Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030509

Dossier : IMM-2405-02

Référence : 2003 CFPI 580

Ottawa (Ontario), ce 9e jour de mai 2003

En présence de :         MADAME LE JUGE SNIDER                                  

ENTRE :

                                                                     NEDIM OZUAK

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 M. Nedim Ozuak (le demandeur), un citoyen de la Turquie, a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention lors de son arrivée au Canada, le 22 juillet 2000. Il allègue une crainte justifiée de persécution en Turquie au motif de ses origines kurdes, de sa religion et de son appartenance à un groupe social particulier : les disciples de Fetullah Gulen. Sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention a été rejetée par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans une décision en date du 23 avril 2002. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de ladite décision.


CONTEXTE

[2]                 Selon le récit apparaissant dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a été détenu, battu et interrogé par la police pour la première fois en 1982 après une célébration traditionnelle du nevroz. Au cours de cette détention, les forces de sécurité ont fouillé la maison du demandeur. Après cela, il a été placé en détention à domicile chaque année pendant les célébrations du nevroz et faisait également l'objet de vérifications de sécurité ponctuelles effectuées par des fonctionnaires qui voulaient surveiller ses pratiques religieuses.

[3]                 En 1990, le demandeur a été arrêté et isolé dans une petite pièce pendant vingt-huit jours. Pendant cette période, il a été interrogé par ses geôliers à maintes reprises, toujours les yeux bandés. Le demandeur a été battu au cours de ces interrogations, privé de nourriture et d'eau et a subi des pressions visant à lui faire signer une confession. Lors de l'audience, le demandeur a également allégué qu'il avait été accusé de trahison pendant ces interrogatoires. Après sa remise en liberté, il a perdu son emploi dans l'armée de l'air au motif d'extrémisme religieux et parce qu'il avait refusé de collaborer lors de l'enquête du service de sécurité.


[4]                 À l'automne 1992, le demandeur a commencé à travailler à Tatarstan en qualité d'enseignant dans une école qui recevait un solide soutien financier de Fetullah Gulen. Le demandeur et sa famille sont demeurés à Tatarstan jusqu'en juin 2000, moment où ils ont commencé à craindre pour leur sécurité en cet endroit. Avant de venir au Canada, le demandeur et sa famille sont retournés en Turquie, où il est resté pendant trois semaines pour aider sa conjointe et ses enfants à s'installer.

[5]                 La Commission a reconnu l'origine ethnique du demandeur, son appartenance à la communauté de Fetullah Gulen et son renvoi de l'armée de l'air turque en 1990 à cause de sa religion. Cependant, la Commission n'était pas convaincue, sur la base de la prépondérance des probabilités, que le demandeur ait jamais été arrêté, battu, accusé d'être un traître ou obligé à signer une confession à quelque moment que ce soit et pour une raison quelconque. La Commission n'était également pas convaincue que le demandeur était recherché par les autorités turques.

[6]                 La Commission a également tiré un certain nombre d'inférences défavorables concernant la crédibilité du témoignage du demandeur.

[7]                 La Commission a conclu qu'il existait moins qu'un risque grave que le demandeur subisse un préjudice grave s'il retournait en Turquie. Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

QUESTIONS

[8]                 La présente demande soulève les questions suivantes :


a)         la Commission a-t-elle fait abstraction de la preuve pertinente pour déterminer que les membres de la confrérie de Fetullah Gulen ne sont pas persécutés en Turquie?

b)         la Commission a-t-elle fait abstraction de la preuve pertinente pour déterminer que le demandeur était un membre ordinaire de la confrérie de Fetullah Gulen?

c)         la Commission a-t-elle erré en tirant une inférence défavorable de l'omission de l'allégation de trahison dans le récit contenu dans le FRP du demandeur?

d)         la Commission a-t-elle erré en faisant abstraction du témoignage du demandeur selon lequel il craignait d'être arrêté, détenu et torturé en Turquie pour avoir présenté une revendication de statut de réfugié?

e)         la Commission a-t-elle, par sa conduite, refusé au demandeur la possibilité de présenter des éléments de preuve pertinents?

f)          l'évaluation effectuée par la Commission de la crédibilité du demandeur était-elle entachée par son application de paradigmes canadiens qui ne s'appliquent pas en Turquie?

[9]                 Pour les motifs suivants, je pense que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

Question no 1 : La Commission a-t-elle fait abstraction de la preuve pertinente pour déterminer que les membres de la confrérie de Fetullah Gulen ne sont pas persécutés en Turquie?


Observations du demandeur

[10]            Selon le demandeur, les membres de la confrérie de Fetullah Gulen en Turquie font face à des problèmes en tant que membres de la communauté des musulmans fervents et en tant que membres de la communauté des disciples de Fetullah Gulen. Dans ses observations, le demandeur soutient que la Commission a erré en n'évaluant pas, de façon indépendante, la preuve portant sur les restrictions de sa liberté de culte en sa qualité de musulman fervent auxquelles il serait confronté en Turquie. Le demandeur soutient également que la Commission a erré lorsqu'elle a conclu que sa crainte de persécution pour des motifs religieux n'était pas fondée.


[11]            En outre, le demandeur soutient que la Commission devait examiner son témoignage oral relativement à la possibilité d'arrestations et de persécutions futures en tant que membre de la confrérie de Fetullah Gulen et qu'elle devait déclarer les motifs pour lesquels elle avait préféré se fonder sur le document probant unique sur lequel elle s'est fondée plutôt que sur le témoignage oral du demandeur (Munkoh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 863 (A.C.F. 1re inst.) (QL)); Okyere-Akosah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 411 (C.A.) (QL)). Le défaut de la Commission de renvoyer à un seul document se trouvant dans l'ensemble des documents soumis par le demandeur est suffisant pour réfuter toute présomption aux termes de laquelle la Commission a examiné l'ensemble de la preuve documentaire avant de prendre une décision (Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (C.A.F.) (QL); Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 497 (C.F. 1re inst.) (QL)).

Analyse

(i)         Défaut, par la Commission, d'aborder la question des persécutions en tant que musulman fervent

[12]            À mon avis, la Commission n'a pas erré lorsqu'elle a concentré son analyse sur l'appartenance du demandeur à un groupe particulier de musulmans fervents.   

[13]            Le récit contenu dans le FRP du demandeur et son témoignage lors de l'audience sont centrés sur ses craintes de persécutions en tant qu'homme kurde et disciple de Fetullah Gulen et non sur sa crainte de persécutions en tant que musulman fervent. Bien que l'avocate du demandeur ait mentionné la répression des mouvements musulmans conservateurs en Turquie dans les observations écrites qu'elle a déposées devant la Commission, les observations du demandeur et son témoignage étaient axés sur sa crainte de persécutions en raison de son appartenance à la confrérie de Fetullah Gulen.


[14]          Dans sa décision, la Commission déclare avoir examiné l'ensemble du témoignage du demandeur, les observations écrites de son avocate et l'ensemble de la preuve documentaire, y compris celle déposée par le demandeur. Bien que la Commission ne fasse pas directement référence aux documents et au témoignage oral en ce qui concerne la persécution des musulmans fervents, à mon avis, cela ne constitue pas une erreur donnant lieu à révision. Le seul fait que la Commission n'ait pas fait état de certaines preuves dans ses motifs ne met pas en cause sa décision (Hassan, précité).

(ii)        Défaut, par la Commission, d'aborder la preuve orale et documentaire portant sur la persécution des membres de la confrérie de Fetullah Gulen

[15]            À mon avis, la Commission n'a pas commis une erreur donnant lieu à révision lors de son analyse de la preuve d'une persécution des disciples de Fetullah Gulen. À la lumière de la preuve déposée devant elle, la Commission a conclu que l'allégation du demandeur selon laquelle il avait été arrêté, détenu, battu, accusé d'être un traître, obligé de signer une confession et est actuellement recherché par les autorités turques n'était pas crédible. En outre, la Commission a particulièrement déclaré qu'elle avait examiné l'ensemble de la preuve qui lui avait été soumise, y compris le témoignage du demandeur et la preuve documentaire déposée par ce dernier.


[16]            Un examen de la preuve documentaire contenue dans le dossier certifié du tribunal indique que Fetullah Gulen lui-même a fait l'objet d'enquêtes et a été accusé de tenter de renverser le gouvernement séculier turc. Les institutions de Fetullah Gulen recevaient généralement l'approbation et le soutien des dirigeant turcs et des partis politiques. L'armée exerçait une discrimination à l'égard des adeptes de Fetullah Gulen et les a harcelés. Les musulmans fervents étaient la cible des forces de sécurité. Par conséquent, contrairement à l'affaire Munkoh, précitée, la preuve documentaire ne contredisait pas les conclusions de la Commission. Qui plus est, le défaut de la Commission de renvoyer à l'ensemble de la preuve documentaire et du témoignage oral liés à la persécution des disciples de Fetullah Gulen ne mettait pas sa décision en cause (Hassan, précité).

(iii)       La preuve étayait une conclusion de persécution

[17]            À mon avis, la conclusion de la Commission selon laquelle la crainte de persécution du demandeur n'était pas justifiée en raison de son appartenance à la confrérie de Fetullah Gulen lui était loisible sur la base de la preuve dont elle disposait. Je pense que les affaires cités par le demandeur pour appuyer ses observations sur la question se distinguent de l'espèce.


[18]            Lors de l'audience, le demandeur a affirmé que parce qu'il avait été congédié de l'armée de l'air, il était perçu comme plus dangereux par les forces de sécurité. Il a également affirmé qu'il participait régulièrement à des réunions hebdomadaires de Fetullah Gulen, qu'il avait organisé deux réunions chez lui et avait participé à deux réunions après son retour en Turquie, en juillet 2000. Le demandeur ne s'est jamais trouvé présent à des réunions qui ont fait l'objet de descentes de police et il n'a jamais eu de problèmes avec les forces de sécurité. Selon le demandeur, les disciples de Fetullah Gulen se trouvant plus bas dans la hiérarchie étaient souvent emmenés pendant quelques jours et questionnés [traduction] « avec maints jurons et insultes » . Les disciples qui se trouvaient dans les rangs plus élevés de la hiérarchie, c'est-à-dire [traduction] « dans l'entourage de Fetullah Gulen et des administrateurs de la fondation » étaient souvent incarcérés pour des périodes plus longues. Il n'existait aucune preuve que le demandeur faisait partie de l'entourage de Fetullah Gulen ou des administrateurs de la fondation. À la lumière de cette preuve, le fait, pour la Commission, de conclure que le demandeur n'avait pas une crainte justifiée de persécution pour des motifs religieux ne constituait pas une erreur donnant lieu à révision.

[19]            Le demandeur cite, entre autres, la décision de la Commission dans l'affaire Z.Y.S., [2001] C.R.D.D. no 208. Dans la décision Z.Y.S., précitée, la Commission a examiné les difficultés auxquelles font face les disciples de Fetullah Gulen en tant que musulmans fervents en général et en tant que disciples de Fetullah Gulen en particulier et il a conclu, au paragraphe 20, qu'il existait une possibilité de persécution pour tout disciple de Fetullah Gulen s'il retournait en Turquie. À mon avis, les précédentes décisions de la Commission ne sont pas très utiles en l'espèce. La conclusion selon laquelle une personne est un réfugié au sens de la Convention est fondée sur les faits et la Commission n'est pas liée par ses décisions antérieures. En outre, je remarque que la défenderesse a cité trois décisions de la Commission dont les conclusions étaient contraires en ce qui concerne la question de savoir si les membres de la confrérie de Fetullah Gulen faisaient l'objet de persécutions. Par conséquent, je n'accorde qu'un moindre poids aux décisions de la Commission.


[20]            Le demandeur a également cité la décision Fosu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1813 (C.F. 1re inst.) (QL) et la décision He c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1243 (C.F. 1re inst.) (QL), pour étayer ses observations selon lesquelles son allégation de persécution pour des motifs religieux était bien fondée. Je pense que ces affaires peuvent être considérées comme différentes.

[21]            Dans la décision Fosu, précitée, contrairement à l'espèce dont la Cour est saisie, la Commission n'a pas remis en question la crédibilité du demandeur. En outre, le juge Denault a conclu que la Commission, dans cette affaire, avait « restreint indûment la notion de pratique religieuse, la limitant au fait "de prier Dieu ou d'étudier la Bible" » (Fosu, au paragraphe 5). Il n'existe aucune indication que la Commission ait limité le concept de pratique religieuse en l'espèce.

[22]            En l'espèce, bien que le demandeur ait témoigné qu'il serait difficile, pour lui, de trouver du travail dans son domaine de compétence en raison de son congédiement de l'armée de l'air, il n'existe aucune preuve que les autorités aient pris des mesures actives, comme celles prises par les autorités dans l'affaire He, précitée, pour l'empêcher d'obtenir cet emploi.

[23]            Par conséquent, la preuve déposée devant la Commission étayait sa conclusion selon laquelle le demandeur n'avait pas une crainte bien fondée de persécution en Turquie pour des motifs religieux.


Question no 2 : La Commission a-t-elle fait abstraction de la preuve pertinente pour déterminer que le demandeur était un membre ordinaire de la confrérie de Fetullah Gulen?

Observations du demandeur

[24]            Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle il était un membre ordinaire de la confrérie de Fetullah Gulen et que, par conséquent, le risque qu'il courait était le même que celui couru par d'autres membres ordinaires était erronée et adoptée sans égard à la preuve déposée devant elle.

Analyse

[25]            La preuve documentaire mentionnée par le demandeur pour appuyer son observation est la suivante :

[traduction] les limites de la confrérie de Fetullah Gulen ne sont pas clairement définies puisqu'elle attire des gens de diverses tendances politiques et religieuses ... Par conséquent, les « initiés » peuvent être difficiles à identifier... Cependant, les fervents disciples de la confrérie ont un statut différent et on s'attend à ce qu'ils soient inconditionnellement au « service » de la confrérie. Ainsi, ils peuvent être envoyés à l'étranger pour y enseigner.

[26]            La Commission a conclu qu'il était peu probable que le demandeur soit un enseignant ou un enseignant de la doctrine de Fetullah Gulen s'il devait retourner en Turquie. Elle a également conclu que le demandeur était un disciple ordinaire de Fetullah Gulen. À mon avis, cette conclusion n'était pas déraisonnable.

[27]            Selon le témoignage du demandeur, il a enseigné l'anglais dans une école financée par Fetullah Gulen et était responsable de l'inventaire. Selon le récit contenu dans son FPR, bien que cette école ait reçu un solide soutien financier de Fetullah Gulen, ce n'était pas une école de Fetullah Gulen. Comme le défendeur le fait remarquer avec justesse, la Commission n'a effectué aucune conclusion à cet égard.

[28]            À mon avis, le demandeur surévalue la preuve documentaire portant sur cette question. L'extrait reproduit ci-dessus laisse croire que les enseignants dans les écoles de Fetullah Gulen sont des fervents disciples. Il ne prouve pas que les enseignants font partie des membres de confiance les plus importants parmi le cercle privilégié de la confrérie de Fetullah Gulen. Le seul fait que le demandeur ait enseigné l'anglais et qu'il était responsable de l'inventaire d'une école financée par Fetullah Gulen ne prouve pas, sur la base de la prépondérance des probabilités, qu'il était un membre de confiance parmi le cercle privilégié de cette confrérie ou qu'il était proche de Fetullah Gulen. Le demandeur n'a pas fourni d'autres preuves pour appuyer son allégation selon laquelle il était plus qu'un membre ordinaire de la confrérie de Fetullah Gulen. Bien que j'aurais pu en décider autrement, sur la base de la preuve dont elle disposait, la Commission pouvait conclure que le demandeur représentait un membre ordinaire de la confrérie de Fetullah Gulen.

Question no 3 : La Commission a-t-elle erré en tirant une inférence défavorable de l'omission des allégations de trahison dans le récit contenu dans le FRP du demandeur?


Observations du demandeur

[29]            Dans l'observation du demandeur, la position de la Commission selon laquelle l'accusation de trahison représentait un élément essentiel de sa requête n'était pas justifiée par la preuve. De l'avis du demandeur, cette allégation constituait un détail de l'interrogation et la Commission n'avait pas le droit de tirer une inférence défavorable de l'omission de ce détail du récit contenu dans son FRP (Ahangaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 772 (C.F. 1re inst.) (QL)). Selon le demandeur, il est courant que les personnes accusées d'idéologie anti-étatique soient également accusées de trahison en Turquie.

Analyse

[30]            La Commission a le droit de tirer une inférence défavorable de l'omission d'un fait important dans le FRP du demandeur (Joseph c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 49 (C.F. 1re inst.) (QL), conf. par 2001 CAF 265, [2001] A.C.F. no 1484 (QL); Addai-Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1034 (C.F. 1re inst.) (QL)).


[31]            À mon avis, il est particulièrement important que le demandeur ait modifié son FRP au début de l'audience pour corriger des détails mineurs et pour ajouter qu'il avait été obligé de signer une confession lors de sa détention en 1990. Cependant, il n'a pas modifié la partie descriptive du FRP pour y ajouter l'accusation de trahison portée contre lui. Une accusation de trahison représente une question de la plus haute importance qui porte de graves conséquences, y compris l'exécution. Par conséquent, la Commission avait la possibilité de tirer une inférence défavorable de l'omission de cette accusation dans le FRP du demandeur.

Question no 4 : La Commission a-t-elle erré en faisant abstraction du témoignage du demandeur selon lequel il craignait d'être arrêté, détenu et torturé en Turquie pour avoir présenté une revendication de statut de réfugié?

Observations du demandeur

[32]            Dans l'observation du demandeur, son témoignage selon lequel il pouvait être arrêté, détenu et torturé, s'il retournait en Turquie, au motif du simple soupçon qu'il avait déposé une revendication du statut de réfugié était corroboré par la preuve documentaire et le défaut de la Commission d'examen de ladite preuve constitue une erreur justifiant le contrôle. En réponse, le demandeur soutient que l'acceptation de sa preuve selon laquelle il avait été détenu n'était pas essentielle à l'acceptation par la Commission de sa preuve selon laquelle il craignait la persécution pour ce motif s'il devait retourner en Turquie. Mais bien plutôt, comme l'indique la preuve documentaire, l'acceptation que le demandeur est un Kurde sans aucun statut au Canada est essentielle à la présente observation.


Analyse

[33]            Bien que le demandeur, dans son FRP, soulève la question de la possibilité de [traduction] « détention, d'interrogation et de torture » s'il devait retourner en Turquie et, bien qu'il existe un certain nombre d'éléments de preuve documentaire pour étayer la crainte du demandeur, la Commission n'a pas mentionné cette question dans ses motifs. Ce défaut est troublant.

[34]            Néanmoins, je ne pense pas que le défaut de mention de la Commission mette en cause sa décision. La Commission n'a pas reconnu que le demandeur ait jamais été détenu. En outre, cela ne constituait pas la partie centrale de sa revendication et, comme l'a fait remarquer le défendeur, elle était fondée sur des preuves qui n'étaient ni impartiales, ni fiables (Gourenko c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 682 (C.F. 1re inst.) (QL)). Par conséquent, la Commission a un fondement pour conclure que la crainte de retourner n'existait pas. Alors qu'il aurait été préférable pour la Commission de traiter cet argument directement, son défaut de le faire ne constitue pas une erreur donnant lieu à révision.

Question no 5 : La Commission a-t-elle, par sa conduite, refusé au demandeur la possibilité de présenter des preuves pertinentes?

Observations du demandeur

[35]            Selon l'observation du demandeur, la transcription de l'instance démontre que la Commission est intervenue de façon excessive lorsqu'il témoignait oralement à propos du traitement des musulmans fervents en Turquie et de sa pertinence à l'égard de l'affaire, refusant donc à l'avocate la possibilité d'interroger le demandeur en détail et refusant à ce dernier la possibilité de présenter complètement son cas (Iossifov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1318 (C.F. 1re inst.) (QL)).

Analyse

[36]            À mon avis, la transcription ne soutient pas les observations du demandeur sur cette question. Le témoignage en question était lié à la répression du mouvement islamique en Turquie en 1997, lorsque le demandeur se trouvait à Tatarstan. L'échange entre le membre président et l'avocate du demandeur à ce sujet indique que, bien que le membre président ait remis en question la pertinence de ce témoignage, il a autorisé l'avocate du demandeur à continuer ses questions. En fait, c'est l'avocate du demandeur qui a cessé la présentation du témoignage au motif qu'elle [traduction] « ne souhaitait pas se sentir obligée de se dépêcher. »


[37]            Cet échange ne constitue pas une intervention excessive de la part de la Commission (Iossifov, précité). Qui plus est, rien n'a empêché le demandeur de déposer cette preuve devant la Commission. La preuve documentaire sur la question, qui a d'abord été refusée par la Commission, a été admise à titre de preuve lorsque l'audience a repris le 18 février 2002. Étant donné la nature générale et historique de cette preuve, le demandeur n'était pas obligé de la présenter de vive voix. Enfin, dans ses observations écrites, l'avocate du demandeur a renvoyé au traitement des musulmans fervents en Turquie. Par conséquent, il n'existe aucune preuve que le demandeur ait été empêché de présenter ses arguments en la matière.

Question no 6 : L'évaluation effectuée par la Commission de la crédibilité du demandeur était-elle entachée par son application de paradigmes canadiens qui ne sont pas applicables en Turquie?

Observations du demandeur

[38]            Le demandeur soutient que les conclusions de la Commission concernant la crédibilité sont entachées par son manque de compréhension du contexte culturel de son témoignage (Bains, précité). Le demandeur soutient que la Commission n'a pas compris le fait que le système politique turc permet l'existence des institutions de Fetullah Gulen en même temps qu'il accuse son dirigeant de fomenter un plan pour renverser l'État séculier.

Analyse                                                                                         

[39]            L'observation du demandeur sur ce sujet porte particulièrement sur les conclusions de la Commission selon lesquelles il était peu précis, équivoque et insensé lorsqu'il répondait à la question de savoir s'il était recherché par l'armée à la suite de son congédiement par l'armée de l'air.

[40]            Dans son témoignage, le demandeur a déclaré n'avoir pas commis de crime. Il a fallu lui demander, à plusieurs reprises, s'il était recherché par les forces de sécurité lorsqu'il est retourné en Turquie, en juin 2000. D'après ce que j'en comprends, le point essentiel du témoignage du demandeur consistait à affirmer qu'il était perçu comme plus dangereux par les forces de sécurité en raison de son congédiement par l'armée de l'air et que, par conséquent, il était sous la surveillance de ces forces. Il n'était pas recherché par les forces de sécurité car il n'avait pas commis de crime. Cependant, il aurait été coupable s'il avait participé à des activités liées à Fetullah Gulen.

[41]            Bien que j'aurais pu conclure autrement, je ne pense pas que la Commission ait erré lorsqu'elle a tiré cette inférence défavorable du témoignage du demandeur en la matière. Je ne suis pas persuadée que la Commission appliquait des paradigmes canadiens ou n'a pas compris la différence entre l'opinion de l'armée au sujet de Fetullah Gulen et celles du gouvernement turc.

CONCLUSION

[42]            Malgré des observations écrites et orales très bien faites et très précises du demandeur, je ne suis pas convaincue que la Commission a commis une erreur qui pourrait se solder par une révision réussie de sa décision. Cependant, je partage l'inquiétude du demandeur selon laquelle les récentes décisions de la Commission liées aux disciples de Fetullah Gulen indiquent une interprétation contradictoire de la preuve documentaire. Cela est malencontreux, mais c'est une question que la Commission elle-même, et non la Cour, doit résoudre.


[43]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé une question d'importance générale pour la certification. Aucune ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         que la présente demande soit rejetée;                 

2.         qu'aucune question ne soit certifiée.

                    « Judith Snider »                             

Juge                                       

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                                    IMM-2405-02

INTITULÉ :                                   NEDIM OZUAK et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

                                                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :         Le 29 avril 2003

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE PAR :        MADAME LE JUGE SNIDER

DATE DE

L'ORDONNANCE :                    Le 9 mai 2003

COMPARUTIONS :

Catherine Bruce                               POUR LE DEMANDEUR

Tamrat Bebeyehu                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

POUR LE DEMANDEUR

POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20030509

Dossier : IMM-2405-02

ENTRE :

NEDIM OZUAK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET                                                ORDONNANCE

                                                                           


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.