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Date : 20060210

Dossier : T-378-05

Référence : 2006 CF 184

Ottawa (Ontario), le 10 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

CHIU L. CHOU

 

demandeur

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

APERÇU

[1]               M. Chou, docteur ès sciences, est un chercheur au service du ministère des Pêches et des Océans. Un comité régional a décidé de ne pas accéder à sa demande de promotion. Il a interjeté appel devant le Comité d’appel de la Commission de la fonction publique, mais n’a pas eu gain de cause. Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de cette décision du Comité d’appel.


[2]               Un bref aperçu de la chronologie des faits peut être utile. Le comité régional de promotion s’est réuni en mars 2004 et a rendu sa décision en mai 2004. Le mois suivant, M. Chou a rencontré le président du comité ainsi que son chef de division, qui faisait aussi partie du comité, pour recevoir leur rétroaction. Non satisfait, il a interjeté appel de la décision. Les parties se sont rencontrées en octobre 2004 pour la divulgation des documents susceptibles d’être déposés lors de l’audience devant le Comité d’appel, audience qui s’est tenue en janvier 2005. 

 

[3]               C’est M. Chou lui-même qui a demandé la promotion en cause. Cette promotion ne faisait pas partie d’un concours visant à pourvoir à un nombre limité de postes. Les chercheurs parviennent plutôt à certains niveaux en fonction de leur envergure et de leur réussite globales dans les rangs de l’organisation et au sein de la communauté scientifique en général. Le processus de demande, très minutieux, imposait à M. Chou de décrire en détail ses réalisations et la reconnaissance dont il estimait être l’objet.

 

[4]               M. Chou considère qu’un certain nombre d’incidents, pris ensemble, sont préoccupants. Le premier a trait au rôle de son chef de division, Paul Keizer. Dans l’évaluation que ce dernier a faite à l’intention du comité régional de promotion, il a exprimé l’opinion que le travail de M. Chou manquait [Traduction] «  de la rigueur et des interprétations scientifiques » qui caractérisent le rendement supérieur requis pour l’obtention de la promotion. Il a ajouté : [Traduction] « cependant, je crains que mon évaluation ne comporte une certaine partialité personnelle ». M. Keizer faisait aussi partie du comité de promotion formé de neuf personnes. Cette situation n’a pas été qualifiée d’inhabituelle.

 

[5]               Le deuxième incident s’est produit après que le comité régional de promotion eut rendu sa décision, mais avant l’audience devant le Comité d’appel. Les parties se sont rencontrées pour la divulgation de documents susceptibles d’être utilisés lors de l’audience prochaine du Comité d’appel. L’un des participants, qui avait fait partie du comité régional de promotion, a fait des commentaires désobligeants quant à la participation régulière de M. Chou au Asian Pacific Environmental Conference. Il a déclaré qu’il s’agissait tout simplement d’une invitation de [traduction] « l’université de sa ville natale ».

 

[6]               Le troisième incident est survenu durant l’audience devant le Comité d’appel. Le tribunal a permis à l’employeur, représenté par le président du comité régional de promotion, de déposer un document intitulé « Res Promotional Evaluation ». Ce document, qui joue un rôle important dans le présent contrôle judiciaire, est parfois désigné comme la pièce D-12. Malheureusement, et bien qu’il ne s’agisse pas d’un geste de mauvaise foi, presque toutes les notes prises au cours de la réunion du comité régional de promotion, en mars, ont été détruites. Quelque temps après la rencontre d’octobre en vue de la divulgation de la preuve, le président, M. Sinclair, a préparé une note dans laquelle il a consigné ce dont il se souvenait des propos adressés à M. Chou durant la rencontre de rétroaction qui a eu lieu en juin 2004. M. Sinclair s’est servi de ce document lors de son témoignage devant le Comité d’appel.

 

[7]               De l’avis de M. Chou, ces incidents, considérés ensemble, constituent des manquements à la justice naturelle ou d’autres erreurs de droit.

 

 

LES FAITS

[8]               M. Chou a immigré de Taïwan au Canada en 1971. Il est au service de Pêches et Océans Canada depuis 1975. Depuis un certain nombre d’années, il est chercheur de groupe et niveau SE‑RES‑02. Il a demandé plusieurs fois d’être promu au niveau SE‑RES‑03, sans succès. Au sein du comité scientifique de la fonction publique fédérale, ce genre de promotion s’effectue sur la base d’un processus sans concours, conformément au paragraphe 10(2) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la Loi). Plutôt que de subir une évaluation fondée sur le principe du mérite dans le cadre d’un examen comparatif de candidats en vue de pourvoir à un nombre limité de postes, les scientifiques qui répondent aux normes de compétences fixées sont directement promus.

 

[9]               Les candidats au groupe et niveau SE-RES-03 doivent satisfaire à cinq critères : le premier est la productivité, qui comprend d’une part les publications, les exposés de synthèse et les innovations et, d’autre part, le transfert de technologie et la recherche coopérative; les quatre autres critères sont la créativité, la reconnaissance, le leadership et l’aptitude à prendre des décisions.

 

[10]           Chacun des critères, à l’exception de la productivité, est évalué selon que le candidat réussit ou échoue. Le candidat doit obtenir au moins 6 points sur 10, chaque sous-section étant notée sur 5 points. 

 

[11]           M. Chou s’est classé dans son groupe et niveau actuel en 1990. À compter de 1996, il a demandé chaque année d’être promu au groupe et niveau SE-RES-03, et chaque fois il a échoué. Dans le passé, ses demandes avaient reçu l’appui de son chef de division, Paul Keizer, mais pas cette fois. Dans son analyse, qui l’a conduit à émettre l’opinion que le travail de M. Chou manquait de la rigueur scientifique voulue, M. Keizer a souligné que M. Chou jouissait de l’estime des organisateurs du Asian Pacific Environmental Conference, qui l’invitaient régulièrement et le défrayaient de ses dépenses pour qu’il assiste à leur rencontre annuelle. Cependant, au sein même de Pêches et Océans Canada, bien qu’il ait été reconnu comme un excellent analyste, il était incapable de convaincre ses pairs de la valeur de ses projets de recherche dont certains, régulièrement, étaient jugés médiocres par le comité de promotion technique. M. Keizer a déclaré que son évaluation du travail de M. Chou comportait peut-être une certaine partialité personnelle; en revanche, il a dit aussi : [Traduction] « Je vous demande de prêter une attention particulière à cette demande et de prendre le temps, si possible, de lire au moins une des publications actuelles du candidat ». M. Keizer était d’avis que si le nombre des publications de M. Chou avait augmenté, la qualité, elle, demeurait inchangée.

 

[12]           Le comité régional de promotion a conclu que M. Chou satisfaisait aux critères de la reconnaissance dans la communauté scientifique et de l’aptitude à prendre des décisions. Cependant, il n’a pas obtenu la note de passage pour les critères de la créativité et du leadership. Quant à la productivité, il a reçu 3 points sur 5 pour ses principales publications, mais il n’a reçu que 2 points sur 5 pour le transfert de technologie. Comme il devait obtenir un total d’au moins 6 points, il a échoué dans cette catégorie également.

 

[13]           Après que sa demande eut été refusée par le comité régional de promotion, M. Chou a demandé de pouvoir rencontrer le président du comité, M. Sinclair, et M. Keizer. Ceux-ci ont accédé à sa demande. M. Sinclair a passé en revue les cinq critères et expliqué à M. Chou comment le comité en était venu à un consensus.

[14]           À la suite de cette rencontre, M. Chou a exercé son droit d’appel en vertu de l’article 21 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Le Comité d’appel procède à une enquête au cours de laquelle tant l’appelant que l’administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre. Le Règlement sur l’emploi dans la fonction publique exige la divulgation complète des renseignements et des documents qui comportent de l’information se rapportant à l’appel et qui sont susceptibles d’être présentés devant le Comité d’appel.

 

[15]           La divulgation se fait souvent lors d’une rencontre en personne, qui fournit une autre occasion de dialoguer et de régler le litige. Un des membres du comité régional de promotion, M. Chadwick, a pris part à cette rencontre par téléphone. Il a minimisé la reconnaissance dont jouit M. Chou dans le milieu du Asian Pacific Environmental Conference du fait que ce congrès se tient à la Sun Yat Sen University à Taïwan, d’où M. Chou est originaire. Toutefois, cette université n’avait pas encore été fondée lorsque M. Chou a immigré au Canada en 1971. Bien que M. Chadwick n’ait pas témoigné à l’audience subséquente du Comité d’appel, M. Sinclair, qui a témoigné, a expliqué que le commentaire de M. Chadwick traduisait une préoccupation du comité de promotion quant au rôle que jouaient les relations personnelles par comparaison avec une reconnaissance à large échelle au sein de la communauté. Il appert cependant, fait souligné à juste titre par le Comité d’appel, que M. Chou a d’abord été invité au congrès de l’APEC par un chercheur invité au Canada.

 

[16]           M. Sinclair et M. Keizer ont tous deux témoigné devant le Comité d’appel. L’appelant avait formulé trois allégations contre son employeur. La première concernait l’évaluation défavorable de M. Keizer, que M. Chou jugeait partiale et incendiaire, et qui semblait avoir influencé au moins un membre du comité régional de promotion, M. Chadwick, comme le corroborait la remarque qu’il avait faite durant la rencontre de divulgation. La deuxième avait trait au fait que le comité régional de promotion avait omis de conserver les notes de ses délibérations. La troisième allégation, enfin, était que le comité régional de promotion avait enfreint le principe de la promotion fondée sur le mérite en s’attachant à des aspects précis de son travail plutôt que de l’évaluer dans son ensemble.

 

[17]           L’audience a duré deux jours. Vers la fin de la première journée, M. Sinclair a présenté son document intitulé « RES promotion evaluation » en dépit de l’opposition du représentant de M. Chou. Le document a malgré tout été admis en preuve comme pièce D-12. Le Comité d’appel a bien compris que le document n’avait pas été préparé au moment même des délibérations du comité régional de promotion, qu’il était plutôt présenté comme un compte rendu de ce dont M. Sinclair se souvenait avoir dit à M. Chou en juin au sujet des délibérations du comité en mars, qu’il n’avait pas été divulgué auparavant et qu’en fait, il n’avait été rédigé que quelque temps après la rencontre de divulgation, qui a eu lieu le 8 octobre 2004. Le Comité d’appel a déclaré qu’il lui faudrait tenir compte de ces facteurs dans l’appréciation du poids à accorder au document. M. Sinclair s’est appuyé sur la pièce D-12 durant son témoignage.

 

[18]           M. Chou a protesté, mais il n’a pas demandé d’ajournement.

 

[19]           Le Comité d’appel n’a pas jugé que l’évaluation du comité régional de promotion fût déraisonnable ni que le comité se fût montré incapable d’établir le bien-fondé de ses conclusions. « La preuve documentaire et les témoignages de MM. Sinclair (à titre de président du comité régional de promotion) et Keizer (le gestionnaire responsable de l’appelant qui faisait aussi partie du comité), m’ont convaincu du caractère adéquat et raisonnable de l’évaluation globale faite par le comité de la demande de promotion de M. Chou au niveau SE-RES-03. » Les commentaires de M. Keizer, notamment, n’ont été jugés ni incendiaires ni empreints de partialité. Le processus de sélection exigeait qu’à titre de gestionnaire responsable, celui-ci procède à l’examen de la demande et prépare des observations écrites accompagnées de sa recommandation. Il devait être impartial. Il a même reconnu la possibilité que [Traduction] « son évaluation comporte une certaine partialité personnelle » et il a demandé au comité d’être particulièrement attentif. Il a témoigné et a été contre‑interrogé. Le Comité d’appel a trouvé son témoignage « crédible et digne de confiance ».

 

[20]           Quant au commentaire de M. Chadwick lors de la divulgation préalable à l’audience, il a été fait plusieurs mois après l’évaluation de M. Chou et se rapporte au critère de la « reconnaissance »; or, le comité de promotion a conclu que M. Chou avait satisfait à ce critère. Le commentaire attaqué ne peut avoir influé de manière substantielle sur la décision négative globale. Le Comité d’appel s’est penché sur la jurisprudence et a indiqué que le critère approprié, dans l’examen d’allégations de partialité de la part d’un jury de sélection, à la différence de celui qui s’applique à un tribunal exerçant une fonction quasi-judiciaire, est qu’il doit réellement y avoir partialité et non seulement une crainte raisonnable de partialité, même si cette partialité réelle peut se présenter comme une « partialité réelle présumée ».

 

[21]           Malheureusement, les membres du comité régional de promotion ont omis, par erreur et par inadvertance, de conserver les notes qu’ils avaient prises pendant leur réunion. Il n’y a aucune allégation de mauvaise foi à cet égard. Il a été souligné que la seule justification écrite de l’évaluation de M. Chou, la pièce D‑12, n’a été rédigée que bien plus tard et a été préparée précisément en vue de l’audience de l’appel. Malgré la perte des notes concomitantes à l’entrevue, les décisions du comité quant à l’évaluation concernant M. Chou ont été expliquées de façon assez détaillée et par M. Sinclair et par M. Keizer. Des explications verbales avaient été présentées à M. Chou après l’évaluation, puis à nouveau lors de la divulgation précédant l’audience. Le Comité d’appel a conclu en ces termes quant à cette allégation : « En l’espèce, le témoignage oral de MM. Sinclair (à titre de président du comité) et Keizer (en tant que gestionnaire de l’appelant et membre du comité) ont permis de comprendre de façon satisfaisante l’évaluation faite par le comité des qualités de M. Chou. J’en viens donc à la conclusion que l’évaluation de M. Chou se fondait sur une prise en compte de tout le matériel fourni dans sa demande de promotion par rapport aux facteurs de sélection touchant le poste de chercheur ou chercheuse scientifique au niveau SE‑RES‑03. Je ne peux conclure, à partir de la preuve produite, que l’évaluation a été effectuée de manière inadéquate ou déraisonnable ou à l’encontre du principe du mérite, ce qui représente la préoccupation principale de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et du présent comité d’appel. »

 

[22]           La troisième allégation, enfin, a été rejetée parce que le Comité d’appel a estimé que la candidature de M. Chou et celle des autres candidats dont la demande de promotion était examinée à la même époque ont fait l’objet d’une évaluation fondée sur les mêmes normes et les mêmes critères de notation. Les qualifications de M. Chou ont été évaluées en tenant compte de l’ensemble de sa carrière scientifique dans la fonction publique.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[23]           M. Chou soulève les trois questions suivantes :

a)                  Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du Comité d’appel?

b)                  Le Comité d’appel a-t-il commis une erreur susceptible de révision en admettant en preuve les notes préparées par M. Sinclair en vue de l’audience?

c)                  Le Comité d’appel a-t-il commis une erreur susceptible de révision en concluant que le comité régional de promotion a étudié adéquatement la candidature de M. Chou? Plus précisément, cette conclusion a-t-elle viciée par les remarques de MM. Keizer et Chadwick?

 

NORME DE CONTRÔLE

[24]           La décision du Comité d’appel, comme toutes les décisions des offices fédéraux, est assujettie à un contrôle judiciaire fondé sur une analyse pragmatique et fonctionnelle. La Cour d’appel fédérale s’est penchée l’année dernière sur la norme de contrôle applicable aux décisions du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique, dans l’arrêt Davies c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 41, [2005] A.C.F. no 188. Le juge en chef Richard a fait remarquer que l’objet premier de la Loi est de préserver l’intérêt public en veillant à ce que les nominations soient fondées sur le principe du mérite et soient exemptes de discrimination et de parti pris. Considérant l’absence de clause privative, l’expertise relative du Comité d’appel et la nature des questions en cause, je suis convaincu que les conclusions de fait ne doivent être modifiées que si elles sont manifestement déraisonnables, que les conclusions de droit, y compris celles concernant l’équité procédurale et les autres aspects de la justice naturelle, doivent être correctes et que la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

 

ADMISSIBILITÉ DES NOTES DE M. SINCLAIR

[25]           La justice naturelle exige que toute partie soit informée des prétentions qu’elle devra réfuter. Le Règlement prescrit la divulgation complète des documents susceptibles d’être présentés. Il est dès lors implicite qu’il existe une obligation continue de dévoiler avec diligence tout document qui n’existait pas encore au moment de la divulgation initiale. L’employeur, en la personne de M. Sinclair, a failli à cet égard.  

 

[26]           La décision d’admettre en preuve la pièce D-12 était une décision discrétionnaire, prise durant une audience. Il convient de faire preuve d’une certaine retenue à l’endroit des décisions discrétionnaires. Il n’a pas été avancé que les règles de divulgation sont si strictes que le défaut de révéler un document en temps opportun constitue un empêchement absolu à son dépôt. En fait, un tel empêchement serait inhabituel, puisque la procédure des tribunaux administratifs est généralement plus souple que celle qui doit être observée à la Cour, à la condition, évidemment, que les exigences relatives à l’équité procédurale soient respectées. Même si les règles de la Cour fédérale prescrivent une divulgation préalable complète, il est loisible à la Cour d’y déroger (article 232 des Règles). La Cour pourrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’admettre un document à certaines conditions. Par exemple, la Cour pourrait ordonner un ajournement allant de pair avec une autre communication préalable et un contre-interrogatoire subséquent. 

 

[27]           La situation s’apparente dans une certaine mesure à la norme qui régit les appels des ordonnances des protonotaires (article 51 des Règles de la Cour fédérale). Une ordonnance discrétionnaire ne devrait pas faire l’objet d’intervention, sauf si elle est entachée d’erreur flagrante du fait que le pouvoir discrétionnaire a été exercé suivant un principe erroné ou une mauvaise interprétation des faits ou a été exercé incorrectement quant à une question ayant une influence déterminante sur l’issue de la cause (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd (C.A.), [1993] 2 C.F. 425, Z.I. Pompey Industrie c. Ecu-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc. (C.A.F.), 2003 CAF 488, [2004] 2 C.F. 459).

 

[28]           Je suis convaincu que le Comité d’appel n’a pas erronément exercé son pouvoir discrétionnaire. Non seulement M. Chou n’a-t-il pas sollicité d’ajournement, mais le document constitue en grande partie un précis des éléments d’information compris dans la demande même de M. Chou. Aucun élément ne donne à penser que le Comité d’appel a mal interprété les faits ou a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné.

 

LA CANDIDATURE DE M. CHOU A-T-ELLE ÉTÉ EXAMINÉE ADÉQUATEMENT?

[29]           Selon M. Chou, l’évaluation faite par M. Keizer, associée aux commentaires de M. Chadwick, ont déteint sur la procédure. Même si M. Chou a obtenu la note requise dans la catégorie de la reconnaissance, la remarque de M. Keizer quant à la « partialité » et le commentaire désobligeant de M. Chadwick au sujet de sa ville natale ont nécessairement exercé une influence négative lors de l’examen des autres critères. Il convient de tenir compte de deux normes de contrôle. L’équité procédurale, en fait, n’est pas assujettie à l’approche pragmatique et fonctionnelle qui s’applique au contrôle judiciaire; elle est sensiblement différente. Les tribunaux doivent préserver la justice naturelle et n’ont dès lors aucun devoir de retenue envers les décisions des offices fédéraux qui font l’objet d’un contrôle judiciaire (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539). En d’autres termes, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Sweet c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 51, [2005] A.C.F. no 216, (2005) 332 N.R. 87). Le Comité d’appel a aussi eu l’avantage considérable d’entendre les témoignages de MM. Sinclair et Keizer, et il les a jugés crédibles et dignes de confiance. Il n’y a lieu d’intervenir à l’égard des conclusions de fait que si elles sont manifestement déraisonnables.

 

[30]           J’ai d’abord analysé l’allégation de partialité en fonction de la norme rigoureuse qui s’applique aux juges, norme fondée non seulement sur la partialité réelle, mais aussi sur la crainte raisonnable de partialité. Le critère décisif a été énoncé par le juge de Grandpré dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369. Le juge a dit, aux pages 394 et 395 :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique […] ».

            Je ne vois pas de différence véritable entre les expressions que l’on retrouve dans la jurisprudence, qu’il s’agisse de « crainte raisonnable de partialité », « de soupçon raisonnable de partialité », ou « de réelle probabilité de partialité ». Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement d’accord avec la Cour d’appel fédérale qui refuse d’admettre que le critère doit être celui d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

            Telle est la façon juste d’aborder la question mais il faut évidemment l’adapter aux faits de l’espèce. La question de la partialité ne peut être examinée de la même façon dans le cas d’un membre d’un tribunal judiciaire que dans le cas d’un membre d’un tribunal administratif que la loi autorise à exercer ses fonctions de façon discrétionnaire, à la lumière de son expérience ainsi que de celle de ses conseillers techniques.

[31]           Même si le juge de Grandpré exprimait la dissidence dans cette affaire, ses commentaires ont établi la norme qui a toujours été suivie depuis.

[32]           Le Comité d’appel a conclu à l’absence de crainte raisonnable de partialité. Je suis d’accord. Il convient d’examiner ensuite la question de la partialité réelle en fonction de la norme qui, selon la jurisprudence, s’applique à un comité de sélection n’exerçant pas de fonction judiciaire ou quasi‑judiciaire. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mirabelli, [1987] A.C.F. no 142 (QL), la Cour d’appel fédérale a jugé que l’existence d’une crainte raisonnable de partialité était insuffisante pour vicier une nomination, pourvu que le processus de sélection ait été basé sur le mérite et qu’aucun élément à la lecture du dossier n’indique qu’une question de partialité avait effectivement influé sur le résultat. Toutefois, compte tenu de la difficulté fréquente de démontrer l’existence d’une partialité réelle au moyen d’une preuve directe, la jurisprudence a plus tard élaboré le critère de la « partialité réelle présumée ». Une crainte raisonnable de partialité, conjuguée à des circonstances environnantes, pourrait satisfaire au critère établi dans l’arrêt Mirabelli (Hnatiuk c. Canada (Conseil du Trésor), [1993] A.C.F. no 703 (QL) et Fox c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 1172 (QL)). Ainsi que l’a exposé le juge Létourneau, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Arthur c. Canada (Procureur général) 2001 CAF 223, [2001] A.C.F. no 1091 (QL), au paragraphe 8 :

Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. Pour ce faire, il est souvent utile et même nécessaire de recourir à des preuves extrinsèques au dossier. C’est pourquoi ces preuves sont admissibles en dérogation au principe qu’une demande de contrôle judiciaire doit porter sur le dossier tel que constitué devant le tribunal.

[33]           Le Comité d’appel s’est montré très réceptif et attentif à cette question, et sa conclusion est irréprochable. Enfin, il n’appartenait pas au Comité d’appel de réévaluer la candidature de M. Chou ni de substituer son opinion à celle du comité régional de promotion. Le Comité d’appel ne pouvait intervenir que si la décision qu’il examinait était déraisonnable. Dans l’arrêt Blagdon c. Canada (Commission de la fonction publique, comité d’appel), [1976] 1 C.F. 615 (C.A.F.), le juge Pratte s’est exprimé comme suit au paragraphe 21 :

Son devoir ne consiste pas à évaluer de nouveau les candidats mais à tenir une enquête afin de déterminer si la sélection a été effectuée conformément au principe du mérite; cette décision est « soumise à un processus judiciaire ou quasi-judiciaire ». Le simple fait que le comité d’appel, s’il avait siégé à titre de jury de sélection, serait parvenu à une conclusion différente de celle du jury de sélection ne constitue pas un motif suffisant pour accueillir l’appel. Il faut bien comprendre que l’appréciation du mérite de différentes personnes, fonction attribuée au jury de sélection, ne peut être réduite à une fonction mathématique; dans bien des cas, c’est une affaire d’opinion. Il n’y a aucune raison pour préférer l’opinion d’un comité d’appel à celle d’un jury de sélection.

[34]           En conséquence, le contrôle judiciaire devrait être rejeté. Il n’y a aucune raison pour ne pas adjuger les dépens au défendeur.


 

 

ORDONNANCE

 

 

            LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire de la décision du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique, en date du 25 janvier 2005, de ne pas accueillir l’appel du demandeur, M. Chiu L. Chou, contre la décision par laquelle le comité régional de promotion a refusé sa demande de promotion au groupe et niveau SE-RES-03, est rejetée avec dépens.

 

 

 

« Sean Harrington »

 

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-378-05

 

INTITULÉ :                                       CHIU L. CHOU

demandeur

                                                            et

 

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 1er FÉVRIER 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 FÉVRIER 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Rootham

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Roach

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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