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Date : 20030917

Dossier : T-799-01

Référence : 2003 CF 1074

OTTAWA (ONTARIO), le 17 septembre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DOLORES M. HANSEN

ENTRE :

                                                     JANA KAROLINA PLATTIG

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d'une décision du représentant du ministre du Revenu national prise conformément au paragraphe 152(4.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), qui avait refusé la requête de la demanderesse pour que soit calculé de nouveau son impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1989 à 1997. Conformément au paragraphe 152(4.2) de la Loi, l'une des dispositions législatives concernant l'équité, le ministre peut, sur demande d'un contribuable, rouvrir une année d'imposition par ailleurs prescrite et calculer de nouveau l'impôt sur le revenu pour cette année.


Les faits

[2]                La demanderesse travaillait comme agent immobilier pour False Creek Realty Ltd., une entreprise dont elle était propriétaire. En décembre 1988, elle a vendu l'entreprise, dont elle demeurait cependant une employée. Au début de 1989, elle est passée à Remax Select Properties (Remax). À l'époque, la demanderesse avait un important portefeuille d'inscriptions commerciales et résidentielles. Comme le soutien administratif et la publicité qu'offrait Remax ne lui permettaient pas d'exécuter adéquatement ses opérations de courtage, la demanderesse a engagé d'importantes dépenses additionnelles. Au cours de cette même période prenait fin la relation de fait de la demanderesse.


[3]                En 1989, la demanderesse engageait contre son conjoint de fait une action en vue d'obtenir notamment une pension alimentaire. La procédure était introduite en vertu de l'article 57 de la Family Relations Act, R.S.B.C. (1979), ch. C-121. La Cour suprême de la Colombie-Britannique rejeta l'action en 1992. La demanderesse en a appelé à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. À l'automne de 1995, la Cour d'appel infirmait le jugement antérieur et accordait à la demanderesse une pension alimentaire mensuelle de 4 500 $ commençant le 1er septembre 1992, pour toute la vie de la demanderesse. La Cour ordonna que la pension alimentaire survivrait au décès de l'ex-conjoint de fait de la demanderesse et lierait la succession de celui-ci. La Cour ordonna aussi que les versements de la pension soient garantis selon une forme acceptable pour le directeur des obligations alimentaires. Après de longues négociations, et présentation de nouvelles conclusions à la Cour, la garantie requise fut instituée en 1997.

[4]                À la fin de 1989, la demanderesse commença de connaître de graves difficultés affectives et psychologiques, causées par la rupture de sa relation, par la relocalisation forcée de son agence immobilière et par ses tentatives de préservation de son commerce de biens immobiliers. Finalement, la demanderesse dut recourir à des soins psychiatriques et fut temporairement hospitalisée en 1993. Elle fut donc incapable de travailler pendant une période assez longue.

[5]                La demanderesse avait déduit, pour les années d'imposition 1989 et 1990, des frais professionnels de 44 999 $ et de 3 641 $ respectivement, frais qui lui avaient été accordés, mais, en 1996, passant en revue ses dossiers personnels et commerciaux, elle découvrit des frais professionnels non déduits de 39 113 $ pour 1989 et de 7 235 $ pour 1990. La demanderesse a prié l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) de lui délivrer de nouvelles cotisations au titre des années 1989 et 1990, afin de tenir compte des modifications qu'elle proposait pour ces années d'imposition. La demanderesse voulait modifier ses déclarations de revenus afin d'en déduire les frais professionnels qui ne l'avaient pas été. La demanderesse voulait aussi que des modifications soient apportées à ses déclarations de revenus des années 1989 à 1995, pour que soient déduits les frais juridiques additionnels qu'elle avait supportés dans le procès engagé contre son conjoint de fait.


L'examen de premier niveau

[6]                La directrice adjointe de la Section de la vérification, de l'exécution et de la conformité a effectué l'examen de premier niveau de la requête de la demanderesse. Dans une lettre datée du 16 février 1998, elle a communiqué à la demanderesse la décision du ministre de refuser sa requête. Les parties pertinentes de la lettre sont les suivantes :

[traduction] Aucun rajustement ne sera apporté à la suite de votre demande concernant les pertes professionnelles se rapportant aux années 1989 et 1990, car tous les documents que vous avez produits indiquent que les frais ont été payés par Saskia Enterprises Ltd. Par conséquent, nous sommes arrivés à la conclusion que ces dépenses étaient les dépenses de la société et qu'elles ne peuvent être déduites sur votre déclaration personnelle de revenus.

Les frais juridiques réclamés en 1993 ne peuvent être déduits que s'ils ont été engagés pour donner effet à une ordonnance judiciaire existante. Puisque les frais que vous avez engagés visaient à établir votre droit à une pension alimentaire durant votre action initiale en 1992, ils ne sont pas déductibles.

[7]                Le 11 janvier 1999, la demanderesse sollicitait un examen de deuxième niveau. Outre la requête antérieure pour que des ajustements soient apportés à ses déclarations, la demanderesse voulait également que soient déduites les sommes de 13 561 $ et de 1 200 $ pour les frais juridiques engagés par elle en 1996 et 1997 respectivement.

L'examen de deuxième niveau


[8]                En marge de l'examen de deuxième niveau, Joel Laliberte, de l'ADRC, a rédigé un rapport de recommandation relative à l'équité, qui recommandait que les demandes d'ajustement présentées par la demanderesse soient refusées. Dans le rapport, M. Laliberte expose les faits à l'origine des frais professionnels. Il dit que « la contribuable affirme que les frais professionnels de 1989 ont été refusés et elle revendique des frais de 39 113 $ » . Il dit aussi que « la contribuable affirme qu'elle n'a pas déduit de frais professionnels en 1990 et revendique maintenant des frais de 7 235 $ » .

[9]                Il relève cependant que la demanderesse a déduit des frais professionnels pour les deux années et que les sommes déduites pour chacune des années ont été acceptées. S'agissant de son examen du dossier, il fait observer que les documents produits par la demanderesse au soutien de sa réclamation consistent principalement en chèques oblitérés et en relevés de cartes de crédit et que les chèques oblitérés avaient été tirés sur un compte portant le nom de Saskia Enterprises Ltd. (Saskia). Il fait aussi observer qu'une recherche menée dans les dossiers de l'ADRC n'a produit aucun renseignement sur Saskia. Finalement, il dit que l'examen de premier niveau s'est soldé par un refus de la requête parce que les frais n'avaient pas été payés par la demanderesse personnellement et qu'il n'existait pas de justificatifs.

[10]            Selon le rapport, il a tenu compte des facteurs suivants pour les frais professionnels :

-            la demanderesse avait déduit des frais pour les deux années

-            les frais de 1989 précédemment acceptés dépassent la somme demandée

-            les frais de 1990 qui sont revendiqués sont supérieurs à la somme précédemment acceptée


-            un examen du dossier de 1990 montrait que les frais acceptables et accompagnés de pièces justificatives n'étaient que de 1 240 $, ce qui était inférieur aux frais de 3 641 $ précédemment admis

-            un examen de l'état des frais de la contribuable pour 1990 montrait que les reçus produits étaient probablement déjà inclus dans la réclamation initiale, mais une demande de production de tous les reçus pour 1990 n'avait pas été faite étant donné que les frais en question avaient été précédemment examinés et refusés

-            la plupart des documents consistaient en chèques oblitérés tirés sur un compte au nom de Saskia Enterprises Ltd.

[11]            M. Laliberte recommandait que les ajustements demandés pour les frais professionnels soient refusés « parce que les frais figurant sur les déclarations des années 1989 et 1990 dépassent les sommes demandées » .


[12]            S'agissant des frais juridiques, M. Laliberte recommandait aussi que leur déduction soit refusée. Il a conclu que la totalité des frais juridiques engagés jusqu'à août 1995 avaient « pour objet de permettre à la contribuable d'obtenir le droit à une pension alimentaire et ils ne sont donc pas déductibles » . S'agissant des frais juridiques engagés après août 1995, il a estimé qu'ils avaient été engagés dans le dessein d'obtenir une garantie pour les paiements postérieurs au décès de l'ex-conjoint de fait de la demanderesse. Puisque la garantie de l'obligation de paiement faisait partie de la décision établissant le droit à pension alimentaire et ne visait pas à l'exécution d'un droit préexistant, il a recommandé que la déduction des frais juridiques en question soit elle aussi refusée.

[13]            Le rapport de M. Laliberte, accompagné d'un projet de lettre à la demanderesse, lettre qui renfermait ses recommandations, fut transmis au représentant du ministre, M. Sixsmith, pour examen. Par lettre datée du 4 avril 2001, M. Sixsmith informa la demanderesse que toutes ses demandes avaient été refusées. Dans cette lettre, il dit que la demande relative aux frais professionnels est refusée parce qu' « un examen des déclarations des années 1989 et 1990 montre que des frais professionnels plus élevés que ceux de votre demande ont déjà été acceptés à titre de déductions dans votre déclaration » . S'agissant des frais juridiques, M. Sixsmith dit que, pour que des frais juridiques soient déductibles, ils doivent être engagés dans le dessein d'assurer l'exécution d'un droit préexistant. Puisqu'ils ont été engagés pour déterminer un droit et pour établir une garantie connexe, ils n'étaient pas déductibles.

[14]            Dans son affidavit produit durant cette procédure, M. Sixsmith affirme qu'il a fondé sa décision sur un examen du dossier de l'ADRC, sur la correspondance échangée entre la demanderesse et l'ADRC, sur le rapport de l'examen de deuxième niveau, sur les lignes directrices ministérielles et sur les bulletins d'interprétation. Il dit aussi que, pour arriver à sa décision, il a tenu compte des facteurs suivants :

-            la demanderesse n'a pu étayer les frais professionnels totaux réclamés pour 1989 et 1990;


-            une bonne partie des frais professionnels et des frais juridiques ont été payés par Saskia, la société de la demanderesse, et la demanderesse ne pouvait pas les déduire;

-            puisque les frais juridiques ont été payés pour établir un droit à pension alimentaire ou pour déterminer une garantie connexe, et non pour assurer l'exécution d'un droit préexistant, ils n'étaient pas déductibles; et

-            la demanderesse n'a pas expliqué suffisamment la raison pour laquelle elle n'a pas déduit les frais en question lorsque ses déclarations de revenus ont à l'origine été produites.

Point en litige

[15]            Le ministre a-t-il validement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il a décidé de ne pas rouvrir des années d'imposition prescrites afin d'apporter aux calculs faits pour ces années les ajustements que souhaitait la demanderesse?


Conclusions des parties

[16]            Le défendeur dit que, lorsqu'il exerce son pouvoir discrétionnaire selon le paragraphe 152(4.2) de la Loi, le ministre doit être convaincu non seulement que la situation du contribuable justifie la réouverture d'une année d'imposition qui est prescrite, mais également que le contribuable aurait eu droit à un ajustement si l'année d'imposition en question n'avait pas été prescrite. Le ministre ne peut pas exercer son pouvoir discrétionnaire si la demande du contribuable n'est pas par ailleurs valide en fait et en droit.

[17]            Selon le défendeur, le représentant du ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière équitable et raisonnable. Pour arriver à sa décision, le représentant du ministre s'est fondé sur des facteurs pertinents, notamment la nature de la requête de la demanderesse, l'information produite et les conclusions présentées par la demanderesse, les lignes directrices de l'ADRC, les pièces du dossier de l'ADRC, enfin l'absence de renseignements ou de documents permettant de vérifier les dires de la demanderesse. Selon le défendeur, il n'existait aucun fondement, en fait ou en droit, qui eût permis à la demanderesse de déduire les frais professionnels non réclamés pour les années d'imposition 1989 et 1990, et les frais juridiques réclamés pour les années d'imposition 1989-1997.


[18]            Finalement, le défendeur soutient que les dispositions relatives à l'équité ne sont pas censées supplanter les mécanismes d'appel offerts par la loi aux contribuables. En l'espèce, la demanderesse ne s'est pas prévalue des mécanismes officiels permettant d'effectuer les calculs relatifs aux années d'imposition en question.

[19]            Selon la demanderesse, les frais professionnels dont il est question dans la présente instance ne figuraient pas dans les déductions qu'elle avait revendiquées lorsqu'elle avait produit ses déclarations de revenus. Elle dit qu'elle a remis à l'ADRC des documents détaillés concernant ses frais professionnels, notamment des factures et des reçus. La demanderesse reconnaît que, par erreur, elle a payé les frais professionnels au moyen de chèques tirés sur le compte de Saskia, mais elle soutient que tous les frais ont été engagés pour produire le revenu imposable indiqué dans ses déclarations personnelles de revenus.

[20]            S'agissant des frais juridiques, la demanderesse soutient que le représentant du ministre n'a pas tenu compte, dans sa décision, des motifs de la Cour d'appel. Elle dit que, en infirmant le jugement du tribunal inférieur, la Cour d'appel a clairement dit qu'elle avait droit à une pension alimentaire et que le seul point à décider se rapportait au quantum de la pension.

[21]            La demanderesse a aussi évoqué d'autres points dans son dossier de demande. À l'audition de la demande de contrôle judiciaire, j'ai expliqué à la demanderesse que ces points additionnels dépassaient la portée du présent contrôle judiciaire. Par conséquent, ils ne seront pas considérés dans les présents motifs.


Norme de contrôle

[22]            Dans l'arrêt Barron c. Ministre du Revenu national, [1997] 2 C.T.C. 198, à la page 200, le juge Pratte expliquait comme il suit la norme de contrôle à appliquer pour une décision prise conformément au paragraphe 152(4.2) de la Loi :

Avant d'exposer les motifs pour lesquels nous estimons que ces conclusions sont erronées, il est peut-être utile de rappeler que le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu confère un pouvoir discrétionnaire au ministre et que, à l'occasion d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise en vertu d'un tel pouvoir, le rôle de la cour de révision ne consiste pas à exercer ce pouvoir à la place de son titulaire. La cour pourra intervenir et annuler la décision visée seulement si celle-ci a été prise de mauvaise foi, si l'instance décisionnelle a manifestement omis de tenir compte de faits pertinents ou tenu compte de faits non pertinents, ou si la décision est erronée en droit.

Analyse - Frais juridiques

[23]            À mon avis, le représentant du ministre a commis une erreur de droit lorsqu'il a dit que les frais juridiques n'étaient pas déductibles « puisqu'ils n'ont pas été engagés pour mettre à exécution un droit préexistant, mais ont été payés pour établir un droit à pension ou pour déterminer la garantie connexe indiquée dans les décisions judiciaires, et par conséquent il s'agissait de frais personnels » .


[24]            Le Bulletin d'interprétation IT 99-R5 explique que, en règle générale, les frais juridiques sont des déductions admissibles « dans la mesure où ils sont engagés dans le dessein de gagner ou de produire un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien et ne sont pas des dépenses de nature capitale » . Aux paragraphes 17 et 18 du bulletin IT 99-R5, d'autres indications sont données sur la possibilité de déduire des frais juridiques engagés dans le dessein d'obtenir une pension alimentaire. Voici le texte des paragraphes 17 et 18 du bulletin :

Les frais juridiques engagés en vue d'établir le droit à une pension alimentaire, comme les frais engagés en vue d'obtenir un divorce, une ordonnance de soutien en vertu de la Loi sur le divorce ou un accord de séparation, ne sont pas déductibles, puisqu'il s'agit de frais relatifs au capital ou de frais personnels ou de subsistance. De même, les frais juridiques engagés en vue de faire augmenter ces paiements ne sont pas non plus déductibles.

Les frais juridiques engagés pour mettre à exécution un droit déjà existant à une pension alimentaire provisoire ou permanente sont déductibles. Un droit déjà existant à une pension alimentaire peut résulter d'un accord écrit, d'une ordonnance d'un tribunal ou de dispositions législatives comme la partie III de la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario, et la mise à exécution d'un droit de ce type n'établit pas un nouveau droit (voir la décision rendue dans l'affaire La Reine c. Burgess, [1981] CTC 258, 81 DTC 5192 (C.F. 1re inst.). ...

[25]            Le représentant du ministre n'a fourni aucune analyse de sa décision, mais il est évident qu'il s'est fondé sur le paragraphe 17 du Bulletin d'interprétation. Cependant, eu égard aux motifs du juge de première instance et de la Cour d'appel, il est manifeste que la demanderesse réclamait, et a finalement obtenu, une pension alimentaire en application de l'article 57 du Family Relations Act (aujourd'hui l'article 89 de cette même Loi).

[26]            Voici le texte de l'article 57 :

[traduction] (1) Un conjoint est tenu d'assurer la subsistance de l'autre conjoint, eu égard à ce qui suit :

a)              le rôle de chaque conjoint au sein de leur famille;

b)              une entente expresse ou tacite entre les conjoints, selon laquelle l'un d'eux est tenu de subvenir aux besoins de l'autre;

c)              les obligations de garde d'un enfant;


d)              la capacité de l'un ou l'autre des conjoints, ou des deux, de subvenir à leurs propres besoins, ainsi que les efforts raisonnables qu'ils font en ce sens;

e)              la situation économique du couple.

[27]            Cette disposition établit le droit à une pension alimentaire, comme le fait la disposition similaire que l'on trouve dans la partie III de la loi de l'Ontario mentionnée dans les lignes directrices. Par conséquent, les frais juridiques engagés par la demanderesse n'ont pas été engagés pour établir son droit à une pension alimentaire, ils l'ont été pour mettre à exécution le droit à la pension. Après que fut prononcée l'ordonnance alimentaire, la demanderesse a entrepris de longues négociations et a introduit un autre recours devant la Cour d'appel pour obtenir la garantie exigée par l'ordonnance initiale. L'inquiétude de la demanderesse s'expliquait en partie par le fait que son ex-conjoint organisait ses affaires financières d'une manière qui aurait empêché l'exécution de l'ordonnance alimentaire après son décès. À mon avis, ces frais juridiques ont été engagés pour mettre à exécution un aspect essentiel de l'ordonnance alimentaire et pour garantir l'exécution de l'ordonnance au décès de l'ex-conjoint. Pour ces motifs, je suis d'avis que la décision relative aux frais juridiques était fondée sur une erreur de droit.

Frais professionnels


[28]            À l'audience, le défendeur a reconnu que M. Laliberte avait commis une erreur sur deux faits : 1) la demanderesse prétendait que les frais professionnels engagés en 1989 avaient été refusés et réclamait maintenant des frais professionnels de 39 113 $; 2) la demanderesse prétendait qu'elle n'avait pas déduit de frais professionnels en 1990 et réclamait maintenant des frais professionnels de 7 235 $.

[29]            Le défendeur a aussi reconnu que M. Sixsmith avait commis une erreur en affirmant que la demanderesse n'avait pas expliqué pourquoi elle n'avait pas déduit les frais au moment de la production initiale des déclarations de revenus. Le défendeur a admis que la situation personnelle de la demanderesse entrait dans les genres de circonstances envisagées par les dispositions relatives à l'équité.

[30]            Selon le défendeur, cependant, ces erreurs ne justifient pas l'intervention de la Cour. Le défendeur soutient que le représentant du ministre a fondé sa décision sur deux facteurs essentiels. D'abord, la demanderesse n'a pu étayer la totalité des frais professionnels réclamés pour 1989 et 1990. Deuxièmement, comme une bonne partie des frais professionnels avaient été payées par Saskia, ils ne pouvaient pas être validement déduits par la demanderesse. Pour ces raisons, le représentant du ministre n'était pas persuadé que les déductions de la demanderesse étaient valides en fait et en droit.


[31]            S'agissant du premier facteur, le défendeur affirme que, puisque la demanderesse n'a présenté à l'ADRC que les pièces justificatives applicables aux frais professionnels non déduits et que les frais de la demanderesse avaient été à l'origine admis sans vérification, il n'y avait pas moyen de dire si les déductions demandées avaient été incluses dans les déductions originales.

[32]            À mon avis, la preuve ne confirme pas les dires du défendeur. En mai 1997, l'ADRC écrivait à la demanderesse pour la prier de produire des copies de ses déclarations originales de revenus de 1989 et 1990, avec les états des revenus et frais professionnels et les bordereaux de renseignements T4 A. L'ADRC demandait aussi « des reçus originaux et/ou pièces justificatives originales au soutien de TOUS les frais professionnels déduits en 1989 et 1990 » . Dans son affidavit, la demanderesse affirme qu'elle a en personne remis à l'ADRC en août 1997 les reçus de tous ses frais professionnels.

[33]            En août 2000, M. Laliberte priait la demanderesse de lui remettre « les documents détaillant vos revenus de courtage immobilier, les pièces étayant les sommes déposées dans votre compte d'entreprise, ainsi que les relevés bancaires correspondants » . Il relève que des copies du formulaire T2200 Déclaration des conditions de travail, et du formulaire T777 État des dépenses d'emploi, avec tous les documents et reçus justificatifs, sont requis pour traiter la réclamation. La demanderesse dit dans son affidavit qu'elle a remis à l'ADRC à la fin d'août 2000 tous les documents demandés.


[34]            J'observe aussi que rien ne prouve que les seuls documents remis pour examen étaient les documents au soutien des sommes non déduites. Il semblerait aussi, au vu du rapport de recommandation relative à l'équité, qu'au moins en ce qui concerne les frais de 1990, des documents attestant les frais totaux de 1990 étaient à disposition pour examen.

[35]            Le défendeur dit aussi que, puisque les documents produits par la demanderesse consistaient surtout en chèques payés et en relevés de cartes de crédit, le représentant du ministre ne pouvait être certain que les frais réclamés étaient des frais professionnels légitimes.

[36]            Je reconnais que, si la décision était fondée sur cette affirmation, alors l'erreur touchant le fondement de la requête de la demanderesse pour les frais de 1989 ne serait pas une erreur importante. Cependant, d'après le rapport de recommandation relative à l'équité, la conclusion selon laquelle les frais de 39 113 $ réclamés par la demanderesse étaient compris dans les déductions auparavant admises de 44 999 $ n'était pas fondée sur l'insuffisance des documents. Elle était plutôt fondée sur l'idée erronée que la demanderesse cherchait à faire déduire des frais qui avaient auparavant été refusés. Cette croyance erronée, combinée au fait que la demanderesse avait déduit, sans qu'elle soit refusée, une somme plus élevée que celle pour laquelle elle demandait un ajustement, a conduit à la conclusion selon laquelle la demanderesse réclamait des frais qui avaient déjà été acceptés.


[37]            Cette erreur a eu une autre conséquence. Le rapport de recommandation relative à l'équité parle de l'examen de certains des frais de 1990, et une vérification des frais de 1990 figure dans la liste des pièces annexées au rapport, mais le rapport ne dit rien, ni ne fait état d'aucune vérification des frais de 1989, qui donnerait à penser que les documents produits par la demanderesse pour les frais de 1989 ont été examinés durant l'examen de deuxième niveau.

[38]            Je ne puis qu'en déduire que, étant arrivé à la conclusion que les frais réclamés par la demanderesse avaient déjà été admis, M. Laliberte n'a pas vu la nécessité d'examiner les pièces produites par la demanderesse.

[39]            À mon avis, l'erreur de fait touchant le fondement de la réclamation de la demanderesse a été cruciale dans la décision touchant les frais de 1989. Cette erreur de fait, outre que le décideur a ignoré les pièces produites par la demanderesse, rend manifestement déraisonnable la décision relative aux frais de 1989.

[40]            S'agissant des frais de 1990, j'accepte l'argument du défendeur selon lequel la méconnaissance des faits à l'origine de la requête n'a pas été déterminante pour la décision. L'exposé que fait M. Laliberte des facteurs dont il a tenu compte pour faire sa recommandation est un peu difficile à comprendre, mais j'interprète les facteurs en question de la manière suivante. Puisque des pièces justificatives acceptables ont été produites au regard de frais totalisant 1 240 $ et qu'une somme plus élevée que celle-ci a été admise lorsque la demanderesse a produit sa déclaration de revenus, la demanderesse n'avait pas prouvé qu'elle avait droit à d'autres déductions.

[41]            S'agissant du second facteur, le défendeur a d'abord exprimé l'avis que, même si des pièces justificatives acceptables avaient été produites par la demanderesse et même si le représentant du ministre avait été d'avis que les frais n'avaient pas été inclus dans la réclamation initiale, les frais auraient quand même été refusés parce qu'ils avaient été payés par Saskia. Cependant, la question de savoir si un particulier peut personnellement déduire des frais d'exploitation engagés aux fins de gagner un revenu lorsque les frais en question ont été payés au nom du particulier par une entité juridique distincte n'a pas été expressément abordée par le défendeur dans ses conclusions écrites. Dans sa plaidoirie, l'avocat du défendeur a exprimé l'avis que, eu égard aux circonstances ci-dessus évoquées, les frais pourraient être déductibles par le particulier, mais que, en l'absence de dossiers de l'entreprise détaillant la nature de l'opération financière conclue entre le particulier et l'entreprise, cette question ne pouvait être résolue. Vu l'absence de renseignements dans le dossier de la Cour, si ce n'est l'affirmation de la demanderesse, dans son affidavit, selon laquelle la totalité des frais ont été engagés pour produire le revenu qu'elle a déclaré personnellement, et eu égard à la position adoptée par le défendeur, la Cour n'est pas en état d'évaluer la conclusion initiale du défendeur sur ce point.


[42]            Finalement, le défendeur soutient aussi que le paragraphe 152(4.2) de la Loi a été promulgué pour donner au ministre une certaine faculté d'agir et un certain pouvoir discrétionnaire lorsqu'il traite avec des contribuables qui sont dans l'impossibilité de respecter les échéances réglementaires. Cependant, cette disposition n'était pas censée suppléer les mécanismes officiels d'appel offerts aux contribuables. De l'avis du défendeur, la demanderesse aurait dû en appeler à la Cour canadienne de l'impôt si elle voulait s'opposer à une cotisation portant sur l'une quelconque des années en cause. À mon avis, eu égard aux circonstances de la présente affaire, cet argument est hors de propos. La demanderesse ne s'opposait à aucune des cotisations. Elle voulait déduire des frais qu'elle avait oubliés à cause d'ennuis de santé. Selon la Loi, la seule option offerte à la demanderesse était de demander la réouverture des années prescrites.

Conclusion

[43]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'affaire est renvoyée pour être réexaminée par une personne que la Loi autorise à accomplir les fonctions conférées au ministre par le paragraphe 152(4.2) de la Loi.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée pour être réexaminée par une personne autorisée par la Loi à accomplir les fonctions conférées au ministre par le paragraphe 152(4.2) de la Loi.

                                                                         « Dolores M. Hansen »            

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                    T-799-01

INTITULÉ :                   Jana Karolina Plattig c. Le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 24 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               Madame la juge Hansen

DATE DES MOTIFS : le 17 septembre 2003

COMPARUTIONS :

Jana Karolina Plattig                                          POUR LA DEMANDERESSE

Karen Truscott                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jana Karolina Plattig                                          POUR LA DEMANDERESSE

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR


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