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Date : 20030314

Dossier : IMM-1543-02

Référence neutre : 2003 CFPI 312

Calgary (Alberta), le vendredi 14 mars 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER                                   

ENTRE :

                                                                     JAGDISH SINGH

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 M. Jagdish Singh (le « demandeur » ) est un citoyen de l'Inde qui a résidé à Hong Kong depuis 1985. Le 29 septembre 1998, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des entrepreneurs. Il envisageait d'ouvrir un magasin de boissons à Calgary (Alberta). À la suite d'une entrevue personnelle le 4 mars 2002, l'agente des visas Nicole Garneau (l'agente des visas) a, par une lettre-décision en date du 5 mars 2002, refusé la demande. L'agente des visas a conclu que le demandeur n'était pas un entrepreneur au sens du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, modifié (le Règlement sur l'immigration). Le demandeur sollicite à présent le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]                 Dans sa lettre de refus datée du 5 mars 2002, l'agente des visas a affirmé que les motifs du refus ont été expliqués au demandeur lors de l'entrevue et que la possibilité de répondre lui avait été offerte. Voici la partie pertinente des notes du Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) :

[TRADUCTION] En tenant compte des renseignements que m'a fournis le demandeur, je ne suis pas convaincue que ce dernier est en mesure d'établir, d'acheter une entreprise ou un commerce [ou] d'y investir une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à des Canadiens d'obtenir ou de conserver un emploi, e[t] je ne suis pas convaincue qu'il est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion. Il paraît n'avoir compté que sur son avocat et son frère pour l'ensemble du projet d'entreprise, du choix du secteur d'activité au plan d'affaires, et il a fait savoir qu'il comptera également sur eux à son arrivée. Bien que ce soit une bonne chose qu'il ait quelqu'un pour l'aider, il ne m'a pas démontré qu'il a mis beaucoup d'effort intellectuel dans son projet. Il n'a pas été en mesure de préciser les compétences qu'il possède et qui peuvent être appliquées au lancement d'une entreprise. Il n'a aucune connaissance du marché des boissons et lorsqu'on lui a posé des questions sur la gamme de produits, il a pour toute réponse dit que les produits à acheter seront ceux que les gens aiment. Il a présenté sa demande en 1999 et n'a fait aucun effort depuis ce temps pour acquérir des connaissances dans ce domaine. Le résultat de tout cela est l'échec de l'IÉ à me convaincre qu'il satisfait à la définition d'entrepreneur.

Questions en litige

[3]                 Bien qu'elles n'aient pas été expressément formulées par le demandeur, les questions soulevées par la présente demande sont les suivantes :

L'agente des visas a-t-elle rendu sa décision d'une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait

a)         en ne tenant pas compte de la preuve dont elle disposait; ou

b)         en tenant compte de facteurs non pertinents pour rendre sa décision.


Dispositions législatives et réglementaires pertinentes

[4]                 Entrepreneur est défini au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration :


"entrepreneur" means an immigrant

(a) who intends and has the ability to establish, purchase or make a substantial investment in a business or commercial venture in Canada that will make a significant contribution to the economy and whereby employment opportunities will be created or continued in Canada for one or more Canadian citizens or permanent residents, other than the entrepreneur and his dependants, and

(b) who intends and has the ability to provide active and on-going participation in the management of the business or commercial venture;

« entrepreneur » désigne un immigrant

a) qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à part l'entrepreneur et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, et

b) qui a l'intention et est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce;


Analyse

[5]                 Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que la présente demande devrait être rejetée.

Norme de contrôle


[6]                 Une demande d'immigration au Canada entraîne l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de la part de l'agent des visas qui est tenu de rendre cette décision en se fondant sur des critères particuliers prévus par la loi. Pour que la Cour intervienne, il doit y avoir, « soit une erreur de droit évidente à la lecture du dossier, soit la violation d'une obligation d'équité applicable à cette appréciation à caractère essentiellement administratif » . (Hajariwala c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 79, à la page 84 (1re inst.). La Cour ne devrait pas intervenir lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire « conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi. » (Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8).

Éléments de preuve dont on n'a pas tenu compte

[7]                 Le demandeur prétend que le fait qu'il soit bien nanti, son expérience de six ans en supervision dans le secteur bancaire et de dix-neuf ans comme commis de banque, sa bonne connaissance de plusieurs langues, son projet d'entreprise et la recherche qu'il a effectuée pour son entreprise éventuelle de magasin de vente au détail de boissons au Canada démontrent de façon décisive qu'il a l'intention et qu'il est en mesure de mettre sur pied une entreprise au Canada, et que l'agent des visas a commis une erreur en ne tenant pas compte de ces éléments de preuve et en tirant une conclusion défavorable. (Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 396 (1re inst.) (QL)).

[8]                 Selon moi, les notes du STIDI indiquent clairement que l'agente des visas a tenu compte de l'ensemble de cette preuve.


[9]                 Bien que le fait d'être bien nanti soit un facteur pertinent pour l'application de la définition donnée à l'alinéa a), afin de réunir les conditions prescrites pour être entrepreneur, le demandeur doit en outre établir qu'il est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise. (Paragraphe 2(1), Règlement sur l'immigration; Heer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1357 [2001] A.C.F. no 1853 (QL)).

[10]            En appréciant le demandeur pour savoir s'il répond à la définition d' « entrepreneur » donnée à l'alinéa 2(1)b), l'agente des visas était tenue de prendre en considération et d'apprécier une multitude de facteurs (Postolati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 251). La conclusion de l'agente des visas démontre que sa préoccupation principale était l'incapacité du demandeur de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise. Vu qu'il n'a pas rempli les conditions de l'alinéa b) sur la définition d'entrepreneur, le fait qu'il soit en mesure de répondre aux exigences de l'alinéa a) ne pouvait modifier la décision finale de l'agente des visas.


[11]            Lors de l'entrevue, l'agente des visas a abondamment interrogé le demandeur sur son projet d'entreprise, mais le demandeur n'a pas été en mesure de lui fournir des renseignements supplémentaires sur l'entreprise qu'il envisage de mettre sur pied. Dans sa conclusion, l'agente des visas a fait remarquer que le demandeur comptait uniquement sur son avocat et son frère pour tout ce qui concerne son projet d'entreprise et qu'il envisageait de compter sur eux à son arrivée au Canada. Le demandeur n'a pas consacré suffisamment d'effort intellectuel à ce projet et il n'avait aucune connaissance du marché des boissons. À mon avis, l'agente des visas n'a pas fait abstraction du projet d'entreprise du demandeur ni de la recherche minimale effectuée pour l'entreprise qu'il envisage de mettre sur pied. Elle a plutôt clairement pris en compte cet élément de preuve dans sa conclusion et elle a décidé d'accorder peu de poids aussi bien au projet qu'à la recherche.

[12]            Rien n'indique que l'agente des visas n'a pas tenu compte de l'expérience du demandeur dans le secteur bancaire. Les notes du STIDI révèlent que l'agente des visas a accordé au demandeur plusieurs possibilités d'expliquer la pertinence de son expérience bancaire et la possibilité de l'appliquer à son projet de commerce de boissons, mais le demandeur a omis de démontrer la pertinence de cette expérience et la possibilité de l'appliquer. En conséquence, l'agente des visas était fondée à accorder peu de poids à cette expérience dans sa décision quant à savoir si le demandeur répondait à la définition d'entrepreneur.

Facteurs non pertinents

[13]            Le demandeur prétend également que l'agente des visas a refusé sa demande en s'appuyant sur des facteurs non pertinents, notamment son manque de connaissance du secteur des boissons et le fait qu'il compte sur son frère et son avocat pour mettre sur pied son entreprise. Le demandeur prétend qu'il avait effectivement des connaissances sur le concept de base d'un magasin de boissons et que son expérience en supervision dans le secteur bancaire étaye la conclusion qu'il est en mesure d'établir une entreprise au Canada.

[14]            À mon avis, le manque de connaissance du demandeur sur le marché des boissons et le fait qu'il compte sur d'autres personnes pour mettre sur pied son entreprise étaient tous les deux des facteurs pertinents dans la présente affaire et l'agente des visas en a correctement tenu compte en tirant la conclusion que le demandeur ne répondait pas à la définition d'entrepreneur.

[15]            La présente affaire est différente de l'affaire Kabir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 27, [2001] A.C.F. no 171 (QL) dans laquelle l'agent des visas a commis une erreur en exigeant du demandeur qu'il possède des connaissances sur les codes canadiens du bâtiment et le régime fiscal canadien. Dans la présente affaire, l'agente des visas n'a pas exigé que le demandeur ait des connaissances particulières sur le marché des boissons; elle s'est plutôt concentrée sur les connaissances générales du demandeur sur ce marché, telles que les variétés de boissons et les marques. Il s'agissait là d'un facteur pertinent et l'agente des visas n'a commis aucune erreur en le prenant en compte. Bien que les questions posées par l'agente des visas sur les conditions prescrites pour un permis de vente en Alberta aient été de nature semblable à celles posées par l'agent des visas dans l'affaire Kabir, précitée, la conclusion de l'agente des visas dans la présente affaire était manifestement raisonnable à la lumière des nombreuses et importantes lacunes dans les connaissances générales du demandeur.


[16]            Il est de jurisprudence bien établie qu'un entrepreneur n'est pas tenu de mettre sur pied lui-même une nouvelle entreprise (So c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 6 (1re inst.) (QL)). Encore faut-il cependant que le demandeur démontre qu'il est en mesure de participer à la gestion de ce commerce. Dans la présente affaire, l'agente des visas n'a pas exigé que le demandeur démontre qu'il mettrait sur pied le magasin de boissons sans aucune aide; elle a plutôt exprimé une préoccupation sur l'étendue de la confiance que le demandeur paraissait placer dans son frère et son avocat. La preuve dont disposait l'agente des visas révélait que le demandeur avait consacré peu d'effort intellectuel au magasin de boissons qu'il envisageait de mettre sur pied. La preuve révélait également qu'il comptait essentiellement sur son frère et son avocat pour obtenir des renseignements et de l'aide. Dans l'affaire So, précitée, le demandeur avait clairement indiqué son intention de mettre sur pied une entreprise avec son frère. Dans la présente affaire, le demandeur a clairement affirmé son intention de mettre sur pied un magasin de boissons ou d'en acheter un personnellement. Bien qu'il ait révélé qu'il compterait sur son frère et sur son avocat pour des renseignements et des conseils juridiques, il n'a jamais dit qu'il envisageait de mettre sur pied une entreprise avec eux. En conséquence, la présente affaire est différente de l'affaire So, précitée. En outre, comme mentionné plus haut, le demandeur n'a pas démontré qu'il était en mesure de participer à la gestion de l'entreprise et, par conséquent, il ne pouvait satisfaire à la définition d'entrepreneur.


[17]            En somme, je constate que les préoccupations du demandeur portent principalement sur la manière dont l'agente des visas a apprécié la preuve dont elle disposait. Considérant qu'elle n'a ni fait abstraction de certains éléments de preuve ni pris en compte des facteurs non pertinents, il ne conviendrait pas que je fasse une nouvelle appréciation de cette preuve. Dans ces circonstances, je conclus qu'il était loisible à l'agente des visas de rendre la décision qu'elle a rendue et que cette décision devrait être confirmée.

[18]            Le demandeur n'a pas proposé de question à certifier. Le défendeur souhaitait que j'envisage de formuler une question seulement si j'accordais le redressement particulier recherché par le demandeur, savoir que la Cour ordonne qu'on lui délivre un visa. Considérant que j'ai rejeté la demande, une telle question n'a pas besoin d'être envisagée.

                                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Il n'y a aucune question à certifier.

« Judith A. Snider »

Juge

Calgary (Alberta)

Le 14 mars 2003

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                                   IMM-1543-02

INTITULÉ :                                                                               JAGDISH SINGH

c.

M.C.I.

                                                                            

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                          CALGARY (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                        le 3 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                                le juge Snider

DATE DES MOTIFS :                                                             le 14 mars 2003

COMPARUTIONS :

Satnam S. Aujla                                                                              POUR LE DEMANDEUR

Brad Hardstaff                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yanko Merchant Law Group             

Calgary (Alberta)                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Morris A. Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                               POUR LE DÉFENDEUR

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