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Date : 20031020

Dossier : IMM-5958-02

Référence : 2003 CF 1216

ENTRE :

                                            SUSAN PATHMAWATHY SIVAGNANAM

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge von Finckenstein

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue le 22 octobre 2002 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a décidé que la demanderesse n'était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

LES FAITS


[2]         La demanderesse est une femme de 60 ans originaire du nord du Sri Lanka. Au début des années 1990, les LTTE contrôlaient la région où elle vivait. La demanderesse prétend qu'au cours de cette période, elle et sa famille ont fait l'objet de mesures d'extorsion, de harcèlement et de tentatives de recrutement de la part des LTTE. Au milieu des années 1990, la région est passée sous le contrôle de l'armée sri-lankaise (ASL). Selon les dires de la demanderesse, les autorités de l'ASL qui ont pris le contrôle de la région ont soupçonné sa famille d'appuyer les LTTE. C'est pourquoi, affirme-t-elle, les autorités gouvernementales l'ont arrêtée et battue tout comme les autres membres de sa famille.

[3]                 La demanderesse et les membres de sa famille ont décidé de quitter le Sri Lanka en octobre 2000. Témoignant devant la Commission, la demanderesse a déclaré qu'ils ont d'abord gagné Colombo, où ils sont demeurés chez un agent embauché pour les aider à fuir le pays. Ils se sont ensuite rendus à Singapour où ils ont été séparés. La demanderesse affirme que les membres de sa famille vivent aujourd'hui dans plusieurs pays, dont le Canada.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[4]         Selon la Commission, la demanderesse n'a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi au soutien de la menace de persécution qui planerait sur elle à son retour au Sri Lanka. Il existe deux fondements à cette conclusion. Premièrement, la Commission a relevé des contradictions et des invraisemblances dans la version des faits relatée par la demanderesse, notamment :


-           La demanderesse a omis de déclarer dans son formulaire de renseignements personnels qu'elle était entrée au Canada en 2000 munie d'un visa de visiteur et qu'en 1995, elle avait obtenu un autre visa pour rendre visite à son père.

-           Dans son formulaire de renseignements personnels, la demanderesse a indiqué avoir été témoin de l'assassinat de deux amis de son fils; toutefois, lors de son témoignage, elle a déclaré qu'ils avaient été arrêtés en même temps que sa famille.          

-           La demanderesse a déposé qu'elle n'a pas tenté de quitter le nord du Sri Lanka lorsqu'elle a obtenu un visa pour le Canada en 1995 parce qu'elle n'a pas su comment s'y prendre pour acheter son droit de passage auprès des combattants des LTTE; la Commission a toutefois estimé que ce scénario n'était pas plausible compte tenu de ses autres expériences.

En outre, la Commission a tiré une inférence négative du fait que la demanderesse a informé un agent des visas à Colombo qu'elle y avait vécu depuis 1995, alors qu'elle a témoigné que sa famille n'y était demeurée que pendant quelques semaines avant de quitter pour Singapour.

[5]                 La Commission a également conclu que la demanderesse n'avait pas une crainte fondée de persécution parce qu'étant une dame âgée, elle ne correspondait pas au profil des Tamouls victimes d'extorsion, de violence et conscrits soit par les LTTE, soit par les forces gouvernementales.

QUESTIONS EN LITIGE

[6]         La demanderesse soulève les questions en litige suivantes :


1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en fondant sa conclusion défavorable en matière de crédibilité sur des incohérences mineures et sans importance dans la version des faits de la demanderesse?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n'a pu démontrer sa crainte fondée de persécution?

ANALYSE

Question 1 :      La Commission a-t-elle commis une erreur en fondant sa conclusion défavorable en matière de crédibilité sur des incohérences mineures et sans importance dans la version des faits de la demanderesse?

[7]                 La demanderesse soutient que la conclusion tirée par la Commission en matière de crédibilité comporte trois erreurs. Premièrement, elle fait valoir que la Commission a mal compris ou mal interprété son témoignage sur l'assassinat de deux amis de son fils et sur les tentatives des LTTE de la recruter, elle et son fils. Par conséquent, elle prétend que la Commission a eu tort de conclure à l'incompatibilité entre les déclarations faites lors de son témoignage et celles figurant dans son formulaire de renseignements personnels (FRP). Qui plus est, la demanderesse affirme que la Commission a omis de prendre en compte son âge et ses circonstances culturelles en concluant à l'invraisemblance du scénario selon lequel elle n'aurait pas su qu'elle aurait pu verser des pots-de-vin pour quitter le Sri Lanka avant 2000.

[8]                 La demanderesse soutient en outre que la Commission a commis une erreur en tirant une inférence négative du fait qu'elle a omis de dire à un agent des visas à Colombo où elle vivait réellement avant l'an 2000. Selon elle, cette situation est analogue à celle où un demandeur omet de révéler à un agent des visas en poste à l'étranger qu'il revendiquera le statut de réfugié à son arrivée au Canada. La demanderesse exhorte donc la Cour à conclure que cette fausse déclaration n'a eu aucune incidence sur le processus de détermination du statut de réfugié.

[9]                 Enfin, la demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en omettant de donner pleinement l'occasion à son avocat d'expliquer pourquoi elle n'avait pas révélé dans son FRP qu'elle avait déjà obtenu à deux reprises des visas pour le Canada.

[10]            La norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Cour n'interviendra que si la conclusion a été tirée de manière arbitraire, sur le fondement de conclusions de fait erronées et sans égard aux éléments de preuve (Aguebor c. Canada (M.C.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Bien que la Commission ne puisse fonder sa décision en matière de crédibilité sur des incohérences mineures et sans importance, les conclusions relatives aux contradictions, aux incohérences et aux imprécisions constituent « l'essentiel » de son pouvoir discrétionnaire (Giron c. Canada (M.E.I.), [1992] 143 N.R. 238 (C.A.F.)). Notre Cour fait donc montre d'un haut degré de retenue à l'égard de la conclusion que tire la Commission quant à la crédibilité en se fondant sur les incohérences dans la version d'un demandeur.   

[11]            En l'espèce, rien n'indique qu'il y a lieu d'annuler la conclusion relative à la crédibilité tirée par la Commission. Le premier argument avancé par la demanderesse ne repose sur aucun fondement. La Commission a tiré des inférences négatives quant à la crédibilité en raison des incohérences au coeur du récit de la demanderesse relativement à la question de savoir si les LTTE avaient tenté de les recruter, elle et son fils, et si elle était présente lorsque deux amis de son fils ont été fusillés. Au vu de la preuve dont elle disposait, il était loisible à la Commission de conclure que le témoignage de la demanderesse sur ces questions ne concordait pas avec les déclarations figurant dans son FRP.   

[12]            Dans sa seconde prétention, la demanderesse a invoqué une analogie boiteuse. En raison des sentiments compréhensibles de désespoir et de peur envers les autorités publiques, un revendicateur du statut de réfugié peut parfois décider de ne pas divulguer à l'agent des visas qu'il rencontre à l'étranger la raison pour laquelle il vient au Canada. Il a été établi que, lorsqu'une explication crédible est fournie par la suite, une fausse déclaration n'a en soi aucune incidence sur le processus de détermination du statut de réfugié (Bhatia c. Canada (M.C.I.), 2002 C.F.P.I. 2010). La situation est différente en l'espèce. La demanderesse a fourni très peu d'explication quant à savoir pourquoi elle avait menti à l'agent des visas à propos de son domicile entre 1995 et 2000. Qui plus est, la demanderesse n'a pu soutenir avec conviction l'existence d'un lien entre la crainte qu'elle aurait pu ressentir et la fausse déclaration qu'elle a faite. Dans ces circonstances, il était loisible à la Commission de tirer une inférence négative de la fausse déclaration.

[13]            En ce qui a trait à la troisième prétention, un examen du dossier révèle que la demanderesse a eu l'occasion d'expliquer pourquoi elle avait omis de mentionner dans son FRP qu'elle avait déjà obtenu deux visas pour venir au Canada. De plus, rien n'indique qu'on ait empêché l'avocat de la demanderesse d'expliquer les agissements de sa cliente. Par conséquent, ayant examiné les explications fournies par la demanderesse et son avocat, la Commission pouvait conclure que l'omission de fournir ce renseignement était suffisamment grave qu'elle justifiait une inférence défavorable.

Question 2 :      La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n'a pu démontrer sa crainte fondée de persécution?

[14]            Selon la demanderesse, la Commission a omis de considérer la preuve documentaire liée à la menace à laquelle s'exposent les personnes âgées et les femmes tamoules lorsqu'elle a conclu que la demanderesse ne s'exposerait pas en particulier à un risque de conscription, d'extorsion et de violence sexuelle si elle retournait au Sri Lanka. Elle prétend de plus que la Commission a eu tort de s'attarder sur la question de savoir si elle serait expressément ciblée au Sri Lanka au lieu d'examiner les éléments de preuve relatifs aux Tamouls se trouvant dans une situation similaire dans ce pays.


[15]            La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de la Commission, comme la question de savoir s'il existe une crainte fondée de persécution, est celle de la décision manifestement déraisonnable (Sivasamboo c. Canada (M.C.I.), [1995]_1 C.F. 741; Singh c. Canada (M.C.I.) (1999), 2 Imm. L.R. (3d) 191). Il n'appartient pas à la Cour de substituer son jugement à celui de la Commission, sauf si celle-ci a omis de tenir compte de la preuve ou si elle a autrement rendu une décision non fondée au vu du dossier.

[16]            Il s'agit en l'espèce de savoir si la demanderesse s'est acquittée du fardeau qui lui incombait d'établir qu'elle s'exposait à davantage qu'une simple possibilité de persécution si elle retournait au Sri Lanka (Adjei c. Canada (M.E.I.), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.)). Au paragraphe 8 de la décision Mohamud c. Canada (M.E.I.) (1994), 72 FTR 309, le juge Nadon a décrit en ces termes le rôle dévolu à la Commission lorsqu'elle examine les éléments de preuve relatifs au risque auquel s'expose un demandeur dans une situation de guerre civile :

Comme l'a déclaré la Cour d'appel dans l'affaire Salibian, une crainte entretenue indistinctement ne suffit pas: la Commission doit être en mesure d'attribuer la crainte de persécution à un des motifs énumérés [...] afin de déclarer qu'un revendicateur est un réfugié au sens de la Convention. Comme le précisait le juge MacGuigan dans l'affaire Rizkallah c. MEI [...], aux pages 1 et 2 de cette décision:

Pour avoir gain de cause, les demandeurs du statut de réfugié doivent établir qu'ils font eux-mêmes l'objet de persécution pour un motif visé par la Convention. Cette persécution doit être dirigée contre eux, soit personnellement, soit en tant que membres d'une collectivité. Dans les motifs de la décision quelle [sic] a rendue en l'espèce, la Section du statut de réfugié n'a traité qu'un seul aspect de la question, à savoir la persécution personnelle. Toutefois, la preuve qui nous a été présentée ne permet pas d'établir que les Chrétiens du village libanais des demandeurs étaient collectivement persécutés d'une manière qui pourrait les distinguer de l'ensemble des victimes de la terrible guerre civile que se livrent les nombreuses parties.

En l'espèce, la Cour doit répondre à la question de savoir si la Commission a omis de tenir compte de certains éléments de preuve ou rendu une décision par ailleurs manifestement déraisonnable quant à savoir si la demanderesse serait persécutée si elle retournait au Sri Lanka.


[17]            Il faut conclure à l'absence de fondement à la prétention avancée par la demanderesse selon laquelle la Commission a omis de tenir compte de l'argument et de la preuve documentaire relatifs aux personnes placées dans une situation analogue. Dans ses motifs, la Commission a traité des éléments de preuve liés aux menaces proférées par les LTTE aux personnes âgées, mais elle a conclu que la demanderesse ne s'exposerait pas à ces risques dans une région contrôlée par les forces gouvernementales. La Commission a en outre estimé que les Tamouls s'exposaient en général à un risque d'extorsion dans le pays, mais que la demanderesse ne s'exposerait à rien de plus qu'une simple possibilité d'extorsion si elle retournait au Sri Lanka. Enfin, la Commission a conclu que la demanderesse n'avait fourni aucun élément de preuve démontrant qu'elle correspondait au profil ciblé par les LTTE ou par le gouvernement pour d'autres formes de violence. Bien qu'il y ait assurément des Tamouls au Sri Lanka qui soient actuellement exposés à une menace de persécution, la Commission n'était pas tenue d'accepter la déclaration non étayée de la demanderesse selon laquelle elle appartient à ce groupe.

[18]            La demanderesse a exhorté notre Cour à conclure que la Commission a commis une erreur précisément en raison de son omission de traiter des éléments de preuve liés à la menace de violence sexuelle à laquelle s'exposent les femmes tamoules. Même s'il aurait été utile que la Commission explique pourquoi elle a conclu à l'absence de preuves convaincantes établissant que la demanderesse d'âge avancé ne s'exposait pas au risque de violence auquel les jeunes femmes tamoules sont assurément exposées, notre Cour doit garder à l'esprit la décision rendue par la Cour d'appel dans Florea c. Canada (M.E.I.), [1993] F.C.J. No. 598 (C.A.), par. 1 :


Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire.

Quoique la Commission n'ait pas expressément abordé la question, on peut supposer qu'elle a soupesé les éléments de preuve et conclu que la demanderesse n'a pas démontré qu'elle serait victime de violence sexuelle si elle retournait au Sri Lanka. Il n'appartient pas à notre Cour de réexaminer les éléments de preuve et de substituer son jugement à celui de la Commission.

[19]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

« K. von Finckenstein »

ligne

                                                                                                           JUGE                     

Ottawa (Ontario)

Le 20 octobre 2003

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                                   IMM-5958-02

INTITULÉ :                                                                                SUSAN PATHMAWATHY SIVAGNANAM

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                        LE 8 OCTOBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                                              LE 20 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

M. Kumar S. Sriskanda                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Mme Ann Margaret Oberst                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kumar S. Sriskanda                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

209-3852, avenue Finch Est

Scarborough (Ontario)             

M1T 3T9

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


Date : 20031020

Dossier : IMM-5958-02

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

                  SUSAN PATHMAWATHY SIVAGNANAM

                                                                                          demanderesse

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                                           ORDONNANCE

Pour les motifs que j'ai exposés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« K. von Finckenstein »

ligne

                                                                                                           JUGE                     

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


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