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     Date : 20001109

     T-730-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 9 NOVEMBRE 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

E n t r e :

     PREMIÈRE NATION DES CHIPPEWAS DE NAWASH,

     PAUL JONES et le chef RALPH AKIWENZIE

     demandeurs

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par le MINISTRE

     DES PÊCHES ET OCÉANS et par le MINISTRE DES

     AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

     défendeurs

     JUGEMENT

     LA COUR :

1.      REJETTE la demande présentée par les demandeurs ;
2.      REPORTE à plus tard l'examen de la question des dépens en attendant que les parties soumettent d'autres observations.

     « Eleanor R. Dawson »

                                         Juge

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL. L., Trad. a.



     Date : 20001109

     T-730-99

E n t r e :

     PREMIÈRE NATION DES CHIPPEWAS DE NAWASH,

     PAUL JONES et le chef RALPH AKIWENZIE

     demandeurs

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par le MINISTRE

     DES PÊCHES ET OCÉANS et par le MINISTRE DES

     AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

     défendeurs


     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DAWSON


[1]      En 1992, le ministère des Pêches et Océans (le MPO) a mis en place la Stratégie relative aux pêches autochtones (SPA). La SPA, qui est un programme permanent, vise à offrir de meilleures perspectives économiques aux Autochtones dans le domaine des pêches canadiennes tout en assurant la prévisibilité et la stabilité de même qu'une plus grande rentabilité pour tous ceux qui sont concernés par la pêche. Dans un communiqué de presse visant à annoncer la SPA, le MPO déclarait que la stratégie visait « à accroître les perspectives économiques des Autochtones des zones côtières du Canada » .

[2]      Les demandeurs, et la plupart des autres groupes autochtones qui pratiquent la pêche dans les eaux continentales, se sont vus refuser le droit de bénéficier de la SPA.

[3]      La question en litige dans la présente action est celle de savoir si l'exclusion de groupes autochtones qui ne résident pas dans les zones côtières du Canada viole les droits à l'égalité qui sont garantis aux demandeurs aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte) ou si elle constitue un manquement à l'obligation fiduciaire à laquelle les défendeurs sont tenus envers les demandeurs.

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[4]      Aux termes d'une ordonnance rendue par le protonotaire Hargrave avec le consentement des parties, la présente affaire a été scindée, de telle sorte que la présente instruction ne porte sur la question de savoir s'il y a eu violation des droits à l'égalité des demandeurs ou s'il y a eu manquement à une obligation fiduciaire. Si la question des dommages-intérêts est soulevée, elle devra être examinée dans le cadre d'un renvoi qui devra avoir lieu à une date convenable à la suite de la décision rendue à l'issue du procès. Il convient par ailleurs de signaler que le protonotaire Hargrave a ordonné que le moyen de défense tiré de l'article premier de la Charte soit examiné lors du renvoi.

[5]      La seconde question préliminaire concerne le fait qu'avant le procès, les parties se sont entendues sur un engagement par lequel les défendeurs ont convenu de ne pas invoquer à titre de moyen de défense l'argument que les demandeurs ne seraient pas admissibles à un financement en vertu de la SPA même si celle-ci s'appliquait à la province d'Ontario.

CONTEXTE FACTUEL

(i) Les parties

[6]      La Première nation des Chippewas de Nawash (les Nawash) est une bande d'Indiens Ojibwés dont la réserve occupe le cap Croker sur la péninsule Bruce, en Ontario. Le cap Croker sépare la baie Georgienne du lac Huron proprement dit.

[7]      Les personnes physiques demanderesses sont des membres des Nawash. Le chef Akiwenzie est à la tête des Nawash depuis 1989. Le demandeur Paul Jones est un résident et pêcheur Nawash de longue date.

(ii) Pêcherie des Chippewas de Nawash

[8]      Le territoire ancestral des Nawash comprend le cap Croker et un certain nombre d'îles de pêche situées au large des côtes. Les Nawash pratiquent la pêche dans la baie Georgienne depuis des temps immémoriaux. La pêche demeure une activité très importante pour eux pour des raisons économiques et culturelles.

[9]      Dans l'affaire R. v. Jones, (1993), 14 O.R. (3d) 421 (Cour Ont., Div. prov.), le tribunal devait examiner la nature et la portée du droit ancestral ou issu de traités de pratiquer la pêche commerciale dont bénéficiaient des autochtones qui faisaient l'objet d'accusations portées en vertu du Règlement de pêche de l'Ontario de 1989. Le juge saisi de cette affaire a relaté l'historique de la pêche des Saugeens Ojibwés (dont les Chippewas de Nawash font partie) aux pages 435 et 436 de son jugement :

     [TRADUCTION]
         Il ressort des éléments de preuve historiques non contredits présentés en l'espèce par la défense qu'avant l'arrivée des colons européens, les Saugeens Ojibwés occupaient depuis des siècles un vaste territoire qui correspond à la région sud-ouest actuelle de l'Ontario et qui englobait ce qu'on appelait alors Saugeen, qui est maintenant connue sous le nom de péninsule Bruce, ainsi que la région au sud de la baie Georgienne qui s'étend à l'ouest jusqu'aux rives orientales du lac Huron. Les Ojibwés de cette région pratiquaient une pêche très productive depuis, comme je l'ai déjà souligné, des temps immémoriaux. Plus précisément, il ressort de la preuve qu'ils pêchaient dans de nombreux secteurs de pêche des deux côtés de la péninsule, ainsi que dans les îles situées immédiatement au large de la réserve actuelle des Saugeens Ojibwés située sur le cap Croker à l'est, et des Saugeens à l'ouest. Il ne s'agissait pas d'une pêche pratiquée par des pêcheurs individuels pour nourrir leur propre famille, mais bien d'une activité communautaire et collective dont les fruits étaient partagés entre tous les membres de la collectivité et qui visait à assurer la subsistance de tout le groupe. Qui plus est, ainsi que le ministère public le reconnaît, la pêche qu'ils pratiquaient peut à juste titre être considérée comme une pêche « commerciale » . Non seulement les collectivités autochtones pratiquent-elles le commerce entre elles, mais encore, après l'arrivée des Européens, le poisson faisait l'objet d'un troc avec les commerçants de fourrure en contrepartie de produits de base. Ce commerce s'est développé encore plus avec l'augmentation de la population des colons et il est devenu une source essentielle de la « subsistance » de la bande. La continuité de l'exercice de ce droit depuis des temps fort anciens jusqu'à nos jours a été établie en preuve.


[10]      Cet exposé historique n'a pas été contesté par les défendeurs, qui conviennent aussi que les Nawash possèdent le droit ancestral de pratiquer la pêche commerciale.

[11]      Le chef Akiwenzie a témoigné qu'entre 50 et 60 membres du peuple Nawash travaillent dans le domaine des pêches ou dans des activités connexes. Il a estimé qu'en tenant compte des « retombées indirectes » , la valeur actuelle de la pêche pour les Nawash oscille entre un million et un million et demi de dollars par année. Dans l'analyse économique qu'elle a effectuée pour le compte des demandeurs, Mme Kimberly Rollins, professeure agrégée en économie agricole de l'Université de Guelph, a constaté qu'au cours de la période d'un an comprise entre le mois d'août 1996 et le mois de juillet 1997, la pêche représentait environ la moitié de l'ensemble des recettes commerciales privées au cap Croker. Les profits nets tirés de la pêche au cours de cette période s'établissaient à 387 854 $.

[12]      En plus d'insister sur l'importance de la pêche sur le plan économique, le chef Akiwenzie a témoigné que la pêche ancestrale revêt une grande importance sur le plan culturel pour tous les membres du peuple Nawash. Il a affirmé que la pêche [TRADUCTION] « constitue une source vitale de notre patrimoine culturel et des valeurs et conceptions qui sont à la base de nos convictions spirituelles » .

[13]      Les Nawash pêchent principalement le corégone, mais le touladi est également pêché en grandes quantités. Ils ne pêchent pas beaucoup de cyprins parce que, suivant le chef Akiwenzie, ils ne possèdent pas l'équipement ou la formation nécessaires pour pêcher ce poisson et n'ont pas les moyens de les acquérir.

[14]      Les populations de corégones dans la baie Georgienne sont qualifiées de stables, mais pourraient être en danger si l'on introduit des espèces exotiques destinées à la pêche récréative, surtout le saumon. Les populations de touladis seraient en régression. Suivant le chef Akiwenzie, il existe des bourdigues et des pièges à poisson qui permettraient aux Nawash de remettre à l'eau les corégones femelles matures. Cette technique est souhaitable, mais les Nawash n'ont pas les moyens de l'utiliser.


(iii) La SPA

[15]      M. Douglas May, chef par intérim des Pêches autochtones au MPO a témoigné que la raison d'être de la création de la SPA est exposée dans une fiche d'information publiée par le MPO en juin 1992 ainsi que dans un communiqué de presse du MPO en date du 9 septembre 1992.

[16]      Voici les passages les plus importants de la fiche d'information :

     La Stratégie relative aux pêches autochtones constitue la base d'un contrat social conclu entre le gouvernement, les peuples autochtones et les groupes de pêcheurs non autochtones.
     Elle vise à accroître les perspectives économiques des autochtones au sein des pêches canadiennes, tout en assurant le caractère prévisible, la stabilité et une rentabilité accrue pour tous les participants.
     Les ententes négociées avec les Premières nations porteront sur toute une gamme d'activités de gestion des pêches, incluant :
             des niveaux d'exploitation numériques, fixes ;
             l'accroissement de l'auto-gestion des pêches par les autochtones ;
             des projets de démonstration visant à expérimenter la vente de poissons capturés par les autochtones ;
             l'amélioration de l'habitat du poisson et la mise en valeur des pêches ;
             la recherche ;
             le développement économique et la formation en matière de pêche.
     Les ententes visent à établir les mécanismes coopératifs pour la gestion des pêches, à satisfaire les aspirations des autochtones sur le plan de la participation à la gestion des pêches, à suivre l'orientation donnée par le jugement Sparrow de la Cour suprême et à créer les structures nécessaires pour l'application de la Stratégie.
     Un des éléments importants de la Stratégie sera de protéger la position et les investissements du secteur commercial par l'achat et le retrait de permis, lorsqu'il y a transfert d'allocation de poisson.
     L'évolution et l'application de la Stratégie engloberont des consultations exhaustives de tierces parties intéressées, particulièrement les pêcheurs sportifs et commerciaux.
     En 1991, les autochtones ont participé comme jamais auparavant à l'élaboration et à la gestion de projets de pêche. Les activités seront élargies dans le cadre d'ententes négociées pour 1992 et les années suivantes. Des fonds seront accordés aux bandes autochtones, sur les côtes est et ouest et dans le Nord, en vue de l'amélioration de l'habitat du poisson et de l'accroissement des stocks de poisson, de la construction et de l'exploitation d'écloseries, de l'élargissement des rôles d'application des règlements de pêche et des activités de recherche et de sensibilisation du public.
     [...]
     Lien avec le développement économique
     Les autochtones des provinces côtières veulent préserver et bâtir leurs sociétés et leurs économies. La pêche fait partie de presque toutes les économies autochtones des régions côtières dont elle était, dans bien des cas, la pierre angulaire. Les collectivités autochtones sont souvent situées à proximité des ressources halieutiques, dans des régions isolées qui offrent peu d'autres perspectives d'emploi.
     La participation accrue des autochtones aux pêches pourrait représenter des perspectives d'emploi et de développement économique qui permettraient d'améliorer les économies des collectivités autochtones. Les groupes autochtones commenceront à assumer les coûts de la gestion de leurs propres programmes de pêche. Les projets financés par l'entremise de la Stratégie relative aux pêches autochtones aideront les groupes à en arriver à une plus grande indépendance.


[17]      Voici un extrait du communiqué de presse :

     Conçue pour apporter des avantages économiques aux groupes autochtones des régions côtières du Canada, la stratégie contribuera substantiellement à l'amélioration des stocks de saumon de l'Atlantique. Elle est de plus conforme au jugement de la Cour suprême du Canada dans la cause Sparrow qui reconnaît le droit d'accès des autochtones aux ressources halieutiques à des fins alimentaires, sociales et rituelles, ce droit étant cependant limité par les exigences de la conservation.
     [...]
     Parmi les nombreuses activités prévues par la stratégie, citons la conservation, la protection et la gestion des pêches par les bandes autochtones, l'évaluation des ressources halieutiques à des endroits choisis, l'échantillonnage et l'examen du poisson, le marquage du saumon de l'Atlantique et la remise à l'eau de tous les poissons sauf les madeleineaux que les autochtones sont autorisés à capturer, ainsi que la mise au point et le maintien de systèmes efficaces de gestion des prises.
     « Nous devons d'abord respecter nos obligations envers les autochtones. Nous devons aussi nous assurer que nos pêches commerciales sont rentables et stables. De plus, nous devons protéger et encourager la pêche sportive qui fournit des emplois dans beaucoup de secteurs de biens et de services, ainsi que des loisirs et de l'agrément à des milliers de personnes. Notre but n'est pas d'atteindre l'un ou l'autre de ces objectifs, mais tous à la fois. »
     [...]
     De nombreuses ententes, prévoyant des activités liées à la pêche, seront conclues en vertu de la stratégie relative aux pêches autochtones ; elles viseront à répondre aux aspirations diverses des groupes des Premières nations des côtes de l'Atlantique et du Pacifique du Canada et du Nord, tout en leur permettant de profiter des perspectives qui s'offrent à eux. Sur une période de sept ans, le montant total des dépenses fédérales dans le cadre de la stratégie devrait atteindre 140 millions $.
     Les composantes de la stratégie comprennent des ententes annuelles et pluriannuelles négociées avec les collectivités autochtones pour la pêche, la gestion des pêches et le développement. Les projets, soumis au MPO sont liés aux priorités de gestion des ressources et sont administrés conjointement.


[18]      M. Bruce Gale, conseiller principal en gestion des affaires publiques au MPO, a témoigné pour le compte des défendeurs. En 1992, lorsque la SPA a été mise en oeuvre, il était directeur de la réforme du MPO. Il a ensuite occupé le poste de directeur des Affaires législatives et réglementaires au MPO et de 1996 à 1998, il a été directeur général des Affaires autochtones au MPO.

[19]      M. Gale a présenté la SPA comme une méthode de gestion de la pêche autochtone, notamment de la pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles. Il a expliqué que, dans le cadre de ce programme, des ententes sont négociées et signées annuellement avec des Premières nations déterminées. Il a ajouté que ces ententes prévoient les éléments du plan de pêche de l'année en question. Les programmes et activités d'appui à la pêche constituent des éléments accessoires du programme.

[20]      M. Gale a témoigné que chaque entente négociée avec chaque Première nation sous le régime de la SPA donne lieu à la délivrance d'un permis de pêche à la Première nation concernée. Le permis porte sur les espèces et les quantités qui peuvent être pêchées, sur les zones de pêche autorisées et sur les engins de pêche à utiliser.

[21]      La SPA s'appliquait et continue de s'appliquer là où le MPO gère la pêche et dans les zones où le règlement de revendications territoriales n'ont pas déjà donné lieu à l'instauration d'un régime de gestion des pêches. M. May a également témoigné que, de façon générale, la SPA s'applique à la région de l'Atlantique, à certaines parties de la Colombie-Britannique, des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon et dans les eaux maritimes du Québec. Au cours des quatre premières années d'existence du programme, des ententes ont été signées en vertu de la SPA avec 80 pour 100 des Premières nations de la Colombie-Britannique et 90 pour 100 des Premières nations de l'Atlantique et 21 ententes ont été signées avec des collectivités inuits du Nord du Québec et des organismes régionaux.

[22]      M. May a également témoigné que, depuis une centaine d'années, la position du MPO a toujours été que les programmes fédéraux en matière de gestion des ressources halieutiques autochtones ne s'appliquent que dans les régions où le MPO gère directement la pêche.

(iv) Compétence et gestion sur la pêche en Ontario

[23]      La Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., ch. 3 (la Loi constitutionnelle de 1867), a été interprétée comme prévoyant que la compétence sur la pêche intérieure est partagée entre le gouvernement fédéral et les législatures provinciales. Le paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au gouvernement fédéral la compétence sur la pêche côtière et la pêche intérieure. Le paragraphe 92(13) confère aux provinces la compétence sur la propriété et les droits civils.

[24]      Dans l'exposé conjoint des faits qu'elles ont déposé en preuve, les parties ont convenu de ce qui suit :

     [TRADUCTION]
     6.      Saisi en 1894 d'un renvoi constitutionnel formé par le gouverneur général du Canada, le Comité judiciaire du Conseil privé britannique s'est penché, dans l'arrêt Procureur général du dominion du Canada c. Procureur général des provinces de Québec, d'Ontario et de la Nouvelle-Écosse, [1898] A.C. 700, sur le droit de propriété et la compétence respectives du gouvernement fédéral et des législatures provinciales sur les pêches. À la suite de cette décision, dans une note de service datée du 27 février 1899 et soumise à l'approbation du gouverneur général du Canada, le ministre fédéral de la Marine et des Pêches demandait que l'on se passe des services de certains agents fédéraux des pêches en Ontario et que l'on confie l'administration de certaines questions relatives à la pêche en Ontario aux autorités provinciales (doc. 4 du ministère public). Vers le 8 mai 1926, un décret fédéral a été pris en vue de transférer à la Couronne provinciale de l'Ontario certaines écloseries appartenant au gouvernement fédéral (doc. 5 du ministère public).

     7.      Certaines attributions relatives à la gestion des pêches en Ontario ont été déléguées au ministre ontarien des Ressources naturelles aux termes du Règlement de pêche de l'Ontario de 1989, DORS/89-93 et du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones, DORS/93-332, qui ont tous les deux été pris en application de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14.


[25]      M. Michel Leclerc, directeur par intérim des Affaires législatives et réglementaires du MPO a témoigné ce qui suit :

     [TRADUCTION]
     4.      À la suite de l'arrêt du Conseil privé, la gestion des pêches dans les eaux sans marée en Ontario ainsi que la réglementation y afférente a été confiée en 1899 à la province d'Ontario. Le gouvernement du Canada a continué à exploiter les écloseries qui existaient alors en Ontario et a conservé jusqu'à nos jours ses pouvoirs sur les eaux de marée de la baie d'Hudson et de la baie James. Cette délégation de la gestion des pêches en Ontario à la province d'Ontario est constatée dans une note de service manuscrite adressée au ministère de la Marine et des Pêcheries et au vérificateur général le 3 mars 1899. Une photocopie de cette note de service manuscrite est jointe aux présentes à titre d'annexe A. L'entente susmentionnée a été expressément reconnue dans un décret ultérieur, le décret P.C. 714 en date du 8 mai 1926 qui a également eu pour effet de transférer des écloseries fédérales au gouvernement de l'Ontario. Une photocopie de ce décret est jointe aux présentes à titre d'annexe B.
     5.      En vertu de l'entente administrative de 1899, l'Ontario gère effectivement depuis une centaine d'années pratiquement tous les aspects de ses propres pêches en eaux sans marée Le MPO s'est réservé un rôle modeste en ce qui concerne la gestion des pêches dans les eaux sans marée de l'Ontario. Par exemple, en vertu de l'entente de 1899, la province recommande au MPO des modifications au Règlement de pêche de l'Ontario pris en application de la Loi sur les pêches pour faciliter la gestion de la pêche récréative et de la pêche commerciale par la province. La province d'Ontario a également adopté des lois telles que la Fish and Wildlife Conservation Act pour assurer la saine gestion des ressources halieutiques et fauniques de la province. Finalement, le Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones pris en application de la Loi sur les pêches prévoit que le ministre des Ressources naturelles de l'Ontario est le ministre habilité à délivrer des permis de pêche aux Autochtones de l'Ontario.

[26]      M. Gale a témoigné que le MPO ne voulait pas débattre avec l'Ontario de la sagesse de la gestion des pêches.

[27]      J'accepte et je conclus, sur le fondement de ces éléments de preuve, que durant toute l'époque en cause, l'Ontario gérait effectivement la pêche en eaux sans marée en Ontario.

[28]      Il est vrai que le Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones dont M. Leclerc a fait état n'a été pris qu'en 1993, mais il n'en demeure pas moins qu'avant cette date, l'Ontario réglementait les pêcheurs autochtones et non-autochtones sous le régime du Règlement de pêche de l'Ontario de 1989, DORS/89-93 et de la Loi sur la chasse et la pêche de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. G.1.

(v) Non-application de la SPA aux demandeurs

[29]      Les parties s'entendent sur ce qui suit :

     [TRADUCTION]
     5.      Le 16 février 1993 ou vers cette date, des fonctionnaires du ministère fédéral des Pêches et Océans (MPO) ont expliqué à des représentants des Nawash qu'ils n'étaient pas admissibles à un financement dans le cadre de la SPA parce que la SPA ne s'appliquait pas à la pêche dans les eaux continentales situées à l'intérieur des frontières provinciales. Le MPO refuse toujours d'accorder aux Nawash l'aide financière prévue par la SPA.


[30]      Le chef Akiwenzie a témoigné que les Nawash tireraient un grand profit de programmes de type SPA tels que :

     recherche sur les répercussions de l'introduction de poissons exotiques ;
     acquisition, formation et utilisation de bourdigues ;
     aide financière en vue de former les pêcheurs à la pêche en eaux profondes ;
     mesures efficaces visant à stabiliser les populations de touladis.

[31]      Dans un document interne du MPO rédigé en 1996 pour examiner le fonctionnement de la SPA jusqu'à ce moment-là, le DPO déclarait que, grâce aux ententes de partenariat conclues avec les autorités autochtones chargées de la pêche, la gestion de la pêche autochtone s'était grandement améliorée. Voici quelques-uns des exemples qui ont été cités :

     des allocations annuelles de prises ont été fixées à des fins alimentaires, sociales et rituelles ;
     le programme permet de planifier des mesures de gestion ;
     l'amélioration des mesures de surveillance et de déclaration des prises autochtones a permis d'améliorer les méthodes de gestion et d'évaluation des stocks.

[32]      Déjà en 1996, des sommes de l'ordre de 84,5 millions de dollars avaient été dépensées sous le régime de la SPA, sans compter la somme supplémentaire de 13.2 millions de dollars qui a été dépensée pour le retrait de permis de pêche commerciale du secteur non-autochtone de la pêche commerciale.

QUESTIONS EN LITIGE

[33]      Il y a deux questions à résoudre :

1.      La SPA, ou son application aux défendeurs, contrevient-elle au paragraphe 15(1) de la Charte ?
2.      La SPA, ou son application aux défendeurs, soumet-elle les défendeurs lieu à une obligation fiduciaire envers les demandeurs en leur qualité d'Autochtones et, dans l'affirmative, y a-t-il eu manquement à ce devoir ?

ANALYSE

(i) La SPA, ou son application aux défendeurs, contrevient-elle au paragraphe 15(1) de la Charte ?

[34]      Le paragraphe 15(1) de la Charte dispose :

     La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.


[35]      Dans l'arrêt Law c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, la Cour suprême du Canada a examiné l'objectif visé par le paragraphe 15(1) de la Charte et les principes qui guident la méthode qu'il convient d'utiliser pour analyser la question de l'égalité.

[36]      La Cour a affirmé, au paragraphe 51 de cet arrêt, que le paragraphe 15(1) de la Charte a pour objet « d'empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l'imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux » .

[37]      On ne doit pas restreindre l'analyse relative au paragraphe 15(1) de la Charte à une formule figée et limitée. « Une démarche fondée sur l'objet et sur le contexte doit plutôt être utilisée en vue de l'analyse relative à la discrimination pour permettre la réalisation de l'important objet réparateur qu'est la garantie d'égalité [...] » (voir l'arrêt Law, au paragraphe 88).

[38]      L'analyse doit servir avant tout à déterminer si l'objet et l'effet de la loi contestée entrent en conflit avec l'objet du paragraphe 15(1) (voir l'arrêt Law, au paragraphe 41).

[39]      Bien qu'il dispose que la loi « s'applique également à tous » , le paragraphe 15(1) vise non seulement les lois, mais également des programmes et activités comme la SPA. L'applicabilité du paragraphe 15(1) de la Charte à la SPA n'est pas contestée dans la présente action.

[40]      Le tribunal appelé à se prononcer sur la présumée violation du paragraphe 15(1) de la Charte doit se poser les trois grandes questions suivantes que la Cour suprême du Canada a exposées dans l'arrêt Law, au paragraphe 88 :

     (A)      La loi contestée: a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles ?
     (B)      Le demandeur fait-il l'objet d'une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues ?
     (C)      La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu'elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d'un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que l'individu touché est moins capable ou est moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération ?

[41]      La garantie d'égalité est un concept comparatif, de sorte que la réponse à chacune des trois grandes questions susmentionnées doit reposer sur une comparaison avec un ou plusieurs autres groupes pertinents (voir l'arrêt Law, au paragraphe 56). Bien que ce soit généralement le demandeur qui choisit l'élément comparateur, le tribunal peut approfondir la comparaison soumise par le demandeur lorsque le tribunal estime justifié de le faire (voir l'arrêt Law, au paragraphe 57).

[42]      Je commence mon analyse du paragraphe 15(1) en me demandant s'il y a lieu d'approfondir la comparaison soumise par les demandeurs.

(A) Groupe de comparaison

[43]      Les demandeurs proposent comme groupe de comparaison les collectivités autochtones de pêcheurs qui peuvent bénéficier des avantages de la SPA ou qui y sont admissibles.

[44]      Les défendeurs demandant à la Cour d'approfondir cette comparaison et soutiennent que l'élément de comparaison devrait être les peuples autochtones qui sont en mesure de remplir la condition préalable nécessaire suivant laquelle ils sont disposés à conclure une entente de cogestion avec le MPO et se trouvent dans une région qui relève du pouvoir de gestion de la pêche du MPO.

[45]      Les défendeurs ont étayé leur thèse en faisant valoir que la raison d'être de la SPA est la gestion et le contrôle de la pêche dans des régions où le MPO gère l'ensemble de la pêche. Ils soutiennent que la comparaison doit être approfondie parce que, pour que la SPA s'applique, il doit exister un secteur de pêche sur lequel le gouvernement fédéral et les peuples autochtones locaux peuvent exercer un contrôle conjointement.

[46]      On a expliqué aux représentants des Nawash qu'ils n'étaient pas admissibles à un financement sous le régime de la SPA parce que celle-ci ne s'applique pas à la pêche intérieure pratiquée à l'intérieur des frontières de la province. On ne leur a pas dit qu'ils n'étaient pas admissibles en raison de différences inhérentes à la nature ou à l'objectif de la pêche qu'ils pratiquent, en raison de différences qui concerneraient leurs droits en tant que peuple autochtone ou en raison de différences ayant trait à leur relative situation défavorable sur le plan social ou économique. Par ailleurs, la raison d'être de la SPA est vivement controversée dans la présente action. En conséquence, on ne m'a pas persuadée que les circonstances relatées dans la preuve présentée en l'espèce me justifieraient d'approfondir l'élément de comparaison proposé par les demandeurs.

(B) Différence de traitement

[47]      Dans l'arrêt Law, au paragraphe 39, le juge Iacobucci a expliqué dans les termes suivants la première phase de l'analyse de toute allégation de discrimination :

     [...] la loi contestée a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles ?


[48]      Vu les faits susmentionnés, j'accepte que l'application que les défendeurs font de la SPA a pour effet d'établir une distinction formelle entre les demandeurs et le groupe de comparaison. J'accepte en outre que les demandeurs ont fait l'objet d'un traitement différent, étant donné que les fonctionnaires du MPO ont dit à leurs représentants que les demandeurs n'avaient pas le droit de recevoir de l'argent en vertu de la SPA parce que celle-ci ne s'appliquait pas, et ne s'applique toujours pas, à la pêche intérieure.

[49]      Il est donc nécessaire de se demander si cette distinction formelle ou cette différence de traitement repose sur une caractéristique personnelle. À cette étape de l'analyse, il ne s'agit pas de savoir si la différence de traitement constitue une discrimination (voir l'arrêt Law, au paragraphe 89).

[50]      Les demandeurs affirment que leur caractéristique personnelle la plus remarquable est leur attachement ancestral profond à la Première nation à laquelle ils appartiennent et le fait qu'ils vivent au sein de celle-ci.

[51]      Voici le témoignage que le chef Akiwenzie a donné sur ce point :

     [TRADUCTION]
         Q.      Jusqu'à quel point l'emplacement précis de la réserve sur la péninsule du cap Croker et à proximité des eaux en question est-il important sur le plan de ces valeurs spirituelles. Par exemple, si vous déménagiez au lac Winnipeg, la situation serait-elle la même ?
         R.      Non, ça ne serait pas la même chose.
     [...]
         Q.      Jusqu'à quel point le lieu est-il important pour l'équilibre spirituel et social ?
         R.      L'endroit où nous sommes situés est tout à fait unique, parce qu'on y trouve un lieu très sacré, la péninsule Bruce.
         Q.      Sacré sous quel rapport ?
         R.      Des ancêtres sont inhumés tout près.
         Q.      Je vois. Est-il sacré sous d'autres rapports ?
         R.      Je crois que notre région est unique parce que nous sommes reliés à l'eau. Notre site est tout à fait unique. Nous sommes entourés d'eau et bornés par l'escarpement du Niagara.


[52]      Bien que je reconnaisse que l'application exclusive de la SPA aux groupes autochtones des régions côtières crée une inégalité qui défavorise les autochtones qui pratiquent la pêche dans les eaux intérieures, et bien que j'accepte le témoignage du chef Akiwenzie suivant lequel les Nawash ont un attachement ancestral profond envers la Première nation à laquelle ils appartiennent et au sein de laquelle ils vivent, je suis incapable de conclure que la distinction établie par la SPA est fondée sur une caractéristique personnelle, en l'occurrence, l'attachement des demandeurs à la Première nation à laquelle ils appartiennent et au sein de laquelle ils vivent.

[53]      J'en arrive à cette conclusion en raison du fait que d'autres autochtones admissibles à la SPA possédent eux aussi cette caractéristique, en l'occurrence un attachement ancestral profond à leur Première nation et le fait qu'ils habitent au sein de celle-ci. Ce n'est pas la présence ou l'absence d'attachement ancestral qui détermine l'admissibilité à la SPA.

[54]      Les demandeurs soutiennent que, si l'on considère deux groupes autochtones qui sont tous les deux profondément attachés à leur territoire ancestral et que l'un se voit conférer des avantages qui sont refusés à l'autre en raison du lieu où il réside, on établit une distinction entre eux sur le fondement de leur attachement ancestral à un territoire déterminé.

[55]      Cet argument repose nécessairement sur la prémisse que la détermination de l'admissibilité repose sur une caractéristique personnelle, en l'occurrence le lieu de résidence.

[56]      Il y a lieu d'examiner le bien-fondé de cette prémisse. Pour ce faire, il faut nécessairement, selon moi, examiner la nature de la SPA.

[57]      Les défendeurs affirment que la SPA était et est toujours un programme axé sur le poisson et sur la gestion des pêches. Les demandeurs affirment que la SPA vise exclusivement et essentiellement « les Indiens » .

[58]      Pour justifier leur affirmation que la SPA vise exclusivement et essentiellement « les Indiens » , les demandeurs se fondent sur les éléments suivants :

     La fiche d'information publiée par le MPO lorsque la SPA a été annoncée. Outre les deux premiers paragraphes de la fiche d'information qui ont déjà été cités au paragraphe [16], les demandeurs se fondent sur l'extrait suivant d'une seconde fiche d'information :
     La Stratégie relative aux pêches autochtones est la réponse du gouvernement fédéral à la question suivante :
         Comment le rôle des autochtones au sein de la pêche peut-il être élargi, tout en préservant les stocks de poisson et en maintenant un environnement stable, un partage des ressources prévisible et des pêches rentables pour tous les intéressés ?;

     Le témoignage de M. May suivant lequel la première fiche d'information expliquait la raison d'être de la création de la SPA ;
     Le fait que les programmes de la SPA n'étaient pas offerts à toutes les catégories de pêcheurs ;
     Le document d'examen de la SPA précisait que le premier succès constaté de la SPA était le fait que [TRADUCTION] : « Grâce aux ententes de partenariat conclues avec les autorités des pêches autochtones, la gestion de la pêche autochtone s'est grandement améliorée » .

[59]      Il ne faut cependant pas considérer isolément la première et la deuxième fiches d'information. Il convient de signaler que quatre fiches d'information ont été publiées pour « appuyer » les trois communiqués de presse publiés le 29 juin 1992 et la déclaration du ministre des Pêches et Océans de l'époque, John C. Crosbie. La déclaration du ministre et les trois communiqués de presse portaient presque exclusivement sur la pêche en Colombie-Britannique. La SPA ne s'appliquait cependant pas uniquement à la Colombie-Britannique.

[60]      Il en ressort, selon moi, que les propos du ministre et les communiqués de presse constituent des éléments de preuve moins fiables au sujet des objectifs et des effets de la SPA que ce qu'on obtient s'en reportant au conditions effectives du programme et en observant ses modalités d'application. En concluant de la sorte, je n'oublie pas le témoignage de M. May suivant lequel la première fiche d'information expose effectivement la raison d'être du programme SPA.

[61]      Quant aux éléments de preuve relatifs aux modalités et au mode de fonctionnement du programme, voici en quels termes M. Gale a décrit la SPA :

     [TRADUCTION]
         Q.      O.K. Si nous entrions dans les détails au sujet de la Stratégie relative aux pêches autochtones. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit ?
         R.      Eh bien, la Stratégie relative aux pêches autochtones est un programme. C'est un programme, comme on l'a déjà expliqué, qui prévoit un financement. Mais je crois qu'on peut plus justement décrire la Stratégie relative aux pêches autochtones comme une méthode de gestion des pêches autochtones, notamment à des fins alimentaires, sociales et rituelles.
         Ainsi, quand je songe à ce programme en tant que personne en ayant été responsable, je constaste qu'il est constitué des ententes que nous avons signées avec des Premières nations déterminées, des permis qui leur sont délivrés et qui précisent tous les éléments du plan de pêche d'une année déterminée et de certains éléments accessoires sur le plan des programmes et des activités qui viennent appuyer la pêche.
         Q.      Et pourriez-vous nous expliquer comment les ententes elles-mêmes prennent effet ?
         R.      Bien sûr. Elles sont habituellement négociées chaque année. Certains groupes ont des ententes de trois ans, mais en un sens, ce ne sont que des ententes cadres.
         Les véritables dispositions de fond de l'entente sont négociées chaque année. Elles sont négociées avec une Première nation déterminée par le personnel régional sous la direction générale du bureau d'Ottawa.
         Il s'agit de consulter la Première nation au sujet de ce qu'elle estime être ses besoins alimentaires en poisson, des espèces qu'elle aimerait pêcher, des endroits où elle désire pêcher, des engins de pêche qu'elle souhaite utiliser et il y a une composante... Tous ces éléments se retrouvent ensuite dans le permis qui est délivré à la Première nation.
         Il ne faut pas oublier non plus la composante d'appui au programme.
         Q.      Les ententes sont-elles toutes identiques ?
         R.      Elles s'inspirent d'un modèle commun.
         Q.      Y a-t-il des variantes ?
         R.      Eh bien, disons qu'il existe évidemment des variantes dans les modalités d'appui au programme et dans le contenu du permis, mais il y a certains éléments constants.
         Il convient tout d'abord de signaler que toute entente signée avec une Première nation conduit à la délivrance d'un permis, à l'exception de quelques ententes conclues avec des groupes de coordination, qui ressemblent davantage à du financement de projet en vue de consultations.
         Ces éléments sont expressément stipulés dans chaque entente parce qu'ils servent au MPO de preuve que les consultations et les discussions ont effectivement eu lieu au sujet de la participation des autochtones à la pêche et des règles qu'ils observeront. Il convient par ailleurs de signaler que l'entente est aussi une entente financière conclue avec la Première nation concernée.
         De plus, en signant l'entente, les deux parties reconnaissaient qu'un permis sera délivré à la Première nation en cause.
         Q.      Et vous avez dit que chaque entente renferme des éléments constants et que le permis est l'un d'entre eux ?
         R.      Oui.


[62]      En réponse à la question de savoir comment, s'il y a lieu, le MPO a profité de la SPA, voici ce que M. Gale a déclaré :

     [TRADUCTION]
         R.      Eh bien, vous savez, notre objectif premier est d'assurer la conservation de la ressource et de veiller au bon ordre dans les pêches dans l'intérêt de tous ceux qui dépendent de la pêche ou qui la pratiquent.
         Et après tout, surtout lorsqu'on parle de pêche maritime, nous sommes en présence d'une ressource nationale. C'est une ressource publique. La SPA nous permet donc de mieux nous acquitter de notre mission première en ce qui concerne la conservation de la ressource et de nos responsabilités envers les Canadiens et envers ceux qui dépendent de la pêche.
         Mais aussi ce que nous avons réussi à obtenir par l'intermédiaire de ces permis est une stabilité juridique et des moyens de contrainte légaux. En d'autres termes, une fois que nous avons conclu avec une bande une entente au sujet de la façon dont ses membres veulent exercer leurs droits et que cette entente est signée, cette entente, qui est essentiellement une entente administrative, constitue un acte qui constate les consultations qui ont eu lieu.
         Et ensuite, grâce à l'acte juridique lui-même, en l'occurrence le permis, nous disposons d'un outil de réglementation exécutoire auquel les chefs des diverses Premières nations concernées souscrivent.
         Et, de fait, lorsque des membres des Premières nations ne respectent pas les modalités de leur permis de pêche, il arrive que des Premières nations nous demandent de déposer des accusations contre des membres de leur bande. Nous avons donc une certitude juridique.
         La SPA nous permet d'assurer le bon ordre dans les pêches et le simple fait de consulter des Autochtones nous a permis -- pas toujours et pas à 100 pour 100 de part et d'autre -- de passer d'une situation de domination, de contrôle et de confrontation à une situation qui s'apparente davantage sinon à un partenariat, du moins à une relation de travail stable qui assure un échange constant de renseignements pendant toute l'année de pêche.
         Et cette relation ne s'arrête pas une fois l'entente signée. Elle se poursuit par la suite.


[63]      Voici ce qu'a témoigné M. Gale au sujet des incidences du programme sur la pêche par des non Autochtones :

     [TRADUCTION]
         R.      Eh bien, il a eu, je crois, des incidences très positives sur leur situation. Je ne suis pas sûr qu'ils nous étaient reconnaissants au début, mais, en fait, le programme a favorisé la prévisibilité et la stabilité dans leur pêche.
         De plus, en finançant le retrait des permis, nous avons été en mesure de redistribuer la ressource sans causer de préjudice à des personnes ou à des collectivités. Tous les retraits de permis ont été faits volontairement.
         Et c'est un peu difficile à expliquer, mais si on ne sait pas avec certitude combien d'Autochtones vont pêcher, on doit gérer le tout, tout le reste de la pêche, de façon beaucoup plus conservatrice, et cela est particulièrement vrai dans le cas de la pêche au saumon en raison de son caractère migratoire.
         Les autochtones, qui pêchent du poisson dans la rivière à des fins alimentaires, sociales et rituelles, ont la priorité d'accès la plus élevée, mais ils sont les derniers en ligne parce que le poisson se déplace le long de la côte et fraie ensuite dans la rivière.
         Si on ne peut avoir la certitude qu'un nombre suffisant de poissons franchiront ces lieux de pêche autochtones et pourront se rendre jusqu'aux frayères, on doit gérer de façon beaucoup plus conservatrice tous les mouvements du saumon.
         Ainsi, lorsque les agissements de tous ceux qui participent à la pêche sont stables et prévisibles, on peut avoir un système beaucoup mieux calibré et affiné, parce qu'il n'est plus nécessaire de prévoir une grande marge d'erreur ou d'incertitude.


[64]      Quant à la raison pour laquelle la SPA ne s'applique pas à l'Ontario, voici les questions auxquelles M. Gale a répondu lors de son interrogatoire direct :

     [TRADUCTION]
         Q.      Pouvez-vous nous expliquer pourquoi elle ne s'applique pas à l'Ontario ?
         R.      Eh bien, tout d'abord, nous ne sommes pas ceux qui gèrent la ressource au jour le jour en Ontario. Nous jouons un rôle complémentaire en ce qui concerne la prise de règlements, mais nous ne dirigeons pas un programme scientifique. Nous ne dirigeons pas un programme de mise en application des règlements sur la pêche.
             Nous n'établissons pas de plans de pêche commerciale ou récréative. En second lieu, nous ne répartissons pas la ressource. Si le point de départ de l'arrêt Sparrow était de s'assurer que les Autochtones aient un accès suffisant à la ressource pour répondre à leurs besoins alimentaites, sociaux et rituels, il fallait alors, autrement dit, « bloquer » les autres pêcheurs.
         Q.      Que voulez-vous dire par « bloquer les autres pêcheurs » ?
         R.      Les pêcheurs commerciaux ou sportifs qui pouvaient pêcher les mêmes espèces. Il nous fallait réduire l'ampleur de leur activité ou diminuer leurs niveaux de pêche pour fournir un accès supplémentaire aux Premières nations.
         Le contrôle que le ministre exerce sur les leviers de répartition de la ressource et sur la délivrance des permis constitue donc un moyen de contrôle, mais il y en a d'autres, comme les saisons de pêche par exemple. Il était donc essentiel que nous contrôlions la fonction de répartition.
         Et ne nous faisons aucune répartition en Ontario, parce que nous sommes d'avis que la province a la compétence originale de le faire, ce qui a été confirmé par les lois que la province a adoptées en matière de délivrance de permis.


[65]      En contre-interrogatoire, voici comment M. Gale a répondu aux questions suivantes :

     [TRADUCTION]
         Q.      Si votre ministère est en mesure d'agir à d'autres égards de manière à s'adapter à chaque province et à conclure des ententes particulière avec chacune d'entre elles, pourquoi a-t-il été nécessaire, en ce qui concerne la politique en matière de pêches autochtones, d'exclure toute une région et d'assujettir certaines régions à cette politique et d'y soustraire d'autres régions ?
         R.      Eh bien, je dirais tout d'abord que la Stratégie relative aux pêches autochtones repose sur le principe de la négociation de l'accès des Autochtones à la ressource et des quantités de poisson autorisée et que, lorsque d'autres ont le pouvoir de répartir directement la ressource, le MPO ne peut exécuter cette fonction et qu'inéluctablement, c'est la province qui le fait.
         En second lieu, dans la mesure où la Stratégie relative aux pêches autochtones porte sur des ententes visant à négocier un plan de pêche et consiste à offrir des programmes d'appui aux plans de pêche, à mettre à exécution les plans de pêche, les véritables rapports, dans les provinces intérieures, existent entre le gestionnaire de facto et la Première nation, c'est-à-dire entre ceux entre qui les discussions ont lieu.
         Et j'irais jusqu'à dire que le MPO ne pourrait intervenir de manière sélective de manière bilatérale auprès d'une Première nation déterminée sans tenir compte de cette structure de gestion plus large à laquelle la pêche autochtone doit être intégrée.


[66]      La politique du MPO sur la gestion des pêches autochtones a été déposée en preuve. En voici les extraits les plus importants :

     A.      OBJET
     Énoncer les principes et lignes directrices qui sous-tendent la gestion des pêches autochtones du Ministère des Pêches et des Océans (MPO) à la lumière de l'état du droit en matière de droits de pêche autochtones, et plus particulièrement eu égard à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sparrow et à la Stratégie relative aux pêches autochtones (SRAPA) du MPO. La politique s'applique à toutes les espèces de poisson.
     B.      POLITIQUE
     [...]

     2. Réglementation des pêches autochtones
     Le MPO établira un processus de gestion des pêches autochtones qui inclura la pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles, mais s'en y être limité, en se basant sur les modalités suivantes :
     a)      Là où il est nécessaire, pour s'assurer que le total des prises récoltées par tous ceux qui pêchent un stock donné ne dépasse pas la limite de conservation, la pêche autochtone sera pratiquée en vertu d'un permis communautaire délivré en vertu de l'application de la Loi sur les pêches.
     b)      Par négociation avec les représentants des Premières nations, le MPO s'efforce d'assujettir la pêche autochtone à des ententes mutuellement acceptables, qui doivent être incluses dans les ententes de pêches autochtones découlant de la SRAPA.
     c)      En cas de désaccord sur la gestion des pêches autochtones, le MPO délivre à la Première nation un permis communautaire autorisant la pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles, en ne restreignant pas cette pêche que pour des motifs valables de conservation, pour laisser suffisamment de poissons comestibles aux autres groupes autochtones, pour des motifs de santé ou de sécurité ou pour réaliser d'autres objectifs tangibles et primordiaux.
     [...]
     7. Allocations pour les pêches autochtones
     a)      Une fois que les exigences de conservation sont respectées, la priorité d'accès aux ressources halieutiques est accordée aux autochtones pour des fins alimentaires, sociales et rituelles ; pour ce faire, dans la mesure permise par l'abondance du stock de poisson dans les zones utilisées historiquement par le groupe, le MPO conclut des ententes de pêches autochtones aves les Premières nations et leur délivre des permis communautaires.


[67]      En ce qui concerne le type de projets de la SPA qui, selon ce que le chef Akiwenzie a affirmé dans son témoignage, seraient grandement profitables aux Nawash, voici ce que prévoyait la Politique :

     10. Ententes auxiliaires de coopération en matière de gestion
     a)      La négociation des ententes de pêches autochtones peut s'accompagner de négociations sur l'élaboration d'ententes auxiliaires de coopération en matière de gestion découlant de la SRAPA, portant sur les éléments suivants :
         i)      programmes de gardes-pêche ;
         ii)      participation à la gestion de l'habitat ;
         iii)      remise en état des habitats ;
         iv)      amélioration des pêches ;
         v)      évaluation des stocks et autres recherches menées par les autochtones en collaboration avec le MPO ;
         vi)      développement et expérimentation de nouveaux moyens pour valoriser les retombées économiques de la pêche des communautés autochtones ;
         vii)      délivrance à la Première nation d'un certain nombre de permis l'autorisant à participer à une ou plusieurs pêches commerciales selon les conditions régissant cette pêche. Ces permis seront détenus et administrés par la Première nation.
     b)      Les activités de coopération en matière de gestion peuvent être financées en partie ou en totalité par des ententes de contribution ou des contrats.


[68]      Il ressort de ce qui précède que, faute d'ententes mutuellement acceptables dûment négociées qui soient incluses dans ce qu'il est convenu d'appeler des « ententes sur la pêche autochtone » il ne peut y avoir, sous le régime de la SPA, de projet financé du type de ceux dont a parlé le chef Akiwenzie.

[69]      Vu l'ensemble de la preuve qui m'a été soumise et en particulier des éléments de preuve susmentionnés, je conclus que la SPA est essentiellement un programme axé sur la pêche et sur la gestion de la pêche, comme en témoigne le fait que les Autochtones ne peuvent bénéficier d'aucun des avantages conférés par la SPA tant qu'une entente sur la pêche autochtone prévoyant la délivrance de permis de pêche n'a pas été signée.

[70]      Je suis d'accord pour dire que ces avantages constituent une incitation à conclure une entente sur des objectifs de conservation valables qui restreignent nécessairement les droits de pêche des Autochtones, de même qu'une récompense pour avoir signé une telle entente.

[71]      Dans cette mesure, la SPA a des répercussions tant sur les pêcheurs autochtones que sur les pêcheurs non autochtones. Les répercussions sur les pêcheurs non autochtones ne découlent pas seulement du programme de retrait de permis dont il est question dans la fiche d'information, mais aussi, selon moi, de la création et du maintien d'une pêche stable et de ce que M. Gale a qualifié de gestion moins conservatrice de la pêche qui pourrait être réalisée au profit de l'ensemble des pêcheurs une fois conclue une entente sur la pêche autochtone.

[72]      Le thème central du programme de la SPA est incontestablement la réglementation de la pêche autochtone. Toutefois, compte tenu du caractère constitutionnel que revêt le droit des Autochtones de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles, le fait que ce droit accorde la priorité absolue à la pêche destinée à la consommation humaine une fois que des mesures de conservation valables ont été mises en place et le fait que tout réglement gouvernemental qui porte atteinte aux droits des Autochtones doit être justifié (ainsi que la Cour suprême du Canada l'a déclaré dans l'arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075), je conclus que l'accent qui est mis sur la pêche autochtone n'enlève rien au fait que la SPA est un programme axé sur le poisson et sur la gestion des pêches.

[73]      Autrement dit, on ne peut gérer l'ensemble de la pêche sans reconnaître comme il se doit les droits ancestraux. La SPA reconnaît ces droits et s'efforce d'en tenir compte dans le cadre du programme de gestion des pêches. La SPA est donc un programme fondé sur la cogestion des pêches autochtones par le MPO et les peuples autochtones locaux, le tout dans le cadre de la gestion de l'ensemble de la pêche.

[74]      Ayant conclu que la SPA est essentiellement axée sur le poisson et sur la gestion de la pêche, ma conclusion qu'à l'époque en cause, l'Ontario a effectivement géré la pêche en eaux sans marée en Ontario revêt un intérêt particulier. Indépendamment de cette conclusion, il convient de rappeler qu'en vertu du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, la province d'Ontario a compétence exclusive pour légiférer et réglementer en toute matière concernant qui peut pêcher et la nature et la quantité de la pêche.

[75]      Il découle du fait que l'Ontario gère la pêche et a compétence exclusive en matière de délivrance de permis en vue de réglementer la pêche que le MPO ne peut entreprendre, à l'égard des Nawash, aucune des activités de gestion des pêches qui sont envisagées ou prescrites par la SPA. Les Nawash sont par conséquent exclus du champ d'application de la SPA, non pas en raison de la caractéristique personnelle que constitue l'emplacement de leur réserve, mais bien en raison du fait qu'il n'y a pas de pêche que le MPO peut répartir et, par conséquent, gérer.

[76]      Les demandeurs soutiennent que la compétence du législateur fédéral sur les besoins en conservation des eaux intérieures constitue un fondement solide qui justifie l'application de la SPA à la pêche intérieure ontarienne. Ils rappelent également la compétence sur les « Indiens » que le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement fédéral. J'ai toutefois accepté que la SPA repose sur l'existence d'une entente de pêche autochtone qui prévoit la délivrance de permis. Faute de pouvoirs en matière de délivrance de permis et de réglementation de la pêche, la SPA ne peut s'appliquer, malgré la compétence que possède le gouvernement fédéral à l'égard de la conservation et des « Indiens » .

[77]      La conclusion que ce n'est pas à cause d'une caractéristique personnelle que les Nawash sont soustraits à l'application de la SPA porte un coup fatal à l'argument que les demandeurs tirent du paragraphe 15(1) de la Charte parce que, pour que ce moyen soit retenu, le tribunal doit répondre par l'affirmative à la première question à laquelle on doit répondre selon l'analyse exposée dans l'arrêt Law.

[78]      Malgré cela, compte tenu de l'importance que les questions en litige revêtent pour les parties et par souci d'exhaustivité, je vais poursuivre mon analyse en examinant les deux autres questions posées dans l'arrêt Law avant de passer au moyen subsidiaire invoqué par les demandeurs.

(C) Distinction fondée sur des motifs analogues

[79]      Le juge Iacobucci a expliqué, au paragraphe 39 de l'arrêt Law, que la deuxième question qu'il convient de se poser pour décider s'il y a eu discrimination est celle de savoir si le demandeur a « subi un traitement différent en raison d'un ou de plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues » .

[80]      En l'espèce, les demandeurs n'ont invoqué aucun des motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte pour affirmer qu'ils étaient victimes de discrimination. Ils invoquent plutôt deux motifs connexes et analogues. Le premier est « l'autochtonité-lieu de résidence » et le second est « la province de résidence » .

[81]      Pour décider si une caractéristique donnée constitue un motif analogue, le juge McLachlin, maintenant juge en chef, a déclaré, dans l'arrêt Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, au paragraphe 145, qu'il faut recourir à une « analyse [...] libérale, de manière à refléter "le cadre permanent" de la Constitution et la nécessité de "la protection constante" des droits à l'égalité » . Au paragraphe 147, le juge McLachlin souligne ce qui suit :

     [...] la considération fondamentale [est celle] de savoir si cette caractéristique peut servir de motif non pertinent d'exclusion et de négation de la dignité humaine essentielle dans la tradition des droits de la personne. En d'autres termes, cette caractéristique peut-elle servir de base à un traitement inégal fondé sur des caractéristiques stéréotypées attribuées au groupe concerné, plutôt que sur les véritables mérites et capacités de la personne ou sur les circonstances qui lui sont propres ? Une réponse affirmative à cette question est une indication que la caractéristique peut être utilisée d'une façon qui va à l'encontre de la dignité et de la liberté de la personne.


[82]      Dans l'arrêt Corbière c. Canada (ministre des Indiens et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, au paragraphe 13, le juge McLachlin, maintenant juge en chef, et le juge Bastarache, qui s'exprimait au nom de la majorité, ont déclaré que « l'objet de l'identification de motifs analogues à la deuxième étape de l'analyse établie dans Law est de découvrir des motifs fondés sur des caractéristiques qu'il nous est impossible de changer ou que le gouvernement ne peut légitimement s'attendre que nous changions pour avoir droit à l'égalité de traitement garantie par la loi » .

[83]      L'autochtonité-lieu de résidence, concept qui a trait à la question de savoir si un membre de la bande vit dans la réserve ou hors de celle-ci, a été reconnu comme un motif de discrimination analogue dans l'arrêt Corbière.

[84]      Les demandeurs soutiennent que, bien qu'en l'espèce il n'y ait pas eu de traitement différent fondé sur la résidence dans la réserve ou hors de celle-ci, la SPA établit une distinction entre les peuples autochtones dont les réserves et les bandes sont situées dans les provinces côtières ou dans des territoires nordiques et ceux dont les réserves et les bandes se trouvent ailleurs au Canada. Les demandeurs affirment qu'il s'agit là d'une distinction qui ne crée par un traitement différent. Ils soutiennent que les peuples autochtones qui sont soustraits à l'application de la SPA sont attachés tout aussi profondément à leurs réserves ancestrales et à leurs bandes que leurs homologues des provinces côtières et des territoires nordiques.

[85]      Les défendeurs répliquent qu'en employant l'expression « qualité de membre hors réserve ou autochtonalité-lieu de résidence » , la Cour suprême n'a pas reconnu que la résidence autochtone constituait en soi un motif analogue, mais qu'elle a uniquement reconnu un sous-ensemble, la « qualité de membre hors réserve » .

[86]      J'accepte l'argument des défendeurs que, dans l'arrêt Corbière, la Cour suprême a reconnu la « qualité de membre hors réserve » comme motif analogue, ainsi qu'il en ressort à mon avis à l'évidence de l'analyse du juge L'Heureux-Dubé, au paragraphe 62 :

     [62] [...] la « qualité de membre hors réserve d'une bande indienne » est un motif analogue. Elle sera par conséquent reconnue comme telle dans toute affaire ultérieure mettant en cause cette combinaison de caractéristiques. Je tiens à souligner qu'en statuant ainsi je ne tire aucune conclusion relativement à la possibilité que le « lieu de résidence » constitue un motif analogue dans des contextes autres que ceux où il a une incidence sur les membres d'une bande indienne qui n'habitent pas la réserve de la bande à laquelle ils appartiennent. [Non souligné dans l'original.]


Cette conclusion ressort aussi à l'évidence des propos des juges McLachlin et Bastarache, au paragraphe 14 :

     [14]      Le juge L'Heureux-Dubé conclut, en dernière analyse, que le facteur de l' « autochtonité-lieu de résidence » constitue un motif analogue lorsqu'il se rapporte à la question de savoir si un membre d'une bande autochtone vit dans la réserve ou en dehors de celle-ci. [Non souligné dans l'original.]


[87]      Je conclus donc que les demandeurs ont fait l'objet d'un traitement différent sur le fondement d'un motif analogue qui a été reconnu par la Cour suprême dans l'arrêt Corbière.

[88]      Les demandeurs soutiennent, à titre subsidiaire, que la province de résidence devrait aussi être considérée comme un motif analogue.

[89]      À ce jour, la Cour suprême du Canada n'a pas encore reconnu que la province de résidence constituait un motif analogue. Voir les arrêts R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296 et R. c. S., [1990] 2 R.C.S. 254.

[90]      Compte tenu du fait que les motifs analogues constituent « des indicateurs permanents de l'existence d'un processus décisionnel suspect » , de telle sorte qu'il existe comme tel des motifs analogues dans tous les cas, on ne m'a pas persuadée qu'il convient en l'espèce de déclarer que la province de résidence constitue un motif analogue.

[91]      Une fois de plus, il s'ensuit que les demandeurs n'ont pas démontré que le traitement différent dont ils font l'objet est fondé sur un motif analogue.

(D) Discrimination

[92]      Dans l'arrêt Law, le juge Iacobucci a expliqué, au paragraphe 88, que la troisième et dernière étapes commandent une analyse contextuelle de la question :

     La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu'elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d'un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que l'individu touché est moins capable ou est moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération ?


[93]      Cette analyse est à la fois subjective et objective et doit être faite du point de vue d'une personne raisonnable qui se trouve dans une situation semblable et qui tient compte des facteurs contextuels pertinents. La Cour a notamment relevé les facteurs contextuels importants suivants :

     la préexistence d'un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou de vulnérabilité subis par le groupe en cause ;
     la correspondance entre les motifs sur lesquels l'allégation est fondée et les besoins, les capacités ou la situation propres au demandeur ou à d'autres personnes ;
     l'objet ou l'effet d'amélioration de la loi contestée eu égard à une personne ou un groupe défavorisés dans la société ;
     la nature et l'étendue du droit touché par la loi contestée.

[94]      Après que la Cour eut mis la présente affaire en délibéré, la Cour suprême du Canada a rendu son jugement dans l'affaire Lovelace c. Ontario, 2000 CSC 37, dans laquelle elle s'est penchée sur le facteur de la discrimination dont il faut tenir compte dans toute analyse du paragraphe 15(1). La Cour a par conséquent invité les parties à lui soumettre des observations écrites complémentaires en tenant compte de l'arrêt Lovelace, ce que les parties ont fait.

[95]      Je vais maintenant examiner chacun des facteurs contextuels à la lumière de ces observations complémentaires.

(D.1) Préexistence d'un désavantage

[96]      Ainsi que le juge Iacobucci l'a fait remarquer dans l'arrêt Law, au paragraphe 64, la démonstration qu'une mesure étatique a pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que l'individu concerné est moins capable, ou moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne est suffisante pour établir qu'il y a eu violation du paragraphe 15(1) de la Charte.

[97]      À l'appui de leur argument que la SPA perpétue l'opinion que les collectivités de pêcheurs autochtones des régions intérieures sont moins capables ou moins dignes d'être reconnues ou valorisées, les demandeurs citent la fiche d'information déjà mentionnée. Ils font notamment valoir que le fait de soustraire des collectivités de pêcheurs autochtones à l'application d'un programme que les défendeurs présentent publiquement comme un « contrat social » entre l'État, les peuples autochtones et les groupes de pêcheurs non autochtones perpétue un « préjugé extrêmement offensant » suivant lequel le mode de vie ancestral des Chippewas de Nawash et des autres collectivités de pêcheurs autochtones de l'intérieur mérite moins d'être protégé et inclus dans le « contrat social » en question que celui des autres collectivités autochtones.

[98]      Pour justifier leur argument que la SPA a pour effet d'appliquer un stéréotype, les demandeurs soutiennent que les critères prévus par la SPA présupposent que les besoins des collectivités de pêcheurs autochtones qui ne résident pas dans les régions côtières ou qui sont régies par la province sont différents de ceux des pêcheurs autochtones qui peuvent se prévaloir de la SPA.

[99]      Les défendeurs soutiennent que la SPA n'est pas un programme discriminatoire parce qu'il ne refuse pas aux demandeurs un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotypée de caractéristiques présumées ou qui permette de penser que les demandeurs sont moins capables ou moins dignes de quelque manière que ce soit. Les défendeurs soulignent en particulier que la preuve ne permet pas de conclure à l'existence de stéréotypes.

[100]      Dans l'arrêt Law, au paragraphe 102, l'analyse de ce contexte factuel à laquelle la Cour s'est livrée découlait en grande partie de sa conclusion au sujet de l'objet et des effets des dispositions législatives contestées. La Cour a conclu que, même si la loi défavorisait les conjoints plus jeunes, il ne s'agissait vraisemblablement pas d'un désavantage. Elle a ajouté que la différence de traitement ne traduisait et n'encourageait pas l'idée que les personnes en cause étaient moins capables, ou moins dignes d'intérêt, de respect et de considération. Elle a finalement souligné que la loi ne fonctionnait pas au moyen de stéréotypes mais au moyen de distinctions qui correspondaient à la situation véritable des personnes qu'elle visait.

[101]      Dans l'arrêt Corbière, la Cour a conclu, au terme de son analyse de ce facteur, que la disposition contestée privait les demandeurs d'un droit, mais non parce que leur situation justifiait ce traitement, et que cette privation touchait à l'identité culturelle des Autochtones hors réserve par l'effet de stéréotypes.

[102]      Il est donc nécessaire d'examiner l'objet et les effets du programme contesté et de s'interroger sur la mesure dans laquelle il est fondé sur des facteurs ayant trait à la valeur ou à des stéréotypes.

[103]      Malgré le vif débat qui a eu lieu entre les parties au sujet de l'objet et des effets de la SPA, comme je l'ai déjà signalé, je conclus que la SPA est essentiellement un programme axé sur le poisson et la gestion de la pêche, et j'en suis arrivée aussi à la conclusion qu'il est fondé sur la cogestion des pêches autochtones par le MPO et les collectivités autochtones locales.

[104]      Je conclus également que la SPA est un programme visant à faciliter la conclusion d'ententes de type de partenariat entre le MPO et les collectivités de pêcheurs autochtones qui pêchent dans des zones gérées par le MPO. J'en arrive à cette conclusion parce que les ententes de pêche autochtone doivent définir et établir des autorités de pêches autochtones qui sont chargées de gérer la pêche aux termes des ententes conclues en collaboration avec le MPO, selon les modalités de ces ententes. Voici en quels termes la Politique du MPO expose ces éléments :

     2. Réglementation des pêches autochtones
     [...]
     e)      Les administrations de pêches autochtones seront responsables de :
         i)      désigner des individus habilités à pêcher les allocations accordées à la Première nation concernée ;
         ii)      fournir aux individus désignés une preuve adéquate de la nature et de l'étendue de cette désignation ;
         iii)      surveiller les prises et faire rapport au MPO ;
         iv)      participer à l'application de la réglementation.
     f)      Les administrations de pêches autochtones exercent leurs responsabilités de surveillance et d'application des règlements par l'entremise de gardes-pêche autochtones qui seront employés par la Première nation, formés au moyen de programmes du MPO et désignés gardes-pêche au sens de la Loi sur les pêches. Les ententes de pêches autochtones doivent être accompagnées d'ententes auxiliaires énonçant les fonctions de ces gardes-pêche.
     g)      Les ententes de pêches autochtones ne doivent aucunement porter atteinte à la position de l'une ou l'autre partie concernant les droits ancestraux ou issus de traités.
     h)      Le financement des administrations de pêches autochtones peut provenir en partie ou en totalité d'ententes de contribution.
     i)      Le permis communautaire impose les termes et conditions suivants à la Première nation :
         i)      désigner les individus habilités à pêcher les allocations attribuées à la Première nation ;
         ii)      fournir aux individus désignés une preuve adéquate de la nature et de l'étendue de cette désignation ;
         iii)      récolter les données sur la pêche et en faire rapport au MPO.
     j)      Les personnes pratiquant la pêche en vertu d'un permis communautaire doivent démontrer (selon les modalités prévues au permis) qu'elles ont été ainsi habilitées par l'administration des pêches autochtones.


[105]      Ayant tiré ma conclusion au sujet de l'objet et des objectifs de la SPA, je passe maintenant à la question de savoir si la SPA perpétue ou encourage l'opinion que les collectivités de pêcheurs autochtones de l'intérieur méritent moins d'être respectées que leurs homologues des régions côtières.

[106]      Ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, les demandeurs invoquent la première fiche d'information dont des extraits ont déjà été cités au paragraphe [16] pour affirmer que le fait d'empêcher des collectivités autochtones qui pratiquent la pêche intérieure de bénéficier d'un programme que les défendeurs ont qualifié publiquement de « contrat social conclu entre le gouvernement, les peuples autochtones et les groupes de pêcheurs non autochtones » perpétue le stéréotype très blessant suivant lequel le mode de vie ancestral des Chippewas de Nawash mérite moins d'être préservé et compris dans le « contrat social » conclu avec les autres Canadiens que celui de leurs cousins des zones côtières. Les demandeurs font également valoir que les critères d'application de la SPA présupposent que les besoins des collectivités de pêcheurs autochtones qui ne vivent pas dans les régions côtières ou qui sont réglementées par la province sont différents de ceux des collectivités qui peuvent bénéficier de la SPA.

[107]      Il est intéressant à cet égard de citer le témoignage du chef Akiwenzie :

     [TRADUCTION]
         Q.      Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris que votre collectivité n'avait pas droit à un programme qui était offert à d'autres collectivités autochtones ?
         R.      Nous avons estimé que, comme ce programme s'adressait expressément aux Autochtones de l'ensemble du Canada, il y aurait certainement des problèmes au sujet de la pêche intérieure, parce que celle-ci est tout aussi active que celle qui se pratique sur la côte ouest et sur la côte est.
     [...]
         Q.      Comment avez-vous réagi aux propos du ministre des Pêches et Océans au sujet de l'importance de la pêche historique sur la côte ouest et à l'exclusion de la pêche de votre peuple ?
         R.      Nous estimons que, dans nos propres domaines, suivant nos priorités, peu importe le lieu, mais surtout chez nous, nous avons nos propres besoins, au même titre que toute autre Première nation au Canada.
         Q.      Pourriez-vous aller à la page 6, s'il-vous-plaît, et pourriez-vous lire le paragraphe d'une page qui se trouve à la fin de la page 6 ?
         R.      Celle qui, la troisième pour ainsi dire ?
         Q.      Elle commence par : « Je crois... »
         R.      « Je crois... » Page 6. Voilà.
             « Je crois que la Stratégie relative aux pêches autochtones constitue une étape importante dans la quête d'autonomie économique des Autochtones. »
         Q.      Ainsi, le ministre affirme cela en ce qui concerne la pêche sur la côte ouest, n'est-ce pas ?

             Est-ce que votre peuple cherche à acquérir son autonomie économique ?

         R.      Oui, beaucoup, d'autant plus que nous utilisons une ressource qui se trouve à l'état naturel sur notre territoire.
         Q.      Comment avez-vous réagi en entendant le ministre dire que ces peuples de la côte ouest sont engagés dans cette recherche d'autonomie et en constatant qu'il ne disait rien de votre propre quête d'autonomie ?
         R.      Nous avons eu le sentiment qu'on ne tenait absolument pas compte de nous.
     [...]
         Q.      Votre bande a-t-elle déjà été invitée à participer à ce contrat social ?
         R.      Non.
         Q.      La question a-t-elle déjà été discutée avec vous ou votre bande ?
         R.      Non.
         Q.      Comment vous-êtes vous senti en apprenant que le ministre déclarait à l'ensemble des Canadiens qu'il y aurait un nouveau contrat social entre le gouvernement et certains peuples autochtones et en apprenant que votre peuple ne faisait pas partie ?
         R.      Laissés pour compte.


[108]      Ce témoignage doit être envisagé tant sur le plan subjectif que sur le plan objectif. Le point de vue qu'il convient d'adopter est celui de la personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur et qui tient compte des facteurs contextuels propres à sa demande.

[109]      Dans ce contexte, j'admets et j'affirme qu'il est important de reconnaître que tous les peuples autochtones ont été touchés par ce que la Cour suprême du Canada a appelé, dans l'arrêt Corbière, « les effets de l'héritage de stéréotypes et préjugés visant les peuples autochtones » . Il est également important de reconnaître que les demandeurs sont vulnérables aux stéréotypes.

[110]      Il est par ailleurs important de constater que, par le biais d'une entente administrative, la province d'Ontario s'est effectivement chargée de la gestion de pratiquement tous les aspects de la pêche en eau sans marée en Ontario.

[111]      Je suis persuadée, au vu de l'ensemble de la preuve et compte tenu du partage des compétences que prévoit la Constitution en ce qui concerne les pêches intérieures, que, parce que la pêche intérieure en Ontario est gérée par la province, le MPO ne peut d'aucune manière s'immiscer dans la gestion des pêches, de sorte que la SPA qui, comme je l'ai admis, repose sur une cogestion des pêches autochtones par le MPO et les collectivités autochtones locales, ne peut s'appliquer en Ontario.

[112]      Les demandeurs ne m'ont donc pas convaincue que la SPA repose sur des stéréotypes. Je conclus plutôt qu'en supposant qu'elle nie des droits aux demandeurs, ces droits leur sont refusés pour des motifs qui traduisent la réalité du droit de l'Ontario de légiférer et de prendre des règlements sur la pêche en vertu de ses pouvoirs en matière de propriété et de droits civils.

(D.2) Correspondance avec les besoins, les capacités ou la situation des demandeurs ou d'autres personnes

[113]      Ainsi que la Cour suprême l'a fait remarquer dans l'arrêt Law, au paragraphe 88, lorsque les dispositions législatives contestées ne tiennent pas compte de la situation véritable du demandeur, il est plus facile d'établir qu'il y a eu discrimination.

[114]      Les demandeurs soutiennent qu'il n'y a pas le moindre indice qui permette de penser que la situation concrète des collectivités de pêcheurs de l'intérieur a été examinée ou qu'il a été décidé que la situation de ces collectivités était différente au point de justifier une ligne de conduite différente. Ils affirment qu'on a tout simplement exclu arbitrairement les collectivités de l'intérieur de la province dans les cas où les demandeurs et le groupe de comparaison étaient identiques en ce qu'ils possédaient des droits garantis constitutionnellement par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, pratiquaient la pêche comme mode de vie ancestral, pêchaient pour des raisons économiques, culturelles et rituelles, étaient historiquement défavorisés sur le plan social et économique et étaient susceptibles de bénéficier des programmes offerts dans le cadre de la SPA.

[115]      Dans l'arrêt Lovelace, lorsqu'elle a examiné ce facteur contextuel, la Cour suprême a estimé « essentiel » de reconnaître que le programme contesté, en l'occurrence le Fonds des Premières nations, n'avait pas été simplement et unilatéralement créé au moyen de sommes prélevées sur le Trésor provincial. Au contraire, le Fonds était constitué des recettes d'un programme qui avait été établi en partenariat et qui visait plusieurs objectifs en même temps.

[116]      En outre, dans l'arrêt Lovelace, la Cour a souligné que, pour satisfaire au critère de la correspondance, il faut prouver davantage que l'existence d'un besoin commun.

[117]      Ainsi, bien qu'en l'espèce, j'accepte, sur la foi du témoignage de MM. Crawford et Rollins, que les demandeurs ont des besoins semblables à ceux du groupe de comparaison, il est nécessaire de pousser l'analyse au-delà de la simple démonstration de l'existence de besoins communs.

[118]      Dans l'arrêt Lovelace, voici ce que la Cour a déclaré, au paragraphe 82 :

     82.      Je dois souligner que le projet de casino est non seulement un programme améliorateur ciblé, mais également un programme qui a été élaboré en partenariat avec les représentants des Premières nations constituées en bandes, qui ont participé activement aux décisions prises à chaque étape de l'élaboration du projet. J'insiste sur ce partenariat parce que les arrangements concernant le casino doivent être distingués des programmes d'avantages universels ou généralement accessibles. Étant donné la participation des communautés constituées en bandes, le degré très élevé de correspondance entre le programme et les besoins, la situation et les capacités véritables des bandes n'a rien d'étonnant.


[119]      Dans le cas qui nous occupe, je conclus que la SPA est analogue au Fonds des Premières nations qui était soumis à l'examen de la Cour suprême dans l'arrêt Lovelace. La SPA n'est pas, en substance, un programme prévoyant des avantages. Les avantages que comporte la SPA ne sont en effet conférés qu'à la suite de la signature d'un accord sur la pêche autochtone, accord qui doit contenir des ententes mutuellement acceptables sur la pêche autochtone. Ces ententes constituent essentiellement une méthode de cogestion de la pêche.

[120]      Les avantages que le MPO qualifie dans sa politique d'ententes auxiliaires de coopération en matière de gestion doivent être négociés en même temps que l'entente de pêche autochtone. J'en déduis qu'il existe une correspondance suffisamment grande entre la SPA et les besoins, les capacités ou la situation des bandes ayant accès à la SPA ou qui ont le droit de se prévaloir de la SPA ou de ses ententes auxiliaires, pour pouvoir conclure que le degré de correspondance exigé pour satisfaire à ce facteur contextuel existe en l'espèce.

[121]      La SPA tient compte de la situation concrète des collectivités de pêcheurs autochtones qui se trouvent dans des régions qui relèvent d'une autorité différente de celle à laquelle les demandeurs sont assujettis. Ces collectivités vivent dans des régions où la gestion de la pêche relève du MPO. Les demandeurs se trouvent dans une région où, pour reprendre le témoignage de M. Leclerc [TRADUCTION] « il y a un double rôle joué par les deux paliers de gouvernement en ce qui concerne la gestion et la réglementation de la ressource » . La cogestion de la pêche par les Nawash ne peut être mise en oeuvre dans le cadre de la SPA parce que le MPO ne réglemente pas la nature et la quantité de cette pêche et n'a pas le pouvoir de le faire.


(D.3) Objet améliorateur de la SPA

[122]      Dans l'arrêt Lovelace, la Cour a souligné que tant le demandeur que le groupe ciblé étaient également défavorisés, et elle a conclu, au paragraphe 85, qu'il y avait lieu d'étendre l'analyse basée sur l'objet améliorateur aux situations où le désavantage, les stéréotypes, les préjugés ou la vulnérabilité caractérisent le groupe ou l'individu exclu. La Cour a toutefois fait remarquer, au paragraphe 86, qu'il était peu probable que le fait d'exclure un groupe d'un programme ciblé ou établi en partenariat ait pour effet d'associer à ce groupe des stéréotypes ou des stigmates ou encore de communiquer le message qu'il est moins digne de reconnaissance et d'intégration au sein de la société dans son ensemble.

[123]      Dans l'affaire Lovelace, dans laquelle le programme contesté avait été conçu pour remédier à un désavantage historique et pour contribuer à accroître la dignité et la reconnaissance des bandes au sein de la société canadienne, la Cour a conclu que l'objet du programme était compatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte, de sorte que l'exclusion des demandeurs ne compromettait pas dans cette affaire la réalisation de l'objet du paragraphe 15(1) de la Charte.

[124]      En l'espèce, les demandeurs affirment que la SPA n'est pas un programme ciblé ou établi en partenariat et que l'exclusion de la pêche en eaux douces du champ d'application de la SPA n'est pas compatible avec les objectifs visés par le programme.

[125]      Comme je l'ai déjà précisé, j'en suis arrivée à la conclusion que la SPA est un programme de gestion de la pêche du type des programmes établis en partenariat et que la SPA a été créée dans le but de reconnaître le droit ancestral unique et garanti par la Constitution de pêcher. Bien que la preuve ne permette pas de penser que la création de la SPA soit le fruit d'un consensus et d'une collaboration, je conclus que le caractère de partenariat de la SPA s'impose à la lumière des réalités constitutionnelles exposées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sparrow.

[126]      Comme j'en suis arrivée à la conclusion que la SPA est un programme qui concerne essentiellement la gestion des pêches et que c'est le MPO qui gère ces pêches, je conclus par conséquent que l'exclusion du champ d'application de la SPA des pêcheurs qui pratiquent la pêche dans des régions qui ne sont pas soumises à la gestion ou au contrôle du MPO est compatible avec les objectifs de la SPA.

[127]      Je conclus donc que l'objet de la SPA est compatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte. L'exclusion des demandeurs ne compromet pas cet objet parce que les demandeurs ne sont pas exclus en raison de l'application d'un stéréotype.

(D.4) Nature du droit touché

[128]      Dans l'arrêt Law, au paragraphe 88, la Cour suprême a fait remarquer que plus les effets des dispositions législatives sont graves et localisés pour le groupe touché, plus il est probable que la différence de traitement à la source de ces effets soit jugée discriminatoire. Or, en l'espèce, les demandeurs soutiennent que les conséquences négatives que leur exclusion du champ d'application de la SPA a sur les droits qu'ils revendiquent sont « directes et considérables » : on leur a totalement refusé le droit de bénéficier de la SPA.

[129]      Toutefois, compte tenu des éléments de preuve qui m'ont été soumis, je ne suis pas convaincue qu'il est interdit aux demandeurs de conclure une entente au sujet de la cogestion de leurs pêches et je ne suis pas convaincue qu'on leur a refusé le droit de recevoir un financement public connexe.

[130]      Le chef Akiwenzie a déposé en preuve une lettre en date du 25 février 1999 du ministre des Pêches et Océans d'alors, David Anderson. Voici un extrait de cette lettre :

     [TRADUCTION]
         Je crois comprendre que votre Première nation est en pourparlers avec le ministère des Ressources naturelles de l'Ontario au sujet de l'élaboration d'une entente de cogestion en ce qui concerne la pêche commerciale autour de la péninsule Bruce. Je crois également comprendre que des fonctionnaires du MPO participent à ces rencontres. J'ai donné instruction à mes fonctionnaires de continuer de participer au processus de médiation en respectant nos sphères de compétence.


[131]      En contre-interrogatoire, le chef Akiwenzie a confirmé qu'au cours des dernières années, plusieurs rencontres importantes intéressant les personnes qui participent à la pêche dans le secteur de la péninsule Bruce avaient eu lieu. Il a également déclaré ce qui suit dans son témoignage :

     [TRADUCTION]
         Q.      Et ces discussions ont pour objet de parler de certaines questions relatives à la pêche ?
         R.      Oui.
         Q.      Et l'objectif visé est de conclure une entente portant sur les questions relatives à la pêche ?
         R.      Oui.
         Q.      Et des représentants du ministère des Ressources naturelles de l'Ontario ont participé à toutes ces rencontres ?
         R.      Oui.
         Q.      Et c'est l'organisme provincial qui régit la pêche, n'est-ce pas ?
         R.      C'est la province.
         Q.      La province, oui. Et les Chippewas de Nawash ont toujours participé activement à ces discussions ?
         R.      Oui.
         Q.      Parmi les sujets abordés lors de ces rencontres, il y avait notamment la question de la date de fermeture de la pêche ?
         R.      Oui.
         Q.      Et on discutait aussi de la façon d'échanger les données ?
         R.      Oui.
         Q      Et on parlait aussi du total autorisé des captures pour les Nawash au cours d'une année déterminée ?
         R.      Oui.
         Q.      Et on abordait aussi la question de l'échange de renseignements sur la recherche en matière de pêches ?
         R.      Oui.
         Q.      Et on parlait aussi des mesures de contrainte en ce qui concerne diverses questions relatives aux pêches ?
         R.      Oui.
         Q.      Et des mesures de contrainte qui seraient prises par les Nawash relativement à ces questions ?
         R.      Oui.
         Q.      Et des mesures de contrainte qui seraient prises par le ministère des Ressources naturelles de l'Ontario ?
         R.      Oui.
         Q.      Est-ce qu'il serait aussi question des régions géographiques où la pêche serait autorisée ?
         R.      Oui.
         Q.      Les rencontres constitueraient un lieu de discussion où les Nawash pourraient rencontrer à intervalles réguliers des fonctionnaires du gouvernement pour discuter des pêches ?
         R.      Oui.
         Q.      Lors de ces discussions, on avait l'occasion de parler de l'avenir de la pêche ?
         R.      Oui.
         Q.      Lors de ces discussions, on avait l'occasion d'échanger des renseignements au sujet de la pêche ?
         R.      Oui.
         Q.      Ces discussions donnaient aux Nawash l'occasion d'exprimer leur opinion au sujet de la pêche et de la gestion des pêches dans le lac Huron ?
         R.      Oui.
         Q.      Et elles donnaient aux Nawash l'occasion de persuader le ministre des Ressources naturelles ou le MRN au sujet de questions importantes pour les Nawash ?
         R.      Oui.
         Q.      Vous avez mentionné qu'un des objectifs de ces discussions est de parvenir à la conclusion d'une entente entre les divers participants et que cette entente doit porter sur tous les aspects de la gestion des pêches. C'est exact ?
         R.      Oui.
         Q.      Et les représentants présents à la table sont des représentants du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ?
         R.      Oui.
         Q.      D'accord. Et les représentants du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien étaient là en tant qu'éventuels bailleurs de fonds dans le cadre de cette entente, n'est-ce pas ?
         R.      Oui.
         Q.      Et une contribution financière du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien est prévue si l'entente est conclue, n'est-ce pas ?
         R.      Oui.
         Q.      Et cette contribution financière appuirait l'objet pour lequel l'entente pourrait être conclue, n'est-ce pas ?
         R.      Oui.
         Q.      Vous avez dit que des représentants du ministère des Pêches et Océans ont participé à ces rencontres. Les représentants du MPO ont-ils à quelque moment que ce soit fait allusion à une contribution financière en ce qui concerne la pêche ?
         R.      Ils n'ont rien dit de précis à ce sujet, mais je crois qu'ils ne sont pas là pour rien.
         Q.      Et ils ont pris une part active aux discussions relatives aux saisons, aux saisons de pêche ?
         R.      Ils ont été, lorsqu'ils étaient présents à la table, ils ont participé pleinement à ces débats, ce qui veut tout dire.
     [...]
         Q.      [...] L'objectif de ces discussions est d'en arriver à une sorte d'entente de cogestion avec les parties présentes à la table, n'est-ce pas ?
         R.      Nous ne le savons pas, parce que les pourparlers ne sont pas terminés, ainsi que je l'ai déjà mentionné. Les discussions sur le document qui a été déposé ne sont pas terminées. Nous ne le savons pas.
         Q.      Mais votre objectif est d'en arriver à la conclusion d'une entente quelconque au sujet des pêches ?
         R.      À une entente quelconque, oui, mais pas nécessairement à une cogestion.
         Q.      Peut-être pas de la cogestion, mais l'entente portera sur la pêche dans votre région, n'est-ce pas ?
         R.      Oui.
         Q.      Et l'entente portera par exemple sur la déclaration des prises ?
         R.      Oui.
         Q.      Et elle pourrait porter sur le calcul des quantités autorisées ?
         R.      Oui.
         Q.      Et elle pourrait porter sur la mise en application de ses dispositions ?
         R.      Oui.
         Q.      D'accord. Elle pourrait porter sur des questions comme les espèces qui peuvent être pêchées ?
         R.      Oui.
         Q.      Elle pourrait porter sur la durée de la saison ?
         R.      Oui.
         Q.      Elle pourrait porter sur la date de fermeture de la saison et sur les modalités de cette fermeture ?
         R.      Oui.
         Q.      Et elle pourrait porter sur la façon de pêcher le poisson et sur le type de filets à utiliser ?
         R.      Oui.
     [...]
         Q.      Bon. Vous nous avez dit que la province d'Ontario vous a fourni un certain financement pour procéder à une évaluation des stocks en mil neuf cent...
         R.      En mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept (1997).
         Q.      .... dix-sept. OK.
             Et l'évaluation des stocks constitue un des aspects de la gestion des pêches, n'est-ce pas ?
         R.      Oui.
         Q.      Et si j'ai bien compris, l'évaluation des stocks consiste à calculer la quantité de poissons capturés ?
         R.      C'est, j'imagine un façon de se tenir au courant, de vérifier la durabilité de la ressource.
         Q.      Et pour ce faire, on calcule les prises ?
         R.      Oui.
         Q.      Ce qui permet ensuite de déterminer les quantités de poisson qui peuvent encore être pêchées au cours de cette saison ?
         R.      Ou si le quota est atteint, on ferme la saison.
         Q.      Ok. L'évaluation permet donc de savoir s'il y a lieu ou non de fermer la saison ?
         R.      Oui, de connaître les chiffres.
         Q.      Ok. Et on peut ainsi soutenir les mesures de conservation qui sont prises, n'est-ce pas ?
         R.      La conservation et la gestion.
         Q.      Et les mesures de gestion. Et ça permet d'éviter la surpêche ?
         R.      Oui.
         Q.      Et c'est un aspect de la gestion des pêches, n'est-ce pas ?
         R.      Oui.
         Q.      Et c'est un aspect important de la gestion des pêches ?
         R.      Je dirais même un aspect très important.
         Q.      Ok. Et c'est l'aspect de la gestion des pêches pour lequel le gouvernement de l'Ontario a aidé financièrement les Nawash, n'est-ce pas ?
         R.      Pour ce qui est de l'évaluation.


[132]      Ce témoignage ne me permet pas de conclure que les demandeurs se trouvent dans une situation tellement différente de celle de leurs homologues des régions côtières qui ont le droit de négocier des ententes de pêches autochtones sous le régime de la SPA pour qu'on puisse affirmer que leur exclusion du champ d'application de la SPA a eu sur eux des effets graves et localisés.

(D.5) Conclusions sur la discrimination

[133]      Ayant appliqué les facteurs contextuels susmentionnés, je conclus que les demandeurs n'ont pas établi que, du point de vue de la personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à la leur, l'exclusion du champ d'application de la SPA a porté atteinte à la dignité humaine des demandeurs.

(ii) La SPA, ou son application par les défendeurs, impose-t-elle lieu une obligation fiduciaire aux défendeurs et, dans l'affirmative, y a-t-il eu manquement à cette obligation ?

[134]      Les demandeurs invoquent les arrêts Guerin c. Canada, [1984] 2 R.C.S. 335 et Sparrow, de la Cour suprême du Canada, pour affirmer que Sa Majesté est assujettie à une obligation fiduciaire envers le peuple autochtone.

[135]      Les demandeurs se fondent sur ce principe pour affirmer qu'eux et d'autres collectivités de pêcheurs autochtones de l'intérieur se sont vus refuser le droit de bénéficier de la SPA au motif qu'elle ne s'applique pas dans leur cas en raison de la délégation de l'administration de la gestion des pêches à l'Ontario. Sa Majesté violerait ainsi son obligation fiduciaire en traitant de façon inégale des bénéficiaires comparables et en favorisant ses propres intérêts administratifs et ses propres préoccupations économiques au détriment de ceux de ses bénéficiaires.

[136]      Les défendeurs admettent qu'il existe une relation de fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones du Canada, mais ils soutiennent que la Cour est tenue d'apprécier la relation spécifique qui existe en l'espèce entre Sa Majesté et les demandeurs dans le but de déterminer si cette relation donne lieu à une obligation fiduciaire et, dans l'affirmative, de préciser la nature et la portée de cette obligation. Les défendeurs invoquent en particulier la décision rendue par le juge Rothstein dans l'affaire Première nation Fairford c. Canada (procureur général), [1999] 2 C.F. 48 (C.F. 1re inst.).

[137]      J'entreprends mon analyse de cet aspect de la thèse des demandeurs en partant du principe qu'il doit exister des circonstances qui permettent de conclure que Sa Majesté est assujettie à une obligation fiduciaire en raison de ces circonstances (voir le jugement Fairford, au paragraphe 40 et l'arrêt Bande indienne de Semiahmoo c. Canada, [1998] 1 C.F. 3 (C.A.F.), au paragraphe 37).

[138]      Ainsi que le juge Rothstein l'a fait remarquer dans le jugement Fairford, au paragraphe 52, dans des circonstances factuelles différentes, la Cour suprême du Canada a conclu

à l'existence d'une obligation fiduciaire en appliquant deux approches différentes : l'approche des attentes raisonnables et selon l'approche de la cession de pouvoir et de la vulnérabilité.

[139]      En ce qui concerne la première méthode, dans l'arrêt Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, à la page 409, le juge La Forest, qui s'exprimait au nom de la majorité, a déclaré que la question cruciale à se poser est celle de savoir si :

     [...] il s'agit de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances en présence, une partie pouvait raisonnablement s'attendre à ce que l'autre agisse dans l'intérêt de la première relativement au sujet en cause. La discrétion, l'influence, la vulnérabilité et la confiance sont des exemples non exhaustifs de facteurs probants dont il faut tenir compte lorsqu'on prend cette décision.


[140]      Pour ce qui est de la seconde approche, voici ce que le juge McLachlin, maintenant juge en chef, a écrit dans l'arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344, au paragraphe 38 :

     [38]      En règle générale, une obligation de fiduciaire prend naissance lorsqu'une personne possède un pouvoir unilatéral ou discrétionnaire à l'égard d'une question touchant une autre personne « particulièrement vulnérable » : voir Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99; Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226, et Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377. La partie vulnérable est tributaire de la partie qui possède le pouvoir unilatéral ou discrétionnaire, qui, à son tour, est obligée d'exercer ce pouvoir uniquement au profit de la partie vulnérable. La personne qui cède (ou, plus souvent, qui se trouve dans la situation où quelqu'un d'autre a cédé pour elle) son pouvoir sur quelque chose à une autre personne escompte que la personne à qui le pouvoir en question est cédé l'exercera avec loyauté et diligence. Cette notion est la pierre d'assise de l'obligation de fiduciaire.


[141]      Lors du débat, l'avocat des demandeurs a précisé que l'obligation fiduciaire à laquelle Sa Majesté était soumise en l'espèce était la suivante. Lorsqu'elle met en oeuvre un programme visant à faciliter ou à reconnaître des droits ancestraux au Canada, Sa Majesté a l'obligation de s'assurer que ce programme s'applique uniformément à tous les peuples autochtones qui sont titulaires de ces droits.

[142]      Les faits qui donnent naissance à l'obligation fiduciaire seraient la création du programme de la SPA.

[143]      Il est nécessaire d'appliquer les deux approches proposées par la Cour suprême du Canada aux faits qui donneraient lieu en l'espèce à cette obligation.

[144]      Je commence par l'approche des attentes raisonnables et, pour employer le critère qui a été posé dans l'arrêt Hodgkinson et qui a été appliqué par le juge Rothstein dans le jugement Fairford, je me demande si, en vertu d'une loi, d'une entente, d'une conduite particulière ou d'un engagement unilatéral, il a été mutuellement convenu entre les Nawash et la Couronne que la Couronne agirait pour le compte des Nawash de façon à donner naissance à une attente raisonnable selon laquelle la Couronne agirait au mieux des intérêts des Nawash en les traitant sur le même pied que les autres peuples autochtones et qu'elle ne favoriserait pas ses propres intérêts.

[145]      Pour ce qui est de la loi, dans l'arrêt Guerin, la Cour suprême a statué que la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 ne donnait pas en elle-même naissance à une obligation fiduciaire de la part de la Couronne. En l'espèce, les demandeurs ne prétendent pas que la présumée obligation découle de la Loi sur les pêches ou d'une autre loi.

[146]      Il n'y a aucun élément de preuve qui permette de conclure qu'il existe un rapport contractuel entre les demandeurs et Sa Majesté ou que Sa Majesté s'est engagée à agir dans le cadre d'un rapport fiduciaire.

[147]      Pour ce qui est de la conduite, là encore, j'estime que rien ne permet de penser que Sa Majesté a agi envers les demandeurs de manière à ce que ceux-ci puissent raisonnablement s'attendre à ce que Sa Majesté agisse à titre de fiduciaire envers les Nawash en ce qui concerne la SPA.

[148]      Les demandeurs soutiennent que cette obligation découle simplement de la création de la SPA qui se voulait une reconnaissance des droits définis par la Cour suprême dans l'arrêt Sparrow.

[149]      Toutefois, dans l'arrêt Guerin, à la page 385, le juge Dickson, a fait remarquer que les obligations fiduciaires prennent naissance en règle générale en liaison avec des obligations de droit privé. Les obligations qui ressortent au droit public et qui impliquent l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, ne donnent en règle générale pas lieu à un rapport fiduciaire.

[150]      Appliquant donc la doctrine des attentes raisonnables, à défaut de preuve quant à une conduite propre aux Nawash, je conclus que les rapports généraux établis par la Couronne lors de la mise sur pied de la SPA n'ont pas eu pour effet d'imposer à la Couronne l'obligation fiduciaire alléguée par les demandeurs.

[151]      Pour ce qui est de l'approche de la cession de pouvoir et de la vulnérabilité, on n'a soumis à la Cour aucun élément de preuve qui permette de conclure à l'existence d'une loi, d'une entente, d'une conduite particulière ou d'un engagement unilatéral conduisant à la cession à la Couronne d'un des pouvoirs des Nawash sur l'un des aspects précis de la SPA ou de la gestion des pêches.

[152]      Au contraire, les demandeurs reprochent à Sa Majesté de les avoir mis devant un fait accompli en annonçant la création de la SPA sans avoir consulté au préalable les Nawash. Cet élément est à mon sens incompatible avec toute cession de pouvoirs, eu égard aux circonstances de l'espèce.

[153]      Je conclus par conséquent que la vulnérabilité dont le juge McLachlin a parlé dans l'arrêt Blueberry n'existe pas en l'espèce, de sorte qu'une fois de plus, je conclus que Sa Majesté n'est pas soumise à l'obligation fiduciaire alléguée par les demandeurs.

[154]      Bien que je répète qu'il est important de reconnaître la vulnérabilité historique des peuples autochtones et, en particulier des Nawash, il m'est impossible de conclure que les tribunaux ont conclu à l'existence d'une obligation fiduciaire généralisée de la nature et de la portée alléguée en l'espèce.

CONCLUSION

[154]      Comme j'ai décidé que les défendeurs n'ont violé ni le paragraphe 15(1) de la Charte ni aucune obligation fiduciaire, la demande est rejetée.

[156]      L'examen de la question des dépens, si elle est en litige, est reporté à plus tard, en attendant que les parties soumettent d'autres observations.

     « Eleanor R. Dawson »

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 9 novembre 2000


Traduction certifiée conforme



Suzanne M. Gauthier, LL. L. Trad. a.

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