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Date : 20050117

Dossier : IMM-1047-04

Référence : 2005 CF 46

Ottawa (Ontario), le lundi 17 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

                                              HYEONG SAM CHO, EUN CHU KIM,

FRANCISCO SAMUEL CHO, GABRIEL MARTIN CHO

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                          - et -

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON


[1]                Hyeong Sam Cho et son épouse Eun Chu Kim sont des ressortissants coréens et des résidents permanents de l'Argentine. Francisco Samuel Cho et Gabriel Martin Cho sont leurs fils. Ils se sont tous rendus au Canada à titre de visiteurs. Le 26 janvier 2004, une représentante du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration prononçait contre les quatre membres de la famille des mesures d'exclusion. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Cho et sa famille sollicitent une ordonnance annulant les mesures d'exclusion et renvoyant l'affaire à un autre représentant du ministre, pour réexamen.

LES FAITS

[2]                M. Cho jure que son épouse et ses enfants se sont rendus au Canada depuis l'Argentine le 8 décembre 2001. Ils ont alors été admis au Canada en tant que visiteurs. Lui-même les a suivis en se rendant au Canada le 11 janvier 2002 et il a lui aussi été admis comme visiteur. M. Cho est alors retourné brièvement en Argentine, puis est revenu au Canada comme visiteur le 23 mars 2002. Ces dates sont confirmées par les autorisations de séjour qui apparaissent sur les photocopies des passeports des demandeurs, photocopies qui accompagnent l'affidavit de M. Cho.


[3]                M. Cho jure aussi que ni lui ni sa famille ne sont arrivés au Canada dans l'intention de s'y établir comme résidents permanents. Il dit plutôt que l'intention de demander le statut de résident permanent s'est cristallisée au cours des semaines qui ont suivi sa nouvelle admission au Canada le 23 mars 2002. Au moment de sa dernière visite en Argentine, M. Cho avait trouvé que la situation qui avait cours en Argentine était devenue intolérable pour lui et pour sa famille. Le 30 mai 2002, M. Cho déposait, en alléguant des raisons d'ordre humanitaire, une demande de dispense d'application de l'exigence d'un visa d'immigrant. Cette demande a été rejetée le 11 septembre 2003.

[4]                Le 11 septembre 2003, l'agente qui avait rejeté la demande fondée sur des considérations humanitaires rédigeait un rapport pour chacun des membres de la famille, en application du paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Chacun des rapports précisait que le demandeur était arrivé au Canada le 23 mars 2002 en tant que visiteur et qu'il ou elle [traduction] « entendait y établir sa résidence permanente, mais ne détenait pas le visa requis par la réglementation pour y établir sa résidence permanente » . L'agente qui avait rédigé chacun des rapports exprimait l'avis que chaque demandeur était interdit de territoire selon les dispositions suivantes :

[TRADUCTION]

L'ARTICLE 41,

PARCE QUE, SELON LA PRÉPONDÉRANCE DES PROBABILITÉS, IL Y A DES MOTIFS DE CROIRE QU'IL EST UN ÉTRANGER QUI EST INTERDIT DE TERRITOIRE POUR CAUSE DE MANQUEMENT À LA LOI EN RAISON D'UN FAIT - ACTE OU OMISSION - COMMIS DIRECTEMENT OU INDIRECTEMENT EN CONTRAVENTION À LA LOI, PLUS PRÉCISÉMENT :

L'ALINÉA 20(1)a),

SELON LEQUEL L'ÉTRANGER NON VISÉ À L'ARTICLE 19 QUI CHERCHE À ENTRER AU CANADA OU À Y SÉJOURNER EST TENU DE PROUVER, POUR DEVENIR UN RÉSIDENT PERMANENT, QU'IL DÉTIENT LES VISA OU AUTRES DOCUMENTS RÉGLEMENTAIRES ET VIENT S'Y ÉTABLIR EN PERMANENCE.


[5]                Plus tard, le 22 septembre 2003, les demandes de la famille Cho pour une prorogation de leur statut de résidents temporaires étaient refusées, et chacun des membres de la famille recevait une lettre de départ volontaire. Les Cho sont restés au Canada afin de solliciter le contrôle judiciaire de la décision qui avait rejeté leur demande fondée sur des considérations humanitaires.

[6]                Le 26 janvier 2004, les demandeurs se sont présentés à une enquête d'admissibilité en application du paragraphe 44(2) de la Loi. M. Cho jure que lui et sa famille ont indiqué à la représentante du ministre, durant l'enquête, que l'épouse et les enfants n'étaient pas arrivés au Canada le 23 mars 2002 et que, à son entrée au Canada, aucun des membres de la famille n'avait l'intention d'y résider en permanence. Ce même jour, des mesures d'expulsion étaient prononcées contre chacun des membres de la famille.

[7]                La représentante du ministre n'a pas motivé sa décision. Ses notes font partie du dossier du tribunal. Les notes font état de la demande de leur avocat (qui a été refusée) pour un ajournement de l'enquête jusqu'à l'examen de la décision défavorable qui faisait suite à leur demande fondée sur des considérations humanitaires, mais elles ne renferment aucun rectificatif concernant les dates d'admission, ni aucune mention de l'indication des demandeurs concernant leur intention à leur arrivée. Les notes font état de la conclusion de la représentante selon laquelle les demandeurs sont des personnes décrites au paragraphe 11(1) de la Loi. Le paragraphe 11(1) de la Loi prévoit que l'étranger doit, avant son entrée au Canada, demander un visa ou autre document requis.


[8]                Les mesures d'exclusion font état de la conclusion de la représentante précisant que, selon elle, chaque demandeur est :

[TRADUCTION]

[...] UNE PERSONNE DÉCRITE :

À L'ARTICLE 41,

PARCE QUE, SELON LA PRÉPONDÉRANCE DES PROBABILITÉS, IL Y A DES MOTIFS DE CROIRE QU'IL EST UN ÉTRANGER QUI EST INTERDIT DE TERRITOIRE POUR CAUSE DE MANQUEMENT À LA LOI EN RAISON D'UN FAIT - ACTE OU OMISSION - COMMIS DIRECTEMENT OU INDIRECTEMENT EN CONTRAVENTION À LA LOI, PLUS PRÉCISÉMENT :

L'ALINÉA 20(1)a),

SELON LEQUEL L'ÉTRANGER NON VISÉ À L'ARTICLE 19 QUI CHERCHE À ENTRER AU CANADA OU À Y SÉJOURNER EST TENU DE PROUVER, POUR DEVENIR UN RÉSIDENT PERMANENT, QU'IL DÉTIENT LES VISA OU AUTRES DOCUMENTS RÉGLEMENTAIRES ET VIENT S'Y ÉTABLIR EN PERMANENCE.

DISPOSITIONS APPLICABLES

[9]                Les dispositions mentionnées dans les rapports établis selon le paragraphe 44(1) et dans les mesures d'exclusion sont les suivantes :


41. S'agissant de l'étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait - acte ou omission - commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi [...]

41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act

[...]

20. (1) L'étranger non visé à l'article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

a) pour devenir un résident permanent, qu'il détient les visa ou autres documents réglementaires et vient s'y établir en permanence;

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

(a) to become a permanent resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and have come to Canada in order to establish permanent residence



[10]            La mention de l'article 19 de la Loi dans le paragraphe 20(1) de la Loi n'intéresse pas la présente affaire.

[11]            Le paragraphe 11(1) de la Loi, mentionné dans les notes de la représentante, prévoit ce qui suit :


11. (1) L'étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l'agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d'un contrôle, qu'il n'est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.


ANALYSE

[12]            D'après le texte de chacun des rapports établis en vertu du paragraphe 44(1), et compte tenu de la mention du paragraphe 11(1) de la Loi dans les notes de la représentante du ministre, la représentante du ministre a, selon moi, conclu que les demandeurs étaient tous arrivés au Canada le 23 mars 2002 avec l'intention de s'y établir en tant que résidents permanents. Puis la représentante a estimé que les demandeurs étaient tous interdits de territoire parce qu'ils ne détenaient pas à cette date les documents requis pour pouvoir établir au Canada leur résidence permanente.


[13]            Il était loisible à la représentante du ministre de ne pas croire l'indication des demandeurs selon laquelle ils n'entendaient pas rester en permanence au Canada lorsqu'ils y sont arrivés comme visiteurs, et de tirer la conclusion contraire en considérant la date de leur arrivée et leur demande ultérieure fondée sur des considérations humanitaires. Cependant, cette conclusion contraire devait s'appuyer sur la preuve qui se trouvait devant la représentante du ministre. Compte tenu des dates erronées indiquées dans trois des rapports qu'avait devant elle la représentante du ministre, et puisque la représentante du ministre n'a pas consigné dans ses notes les dates exactes, je suis d'avis que la représentante n'a pas tenu compte de la véritable chronologie des événements et qu'elle a présumé que tous les membres de la famille étaient arrivés le 23 mars 2002, puis avaient demandé le 30 mai 2002 le droit d'établissement en invoquant des considérations d'ordre humanitaire. Il m'est impossible de dire que, si la représentante avait tenu compte de la chronologie exacte des événements, elle serait nécessairement arrivée à la même conclusion et aurait fait la même déduction.

[14]            Ainsi, à supposer (mais sans disposer de la question) que ce soit la norme de contrôle la plus rigoureuse qui est applicable, la décision de la représentante du ministre doit être annulée au motif qu'elle a été prise sur la foi d'une conclusion de fait erronée, tirée sans égard aux éléments dont la représentante du ministre disposait.

[15]            Il ne m'est donc pas nécessaire d'examiner les autres moyens avancés par les demandeurs.

[16]            Avant de dire que la décision de la représentante du ministre doit être annulée, j'ai examiné les arguments suivants du ministre :


i)           l'alinéa 20(1)a) de la Loi s'applique aux personnes, au Canada, qui cherchent à séjourner au Canada, de telle sorte que les demandeurs sont devenus interdits de territoire lorsqu'ils ont décidé de rester en permanence au Canada. Le ministre fait valoir que, parce que les demandeurs cherchent maintenant à séjourner au Canada comme résidents permanents, mais sans détenir de visas d'immigrant, ils contreviennent à l'alinéa 20(1)a) de la Loi, et que par conséquent les mesures d'exclusion prononcées en raison de leur inobservation de l'alinéa 20(1)a) sont valides;

ii)          comme les demandeurs ont séjourné au Canada après la période au cours de laquelle ils devaient quitter le pays, ils contreviennent à l'article 183 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), qui oblige tous les résidents temporaires à quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Le ministre dit par conséquent que les demandeurs sont interdits de territoire en application de l'article 41 de la Loi.

[17]            La simple réponse à tels arguments est, à mon avis, que les rapports établis dans cette affaire en vertu du paragraphe 44(1) ne reposaient pas sur ces motifs et que la représentante du ministre ne prétendait pas se fonder sur tels motifs. Dans une demande de contrôle judiciaire, la Cour ne reformulera pas la décision contestée en y substituant de nouveaux motifs aptes à justifier la décision.


[18]            Sans vouloir me prononcer sur ce point, je doute également que des résidents temporaires qui, se trouvant au Canada, décident d'y rester et de demander la résidence permanente deviennent interdits de territoire du seul fait de leur nouvelle intention. Une telle conclusion semblerait contraire à l'article 25 de la Loi, qui permet aux étrangers se trouvant au Canada de demander une dispense d'application de la règle qui les oblige à demander la résidence permanente depuis l'extérieur du Canada, et elle semblerait contraire aussi à l'article 72 du Règlement, qui permet à l'étranger au Canada de devenir résident permanent s'il est un membre de la catégorie des aides familiaux, de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada ou de la catégorie des résidents temporaires protégés.

QUESTIONS À CERTIFIER

[19]            Les demandeurs proposent que soient certifiées les questions suivantes :

[TRADUCTION]

1.              Un étranger qui n'a pas demandé son admission au Canada en tant que résident permanent ou qui n'est pas venu au Canada pour y établir sa résidence permanente devrait-il être exclu du Canada en application de l'alinéa 20(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés pour avoir demandé le statut de résident permanent depuis le Canada sans avoir un visa de résident permanent?

2.              Comment l'alinéa 20(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés peut-il à la fois exclure du Canada un étranger et interdire à cet étranger de demander le statut de résident permanent depuis le Canada alors que la Loi permet la double intention au paragraphe 22(2) et permet à d'autres catégories de personnes de demander le statut de résident permanent depuis le Canada sans avoir un visa de résident permanent?


[20]            Selon le défendeur, les questions proposées ne disposeront sans doute pas de la présente demande puisqu'il est établi que la représentante du ministre a pris en compte l'intention des demandeurs au moment de leur admission au Canada. Le défendeur dit que la question suivante est sans doute suffisante :

[TRADUCTION]

L'alinéa 20(1)a) de la LIPR s'applique-t-il à la fois au moment de l'entrée et après l'entrée d'une personne au Canada, ou seulement à l'entrée?

[21]            Les demandeurs rétorquent qu'aucune conclusion ne peut être tirée sur ce que la représentante du ministre a considéré, en l'absence de motifs en règle ou d'un affidavit de réponse.

[22]            Je suis d'avis que la représentante du ministre a considéré l'intention des demandeurs uniquement au moment de leur entrée au Canada et qu'elle n'a pas bien compris les faits entourant cette entrée. En conséquence, je crois qu'aucune des questions proposées ne peut disposer de la présente demande. Aucune question n'a donc la qualité d'une question à certifier, et aucune ne sera certifiée.

ORDONNANCE

[23]            PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et les mesures d'exclusion en date du 26 janvier 2004 sont par la présente annulées.


2.          Ces affaires sont renvoyées à un autre représentant du ministre pour nouvelle décision.

                                                                                                                         _ Eleanor R. Dawson _         

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-1047-04

INTITULÉ :                                       Hyeong Sam Cho, Eun Chu Kim, Francisco Samuel Cho, Gabriel Martin Cho c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 29 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                     LE 17 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Mario Bellissimo                                                                        POUR LES DEMANDEURS

Lorne McClenaghan                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ormston, Bellissimo, Younan

Toronto (Ontario)                                                                      POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR

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