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Date : 19990512


Dossier : IMM-3147-98


ENTRE :



BALJINDER SINGH DEOL,


demandeur,



et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.




MOTIFS D"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE CAMPBELL


Le contexte

[1]      Le demandeur conteste au moyen d"une demande de contrôle judiciaire la décision, datée du 26 mai 1998, dans laquelle la Section d"appel de l"immigration de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la SAI) a rejeté l"appel qu"il avait interjeté contre le refus d"approuver la demande visant à obtenir le droit de s"établir que son fils adoptif avait présentée.

[2]      Le demandeur, Baljinder Singh Deol, est un résident permanent du Canada âgé de 44 ans qui a obtenu le droit de s"établir au pays le 16 juin 1986; son épouse, Bhupinder Kaur Singh, est également une résidente permanente, ayant obtenu le droit de s"établir le 5 septembre 1993.

[3]      Ils se sont épousés en Inde le 12 juin 1992 et, l"année suivante, Mme Singh est tombée enceinte. Cependant, elle a fait une fausse couche en août 1993, peu après son arrivée au Canada. Au cours des quelques mois suivants, l"épouse du demandeur a essayé, en vain, de tomber enceinte de nouveau. En conséquence, vers le mois de décembre 1993, les époux ont discuté de la possibilité d"adopter un enfant, en partie parce que le demandeur ne voulait pas être trop vieux avant d"avoir un nouveau-né.

[4]      L"épouse du demandeur s"est rendue en Inde en mars 1994. Les époux avaient décidé de demander à la soeur du demandeur s"ils pouvaient adopter son fils aîné, Gurjot, qui était le deuxième de cinq enfants. La soeur du demandeur a accepté, et une cérémonie d"adoption a eu lieu le 7 mai 1994 conformément aux dispositions d"une loi indienne, la Hindu Adoption Act . Le demandeur n"a pu assister à la cérémonie, mais son épouse est demeurée en Inde avec le garçon jusqu"en août 1994; ils ont vécu chez le cousin de l"épouse du demandeur, Gurmit Singh, qui a obtenu, le 13 septembre 1995, une procuration en vertu de laquelle il pouvait agir en tant que tuteur de Gurjot. Le 14 novembre 1994, le demandeur a présenté une demande de parrainage et, en mai 1995, Gurjot a présenté une demande visant à obtenir le statut de résident permanent.

[5]      Le demandeur et son épouse se sont rendus plusieurs fois en Inde pour rendre visite à Gurjot; ils y sont allés ensemble en mars 1996 et en octobre 1996. Chaque visite du demandeur a duré un mois seulement, mais son épouse, quant à elle, est restée en Inde plus longtemps. Celle-ci a fait une autre visite, d"une durée de deux mois, en mai 1997, et le demandeur a visité l"Inde de décembre 1997 à février 1998.

[6]      Le demandeur et son épouse ont maintenu un contact avec Gurjot par l"entremise de lettres que l"épouse principalement lui faisait parvenir chaque mois. En outre, ils lui ont téléphoné deux fois en 1996, mais pas une seule fois en 1994, 1995, 1997 et 1998 (jusqu"à la date de l"audition).

[7]      Madame Nicole Brunet, deuxième secrétaire au Haut-commissariat du Canada à New Delhi, a eu une entrevue avec les parents biologiques de Gurjot le 24 avril 1996. Dans une lettre datée du 14 juin 1996, Mme Brunet a rejeté la demande de Gurjot en se fondant sur l"absence de toute intention de transférer Gurjot de ses parents biologiques à sa famille adoptive, ce qui l"a mené à la conclusion qu"une véritable relation parents-enfant n"avait pas été créée.

[8]      Le demandeur a interjeté appel contre cette décision et une audition a été tenue devant la SAI le 26 mars 1998.



La décision de la SAI

[9]      La SAI a dit que le témoignage du demandeur contenait de nombreuses " incohérences et contradictions importantes " comparativement à celui de son épouse, et elle a dit :

[TRADUCTION] La formation souligne que le témoignage de l"appelant et celui de son épouse n"étaient pas compatibles en ce qui concerne le rendement scolaire du demandeur. L"appelant a fait remarquer que le demandeur était en train de terminer ses examens de huitième année à une école intermédiaire anglaise et qu"il commencerait sa neuvième année en avril. L"école se trouve à trois kilomètres de la résidence de l"avocat. L"appelant a témoigné que le demandeur était un étudiant médiocre qui avait besoin des services d"un tuteur qui l"aidait à étudier en vue de ses examens en mettant l"accent sur les mathématiques et les sciences. Le témoignage de l"appelant n"était pas compatible avec celui de son épouse. En effet, celle-ci a dit que le demandeur était un étudiant de niveau " B " qui bénéficiait des services d"un tuteur qui l"aidait à étudier les mathématiques et l"anglais. Il ressort du manque de cohérence entre l"appelant et son épouse en ce qui concerne les études du demandeur que ces derniers n"ont pas le niveau d"intérêt qu"auraient des parents envers leur enfant. [Dossier du demandeur, à la p. 11.]

[10]      La SAI a également conclu que la conduite du demandeur à l"égard de son fils n"était pas compatible avec une relation parent-enfant; elle a fondé cette conclusion sur le manque de communication téléphonique entre eux. La SAI a reçu l"explication du demandeur selon laquelle il n"y avait pas de téléphone à la maison où Gurjot vivait et il était difficile d"organiser des appels téléphoniques, vu que le demandeur passait beaucoup de temps au travail. Cependant, la SAI a conclu que le demandeur n"avait pas expliqué de façon convaincante pourquoi son épouse, qui n"avait commencé à travailler qu"en octobre 1997, n"avait pas maintenu de contact téléphonique suivi avec Gurjot. La SAI a dit qu"elle ne pouvait accepter que [TRADUCTION] " un vrai père et une vraie mère ne feraient pas l"effort et ne se donneraient pas la peine de maintenir à tout le moins un contact suivi avec leur fils adoptif ". [Dossier du demandeur, à la p. 10.]


Le point de vue du demandeur

[11]      Le demandeur soutient que la conclusion de la SAI selon laquelle lui et son épouse n"ont pas maintenu de contact suivi avec Gurjot est déraisonnable, et que la SAI n"a pas tenu compte de son explication selon laquelle la nature de son travail l"empêchait souvent de téléphoner au garçon de façon régulière. Le demandeur dit que le maintien d"un contact téléphonique suivi avec son fils ne saurait être déterminant en ce qui concerne la question de savoir s"il a établi une véritable relation parent-enfant, et il fait valoir qu"en mettant l"accent sur ce point, la SAI avait omis de tenir compte des autres facteurs suivants qui ont contribué à établir une véritable relation parent-enfant :

     "      Gurjot vivait avec le cousin de l"épouse du demandeur et il avait coupé tous les liens avec son famille biologique;
     "      le demandeur et son épouse envoyaient de l"argent pour lui, ils subvenaient à tous ses besoins et le gâtaient même; ils ont augmenté son niveau de vie;
     "      ils ont communiqué par lettres, et Gurjot appelait le demandeur et son épouse " papa " et " maman ";
     "      l"épouse du demandeur a passé 18 mois au total avec Gurjot en Inde entre mars 1994 et juillet 1997; et
     "      le demandeur a fait deux séjours en Inde en 1996 et un autre séjour de décembre 1997 à février 1998, pour un total de six mois.

[12]      En ce qui concerne le fait que, de l"avis de la SAI, le témoignage de chacun des parents n"étaient pas compatibles pour ce qui est du rendement scolaire de Gurjot, le demandeur soutient que le fait qu"il considérait que ce dernier était un étudiant médiocre et que son épouse, quant à elle, considérait qu"il était un étudiant de niveau " B " était une simple divergence d"opinion. Le demandeur fait également valoir qu"étant donné que son épouse a passé presque la moitié de chaque année avec son fils, il s"ensuit qu"elle est plus au courant du rendement scolaire de ce dernier.

L"analyse

[13]      En vertu de la décision que M. le juge MacKay a rendue dans Canada (MCI) c. Erada (1996), 108 F.T.R. 60, le demandeur doit remplir deux fardeaux pour avoir gain de cause devant la SAI. Premièrement, il doit établir qu"il a été satisfait aux lois étrangères en matière d"adoption applicables et, deuxièmement, il doit établir qu"une véritable relation parent-enfant a été créée.

[14]      En l"espèce, le ministre défendeur n"a pas contesté le fait que le demandeur a rempli le premier fardeau. Il faut donc déterminer si le deuxième fardeau a été rempli en se demandant si une véritable relation parent-enfant a été établie. Sur ce point, la SAI a tiré la conclusion, d"une importance cruciale, selon laquelle le témoignage du demandeur et celui de son épouse n"étaient pas compatibles et se contredisaient; selon la SAI, il ressort de cette conclusion et du manque de contact téléphonique suivi qu"une véritable relation parent-enfant n"a pas été établie.

[15]      En ce qui concerne le fait que le demandeur considérait que Gurjot était un étudiant médiocre et que son épouse, quant à elle, considérait qu"il était un étudiant de niveau " B ", la conclusion de la SAI selon laquelle cette différence constituait une contradiction, conclusion à laquelle elle a accordé une grande importance, n"était pas fondée sur la preuve dont elle disposait. En fait, invitée à décrire le rendement scolaire de son fils, l"épouse du demandeur a dit : [TRADUCTION] " Il va bien, il se situe dans la moyenne; on pourrait dire qu"il est de niveau " B " [transcription de l"audition, à la p. 68]. Cette déclaration n"est pas tellement différente de l"avis de son époux selon lequel Gurjot est un étudiant médiocre.

[16]      En ce qui concerne le manque de cohérence pour ce qui est des matières pour lesquelles Gurjot a eu des leçons particulières, il ressort de la transcription de l"audition que le demandeur a témoigné que Gurjot recevait de l"aide [TRADUCTION] " principalement en mathématiques et en sciences " [transcription de l"audition, à la p. 56]. L"épouse du demandeur a témoigné que Gurjot recevait de l"aide de son professeur en mathématiques et en anglais, de même que pour toute matière qu"il ne comprenait pas sans son aide [transcription de l"audition, à la p. 74]. Encore une fois, la SAI paraît avoir considéré que ces réponses similaires étaient contradictoires et qu"elles étaient déterminantes.

[17]      Enfin, la conclusion de la SAI selon laquelle une véritable relation parent-enfant n"a pas été établie vu l"absence d"un contact téléphonique suivi est contraire à la preuve. Le demandeur a témoigné qu"il n"y avait pas de téléphone à la maison où vivait Gurjot et qu"il était difficile de fixer des moments auxquels ce dernier pouvait communiquer avec lui à l"aide d"un téléphone public, vu son horaire de travail. Le demandeur a expliqué pourquoi il n"avait pas téléphoné régulièrement à Gurjot et il a dit qu"il maintenait un contact avec ce dernier par l"entremise de lettres que son épouse lui écrivait. En rejetant l"explication du demandeur, la SAI paraît avoir accordé une très grande importance aux conversations téléphoniques, ce qui, vu la preuve concernant les circonstances des parties, constitue, à mon avis, une appréciation déraisonnable et inéquitable.

[18]      En conséquence, j"estime que, conformément à l"al. 18.1(4)d ) de la Loi sur la Cour fédérale, la SAI a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve dont elle disposait. En conséquence, la décision de la SAI est annulée et l"affaire est renvoyée à une formation différemment constituée pour qu"elle statue de nouveau sur celle-ci.




" Douglas R. Campbell "

JUGE


CALGARY (Alberta)

Le 12 mai 1999.




Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              IMM-3147-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      BALJINDER SINGH DEOL c.

                     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                          L "IMMIGRATION

LIEU DE L"AUDIENCE :          Calgary (Alberta)

DATE DE L"AUDIENCE :          le 11 mai 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE CAMPBELL

EN DATE DU :              12 mai 1999



ONT COMPARU :

Peter Wong                                      pour le demandeur

W. Brad Hardstaff                                  pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Major Caron                                      pour le demandeur

Calgary (Alberta)

George W. Thomson                              pour le défendeur

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE



Date : 19990512


Dossier : IMM-3147-98


ENTRE :



BALJINDER SINGH DEOL,


         demandeur,



et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.







MOTIFS D"ORDONNANCE ET ORDONNANCE




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