Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010112

Dossier : IMM-4881-99

ENTRE :

                            EKATERINA RIADINSKAIA

                            EKATERINA RIADINSKAIA

                                                                                  demanderesses

ET :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

                             MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 1er septembre 1999, dans laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demanderesses, une mère et sa fille, n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention.


[2]    Les demanderesses sont des citoyennes russes qui revendiquent le statut de réfugiées sur la base de la nationalité de la fille (elle est à moitié juive). La revendication des demanderesses est principalement fondée sur le fait que vers le mois de novembre 1997, la fille, une pédiatre, a commencé à recevoir des lettres anonymes et appels téléphoniques vulgaires ainsi que des insultes à son travail. En mars 1998, la fille est venue au Canada en compagnie de son père, qui venait ici par affaire. La mère s'est jointe à eux en juillet et elle a passé environ un mois au pays avant de rentrer en Russie. Pendant leur séjour au Canada, les demanderesse n'ont pas revendiqué le statut de réfugiées; elles sont plutôt rentrées en Russie, où elles ont passé plusieurs mois. En octobre 1998, elles ont recommencé à recevoir des lettres menaçantes; elles ont par la suite décidé de quitter la Russie et revendiquer le statut de réfugiées au Canada. Les demanderesses ont quitté la Russie le 13 décembre et elles sont arrivées au Canada le lendemain.

[3]    La Commission n'a pas cru les demanderesses pour les raisons suivantes. Premièrement, la Commission n'a pas cru que la fille, qui, à l'époque, se préparait à devenir un médecin, subirait des insultes parce que son nom est juif trois ans après le début de sa formation. Deuxièmement, la Commission était d'avis que les quatre lettres « vulgaires » produites par les demanderesses avaient été fabriquées, car [TRADUCTION] « leur libellé est si exagéré et excessif » .


[4]                L'autre raison pour laquelle la Commission a refusé de reconnaître aux demanderesses le statut de réfugiées est le fait que celles-ci n'ont pas revendiqué ce statut lors de leur séjour au Canada à l'été 1998. Elles sont plutôt rentrées en Russie, où elles ont vécu jusqu'en décembre 1998. Elles ont décidé de quitter la Russie en octobre 1998, après avoir reçu d'autres lettres menaçantes et compte tenu du fait qu'elles se sentaient surveillées. Les demanderesses ont expliqué qu'elles n'ont pas revendiqué le statut de réfugiées à l'été 1998, vu qu'elles croyaient à l'époque que les menaces cesseraient et que [TRADUCTION] « elles ne croyaient tout simplement pas que ces lettres laissaient présager un véritable danger » . De plus, la mère a témoigné qu'elles ont tant investi dans leur pays que [TRADUCTION] « il est très difficile de tout laisser tomber » . En outre, les demanderesses n'ont pas quitté leur pays immédiatement après qu'elles ont recommencé à recevoir des lettres en octobre 1998 étant donné qu'un membre de leur famille, un oncle, était malade : [TRADUCTION] « nous étions dans un tel état de panique que nous aurions préférer quitter le pays immédiatement, mais les priorités ... les accents ont dû changer parce que mon oncle était en train de mourir, et nous lui rendions visite constamment » . Entre-temps, cependant, les demanderesses préparaient leurs demandes de visa et elles avaient acheté leurs billets d'avion.


[5]                Les demanderesses ont dit que le père/l'époux avait eu l'intention de quitter le pays en leur compagnie le 13 décembre 1998, mais qu'en raison du décès de son frère et de la maladie d'un autre parent, il avait retardé son départ pour le Canada. Elles ont dit que le père/l'époux devait arriver au Canada le 14 janvier 1999. Malheureusement, il n'a jamais pu venir dans notre pays. Il est décédé le 8 janvier 1999. Les demanderesses ont déclaré qu'on a trouvé le père/l'époux sur une route : il avait une fracture du crâne. Les demanderesses ont soutenu que le père/l'époux avait été assassiné par des racistes, compte tenu de l'antisémitisme qui règne actuellement en Russie.

[6]                L'analyse qui a fondé la décision de la Commission de rejeter la revendication des demanderesses est relativement brève, et je l'ai reproduite de façon intégrale :

[TRADUCTION]                                                                                                                                   

ANALYSE                                                                                                                     

      Il est irréaliste de nous demander de croire le récit des revendicatrices, et ce pour                                les raisons suivantes :                                                                                                  

a)              Après avoir suivi une formation de deux années et demie à l'hôpital, la fille apprend soudainement qu'elle est juive et qu'il n'y a pas de place pour elle étant donné que « les Juifs dominent la profession médicale » . Cela se serait produit lorsque, soudainement, un membre de l'équipe médicale se serait rendu compte que le nom de famille de cette dernière était peut-être juif, trente-six moins après le début de sa formation. Il importe également de souligner que cela a été parfaitement orchestré de façon à ce que cela coïncide avec l'arrivée des appels et lettres;

b)              Pendant qu'elles se trouvaient au Canada à l'été 1998, les revendicatrices ont choisi de ne pas revendiquer le statut de réfugiées parce qu'il leur était difficile de tout laisser tomber et qu'elles avaient tant investi en Russie. Nous estimons que si elles avaient vraiment estimé que leur sécurité et leur vie étaient en danger, cette considération l'aurait emporté sur toute autre considération;

c)             Les revendicatrices ont également témoigné qu'en octobre 1998, elles étaient dans un état de panique. Elles disposaient à l'époque de visas canadiens valides, mais préféraient demeurer en Russie jusqu'en décembre 1998 parce qu'un oncle était malade, ayant été atteint du cancer depuis cinq ans. Encore une fois, on craint que sa vie est en danger ou on ne le craint pas, et si on craint le pire, la principale priorité serait de rester en vie;


d)             Les lettres anonymes sont tout simplement incohérentes. Elles accusent la fille d'avoir notamment pratiqué une césarienne (!) sur son père et de lui avoir enlevé les testicules. Il s'agit évidemment de balivernes. Cette lettre (pièce P-9) aurait été reçue en janvier 1998 et, quelques mois plus tard, le père est venu au Canada, invitant sa fille à se joindre à lui. La pièce P-10 renvoie également au traitement indicible que cet homme aurait subi aux moins de sa fille, mentionnant que celle-ci lui avait « rendu la vie extrêmement difficile » . Cette lettre est parvenue à la fille environ un mois avant que son père ne se rende au Canada, à une époque où sa vie ne semblait pas perturbée.

La pièce P-12 constitue un passage de la pièce P-26, qui a plus tard été produite en preuve. Outre le langage grossier qu'elle utilisait, elle répétait que le père avait été castré par sa fille. Nous répétons que nous ne croyons pas que les revendicatrices ou le père ont reçu ces lettres. Elles sont si exagérées et libellées dans un langage si excessif que nous sommes d'avis qu'elles ont été fabriquées.

Le père, malgré le fait qu'il était juif, avait une vie professionnelle remplie et était le directeur général d'une usine qui faisait partie d'une organisation internationale. La déclaration des revendicatricees selon laquelle il faisait l'objet d'antisémitisme dans sa vie professionnelle n'est tout simplement pas fondée, ou elle est, à tout le moins, exagérée. Des incidents marqués d'antisémitisme ont pu se produire à l'occasion vu le comportement de certains individus, mais l'intéressé avait ce qu'on considère en Russie comme un grand appartement, qui était protégé par des portes en métal, il possédait sa propre voiture, et il disposait d'une voiture pour ses affaires de même que d'un chauffeur qui agissait également en tant que garde du corps.

Les revendicatrices ont également souligné le fait que la police n'a pas donné suite à leurs plaintes. La pièce P-27, que l'avocate des revendicatrices a produite, est un document qui émane du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas et qui mentionne, à la page 5 :

Il se peut que des plaintes de discrimination majeures ou mineures au sujet d'incidents marqués d'antisémitisme que déposent des Juifs ne soient pas traitées par des policiers. Cela se produit parfois du fait que les policiers et les personnes travaillant pour le ministère public ont eux-mêmes des sentiments empreints d'antisémitisme. Cependant, les citoyens qui ne sont pas juifs subissent aussi parfois l'arrogance des fonctionnaires. On ne prête attention à ces plaintes que si des personnes connues à l'échelle nationale, des partis démocratiques et/ou des organisations de cette nature appuient les plaintes et cherchent à les rendre publiques. On ne sait jamais si la police traitera de la plainte, et ce non seulement dans le cas de plaintes liées à de la discrimination et de l'intimidation, mais même lorsqu'elles portent sur un acte criminel réel (qu'il ait ou non été commis contre des Juifs). Dans plusieurs cas, on ne fait que prendre note du crime ou de la plainte. Un grand nombre d'activités criminelles ne sont pas sanctionnées, et ce en raison d'une augmentation considérable du nombre de crimes (organisés) à l'égard desquels la police n'est pas suffisamment préparée.


En résumé, nous sommes incapable de croire le récit des revendicatrices. Il faut deux années et demie aux collègues de la fille pour se rendre compte qu'elle est peut-être juive; la mère et la fille se trouvent au Canada à l'été 1998, à une époque où elles auraient estimé que leur vie était en danger, mais au lieu de revendiquer le statut de réfugiées, elles décident de retourner en Russie parce qu'elles y ont tant investi; disposant de visas canadiens, elles attendent, même si elles sont dans un état de panique, pendant deux mois avant de quitter leur pays parce qu'un oncle est en phase terminal et qu'il l'a été depuis cinq ans. En outre, le langage des lettres anonymes est dénué de sens, compte tenu du fait que peu après que le père aurait été castré par sa fille, il invite cette dernière à le rejoindre au Canada.

La fille a joint à son FRP un certificat attestant du décès de son père. Il est décédé par suite d'une contusion cérébrale et d'une fracture du crâne. Cette preuve n'est pas concluante, car les blessures avaient pu être causées d'un certain nombre de façons; bien qu'il s'agisse d'un incident très grave, la fille ne l'a pas mentionné dans le FRP, et il ne peut être automatiquement lié à l'antisémitisme.

Nous avons également vu que les plaintes à la police ne sont pas nécessairement traitées de façon satisfaisante et nous avons appris pourquoi il en était ainsi.

[7]                À mon avis, les points b) et c) de l'analyse sont suffisants pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire. Ayant attentivement examiné la preuve, dont les témoignages des demanderesses, je suis d'avis que la Commission pouvait conclure que si les demanderesses avaient vraiment cru que leur vie était en danger, leur plus grande préoccupation aurait été de demeurer en vie. En d'autres termes, l'omission des demanderesses de revendiquer le statut de réfugiées au Canada à l'été 1998 et le fait qu'elles n'ont pas quitté la Russie en octobre 1998 justifiaient la conclusion de la Commission. Cette conclusion, à mon avis, entraîne le rejet de la demande de contrôle judiciaire des demanderesses. Il n'est donc pas nécessaire que je traite des autres questions que les demanderesses ont soulevées.


[8]                Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                        Marc Nadon

                                                                                               J.C.F.C.

OTTAWA (Ontario)

Le 12 janvier 2001.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                 IMM-4881-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                EKATERINA RIADINSKAIA et autre c.                                                                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                     MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 11 août 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE PAR : Monsieur le juge Nadon

EN DATE DU :                                     12 janvier 2001

ONT COMPARU :

Mme Styliani Markaki                                       POUR LA DEMANDERESSE

Mme Pascale-Catherine Guay                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Styliani Markaki                                       POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.