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Date : 20210621


Dossier : T‑217‑20

Référence : 2021 CF 645

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 21 juin 2021

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

PAUL BURKE

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Dans une déclaration déposée le 12 février 2020, M. Paul Burke (le demandeur) a intenté une action contre Sa Majesté la Reine (la défenderesse) en vue de recouvrer des dommages‑intérêts de 10 000 $, plus les intérêts et les dépens. Le demandeur a entamé une action simplifiée sous le régime des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles).

[2] La déclaration a été signifiée à la défenderesse le 12 février 2020.

[3] Le demandeur est un détenu de l’Établissement de Mission. Dans sa déclaration, qui est constituée de 59 paragraphes, il conteste son placement en isolement de la population carcérale générale à la suite d’un confinement cellulaire qui a eu lieu le 2 octobre 2019.

[4] Le demandeur prétend que son placement en isolement de la population carcérale générale est illégal au titre de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la Loi), et du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 (le Règlement), et qu’il porte atteinte au droit à la liberté et à la sécurité que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 (la Charte).

[5] Dans sa déclaration, le demandeur allègue que la défenderesse ne l’a pas suffisamment informé, ou ne l’a pas informé du tout, des allégations qui ont justifié son placement initial et continu en isolement, qu’elle n’a pas respecté les exigences prévues par la Loi en le plaçant en isolement préventif et qu’il y a eu violation des droits que lui garantit la Charte.

[6] Le demandeur cherche à recouvrer des dommages‑intérêts généraux de 10 000 $, plus les intérêts avant et après jugement ainsi que les dépens relativement à l’action qu’il a intentée.

[7] Par la voie d’un avis de requête daté du 12 mars 2020, la défenderesse a présenté une requête en radiation de la déclaration du demandeur. La défenderesse a demandé qu’il soit statué sur sa requête sans comparution personnelle en vertu de l’article 369 des Règles.

[8] Selon l’affidavit de signification de Natasha Fitter, souscrit le 12 mars 2020 au nom de la défenderesse, le demandeur a reçu la signification de l’avis de requête le 12 mars 2020. Dans une lettre datée du 23 mars 2020, le demandeur a demandé une prorogation de six mois du délai dont il disposait pour répondre à l’avis de requête de la défenderesse.

[9] Le 8 avril 2020, la Cour a prononcé une ordonnance accordant au demandeur une prorogation de 30 jours du délai de réponse une fois la période de suspension imposée après le début de la pandémie de COVID‑19 terminée. La période de suspension des activités de la Cour en Colombie‑Britannique a pris fin le 15 juin 2020.

[10] Selon le répertoire des inscriptions enregistrées pour ce dossier, le demandeur n’a pas déposé de réponse à l’avis de requête de la défenderesse.

[11] La défenderesse soutient que le demandeur n’a pas établi quelque délit que ce soit dans sa déclaration, mais qu’il a plutôt allégué des violations de différentes lois et politiques ainsi que de différents règlements.

[12] La défenderesse fait également valoir que le demandeur n’a pas exposé de faits matériels pour prouver qu’il y a eu violation des droits que lui garantit la Charte.

[13] En outre, la défenderesse affirme que les allégations soulevées devraient plutôt faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Elle précise que le demandeur savait en octobre 2019 que la décision avait été prise d’imposer un confinement cellulaire et que le délai pour demander le contrôle judiciaire de cette décision a expiré.

[14] Je souscris aux observations présentées par la défenderesse selon lesquelles la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable.

[15] Aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête en radiation invoquant le motif visé à l’alinéa 221(1)a) des Règles, soit le fait que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable; voir le paragraphe 221(2) des Règles. La Cour doit considérer comme véridiques les allégations susceptibles d’être prouvées; voir l’arrêt Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959. Ce principe ne s’applique pas aux allégations fondées sur des conjectures et des hypothèses; voir l’arrêt Operation Dismantle Inc. c La Reine, [1985] 1 RCS 441 (CSC), aux pages 486‑487 et 490‑491).

[16] Dans la mesure où le demandeur tente d’établir une action fondée sur la violation d’une loi, les allégations doivent être rejetées. Aucun droit d’action ne saurait découler d’un manquement à une loi, ainsi que l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt La Reine c Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 RCS 205, à la page 225 :

Pour tous ces motifs, je serais opposé à ce qu’on reconnaisse au Canada l’existence d’un délit civil spécial de manquement à une obligation légale. La violation d’une loi, lorsqu’elle a une incidence sur la responsabilité civile, doit être considérée dans le contexte du droit général de la responsabilité pour négligence. La notion de négligence et celle d’obligation de diligence qui s’y rattache en common law sont assez fortes pour servir aux fins invoquées à l’appui de l’existence de l’action fondée sur l’infraction à une loi.

[17] Pour obtenir une réparation découlant de la violation d’une loi, le demandeur doit établir qu’il y a eu manquement à l’obligation de diligence reconnue en common law. Le critère pour établir une cause d’action en négligence contre la défenderesse a été examiné dans l’affaire Childs c Desormeaux, [2006] 1 RCS 643, lorsque la Cour suprême du Canada a précisé le point de vue canadien du critère énoncé dans l’arrêt Anns permettant de déterminer s’il existe une obligation de diligence :

1) y a‑t‑il un lien « suffisamment étroi[t] entre les parties » ou un rapport de « proximité » justifiant l’imposition d’une obligation, et dans l’affirmative,

2) existe‑t‑il des considérations de politique générale exigeant de restreindre ou de rejeter la portée de l’obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages auxquels un manquement à l’obligation peut donner lieu?

[18] Une demande de dommages‑intérêts fondée sur la Charte ne peut être examinée en l’absence d’allégations factuelles adéquates. Je me reporte aux arrêts MacKay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357, et Danson v Ontario (Attorney General) (1987), 60 OR (2d) 676 (CA).

[19] Aucun fait matériel n’est invoqué à l’appui d’une cause d’action pour une quelconque violation des droits garantis par la Charte.

[20] Je conviens avec la défenderesse que les [traduction] « allégations » figurant dans la déclaration du demandeur [traduction] « ressemblent » à des contestations de décisions administratives. Les allégations du demandeur concernant des manquements à l’équité procédurale sont semblables aux arguments avancés dans le contexte de demandes de contrôle judiciaire.

[21] Rien ne prouve que le demandeur ait déposé une demande de contrôle judiciaire dans le délai imparti pour une telle procédure. Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, est ainsi libellé :

Délai de présentation

Time limitation

18.1 (2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous‑procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

18.1 (2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

[22] Rien ne prouve que le demandeur ait demandé une prorogation du délai pour pouvoir déposer une demande de contrôle judiciaire.

[23] Je suis convaincue que les objections de la défenderesse à l’égard de la déclaration du demandeur sont bien fondées. Je conviens que la déclaration ne révèle aucune cause d’action et qu’elle devrait être radiée dans son intégralité, sans autorisation de la modifier.

[24] La défenderesse sollicite des dépens de 150 $ si elle a gain de cause à l’issue de sa requête.

[25] En vertu du pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles — qui prévoit que la Cour a le pouvoir discrétionnaire absolu de trancher la question des dépens —, j’accorde à la défenderesse des dépens de 75 $.


ORDONNANCE dans le dossier T‑217‑20

LA COUR ORDONNE que la requête est accueillie, que la déclaration est radiée sans autorisation de la modifier et que des dépens de 75 $ sont accordés à la défenderesse.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Karine Lambert


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑217‑20

 

INTITULÉ :

PAUL BURKE c SA MAJESTÉ LA REINE

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

La juge HENEGHAN

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 21 juin 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Le demandeur n’a pas présenté d’observations écrites.

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Courtenay Landsiedel

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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