeur d’asile lorsqu’elle constate des contradictions pertinentes dans la preuve et les récits du demandeur : Noël c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 281 au para 20.

[34] La SAR a considéré l’explication de M. Weche qu’il a dû rester aux Cayes pendant quelques semaines pour ne pas abandonner ses parents, mais elle l’a expressément rejeté. La SAR a noté qu’il n’a pas porté plainte à la police que trois jours après l’incident, que le juge de paix n’est pas venu qu’après un délai de huit jours et que M. Weche et ses parents n’ont pas quitté pour Jérémie que 16 jours après l’incident.

[35] La SAR a fourni des motifs bien justifiés pour sa conclusion de ne pas accepter l’explication de M. Weche. Bien que les demandeurs prétendent dans la demande de contrôle judiciaire en l’espèce que la SAR démontrait une « indifférence aux valeurs distinctifs d’autres sociétés, » je ne peux pas accepter que son analyse révèle une telle indifférence. Il me semble que les préoccupations de la SAR ne sont pas de savoir pourquoi M. Weche n’a pas abandonné sa famille, mais de savoir pourquoi la famille ne s’est pas enfui des Cayes qu’après un délai de 16 jours suivant une deuxième attaque par les bandits du PHTK.

[36] La prétention actuelle des demandeurs semble être que la Cour devrait soupeser la preuve et déterminer que l’explication de M. Weche était suffisante et aurait dû pallier les méfiances de la SAR quant à sa crainte subjective entre les 7 et 23 mars. La Cour doit faire preuve de déférence envers les conclusions de faits de la SAR et doit s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : Rivera Benavides c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 810 au para 76; Hourra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1266 au para 14; Vavilov au para 125. Par conséquent, cet argument doit être rejeté.

[37] En même temps, je trouve problématique la façon dont la SAR a expliqué pourquoi la SPR n’a pas erré en ne tenant pas compte des démarches prises par M. Weche après le 23 mars lorsque la SPR considérait sa crainte subjective. La SPR ne fait aucune référence à ces démarches après le 23 mars. La SAR constate qu’il n’y a pas eu d’erreur étant donné la conclusion de la SPR quant au comportement incompatible à la crainte alléguée de M. Weche avant le 23 mars. À mon avis, l’omission de la SPR de mentionner les démarches prises après le 23 mars était une erreur puisqu’elle ignorait une preuve pertinente. Cependant, l’analyse de la SAR, malgré sa brièveté, pallie cette erreur. Bien que la SAR semble accepter que les démarches prises par M. Weche après le 23 mars étaient compatibles avec sa crainte, ces démarches ne peuvent pas pallier la conclusion de fait que son comportement avant cette date était incompatible avec sa crainte. Je clarifie cet aspect des motifs de la SAR pour préciser que ce n’est pas une lacune suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov au para 100.

(6) Absence de risque prospectif

[38] La SAR a tiré une inférence négative quant à la crédibilité de M. Weche car qu’il a omis de mentionner dans son FDA que sa sœur a été approchée par un inconnu à Jérémie qui cherchait M. Weche après que ce dernier avait quitté l’Haïti.

[39] Dans leur mémoire lors de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs argumentent que la SAR a erré en concentrant son analyse du risque prospectif de M. Weche à la vraisemblance de cet incident subi par sa sœur. Ils argumentent que la SAR aurait dû prendre en compte que la sœur, la mère et le frère de M. Weche se sont tous enfuis de l’Haïti. Par contre, bien que les demandeurs ont déposé des preuves que les membres de la famille Weche n’habitent plus en Haïti, aucun document dans le dossier ne porte sur les motifs de leur départ. À la lumière des conclusions préalables de la SAR que, selon la prépondérance des probabilités, M. Weche n’a pas subi de menaces des bandits du PHTK le 1er février et le 7 mars, il n’y avait aucune preuve que M. Weche, et sa famille, seraient exposés à un risque advenant leur retour en Haïti. Je ne trouve rien de déraisonnable dans la décision de la SAR par rapport à l’omission de la mention que le reste de la famille de M. Weche a aussi quitté l’Haïti.

[40] Étant donné mes conclusions que la SAR n’a pas fait d’erreur suffisamment capitale ou importante, soit prise en isolation ou dans le cumulatif, je trouve que la détermination de la SAR que M. Weche manquait de crédibilité était raisonnable et justifiée.

C. La SAR n’a pas erré dans sa détermination qu’elle n’a aucune juridiction de considérer l’ISE

[41] Les demandeurs argumentent que la SAR est obligée de considérer l’intérêt supérieur de Jamie-Lynn conformément à l’alinéa 3(3)f) de la LIPR, ce qui exige que l’interprétation de la LIPR doit se conformer « aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme » tel que la Convention des Nations-Unies relative aux droits de l’enfant. La SAR s’est tranchée sur cette question et a déterminé que ni la SAR ni la SPR n’a « le pouvoir de rendre des décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. » Leur rôle est plutôt restreint à déterminer s’il y a une possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté ou exposé à des traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture dans l’éventualité d’un retour dans son pays de nationalité. Je suis d’accord avec la SAR.

[42] Les articles 96 et 97 de la LIPR établissent des tests clairs et étroits pour le bien-fondé de la demande d’asile, et ces tests ne portent pas sur l’ISE : Aissa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1156 au para 79, citant Kim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 149 au para 76. La question, selon les articles 96 et 97, est de déterminer la probabilité de risque prospectif que subirait Jamie-Lynn advenant son retour au pays de sa nationalité, nommément les États-Unis. Les demandeurs ont déposé aucune preuve ou de témoignage que Jamie-Lynn serait à risque aux États-Unis. Je note que les demandeurs ont soulevé des arguments quant à la situation à laquelle ils font face en tant que demandeurs d’asile aux États-Unis, mais cette situation n’a aucune incidence sur le cas en l’espèce. Jamie-Lynn bénéfice de la citoyenneté américaine alors la question selon les articles 96 et 97 est si elle peut demander la protection de ce pays.

[43] De plus, l’ISE de Jamie-Lynn, ou de son frère né au Canada, n’a aucune incidence sur le bien-fondé de la demande d’asile de leurs parents. Chaque demandeur d’asile doit établir le bien-fondé de sa propre demande en vertu de, soit un des motifs prévus par la Convention relative au statut des réfugiés ou, comme étant personnellement à risque dans son pays de nationalité. L’effet d’une détermination de statut de réfugié sur l’intérêt d’un enfant ne porte pas sur cette question.

[44] Les demandeurs argumentent aussi que l’analyse de la SAR ignore qu’il soit dans l’intérêt supérieur de Jamie-Lynn de rester avec ses parents et son frère né au Canada. Respectueusement, c’est plutôt que les demandeurs ignorent que les articles 96 et 97 de la LIPR constituent qu’un de plusieurs éléments et types de statuts à la base du régime législatif de la LIPR. Le juge Evans dans Varga a clarifié que « [n]i la Charte ni la Convention relative aux droits de l’enfant n’exigent que l’intérêt des enfants touchés soit examiné dans le cadre de toutes les dispositions de la LIPR » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Varga, 2006 CAF 394 au para 13. Comme le mentionne le Ministre lors de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, ces questions peuvent être considérées lors d’autres demandes sous la LIPR, mais elles ne portent pas sur la détermination d’une demande d’asile : Asim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 415 aux paras 28–29; Aissa au para 79; Kim au para 76; Chavez Carillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1228 au para 18.

[45] À mon avis, la SAR n’a pas erré lorsqu’elle a déterminé qu’elle n’a pas la discrétion de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant en traitant la demande d’asile en cause.

IV. Conclusion

[46] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[47] Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et je constate que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑852-20

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-852-20

 

INTITULÉ :

JUNIOR WECHE ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

AUDIENCE TENUE LE 21 AVRIL 2021 PAR TÉLÉCONFÉRENCE À PARTIR D’OTTAWA (ONTARIO) (LA COUR) ET MONTRÉAL (QUÉBEC) (LES PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 juin 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Félix F. Ocana Correa

 

Pour LES DEMANDEURS

 

Me Margarita Tzavelakos

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Félix F. Ocana Correa

Montréal (Québec)

 

Pour lES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour lE DÉFENDEUR

 

 

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