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Date : 20030617

Dossier : IMM-3728-00

Référence : 2003 CFPI 751

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY                          

ENTRE :

                                                                XIAO DONG LIANG

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La présente requête survient à l'occasion d'une demande de contrôle judiciaire qui, selon le défendeur, ne devrait pas être entendue ou être tranchée. Trois semaines avant l'audition de l'affaire, le défendeur a présenté une requête dans le but d'obtenir une ordonnance sur consentement à l'égard du contrôle judiciaire. Il demandait que la décision faisant l'objet du contrôle, soit la décision par laquelle un agent d'exécution de l'immigration a refusé de reporter le renvoi de M. Liang, soit annulée et que l'affaire soit renvoyée au défendeur afin qu'elle soit tranchée par un autre agent.


[2]                 Toutefois, M. Liang souhaite obtenir une audience complète et il souhaite que sa demande de contrôle judiciaire soit tranchée. Par conséquent, il conteste la requête présentée par le défendeur. Bien que la requête du défendeur ait initialement été présentée par écrit suivant l'article 369, j'ai donné aux parties l'instruction de soumettre de vive voix des observations sur la question. J'ai alors suspendu l'audition de la demande de contrôle judiciaire jusqu'à ce que la requête soit tranchée.

[3]                 La préoccupation de départ qui a donné lieu à la demande de contrôle judiciaire était que l'agent avait omis de prendre en compte les risques pour la vie de M. Liang s'il retournait en Chine. Notamment, le demandeur, même s'il nie avoir commis des méfaits criminels en Chine, craint de subir un procès et d'être poursuivi pour de fausses accusations en Chine et d'être soumis à la peine de mort. Au départ, les observations écrites à l'égard de la demande de contrôle judiciaire (datées du 2 novembre 2000) alléguaient que [TRADUCTION] « les risques auxquels le demandeur serait exposé s'il retournait en Chine n'avaient pas été examinés ni appréciés » . En outre, [TRADUCTION] « l'agente chargée du renvoi a omis d'exercer sa compétence qui consiste à examiner la question de savoir s'il devait y avoir une évaluation et une appréciation des risques avant que soit exécutée la mesure de renvoi » . Les observations, qui étaient fondées sur la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), concluaient que [TRADUCTION] « compte tenu du fait qu'il n'y avait pas eu d'évaluation appropriée et raisonnable des risques auxquels le demandeur serait exposé, il y aurait une violation de l'article 7 s'il était renvoyé » en Chine.

[4]                 Manifestement, au départ, l'instance dans la présente affaire résultait de la préoccupation selon laquelle il n'y avait pas eu une évaluation des risques auxquels serait exposé M. Liang et de la possibilité de la violation de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne prévu à l'article 7 de la Charte. C'était en l'an 2000.

[5]                 Deux événements qui sont survenus depuis ont eu une incidence sur le contexte et, par conséquent, sur le contenu des instances. Premièrement, la Cour suprême du Canada a rendu les arrêts État-Unis d'Amérique c. Burns, 2001 CSC 7, [2001] 1 R.C.S. 283, Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, et Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 2, [2002] 1 R.C.S. 72. Ces arrêts traitent de l'incidence de la Charte sur l'extradition d'une personne passible de la peine de mort (voir l'arrêt Burns, précité) et sur l'expulsion dans les cas où il existe un risque de torture (voir les arrêts Suresh et Ahani, précités). Ces arrêts ont une importance pertinente à la présente instance. Deuxièmement, en 2002, la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, a été remplacée par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. La nouvelle loi prévoit expressément qu'un examen des risques auxquels un demandeur est exposé, de la nature que le demandeur tentait initialement d'obtenir dans la présente instance, doit être effectué avant qu'une personne soit renvoyée du Canada.


[6]                 Dans son mémoire complémentaire (daté du 28 avril 2003), M. Liang prétend maintenant, en renvoyant à la jurisprudence de la Cour suprême, que [TRADUCTION] « la Charte empêche que le renvoi soit prévu si une personne est passible de la peine de mort » . Un agent a [TRADUCTION] « une obligation de reporter un renvoi et de ne prévoir aucun autre renvoi jusqu'à ce que la preuve démontre qu'il n'y a pas un risque que la peine de mort soit imposée » . M. Liang sollicite en outre que la Cour se prononce à l'égard de l'incidence de l'article 7 de la Charte sur le renvoi de personnes qui peuvent être passibles de la peine de mort. En outre, un avis de présentation de questions constitutionnelles a été déposé et il mentionnait que M. Liang avait l'intention de contester la validité sur le plan constitutionnel de nombreuses dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

[7]                 Étant donné qu'il s'est écoulé presque trois ans depuis le début de la présente instance, les questions en litige et les observations sont plus nombreuses qu'au départ. Il faut se demander de quelle façon la Cour devrait traiter le consentement du ministre à la demande de contrôle judiciaire dans de telles circonstances.

[8]                 Dans la plupart des cas, le consentement du ministre à une demande de contrôle judiciaire aura pour effet, en soi, de rendre théoriques les instances. La Cour doit alors décider si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire limité pour trancher quand même les questions en litige; voir à cet égard les décisions Khalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1266, [2001] A.C.F. no 1727, et Chakra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 112, [2002] A.C.F. no 136. La question en litige dans la présente requête est celle de savoir si la situation devrait être différente lorsqu'il y a eu une évolution importante du fondement juridique de la demande de contrôle judiciaire.


[9]                 Le consentement du ministre à la demande équivaut à une reconnaissance que l'agent aurait dû reporter le renvoi de M. Liang afin qu'un examen des risques auxquels il serait personnellement exposé puisse être effectué. À cet égard, le consentement sert également à éliminer la question principale du différend entre les parties dans la demande de contrôle judiciaire. Il est vrai que cela ne donne pas à M. Liang toutes les réparations qu'il tente maintenant d'obtenir, mais cela ne signifie pas que la question principale demeure actuelle. À mon avis, l'affaire est théorique parce que des événements postérieurs à l'introduction de la demande ont entraîné une situation dans laquelle « il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties » (voir à cet égard l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342).

[10]            Le défendeur prétend en outre que la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés donne à M. Liang ce qu'il tentait au départ d'obtenir, c'est-à-dire un examen des risques auxquels il serait personnellement exposé s'il était renvoyé en Chine. Cette loi prévoit maintenant une procédure d'examen des risques avant renvoi (articles 96, 97, 112 et 113) et le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit qu'il doit y avoir un sursis jusqu'à ce que l'examen des risques soit achevé (article 232). Quant à lui, M. Liang prétend que l'examen des risques avant renvoi ne l'aidera probablement pas beaucoup parce qu'il ne s'applique pas à des peines imposées suivant des sanctions légitimes (sous-alinéa 97(1)b)(iii)) et parce que cet examen n'entraînera assurément pas une déclaration à l'égard d'une interprétation des droits prévus à l'article 7 comme il tente maintenant d'obtenir.

[11]            L'existence de questions en litige pendantes et de mesures de redressement est pertinente à la question de savoir si l'affaire devrait être entendue et tranchée même s'il s'agit d'une question théorique. Suivant l'arrêt Borowski, précité, trois facteurs devraient être examinés :

.            Celui de savoir si les parties conservent un intérêt contradictoire dans les questions en litige;


.            Celui de savoir si les questions sont suffisamment importantes pour justifier l'utilisation des ressources judiciaires nécessaires pour trancher l'affaire d'une manière qui aurait un effet pratique sur les droits des parties;

.            Celui de savoir si la Cour, en tranchant des litiges, s'écarte de son rôle traditionnel.

Comme dans la décision Chakra, précitée, je suis d'avis que le deuxième facteur est déterminant en l'espèce.

[12]            L'instance a évolué par rapport à l'étendue et au fondement de départ. M. Liang avait espéré qu'elle lui fournirait un forum pour que soient tranchées des questions constitutionnelles d'une ampleur considérable. Toutefois, rien ne peut changer le fait que nous sommes en présence d'une demande de contrôle judiciaire du pouvoir discrétionnaire limité d'un agent d'exécution. Si la requête était rejetée et si la demande de contrôle judiciaire était entendue, il est peu probable qu'un juge conclue qu'il s'agit d'un forum approprié pour trancher les questions larges touchant la Charte que M. Liang soulève. Premièrement, la demande pourrait être tranchée pour des motifs beaucoup plus restreints et, à cet égard, tout juge qui entend cette demande serait naturellement réticent à traiter des questions constitutionnelles qui ne sont pas essentielles à l'issue de la demande.


[13]            Deuxièmement, à mon avis, les questions constitutionnelles ne sont simplement pas « opportunes » . La conclusion tirée d'un examen des risques avant renvoi peut bien être que M. Liang ne devrait pas être renvoyé. Si tel n'était pas le cas, le ministre peut toujours décider de ne pas renvoyer M. Liang. Un autre agent peut conclure qu'une mesure de renvoi ne devrait pas être exécutée. Comme Mme le juge Dawson l'a déclaré dans la décision Chakra, précitée, « l'argument selon lequel la nouvelle décision sera défavorable [...] ne repose que sur de simples conjectures » (au paragraphe 17). Des décisions à l'égard des questions de la Charte, si cela est vraiment nécessaire, devront attendre.

[14]            Troisièmement, le dossier des faits en l'espèce est insuffisant. L'agent d'exécution disposait de très peu d'éléments de preuve. M. Liang a tenté de compléter le dossier en déposant un affidavit auquel étaient jointes des pièces contenues dans l'autre instance à l'égard de sa revendication du statut de réfugié. L'admissibilité de l'affidavit est contestée par le défendeur au motif que le contrôle judiciaire doit être uniquement fondé sur la preuve dont l'agent disposait. Sans l'affidavit, il y a peu d'éléments de preuve sur lesquels une analyse constitutionnelle appropriée pourrait être fondée.

[15]            Par conséquent, la présente requête est accueillie. Je suis d'avis que la présente demande de contrôle judiciaire est théorique et je refuse d'examiner les questions pendantes.

                                                                     ORDONNANCE

PAR LA PRÉSENTE LA COUR ORDONNE :

1.          La requête est accueillie.

2.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'audience qui était prévue pour le 10 juillet 2003 est annulée.


3.          La décision par laquelle G. Farrauto a refusé de reporter le renvoi du demandeur, décision qui a été communiquée au demandeur le 14 juillet 2000, est annulée.

4.          L'affaire est renvoyée au défendeur afin qu'elle soit examinée et tranchée à nouveau.

5.          Aucune ordonnance n'est rendue à l'égard des dépens.

« James W. O'Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-3728-00

INTITULÉ :                                        XIAO DONG LIANG

                                                                                                                                                      demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE MERCREDI 11 JUIN 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 JUIN 2003          

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                                              POUR LE DEMANDEUR

Alexis Singer                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                

Lorne Waldman

Avocat

Jackman, Waldman & Associates

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)    M4P 1L3                                                         POUR LE DEMANDEUR

Téléphone : (416) 482-6501; télécopieur : (416) 489-9618

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Tour Exchange

130, rue King Ouest, bureau 3400, case postale 36

Toronto (Ontario)    M5X 1K6                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Téléphone : (416) 952-3223; télécopieur : (416) 954-8982


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