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                                                                                                                                 Date : 20050204

                                                                                                                    Dossier : IMM-4230-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 174

ENTRE :

                                                          JOSEPH NIYONKURU

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

De MONTIGNY J.

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Selon cette décision rendue le 16 avril 2004, le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR).


FAITS

[2]                Le demandeur est citoyen du Burundi. Il a fait des études en droit et en fiscalité, et travaillait comme fonctionnaire au Ministère des finances avant de venir au Canada. Il est d'origine mixte, étant issu d'un père hutu et d'une mère tutsie. Il réclame le statut de réfugié alléguant avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques imputées et de son origine ethnique mixte.

[3]                En juillet 2000, alors qu'il se rendait visiter ses parents et voir ses vaches et ses plantations, il aurait été approché par des individus afin de rencontrer le commandant du FNL Palipehutu. Ce dernier lui aurait demandé d'adhérer à leur cause. Suite au refus du demandeur, le commandant lui aurait demandé de payer 50 paires de chaussures pour les nouvelles recrues ainsi que de cotiser à chaque mois. Pour sauver sa vie, le demandeur aurait promis de livrer les chaussures et de cotiser; il n'aurait toutefois pas rempli ses promesses et n'a pas adhéré à la cause.

[4]                Deux mois plus tard, le commandant le convoqua de nouveau mais le demandeur refusa de le rencontrer. Le demandeur prétend qu'il se mit alors à recevoir des appels téléphoniques le menaçant et le qualifiant de traître.


[5]                En mai 2001, le demandeur allègue que les rebelles auraient tué toutes ses vaches en guise de représailles. Il aurait téléphoné à la police communale pour dénoncer les actes des rebelles. Il a par la suite quitté son pays et est arrivé au Canada le 5 août 2002, dans le cadre d'un stage relié à son travail. Il a demandé le statut de réfugié un mois plus tard, soit le 9 septembre 2002.

Décision de la Commission

[6]                La Commission s'est d'abord demandé si les éléments de preuve justifiaient l'exclusion du demandeur en application de l'article 1(F)(a) de la Convention sur le statut de réfugié, étant donné les allégations du demandeur selon lesquelles il aurait contribué à la cause des rebelles sous la contrainte. Cette disposition se lit comme suit :

Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes.

[7]                Compte tenu du fait que le demandeur a prétendu à l'audition n'avoir jamais livré les chaussures ni contribué financièrement à la cause des rebelles même s'il avait promis de le faire pour sauver sa peau, le tribunal en est arrivé à la conclusion que les éléments de preuve sont insuffisants pour lui permettre d'exclure le demandeur en vertu de l'article précité de la Convention. Il n'en a pas moins émis des doutes sur la véracité des allégations du demandeur, se disant d'avis que ce dernier avait changé sa version des faits lorsque la possibilité d'exclusion a été soulevée.


[8]                En revanche, le tribunal n'a pas prêté foi à la crainte de retour du demandeur, au motif que son comportement n'était pas compatible avec celui d'une personne craignant pour sa vie. Au dire du tribunal, les raisons invoquées par le demandeur pour expliquer le délai à revendiquer le statut de réfugié étaient « puériles » et démontraient une absence de crainte subjective.

[9]                Ces raisons, telles que relatées par le tribunal, sont les suivantes : il ignorait pouvoir demander l'asile à l'aéroport; il avait beaucoup d'inquiétudes à ce moment; il croyait que ce serait impoli de ne pas honorer l'invitation pour le stage; il lui fallait du temps pour demander conseil à des compatriotes; la formation suivie était très prenante; et enfin, ce n'est que vers la fin du stage qu'il aurait réussi à entrer en contact avec un compatriote.

Prétentions des parties

[10]            Le demandeur a d'abord prétendu qu'en ajournant l'audition pour permettre au ministre d'intervenir et de faire valoir ses prétentions eu égard à l'exclusion possible du demandeur, le tribunal avait fait preuve de parti pris et avait perdu son impartialité. Il convient toutefois de préciser que lors de l'audition, le procureur de l'appelant n'a pas insisté sur ce point.

[11]            Le demandeur a par ailleurs réitéré qu'il n'avait jamais donné suite à ses promesses, et qu'en tout état de cause, cela ne pouvait constituer un motif d'exclusion puisque sa complicité dans les circonstances aurait pu s'expliquer par la menace dont il faisait l'objet.


[12]            Enfin, l'avocat du demandeur a soutenu que la décision du tribunal relativement à l'absence de crainte subjective du demandeur était illogique et contradictoire : le tribunal ne pouvait inviter le ministre à intervenir sur la base des faits relatés par le demandeur, pour ensuite se raviser et n'accorder aucune crédibilité à son témoignage eu égard au délai lorsque le ministre décide de ne pas intervenir. A l'audition, on a également fait valoir que le demandeur avait de toute façon un visa de visiteur qui lui permettait de résider validement au Canada jusqu'au 16 janvier 2003, et qu'un délai d'un mois n'était pas déraisonnable pour une décision d'une telle importance.

[13]            De son côté, la partie défenderesse soutient qu'un décideur ne perd pas son impartialité du seul fait qu'il ait déjà débouté une partie dans une affaire précédente. Qui plus est, elle ajoute que la crainte de partialité doit être soulevée à la première occasion, à défaut de quoi le demandeur est présumé avoir abandonné son droit de soulever cet argument ultérieurement.

[14]            D'autre part, le défendeur est d'avis qu'il n'était pas illogique de conclure qu'il n'y avait pas suffisamment de preuve pour appliquer la clause d'exclusion (même si le tribunal avait des doutes relativement à la livraison des chaussures ou de la contribution financière), pour ensuite juger que le comportement du demandeur était incompatible avec l'existence d'une crainte subjective. Le défendeur note que le demandeur n'a pas démontré qu'il éprouvait une crainte subjective, compte tenu du délai qu'il a mis pour quitter son pays et pour revendiquer le statut de réfugié une fois arrivé au Canada.


Question en litige

[15]            Deux questions doivent être tranchées dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire : 1) La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a-t-elle fait preuve de partialité en suspendant l'audition pour permettre au ministre de demander l'exclusion du demandeur; 2) La Commission a-t-elle conclu que le demandeur n'avait pas de crainte subjective en s'appuyant sur des conclusions de faits erronés, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve soumise?

Analyse

[16]            S'agissant d'abord de la crainte de partialité alléguée par le demandeur, je suis d'avis qu'elle est sans fondement. Le seul fait que le membre de la Commission ait suspendu l'audition pour permettre au Ministre de faire des représentations sur l'exclusion du demandeur n'entachait aucunement son impartialité, et rien dans la transcription de l'audition ne porte à croire qu'il avait un parti pris contre le demandeur. En agissant de la sorte, le tribunal ne prenait pas position mais cherchait simplement à s'assurer que la question de l'exclusion serait tranchée sur la base des prétentions que pourraient faire valoir les deux parties.

[17]            Il convient par ailleurs de souligner qu'en donnant avis au Ministre que la présente demande pouvait soulever l'application de l'article 1(F)(a) de la Convention sur les réfugiés, le tribunal ne faisait que se conformer à l'article 23(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2002-228), qui stipule :


23. (1) Avis au ministre avant l'audience d'une exclusion possible - Si elle croit, avant l'audience, qu'il y a une possibilité que les sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés s'appliquent à la demande d'asile, la Section en avise par écrit le ministre et lui transmet les renseignements pertinents.

[18]            Le paragraphe (2) du même article, qui donne le même pouvoir au tribunal pendant l'audience, est d'ailleurs plus explicite quant à la raison d'être d'une telle procédure : on y précise en effet qu'un tel avis doit être donné si le tribunal « estime que la participation du ministre peut contribuer à assurer une instruction approfondie de la demande » .

[19]            En supposant même que la suspension d'instance puisse être assimilée à une décision interlocutoire, il est de jurisprudence constante que le simple fait pour un décideur d'entendre une affaire impliquant une partie alors qu'il avait, dans une affaire antérieure, rendu un jugement contre elle, ne compromet pas sa capacité d'être impartial (voir, entre autres, Arthur c. M.E.I., [1993] 1 C.F. 94; Ahani c. M.C.I., [2000] A.C.F. no 1114).

[20]            Enfin, il est clairement établi que la crainte de partialité doit être soulevée à la première occasion, et qu'à défaut de ce faire, le demandeur est présumé avoir abandonné son droit de soulever une telle crainte ultérieurement (Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369; MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856; Tribunal des droits de la personne c. Énergie atomique du Canada, [1986] 1 C.F. 103; Del Moral c. M.C.I., [1998] A.C.F. no 782 (QL); Wijekoon c. M.C.I., [2002] A.C.F. no 1022). Dans la présente instance, cet argument est fatal pour le demandeur puisque rien ne révèle qu'il ait soulevé cette crainte de partialité devant la Commission.


[21]            Quant aux conclusions tirées par la Commission relativement à la crédibilité du demandeur, il n'est pas contesté que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. M.C.I., [1993] A.C.F. no 732 (QL); Chen c. M.C.I., [1999] A.C.F. no 551; Yu c. M.C.I., [2003] A.C.F. no 932). Par conséquent, la question que nous devons nous poser est celle de savoir s'il était déraisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur n'avait pas démontré une crainte subjective de retourner dans son pays, compte tenu de son témoignage et des circonstances dans lesquelles il a réclamé le statut de réfugié.

[22]            La Commission a accordé beaucoup d'importance au fait que le demandeur avait mis un mois avant de revendiquer le statut de réfugié. Manifestement, il s'agissait là d'un élément pertinent dont le tribunal pouvait tenir compte pour apprécier la crédibilité du demandeur, même s'il ne pouvait s'agir d'un facteur déterminant en soi (Huerta c. M.C.I., (1993) 157 N.R. 225, [1993] A.C.F. no 271 (C.A.F.) (QL); Rahim c. M.C.I., [2005] A.C.F. no 56 (QL)).

[23]            Il est vrai que le demandeur avait un visa qui lui permettait de séjourner au Canada jusqu'au mois de janvier 2003. Il n'en demeure pas moins que son comportement n'est pas celui de quelqu'un qui craint vraiment pour sa vie s'il devait retourner chez lui. Non seulement les raisons qu'il invoque pour attendre la fin de son stage avant de se présenter au bureau d'Immigration Canada sont-elles peu convaincantes, mais il ressort au surplus des transcriptions qu'il avait le temps de voyager durant les fins de semaine.


[24]            Même si l'on était enclin à croire le demandeur lorsqu'il invoque sa charge de travail pendant le stage pour expliquer son retard, d'autres éléments de preuve viennent miner sa crédibilité. On pense notamment au fait que le demandeur ait attendu plus de deux ans après avoir été approché par le commandant des rebelles et plus d'un an après que ses vaches aient été tuées pour quitter son pays, de même qu'à l'ambiguïté entourant la ligne de conduite qu'il aurait adopté suite à sa première rencontre avec le commandant du FNL Palipehutu.

[25]            Tout compte fait, et après une lecture attentive de la preuve et de la décision de la Commission, la Cour est d'avis que la conclusion tirée par le tribunal eu égard à la crédibilité du demandeur n'était pas déraisonnable et pouvait s'inférer des faits soumis à son attention.

[26]            Pour ces motifs, cette Cour ne serait pas justifiée d'intervenir et de casser la décision du tribunal. Les parties n'ont par ailleurs proposé aucune question grave et de portée générale pour fins de certification.

                                                                                                                        (s) "Yves de Montigny"          

     Juge


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:                                                      IMM-4230-04

INTITULÉ:                                                     JOSEPH NIYONKURU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE:                               MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE:                             Le 26 janvier 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE:                Le juge de Montigny

DATE DES MOTIFS:                                    Le 4 février 2005

COMPARUTIONS:

Me Dan Bohbot                                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Me Daniel Latulippe                                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:


Me Dan Bohbot

Montréal (Québec)                                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Me John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

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