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                                                                                                                                           Date : 20030612

Dossier : IMM-4155-01

Référence : 2003 CFPI 736

OTTAWA (ONTARIO), le 12 juin 2003

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge James Russell

ENTRE :

                                                             BARBARA MCEYESON

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SAI) a rejeté, le 28 août 2001, la requête présentée par la demanderesse en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'Immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), en vue d'obtenir la réouverture d'un appel qu'elle avait interjeté devant la SAI. La demanderesse demande que la décision de la SAI soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à un nouvel examen de l'affaire.

FAITS

[2]                 Une mesure de renvoi a été prise contre Barbara McEyeson (la demanderesse) le 7 juin 1999, au motif que, contrairement à l'alinéa 27(1)e) de la Loi, elle avait obtenu le droit d'établissement par suite d'une fausse indication. Plus précisément, elle avait omis de révéler dans sa demande, au point d'entrée, qu'elle avait un fils à charge qui vivait dans son pays d'origine, le Ghana. On a accordé à la demanderesse le droit d'établissement à condition qu'elle épouse son répondant, Joseph Henry Smith, dans les 90 jours. Peu après le mariage, M. Smith a déclaré aux autorités de l'immigration avoir appris seulement une fois marié que la demanderesse avait un enfant à charge et que, s'il l'avait su avant l'établissement, il ne l'aurait pas parrainée.


[3]                 La demanderesse a interjeté appel de la mesure de renvoi du 7 juin 1999 devant la SAI en alléguant que, eu égard à toutes les circonstances de l'affaire, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada. La SAI, dans une décision rendue le 4 août 2000, a estimé que les motifs invoqués par la demanderesse pour avoir menti sur l'existence de son fils n'étaient pas crédibles et a accordé plus de poids à la version des faits de M. Smith. Elle a également pris en considération les antécédents de la demanderesse, sa situation personnelle et son établissement au Canada. En ce qui concerne l'intérêt supérieur du deuxième enfant de la demanderesse, né au Canada et dont le père est M. Smith, la SAI a déclaré :

[traduction] L'intérêt supérieur de l'enfant, Henry Smith, est adéquatement protégé par l'ordonnance de garde existante, peu importe l'issue du présent appel... Si l'appel est accueilli et que la mesure de renvoi est annulée, alors l'enfant est régi par l'ordonnance existante. Si l'appel est rejeté et que la mesure de renvoi demeure en vigueur, l'ordonnance interdit que l'enfant soit emmené du Canada par suite d'une décision unilatérale, sans le consentement du répondant et sans que le tribunal se soit de nouveau penché sur l'intérêt supérieur de l'enfant.

[4]                 La SAI a rejeté l'appel après avoir conclu que l'omission de la demanderesse de révéler l'existence de son premier fils l'emportait sur le fait qu'elle s'était bien établie et sur sa situation personnelle.

[5]                 En juin 2001, la demanderesse s'est adressée à la Cour de justice de l'Ontario pour faire changer les modalités d'une ordonnance de garde prononcée le 19 février 1998, et modifiée le 12 novembre 1998, concernant son deuxième fils, Henry. La Cour a conclu que [traduction] « dans l'intérêt de l'enfant, Henry Horton Smith, ... ce dernier devait demeurer au Canada avec sa mère (la requérante) » . La Cour a ensuite ordonné que le père ne puisse pas voir l'enfant. Puis, elle a ordonné ce qui suit :

[traduction] La [requérante] pourra choisir, pour l'enfant, un autre lieu de résidence que la province de l'Ontario et le Canada. La [requérante] pourra présenter une demande de passeport pour l'enfant. [M. Smith] devra produire tous les documents voulus pour faciliter l'obtention du passeport pour l'enfant, à défaut de quoi son consentement ne sera pas nécessaire.

[6]                 La demanderesse a présenté une requête à la SAI pour obtenir la réouverture de son appel aux motifs que :


a)         le juge Zuker de la Cour de justice de l'Ontario, dans son ordonnance du 12 juillet 2001, a conclu qu'il était dans l'intérêt supérieur de Henry de demeurer au Canada avec sa mère;

b)         le comportement postérieur à l'audience de M. Smith jette un doute sur sa crédibilité.

[7]                 La SAI a décidé de ne pas rouvrir l'appel, et c'est cette décision qui est visée par la présente demande.

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[8]                 La SAI a examiné l'ordonnance de garde du juge Zuker et a noté une apparente contradiction entre la conclusion selon laquelle il était dans l'intérêt supérieur de Henry de demeurer au Canada avec la demanderesse et l'ordonnance portant que la demanderesse pouvait unilatéralement décider d'emmener son enfant et d'établir la résidence de celui-ci à l'extérieur de l'Ontario et du Canada. La SAI a résolu la question en interprétant l'ordonnance comme signifiant que l'intérêt supérieur de l'enfant voulait qu'il reste avec sa mère, qui se trouvait au Canada à l'époque, mais qu'il puisse quitter le pays et modifier sa résidence canadienne pour pouvoir rester avec sa mère. Essentiellement, selon la compréhension qu'a eu la SAI de l'ordonnance rendue par le juge Zuker, l'intérêt supérieur de l'enfant était servi si celui-ci demeurait avec sa mère, sans égard au lieu de résidence de celle-ci.


[9]                 La SAI a ensuite ajouté que cette conclusion était comprise dans sa décision initiale. Elle a également souligné qu'elle n'était pas liée par l'ordonnance de la Cour de justice de l'Ontario au sujet du droit de demeurer au Canada et a conclu que « suivant Baker, l'intérêt supérieur des enfants mérite certes d'être sérieusement évalué dans les affaires de renvoi, mais bien d'autres facteurs entrent aussi en ligne de compte. »

[10]         Finalement, la SAI a conclu que la preuve relative à l'omission de M. Smith de se présenter à l'audience sur la garde ne changeait rien à sa conclusion selon laquelle les explications données par la demanderesse pour justifier sa fausse indication n'étaient pas crédibles. La SAI a estimé que le simple fait que le témoignage de la demanderesse ne soit pas crédible justifiait cette conclusion. La crédibilité de M Smith, par conséquent, ntait pas essentielle à sa conclusion.

[11]            La SAI a donc rejeté la requête en réouverture d'audience de la demanderesse.

QUESTIONS EN LITIGE


[12]            La SAI a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en déterminant que l'ordonnance de garde rendue par le juge Zuker ne constituait pas un nouvel élément de preuve suffisant pour modifier l'issue de l'affaire? Cette question peut être divisée en quatre sous-questions, qui sont les suivantes :

a)         Le tribunal a-t-il mal interprété l'ordonnance du juge Zuker?

b)         Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que l'ordonnance était déjà essentiellement comprise dans la décision initiale rejetant l'appel?

c)         Le tribunal s'est-il posé la mauvaise question en appréciant l'importance de l'ordonnance de la Cour de justice de l'Ontario concernant l'intérêt supérieur de l'enfant?

d)         Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l'intérêt supérieur de l'enfant de la demanderesse?

POSITION DE LA DEMANDERESSE

[13]       La demanderesse soutient que le tribunal a commis une erreur de droit en décidant que les modifications apportées à l'ordonnance de garde ne présentaient pas une possibilité raisonnable que la décision initiale, rejetant l'appel, soit modifiée.

L'interprétation de l'ordonnance du juge Zuker


[14]            La demanderesse fait valoir que la SAI a commis une erreur dans son interprétation de l'ordonnance du juge Zuker. Cette ordonnance, selon la demanderesse, signifiait que l'intérêt supérieur de l'enfant commandait qu'il reste au Canada avec sa mère, et non, comme la SAI l'a affirmé, qu'il demeure avec sa mère, sans égard au lieu de résidence de celle-ci.

La nouvelle ordonnance de garde était-elle comprise dans la décision initiale de la SAI?

[15]            La demanderesse soutient également que la SAI a commis une erreur en concluant que l'ordonnance du juge Zuker était comprise dans la décision initiale du tribunal.

[16]            La demanderesse prétend que la SAI, dans sa décision initiale, ne s'est pas prononcée sur la question de l'intérêt supérieur de l'enfant. La SAI était plutôt convaincue que cette question allait être examinée par la Cour de justice de l'Ontario si la demanderesse n'avait pas gain de cause en appel parce que, à ce moment-là, pour décider si l'enfant devait rester avec son père au Canada ou déménager avec sa mère au Ghana, la Cour allait devoir se pencher sur la question de savoir s'il était dans l'intérêt supérieur de l'enfant de rester au Canada. La SAI, dans sa décision initiale, s'en est simplement remise à la Cour de justice de l'Ontario sur cette question. Lorsque le juge Zuker a conclu que l'intérêt supérieur de Henry commandait qu'il reste au Canada avec sa mère, il a soulevé une question qui n'avait de toute évidence pas été abordée dans la décision initiale de la SAI.


La mauvaise question

[17]            La demanderesse fait valoir que la SAI n'a pas tenu compte de l'ordonnance de la Cour de justice de l'Ontario. La SAI, plutôt que d'apprécier l'importance de cette ordonnance, l'a simplement écartée en concluant que la SAI n'était pas liée par cet élément de preuve. La SAI a sauté une étape dans la détermination correcte de la question. Il ne s'agit pas de savoir si la SAI est liée par l'ordonnance de la Cour de l'Ontario. Il s'agit de savoir si la conclusion d'un tribunal compétent portant qu'il est dans l'intérêt supérieur de l'enfant de rester au Canada avec sa mère pourrait entraîner une décision différente dans le cadre d'une réouverture d'appel.

L'intérêt supérieur de l'enfant


[18]            La SAI a également commis une erreur en n'abordant pas du tout la question de l'intérêt supérieur de l'enfant. La SAI, plutôt que d'aborder cette question lors de la première audience, a simplement accepté que celle-ci soit examinée par la Cour de l'Ontario. En rejetant la requête en réouverture, la SAI ne s'est toujours pas penchée sur l'intérêt supérieur de l'enfant, se contentant de souligner que cet intérêt méritait d'être sérieusement évalué. La SAI a ensuite rejeté la requête en réouverture. Cette approche de l'intérêt supérieur de l'enfant est incompatible avec l'importance accordée à ce facteur par la Cour suprême du Canada et par la Cour fédérale du Canada. La demanderesse invoque les arrêts Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 et Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 457, à l'appui de son argument.

POSITION DU DÉFENDEUR

L'interprétation de l'ordonnance du juge Zuker

[19]            Le défendeur fait valoir que l'interprétation qu'a donnée la SAI à l'ordonnance du juge Zuker était tout à fait raisonnable. La SAI a eu raison de conclure que l'ordonnance du juge Zuker signifiait que l'intérêt supérieur de l'enfant était de rester avec sa mère, sans égard au fait que celle-ci vive ou non au Canada.

L'application du critère

[20]            Le défendeur soutient que la SAI a bel et bien examiné la question de savoir si la modification de l'ordonnance de garde présentait la possibilité que la décision initiale soit modifiée. La SAI a donc appliqué le bon critère en tirant sa conclusion.


La portée de la décision initiale de la SAI

[21]            La position du défendeur est tout simplement que l'ordonnance du juge Zuker n'a soulevé aucune nouvelle question qui n'avait pas été abordée dans la décision initiale de la SAI. Il n'était donc pas nécessaire de reconsidérer la décision.

L'intérêt supérieur de l'enfant

[22]            Sur ce point, le défendeur affirme que la SAI s'en est simplement remise à la Cour de l'Ontario parce qu'elle a jugé que ce tribunal était le mieux placé pour prendre une décision concernant l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans sa décision, la SAI indique clairement qu'elle est l'autorité compétente « au sujet du droit de demeurer au Canada » . La SAI ne néglige pas de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant. Elle s'en remet simplement à la Cour de l'Ontario sur cette question et fait remarquer que « suivant Baker, l'intérêt supérieur des enfants mérite certes dtre sérieusement évalué dans les affaires de renvoi, mais bien d'autres facteurs entrent aussi en ligne de compte. »

ANALYSE

La législation

[23]            Le paragraphe 72(1) de la Loi se lit comme suit :



La section d'appel peut ordonner que l'enquête qui a donné lieu à un appel soit rouverte par l'arbitre qui en était chargé ou par un autre arbitre pour la réception d'autres éléments de preuve ou l'audition de témoignages supplémentaires.

The Appeal Division may order that an inquiry that has given rise to an appeal be reopened before the adjudicator who presided at the inquiry or any other adjudicator for the receiving of any additional evidence or testimony.


[24]            Le motif justifiant une réouverture d'enquête est décrit par la Cour d'appel fédérale dans Castro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 5 Imm. L.R. (2d) 87, à la page 91 :

Pour obtenir une réouverture, j'estime qu'il est suffisant que la preuve offerte établisse l'existence d'une possibilité raisonnable, et non d'une probabilité, qui justifierait la Commission de modifier sa décision initiale.

[25]            De plus, la preuve offerte ne doit pas avoir été disponible lors de la première audience ou, comme l'a indiqué le juge Urie dans Fleming c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1987), 4 Imm. L.R. (2d) 207 (C.A.F.), exprimant la décision unanime de la cour :

Il ne fait aucun doute que la Commission possède la « compétence qui se prolonge dans le temps » de reprendre l'audition d'un appel pour recevoir un supplément de preuve, si elle le juge à propos, relativement à des considérations humanitaires ou de compassion, voir Grillas c. M.M-O.I. [1972] R.C.S. 577, à la page 590. Il est tout aussi certain que pour le moins, la partie désireuse de présenter ce supplément de preuve doit convaincre la Cour a) qu'elle n'aurait pu obtenir les éléments de preuve en question en agissant avec une diligence raisonnable avant l'audition primitive de l'appel, et b) que la preuve qu'elle veut produire est telle que si elle était suffisamment établie, elle justifierait l'examen de la décision originale de la Cour relativement à l'appel, voir Chan et al c. M.M.I. [1968] 6 I.A.C. 429, à la page 437.

[26]            Dans Martin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1996] A.C.F. no 940 (1re inst.), le juge Rothstein a rejeté une demande de contrôle judiciaire au motif que dans cette affaire, la Commission d'appel n'avait pas eu tort dans son examen des éléments de preuve :


6       Quant à la troisième question, le requérant dit que, à l'occasion d'une requête en réouverture, la section d'appel a simplement pour rôle de déterminer si les éléments de preuve qu'on cherche à produire donneraient, s'ils sont prouvés de façon satisfaisante, un motif suffisant pour réexaminer la décision initiale sur l'appel : voir Fleming v. Canada (M.E.I.) (1987), 4 Imm. L.R. (2d) 207 (C.A.F.), citant Chan v. Minister of Manpower and Immigration [1986], 6 I.A.C. 429/438 (C.A.I.). Selon le requérant, bien qu'il soit loisible à [la] section d'appel de décider si les éléments de preuve, s'ils sont prouvés, satisfaisaient à la norme de nouvel examen, il ne convient pas pour elle de rejeter les éléments de preuve ou, en fait, de les soupeser et de les évaluer en tant que tels.

7       L'intimé soutient qu'il est loisible à la section d'appel, à l'occasion d'une demande de réouverture, de soupeser, d'examiner et d'évaluer les éléments de preuve : voir Harding v. M.M.I., [1972] C.F. 1153 (C.A.F.) et Fogel (précité).

8       Il ne fait pas de doute que, en l'espèce, la section d'appel a effectivement soupesé, examiné et évalué les éléments de preuve dont elles disposait. En fait, elle dit expressément qu'elle l'a fait. Toutefois, je ne pense pas que la Commission ait eu tort dans son examen des éléments de preuve. À mon sens, le critère dégagé dans Fleming ou celui énoncé dans Chan semble être le minimum que la Commission doit faire à l'occasion d'une demande de réouverture.

9       La nature d'une demande de réouverture est qu'elle doit être tranchée sommairement. L'intention est seulement de faire mention, aux fins d'un nouvel examen entier, de ces décisions qui se révèlent à l'occasion de la réouverture. Bien qu'il soit peut-être inhabituel et en fait inutile pour la section d'appel d'étudier à fond les éléments de preuve à l'occasion d'une demande de réouverture, j'estime que les décisions Harding et Fogel lui donnent amplement le pouvoir de le faire si tel est son choix.

La norme de contrôle


[27]            Les parties ne s'entendent pas sur la norme de contrôle applicable en l'espèce. La demanderesse soutient que la question en litige (soit celle de savoir si la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle en déterminant que l'ordonnance de garde rendue par le juge Zuker ne constituait pas un nouvel élément de preuve suffisant pour justifier une réouverture de l'appel) est une question mixte de fait et de droit qui entraîne l'application de la norme de la « décision raisonnable simpliciter » . Le défendeur, quant à lui, est d'avis que le degré de retenue judiciaire dont il faut faire preuve à l'égard d'une telle question correspond à la norme la plus élevée de la « décision manifestement déraisonnable » .

[28]            Peu importe que la question en litige en l'espèce soit qualifiée de question de fait ou de question mixte de droit et de fait, je suis d'avis qu'aucune erreur susceptible de contrôle n'a été commise. Bien que je reconnaisse que les décisions de la SAI devraient bénéficier d'un degré élevé de retenue de la part de cette Cour, la principale question sur laquelle la SAI a dû se pencher en l'espèce (soit comment interpréter l'ordonnance de garde rendue par la Cour de justice de l'Ontario le 12 juillet 2001) ne fait intervenir aucune compétence ou expertise particulière dont la SAI ait l'apanage. Mais même en appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter comme la demanderesse m'exhorte à le faire, j'arrive à la conclusion que la SAI n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle.

[29]            La principale question à trancher dans cette requête, comme en conviennent tant la demanderesse que le défendeur, consiste à se demander si l'interprétation donnée par la SAI à l'ordonnance de garde rendue par le juge Zuker de la Cour de justice de l'Ontario, le 12 juillet 2001, est étayée par la preuve. Tout le reste dépend de cette question.


[30]            Si la conclusion du juge Zuker portant que [traduction] « dans l'intérêt de l'enfant, Henry Horton Smith, né le 18 août 1996, ce dernier devait demeurer au Canada avec sa mère ... » doit être prise isolément, alors les différentes sous-questions soulevées par la demanderesse deviennent pertinentes. Mais si cette conclusion ne doit pas être prise isolément, et doit plutôt être lue en relation avec la partie de l'ordonnance qui permet à la demanderesse [traduction] « d'emmener l'enfant et d'établir sa résidence ailleurs qu'au Canada » , alors les différentes objections soulevées par la demanderesse à l'encontre de la décision de la SAI sont difficiles à accepter de façon significative.

[31]            La SAI était bien au fait des ambiguïtés contenues dans l'ordonnance de garde et elle les a abordées directement dans sa décision :

À mon avis, l'ordonnance de garde obtenue par la requérante le 12 juillet 2001 doit être considérée dans son ensemble. Suivant cette ordonnance, le tribunal a conclu que l'intérêt supérieur de l'enfant né de la requérante et de M. Smith était de demeurer au Canada avec la requérante, mais il a aussi permis à la requérante d'emmener l'enfant et d'établir sa résidence ailleurs sans le consentement du répondant. Les documents présentés avec la requête en réouverture n'expliquent pas le lien entre ces deux points dans l'ordonnance.

La requérante n'a pas remis, avec les autres documents soumis, sa requête auprès de la Cour de l'Ontario, requête qui a donné lieu à l'ordonnance du 12 juillet. Puisque M. Smith n'avait lui-même rien soumis, la requête permettrait peut-être de comprendre pourquoi le tribunal avait rendu cette ordonnance. Cependant, dans la précédente ordonnance de garde datée du 12 novembre 1998, il est question du caractère instable propre au statut d'immigrante de la requérante. L'appel contre sa mesure de renvoi avait été rejeté et sa demande d'en appeler de cette décision avait été refusée par la Cour fédérale lorsqu'elle a demandé, en juin 2001, une modification de l'ordonnance de garde. Dans ces circonstances, il est permis de présumer que le statut d'immigrante de la requérante était connu par la Cour de l'Ontario quand celle-ci a prononcé son ordonnance du 12 juillet.


On ne saurait sensément interpréter la deuxième ordonnance de garde comme si l'intérêt supérieur de l'enfant dictait à la fois qu'il demeure au Canada avec sa mère et que celle-ci puisse décider unilatéralement de l'emmener du Canada à son gré. En toute logique, ces deux points doivent être envisagés dans leur complémentarité. L'interprétation la plus congruente serait plutôt la suivante : aux yeux du tribunal, l'intérêt supérieur de l'enfant voulait qu'il reste avec sa mère qui se trouvait au Canada à l'époque, mais qu'il puisse quitter le pays et renoncer à son statut de résident canadien pour demeurer avec sa mère , dont le renvoi était imminent. Autrement dit, l'enfant doit rester avec sa mère et, si celle-ci perd son statut de résidence du Canada, elle peut emmener l'enfant avec elle. À mon avis, l'ordonnance de garde évoque certainement la possibilité que la requérante perdre [sic] son statut de résidente canadienne et, pour le cas où cette éventualité se réalise, contient des dispositions concernant l'intérêt supérieur de l'enfant.

[32]            Compte tenu des ambiguïtés de l'ordonnance de garde, plusieurs interprétations sont possibles, dont celle proposée par la demanderesse (c.-à-d. que la demanderesse peut quitter l'Ontario et le Canada, mais que l'intérêt supérieur de Henry commande qu'il reste au Canada avec sa mère). Mais le fait qu'il existe plusieurs interprétations possibles ne signifie pas que celle qu'a adoptée la SAI en l'espèce était déraisonnable, encore moins manifestement déraisonnable.

[33]            Cela étant, les autres objections soulevées par la demanderesse à l'encontre de la décision de la SAI ne révèlent aucune erreur susceptible de contrôle.

[34]            Il est possible que la SAI ait mal interprété l'ordonnance du juge Zuker, mais nous ne disposons d'aucune preuve en ce sens et, compte tenu des éléments de preuve avec lesquels la SAI a dû composer, son interprétation n'était pas déraisonnable.


[35]            Il a été mentionné dans la décision initiale de la IAD que la première ordonnance de garde, datée du 12 novembre 1998, interdisait que l'enfant soit emmené du Canada par suite d'une décision unilatérale « sans le consentement du répondant et sans que le tribunal se soit de nouveau penché sur l'intérêt supérieur de l'enfant » . De toute évidence, la décision initiale entrevoyait l'avenir et tous les changements concernant l'intérêt supérieur de l'enfant que la Cour en question pouvait ordonner, et c'est précisément ce qui s'est produit en l'espèce. Le juge Zuker a rendu l'ordonnance de garde du 12 juillet 2001, qui a été jugée par la SAI, de façon non déraisonnable, comme se penchant sur l'intérêt supérieur de l'enfant, et a déclaré que cet intérêt était servi si l'enfant demeurait avec sa mère, où qu'elle aille. Par conséquent, l'ordonnance de garde du 12 juillet 2001, si l'interprétation de la SAI n'est pas déraisonnable, ne rendait pas nécessaire la réouverture de la décision initiale de la SAI.

[36]            La SAI ne s'est pas posée la mauvaise question. Elle a affirmé ne pas être liée par une décision de la Cour de l'Ontario « au sujet du droit de demeurer au Canada » . La SAI a continué à s'en remettre à la Cour de l'Ontario sur la question de l'intérêt supérieur de l'enfant tout en précisant que lorsqu'il s'agissait de déterminer qui a le droit de demeurer au Canada, elle se considérait liée par l'arrêt Baker, précité.

[37]            La SAI s'est montrée « réceptive, attentive et sensible » à l'intérêt supérieur de l'enfant puisque, comme elle l'a indiqué dans ses décisions, elle considérait la Cour de l'Ontario comme étant le tribunal le mieux placé pour examiner et trancher les questions relatives à cet intérêt et l'arrêt Baker, précité, comme étant l'arrêt de principe sur la question de savoir si la demanderesse devrait demeurer au Canada.


[38]            La position de la SAI, bien qu'elle ne corresponde pas à l'interprétation donnée par la demanderesse à l'ordonnance de garde du 12 juillet 2001, n'était pas déraisonnable. Par conséquent, la SAI n'a pas eu tort dans son examen des éléments de preuve présentés par la demanderesse à l'appui de la réouverture de cette affaire.

[39]            Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[40]            Les avocats doivent signifier et déposer toute demande de certification d'une question de portée générale dans les sept jours suivant la réception des présents motifs. Chaque partie aura trois jours pour signifier et déposer toute réponse aux observations de la partie adverse. Par la suite, une ordonnance sera rendue.

                                                                                       « James Russell »           

                                                                                                             Juge                      

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B., D.D.N.


            COUR FÉDÉRALE DU CANADA

            Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                            IMM-4155-01

INTITULÉ :                                           BARBARA MCEYESON

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 8 AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :           12 JUIN 2003

COMPARUTIONS :              Mme Barbara Jackman

Pour la demanderesse

M. Michael Butterfield

Pour le défendeur

                                                                                                                   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       Barbara Jackman

                                                             Avocate

596, avenue St. Clair Ouest, bureau 3                    Toronto (Ontario)

M6C 1A6

Pour la demanderesse                         

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

            Date :20030512

    Dossier : IMM-4155-01

ENTRE :

BARBARA MCEYESON

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                      défendeur

                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                           


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