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Date : 20030718

Dossier : T-1871-01

Référence : 2003 CF 899

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

GLAXOSMITHKLINE INC.

- et -

SMITHKLINE BEECHAM CORPORATION

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

- et -

PHARMASCIENCE INC.

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE SIMON NOËL :

[1]                Il s'agit d'une demande présentée par GlaxoSmithKline Inc. et SmithKline Beecham Corporation (collectivement désignées ci-après sous le nom de GlaxoSmithKline) en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité (ADC) en ce qui concerne le médicament carvedilol, notamment quant aux comprimés de 3,125 mg, 6,25 mg, 12,5 mg, 25 mg, avant l'expiration des brevets canadiens no 2 212 548 (le brevet 548) et 1 259 071 (le brevet 71).


[2]                Toutefois, en cours d'audience, GlaxoSmithKline a abandonné sa demande d'ordonnance d'interdiction relativement au brevet 71. Aussi, la question de savoir s'il existe un fondement à l'allégation de respect du brevet 71 par Pharmascience ne sera-t-elle pas analysée dans la présente décision.

LES FAITS                             

[3]                Le brevet 548 - Les lettres patentes canadiennes no 2 212 548 intitulées « Utilisation de composés de Carbazol pour le traitement de l'insuffisance cardiaque congestive » contiennent une série de revendications touchant l'utilisation du médicament carvedilol pour le traitement de l'insuffisance cardiaque congestive et la réduction du taux de mortalité découlant d'une insuffisance cardiaque congestive. Dans ce brevet, l'invention consiste en l'utilisation du composé et non dans la préparation ou la façon de fabriquer la préparation. La demande de brevet 548 a été déposée au Canada le 7 février 1996; le 8 février 1995 correspond à la date de priorité revendiquée en raison d'une demande de brevet correspondante en Allemagne. Ce brevet expire le 7 février 2016.


[4]                SmithKline Beecham Corporation est propriétaire du brevet 548 et GlaxoSmithKline Inc. est détentrice d'une licence y afférente. Le brevet 548 est inscrit au registre des brevets tenu par le ministre de la Santé en vertu des articles 3 et 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS 93/133, dans sa forme modifiée (Règlement sur l'ADC), pour ce qui est du médicament carvedilol.

[5]                La présente instance découle d'une demande adressée par Pharmascience au ministre afin d'obtenir un ADC et l'autorisation de vendre des comprimés de carvedilol. Suivant l'article 5 du Règlement sur l'ADC, Pharmascience devait faire référence aux brevets en signifiant un avis d'allégation (ADA) à GlaxoSmithKline. L'ADA avait pour but d'établir que la version envisagée du médicament de Pharmascience n'enfreindrait pas les brevets en cause. Non convaincue par l'ADA, GlaxoSmithKline sollicite par la présente demande une ordonnance d'interdiction conformément au Règlement sur l'ADC.

[6]                L'avis d'allégation de Pharmascience - Dans son ADA, en date du 30 août 2001, Pharmascience allègue que les comprimés de carvedilol en cause ne contreviennent pas aux revendications du brevet 71 et que les brevets 71 et 548 sont invalides. Les allégations de Pharmascience en ce qui concerne le brevet 548 se limitent aux motifs d'invalidité. Pharmascience n'a pas allégué qu'elle n'enfreint pas les revendications du brevet 548; elle allègue plutôt que les revendications du brevet 548 sont invalides du fait que i) elles sont antériorisées; ii) elles sont évidentes par rapport à l'état antérieur de la technique et la connaissance générale commune; iii) elles visent un objet inadéquat. En outre, Pharmascience allègue que les revendications visant la réduction du taux de mortalité ne peuvent être considérées comme une « invention » au sens de la Loi sur les brevets, car la définition ne comprend pas les résultats ou avantages d'un procédé.


LE CARVEDILOL ET L'INSUFFISANCE CARDIAQUE CONGESTIVE

[7]                Le médicament en question, le carvedilol, est un agent bloquant adrénergique à actions multiples qui présente une activité bêta-bloquante non sélective. Il associe en une seule molécule une activité bêta-bloquante et vasodilatatrice. Les bêta-bloquants ont été mis au point à l'origine pour le traitement des problèmes de rythme cardiaque et d'angine de poitrine, vers la fin des années 60. On a commencé à les recommander pour le traitement de l'hypertension vers le milieu des années 70, après avoir observé une baisse de la tension artérielle chez des patients qui prenaient régulièrement ce médicament pour le traitement de l'angine. Après des essais cliniques de phase III, le carvedilol a été approuvé pour le traitement de l'hypertension en Allemagne en 1991 et, subséquemment, a été approuvé dans le monde entier pour le traitement de l'insuffisance cardiaque congestive (ICC).


[8]                L'ICC se définit cliniquement comme l'incapacité du coeur à fournir suffisamment d'oxygène pour répondre aux besoins de l'organisme. Dans des conditions normales, le coeur agit comme une pompe efficace qui distribue du sang oxygéné à l'organisme par les artères et qui recueille le sang désoxygéné par les veines. Une personne dont le coeur présente une lésion qui diminue sa capacité de pompage est incapable de produire suffisamment de sang oxygéné pour assurer ses fonctions corporelles; on dit qu'elle souffre d'ICC. L'insuffisance cardiaque est symptomatique et est en même temps un syndrome de maladie évolutive. Le traitement de l'insuffisance cardiaque a donc pour objectif de ralentir l'évolution de la maladie, réduisant ainsi le risque de morbidité et de mortalité, et d'améliorer la qualité de vie et l'état clinique grâce au soulagement des symptômes.

L'HISTORIQUE DES PROCÉDURES JUDICIAIRES

[9]                Par un avis de requête, en date du 12 novembre 2001, GlaxoSmithKline a présenté une requête sollicitant, entre autres, une ordonnance enjoignant à Pharmascience de produire des parties de sa demande de présentation abrégée de drogue nouvelle (PADDN) déposée auprès du ministre, et une ordonnance limitant le nombre de documents que peut invoquer Pharmascience à l'appui de ses allégations d'invalidité en ce qui a trait aux brevets 71 et 548.

[10]            Par ordonnance, en date du 13 décembre 2001, le protonotaire Lafrenière a rejeté la requête de GlaxoSmithKline visant à forcer Pharmascience à produire des extraits de sa PADDN et a rendu une ordonnance limitant comme suit la portée des allégations d'invalidité de Pharmascience :

1.             [TRADUCTION] La défenderesse, Pharmascience Inc., ne peut s'appuyer que sur l'article de David T. Kelly dans la revue Cardiology de 1993, lequel est inscrit comme pièce 24 de l'annexe A de l'avis d'allégation, pour appuyer sa prétention d'invalidité du fait de l'antériorité à laquelle se heurtent les lettres patentes canadiennes no 2 212 548 et qui est indiquée à la page 3 de l'ADA sous le tire « antériorité » .

2.             La défenderesse, Pharmascience Inc., doit signifier à toutes les parties, d'ici lundi le 17 décembre 2001, une description détaillée des 60 articles contenus à l'annexe A de l'avis d'allégation, auxquels il n'est pas spécifiquement fait référence aux paragraphes 1 à 13 des pages 3 à 5 de l'avis d'allégation et auxquels Pharmascience se reporte pour appuyer ses allégations d'invalidité en raison du caractère évident des lettres patentes canadiennes no 2 212 548.


3.             Les demanderesses peuvent contester le caractère suffisant de l'avis d'allégation devant le juge qui entend la présente demande malgré la transmission par Pharmascience des descriptions supplémentaires prévues au paragraphe 2 ou la transmission par les demanderesses d'éléments de preuve par affidavit en réponse à de telles descriptions.

[11]            En conséquence, Pharmascience a signifié une description des 60 articles contenus à l'annexe A de l'ADA. Même si GlaxoSmithKline a surtout porté à l'attention de la Cour le contenu de deux importants articles (Hampton, J.R., « Choosing The Right Beta-Blocker : A Guide to Selection » , Drugs, 48(4) : 549-568, 1994 (l'article de Hampton) et Doughty, R.N. et al., « Beta-Blockers in Heart Failure : Promising or Proved? » , JACC 23(3): 814-21, 1er mars 1994 (l'article de Doughty), GlaxoSmithKline a eu pleinement l'occasion de faire examiner et commenter par ses experts l'ensemble de la littérature présentée.

CONTEXTE JURIDIQUE

[12]            Comme il a été mentionné précédemment, la demande d'ADC et l'ADA de Pharmascience ont été présentés au ministre et à GlaxoSmithKline en vertu du paragraphe 5(3) et des sous-alinéas 5(1)b)iii) et iv) du Règlement sur l'ADC, lesquels disposent :



5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

...

5. (1) Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and compares that drug with, or makes reference to, another drug for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics and that other drug has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

...

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

...

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

...

(b) allege that

...

(iii) the patent is not valid, or

(iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

...


[13]            La première personne, l'innovateur, qui ne croit pas que les allégations présentées par le fabricant de médicaments génériques (la seconde personne) sont fondées, peut demander au tribunal, dans les 45 jours, de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un ADC à la seconde personne en vertu de l'article 6 du Règlement sur l'ADC.

[14]            Dès que la demande est présentée et qu'une preuve de la présentation de celle-ci est signifiée au ministre, une interdiction législative se trouve imposée en vertu de l'article 7 du Règlement sur l'ADC et le ministre ne peut délivrer l'ADC en question durant 24 mois.


[15]            La jurisprudence a établi que la charge de la preuve visant à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations contenues dans l'ADA ne sont pas fondées repose sur la partie demanderesse, en l'espèce, GlaxoSmithKline. Dans le cadre d'une procédure visant à obtenir une ordonnance d'interdiction, une allégation est présumée vraie sauf preuve contraire : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 206 (C.A.F.), SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 99 (C.F. 1re inst.), conf. par (2001), 10 C.P.R. (4th) 338 (C.A.F.), Wyeth-Ayerst Canada Inc. c. Faulding (Canada) Inc. (2002), 21 C.P.R. (4th) 375 (C.F. 1re inst.). Aussi, GlaxoSmithKline a-t-elle la charge de prouver que les allégations de Pharmascience ne sont pas fondées.

[16]            GlaxoSmithKline prétend que, pour prouver que les allégations ne sont pas fondées, elle a le droit de s'appuyer sur la présomption législative de validité qu'on retrouve à l'article 43 de la Loi sur les brevets,L.R.C. 1985, ch. P-4, lequel prévoit :                                   


43. (1)...

(2) Une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour la période mentionnée aux articles 44 ou 45.


43.(1)...

(2) After the patent is issued, it shall, in the absence of any evidence to the contrary, be valid and avail the patentee and the legal representatives of the patentee for the term mentioned in section 44 or 45, whichever is applicable.


[17]            Dans l'arrêt Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] A.C.F. no 464, 6 C.P.R. (4th) 285 (C.A.), la Cour a analysé, au paragraphe 9, la pertinence de la présomption législative de validité d'un brevet :

L'application de la présomption légale en présence d'une preuve de l'invalidité dépend de la force de cette preuve. Si celle-ci démontre selon la probabilité la plus forte que le brevet est invalide, la présomption est réfutée et n'est plus pertinente : Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.), à la page 359.

[18]           De plus, il est à remarquer que ces procédures ne constituent pas des actions en contrefaçon de brevet comme l'a conclu la Cour d'appel fédérale dansl'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. et al. (1994), 58 C.P.R. (3d) 209, à la page 216 :

Toutefois, dans l'affaire Merck Frosst c. Canada, précitée [(1994), 55 C.P.R. (3d) 302, (C.A.F.)], la Cour a clairement statué que ces procédures ne constituent pas des actions touchant la validité ou la contrefaçon d'un brevet: il s'agit plutôt de procédures visant à établir si le ministre peut délivrer un avis de conformité. Cette décision doit être axée sur la question de savoir si la société générique fait valoir des allégations suffisamment bien fondées pour appuyer la conclusion, tirée à des fins administratives (la délivrance d'un avis de conformité), que la mise en marché du produit générique ne violerait pas le brevet du requérant. Il est utile de reproduire les propos tenus par la Cour dans l'affaire Merck, précitée [aux pages 319 et 320].                               

La procédure engagée n'est pas une action et ne vise qu'à faire interdire la délivrance d'un avis de conformité sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues. Manifestement, elle ne constitue pas une « action en contrefaçon de brevet » . . .

[19]           À la lumière de ce qui précède, la Cour doit trancher si oui ou non les allégations d'invalidité du brevet 548 sont fondées. Si la Cour considère que l'ADA n'est pas fondé, alors une ordonnance d'interdiction sera rendue. Par contre, si j'estime que l'ADA est fondé, alors la demande sera rejetée.                

QUESTION EN LITIGE

[20]           Après audience, la principale question en litige est le bien-fondé des allégations d'invalidité relatives au brevet 548 que Pharmascience fait reposer sur l'antériorité ou l'évidence par rapport à l'état antérieur de la technique.


ANALYSE

[21]            Les allégations d'invalidité relatives au brevet 548 que Pharmascience fait reposer sur l'antériorité et/ou l'évidence eu égard à l'état de la technique sont-elles fondées? Pour obtenir gain de cause, GlaxoSmithKline doit convaincre la Cour tant sur la question de l'antériorité que sur celle de l'évidence de l'invention. Si elle ne parvient pas à étayer une des allégations, sa demande sera rejetée.

[22]            Comme il a été mentionné précédemment au paragraphe 6, Pharmascience, dans son ADA, n'a pas allégué qu'elle ne contrevient pas aux revendications du brevet 548; elle a plutôt allégué que le brevet 548 ne contient rien de nouveau ou d'inventif et qu'il est donc invalide étant donné que les revendications i) sont antériorisées et/ou ii) sont évidentes par rapport à l'état antérieur de la technique et la connaissance générale et iii) visent un objet inadéquat. Par ailleurs, Pharmascience a formulé l'allégation que les revendications relatives à la réduction du taux de mortalité ne sont pas une « invention » au sens où elle est définie dans la Loi sur les brevets puisque celle-ci ne s'applique pas aux résultats ou avantages d'un procédé.

[23]            La première question qui, selon moi, doit être résolue avant de trancher si oui ou non les allégations sont fondées est de savoir si l'objet des revendications du brevet 548 est bien une « invention » au sens de l'article 2 de la Loi sur les brevets. Ensuite, je déciderai si les allégations d'invalidité du fait de l'antériorité ou de l'évidence ou de ces deux facteurs conjugués sont fondées.


[24]            Le brevet 548 constitue-t-il une invention? - Dans son ADA, Pharmascience prétend ce qui suit :

[TRADUCTION] Les revendications concernant la réduction du taux de mortalité ne constituent pas une « invention » selon la définition de la Loi sur les brevets. Selon cette loi, une invention comprend « toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières... » . Elle n'embrasse pas les résultats ou avantages d'un procédé.

[25]            GlaxoSmithKline soutient que cette allégation n'est pas fondée puisque l'idée de recourir à un ancien composé pour une nouvelle utilisation non évidente est inventive. Alors que GlaxoSmithKline affirme que cette application d'une nouvelle connaissance afin d'obtenir un résultat recherché qui a une valeur commerciale non contestée constitue une « invention » au sens de la Loi sur les brevets, Pharmascience fait valoir que l'ingéniosité du brevet ne repose pas sur la découverte d'un résultat escompté (à savoir la réduction du taux de mortalité), mais sur l'utilisation d'un moyen particulier pour y parvenir.

[26]            La définition complète du terme « invention » se trouve à l'article 2, lequel dispose :


« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité.

"invention" means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter.


[27]            L'article 2 du Règlement sur l'ADC précise qu'une « revendication pour l'utilisation du médicament » signifie :



« revendication pour l'utilisation du médicament » Revendication pour l'utilisation du médicament aux fins du diagnostic, du traitement, de l'atténuation ou de la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal, ou de leurs symptômes.

"claim for the use of the medicine" means a claim for the use of the medicine for the diagnosis, treatment, mitigation or prevention of a disease, disorder or abnormal physical state, or the symptoms thereof.


[28]            L'article 11.10.02, intitulé « revendications de mode d'emploi et d'usage » , du Recueil des pratiques du Bureau des brevets de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada peut guider la Cour dans son interprétation d'une « revendication d'usage » :

                                                                                                                   

Lorsqu'un composé a déjà été breveté, ou est connu du public, des revendications visant l'usage évident du composé devraient faire l'objet d'une objection en raison du manque de matière brevetable. Des revendications visant un usage nouveau et non évident ou un mode d'emploi de ce même composé à une fin nouvelle et non évidente sont acceptables. De plus, lorsque l'invention vise une utilisation nouvelle et non évidente, des revendications du composé connu indiquant le nouvel usage sont acceptables (reapplication for patent of Wayne State University 22 C.P.R. (3d) 407) [non souligné dans l'original].

[29]            De plus, la découverte d'une nouvelle utilisation non évidente pour un ancien composé est inventive. Dans l'arrêt Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets, [1982] 2 R.C.S. 536, à la page 549, (1982), 67 C.P.R. (2d) 1, Mme la juge Wilson de la Cour suprême écrit :

En quoi consiste l' « invention » selon l'art. 2? Je crois que c'est l'application de cette nouvelle connaissance afin d'obtenir un résultat, qui a une valeur commerciale indéniable et qui répond à la définition de l'expression « toute réalisation ... présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité » Je crois qu'il faut donner au mot « réalisation » de la définition son sens général de « science » ou « connaissance » . Dans ce cas, la découverte de l'appelante a augmenté le bagage de connaissances au sujet de ces composés en leur trouvant des propriétés jusqu'alors inconnues et elle a établi la méthode par laquelle on peut donner une application pratique. A mon sens , cela constitue une « réalisation ... présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité » et les compositions sont la réalisation pratique de la nouvelle connaissance.

[30]            Compte tenu de ce qui précède, j'estime que le brevet 548 est bien une invention puisqu'il vise une utilisation nouvelle ou non évidente (encore que cela reste à débattre) d'un composé connu. L' « étincelle d'ingéniosité » dans ce brevet naît de l'association faite entre l'utilisation du carvedilol pour traiter l'ICC et la réduction du taux de mortalité.

[31]            L'analyse est quelque peu différente quant à la question de savoir si le brevet 548 est valide ou non au motif que l'invention était antériorisée et/ou évidente. En premier lieu, je vais considérer le processus par lequel le brevet 548 a été accordé; en deuxième lieu, je traiterai des témoins experts présentés par les parties. Par la suite, j'étudierai le droit en cause, l'antériorité et les commentaires des témoins experts sur l'antériorité quant aux deux motifs d'invalidité, soit l'évidence et l'antériorité.


[32]            La mise au point d'un médicament (contre l'insuffisance cardiaque) commence normalement par un essai clinique de phase I. Cet essai a pour but d'évaluer la possibilité d'administration et l'innocuité clinique initiale d'un nouveau composé chez des sujets témoins normaux en bonne santé. Si les résultats sont prometteurs, le médicament peut ensuite faire l'objet d'un essai de phase II. Il s'agit de l'étape initiale de la « validation du principe » où l'on évalue des paramètres de substitution afin de justifier la réalisation d'essais randomisés contrôlés à grande échelle sur la morbidité et la mortalité (phase III). Dans le cadre des essais de phase II portant sur l'insuffisance cardiaque, les paramètres les plus souvent évalués sont les suivants : hémodynamique, fonction cardiaque, qualité de vie et capacité de faire de l'exercice. Les essais de phase III constituent la base des études sur un nouveau composé. Selon l'expert de GlaxoSmithKline, le Dr William T. Abraham, les résultats des études de phase II ne sont pas définitifs et ne fournissent pas suffisamment d'information pour permettre à un cardiologue d'adopter un nouveau médicament ou un nouveau traitement pour ses patients.

[33]            Comme l'ont indiqué les experts de GlaxoSmithKline, avant février 1995 (la date de priorité du brevet 548), on n'avait réalisé que trois essais cliniques de grande envergure sur les bêta-bloquants, la classe de médicaments à laquelle appartient le carvedilol (Xamoterol Trial, 1990; MDC Trial, 1993 et CIBIS I Trial, 1994). Le bêta-bloquant à l'étude semblait prometteur lors des essais antérieurs de plus petite envergure; cependant, lorsqu'il a été mis à l'essai dans le cadre d'études de grande envergure, il a eu pour effet d'écourter la vie des patients ou n'a présenté aucun avantage sur le plan de la mortalité. C'est pour cette raison que, lorsqu'il s'agit de mettre au point des médicaments pour le traitement de l'ICC, la démarche adoptée par les médecins et les organismes de réglementation pour vérifier si les médicaments améliorent les résultats sur le plan de l'ICC fait l'objet d'examens parmi les plus approfondis. Dans le cas du carvedilol, les essais de phase II ont montré une régression de l'hypertrophie ventriculaire gauche et du système hémodynamique central (sic). Ces effets sont considérés comme bénéfiques dans le cas de l'ICC. Les essais de phase II ont encouragé les chercheurs à continuer d'utiliser le carvedilol dans les essais cliniques et à entreprendre des essais de plus grande envergure.


[34]            GlaxoSmithKline a conçu le Carvedilol Trials Program des États-Unis (le Carvedilol Trial des États-Unis), qui équivaut à un essai de phase II, afin d'étudier la mesure dans laquelle ce produit pouvait améliorer les symptômes chez les patients atteints d'ICC. Même si cette étude américaine visait à déterminer les effets du carvedilol sur certains paramètres de substitution, tels que la tolérance à l'effort, compte tenu des autres études, GlaxoSmithKline craignait que ce produit n'entraîne une augmentation de la mortalité chez les patients. L'entreprise a donc décidé de recourir à un comité de contrôle de la sécurité des données (CCSD) (Data Safety Monitoring Board) indépendant pour surveiller les effets du carvedilol sur la mortalité afin de déterminer si la sécurité des patients était en danger pendant le déroulement de l'essai.

[35]            Malgré les préoccupations concernant la possibilité que le carvedilol augmente le taux de mortalité, le Carvedilol Trial des États-Unis a démontré une réduction du taux de mortalité de l'ordre de 65 %. À la suite de ces résultats encourageants, le CCSD a recommandé que l'on mette un terme prématurément à l'étude en février 1995. La recommandation a été accueillie. Vu les résultats du Carvedilol Trial des États-Unis, GlaxoSmithKline a déposé, pour l'utilisation du carvedilol à des fins de traitement de l'ICC et de la réduction du taux de mortalité pour les patients atteints d'ICC, une demande au Canada en vue d'obtenir le brevet 548 dont la date de priorité est février 1995.

[36]            Les résultats du Carvedilol Trial des É.-U. ont été publiés le 23 mai 1996 dans le New England Journal of Medicine. Dans son affidavit, au paragraphe 79, le Dr Abraham a fait l'observation suivante au sujet de cet essai :

[traduction]


En 1995, on a mis un terme prématurément au Carvedilol Heart Failure Trials Program des É.-U. Ce programme comprenait quatre essais cliniques du carvedilol chez des patients atteints d'insuffisance cardiaque. Un essai a porté sur des cas d'insuffisance cardiaque légère, deux essais ont porté sur des patients présentant une insuffisance cardiaque modérée et un essai a porté sur des patients présentant une insuffisance cardiaque avancée. Les paramètres primaires des essais incluaient des mesures de la qualité de vie et de la capacité fonctionnelle et, dans un cas, une mesure composite de l'évolution de la maladie. Deux essais ont abouti à des résultats positifs et deux autres, à des résultats négatifs. Même si les données primaires étaient contradictoires, une analyse de la mortalité dans l'ensemble de la cohorte des 1 094 patients étudiés selon les quatre protocoles a montré une réduction de la mortalité toutes causes confondues. Ces observations ont été publiées par la suite dans le New England Journal of Medicine, en 1996. Cette étude était loin d'être définitive. En fait, elle a été largement critiquée par les universitaires et les médecins praticiens. Par exemple, de nombreuses lettres ont été envoyées aux rédacteurs en chef du New England Journal of Medicine, mettant en lumière les points faibles de l'analyse. Premièrement, l'évaluation de la mortalité a été effectuée sur des données totalisées tirées de quatre études distinctes, dont deux n'ont pas atteint leur objectif en ce qui concerne les paramètres primaires de l'efficacité. Sous bien des aspects, cette analyse équivalait à une analyse non systématique effectuée après coup, ce qui dénote un manque de rigueur. Ces essais comportaient également une période de pré-inclusion qui, d'après ce que l'on pense, aurait permis de sélectionner un groupe de patients qui toléraient le médicament, ce qui peut constituer un avantage. En outre, le nombre de décès dans cette population a été relativement faible. On a jugé que l'analyse globale n'était pas suffisamment rigoureuse pour permettre d'évaluer de façon prospective les effets du carvedilol sur la mortalité. On peut trouver une autre preuve du manque de rigueur de ces données dans la présentation initiale du carvedilol au Cardiorenal Drugs Advisory Panel de la Food and Drug Administration des États-Unis. Cette présentation initiale a abouti à un vote de non-approbation du médicament pour le traitement de l'insuffisance cardiaque. Il a fallu attendre une autre année avant qu'on considère la base de données suffisante pour permettre l'approbation du médicament. À ce moment-là, le médicament n'a pas été considéré comme étant indiqué pour réduire la mortalité. Les organismes de réglementation, les universitaires et les médecins praticiens reconnaissaient généralement que la question des effets des bêta-bloquants sur la mortalité chez des sujets atteints d'insuffisance cardiaque demeurait sans réponse. En fait, ce n'est que bien plus tard, et bien après 1995, que les études CIBIS II, MERIT-HF et COPERNICUS sont venues répondre à cette question.

[37]            Pour répondre aux préoccupations décrites ci-dessus, GlaxoSmithKline a financé l'étude Copernicus destinée à mesurer le paramètre de la mortalité dont notamment l'efficacité du carvedilol sur des patients atteints de formes plus de sérieuses d'ICC. L'étude Copernicus, publiée le 31 mai 2001 dans le New England Journal of Medicine, était le premier essai définitif des effets sur la mortalité du carvedilol utilisé pour traiter l'insuffisance cardiaque.

[38]            Les témoignages des experts - Pour renverser la présomption de véracité de l'ADA de Pharmascience, GlaxoSmithKline a fait appel aux experts suivants. Pour des considérations de crédibilité, je présenterai brièvement leurs fonctions.

Dr William T. Abraham détient plusieurs postes au collège de médecine de l'Université du Kentucky et est actuellement professeur de cardiologie préventive à la Gill Foundation, chef du département de médecine cardiovasculaire, directeur médical du Heart Failure Management Program et directeur médical du Cardiac Transplantation Program. Bien qu'il connaisse très bien la cardiologie, le Dr Abraham n'a commencé à pratiquer cette spécialité qu'en décembre 1993 et a été reçu cardiologue en 1995.

Dr Nadia S. Giannetti est actuellement professeure adjointe au département de médecine de l'Université McGill et directrice médicale du Centre d'insuffisance cardiaque et de transplantation cardiaque au Centre universitaire de santé McGill. Toutefois, comme il a été allégué par Pharmascience, la Dr Giannetti n'a été reçue cardiologue qu'en 1998.

Dr Mary Ann Lukas est spécialiste en cardiologie et est actuellement directrice du Cardiovascular Therapeutic Area chez GlaxoSmithKline. Pharmascience soutient que, du fait que la Dr Lukas est coïnventrice du brevet 548, elle est mue par un intérêt personnel quant à l'objet de ce brevet et quant aux questions en litige devant la Cour et donc qu'il lui manque l'indépendance nécessaire pour être considérée témoin expert.


Dr John Parker est professeur de médecine et de pharmacologie à l'Université de Toronto, directeur des Cardiac Catheterization Laboratories du University Health Network Hospitals, chef de service clinique en cardiologie à l'hôpital Mount Sinai et directeur à la Harrowston Heart Failure Clinic de l'hôpital Mount Sinai.

[39]            Pharmascience a présenté les témoins experts suivants :

Dr Bertram Pitt est un éminent spécialiste en cardiologie et est actuellement professeur de médecine interne à l'école de médecine de l'Université du Michigan, un Fellow du American College of Cardiology et un membre actif de l'American Heart Association. En 1995, lors de la parution des articles invoqués au titre de l'antériorité, il exerçait déjà depuis longtemps la cardiologie et peut témoigner des différentes écoles de pensée qui existaient avant 1995.

Dr Robert Rangno est spécialiste en médecine interne et professeur adjoint au département de médecine et de pharmacologie de l'Université de Colombie-Britannique. Bien qu'il ne soit pas cardiologue ou diplômé en cardiologie, il est détenteur d'un diplôme en pharmacologie clinique.

Dr Lawrence Zisman est professeur adjoint de médecine et directeur, Heart Failure/Transplant Cardiology au Heart Institute du Albany Medical Centre.


Le brevet 548 est-il invalide en raison de son évidence?

[40]            J'examinerai d'abord la question de l'évidence puisque la Cour d'appel a fait observer dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (Beloit) qu'il est généralement préférable de procéder ainsi.

[41]            On a souvent dit en jurisprudence que le raisonnement le plus fréquemment cité quant au critère d'évidence demeure celui du juge Hugessen dans Beloit, précité, lequel déclare :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

[42]            Dans ce même arrêt, relativement à la preuve d'évidence, la Cour d'appel ajoute la mise en garde suivante :

Bien que, à mon avis, le témoignage d'un expert soit à juste titre recevable même quand il porte sur une question « décisive » comme l'évidence de l'invention, il me semble qu'il doit être considéré avec beaucoup de soins.


Une fois qu'elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l'infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue: « j'aurais pu faire cela » ; avant d'accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l'avez vous pas fait? »

[43]            En gardant en mémoire ces commentaires, je débute mon analyse en tenant pour acquis que le brevet s'adresse à un cardiologue compétent dépourvu d'imagination, quelqu'un qui sait comment traiter l'ICC, un médecin voire un omnipraticien. De plus, en raison du fait que la date de priorité du brevet 548 est le 8 février 1995 et compte tenu des articles 28.1 et 28.3 de la Loi sur les brevets, aucune publication postérieure à cette date n'est pertinente pour trancher la question de l'évidence.

[44]            La question de l'évidence d'un brevet est en fait une question d'inventivité. Comme l'a affirmé M. le juge Wetston dans la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 79 C.P.R. (3d) 193, à la page 269 : « Il n'est pas nécessaire de manifester un esprit d'invention pour suivre une voie évidente et bien tracée, en faisant appel à des techniques et procédés connus utilisant des compositions connues, à moins que l'inventeur n'éprouve des difficultés auxquelles ne se serait pas raisonnablement attendue une personne versée dans l'art ou qui n'auraient pas pu être surmontées par le recours à des compétences ordinaires. » Il a également statué :

La question générale à trancher est de savoir s'il a fallu une activité inventive pour réaliser l'invention alléguée : Windsurfing International Inc. et al. c. Trilantic Corporation (1985), 8 C.P.R. (3d) 241 (C.A.F.). Autrement dit, il s'agit de savoir si l'invention était [TRADUCTION] « simple comme bonjour » ou [TRADUCTION] « claire comme de l'eau de roche » pour un technicien versé dans l'art ou la science en cause, à la date de l'invention : Bayer c. Apotex Inc., précité, à la page 79. On dit qu'une chose est évidente si elle vient spontanément à l'esprit d'une personne ordinaire, versée dans l'art ou la science en cause, qui cherche quelque chose de nouveau sans se livrer à des réflexions, recherches ou expérimentations sérieuses : G.F. Takach, Patents: A Canadian compendium of law and practice (Edmonton, Juriliber, 1993).


[45]            La notion d'évidence signifie en fin de compte un manque d'inventivité. En 1988, dans la décision Cabot Corp. et al. c. 318602 Ontario Ltd. et al. (1988), 20 C.P.R. (3d) 132, M. le juge Rouleau a précisé que l'inventivité est un élément essentiel de la brevetabilité :

Bien que non prévu spécifiquement dans la Loi, le caractère inventif est un élément essentiel de la brevetabilité. Comme l'a écrit H.G. Fox dans son livre Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, supra, aux pages 70 et 71 :

Pour qu'une invention soit considérée comme « évidente » , il faut qu'elle ait été directement découverte par la personne qui recherchait quelque chose de neuf, un nouveau procédé de fabrication ou autre, sans avoir besoin d'expérimentation, de réflexion profonde, de recherche que ce soit en laboratoire ou dans les textes. Par conséquent, les moyens utilisés pour atteindre un objet peuvent être simples et ordinaires, il n'en est pas moins vrai qu'il peut y avoir invention, si le breveté a découvert une variante qui rend « l'objet » plus utile que celui qui avait été antérieurement décrit. Si un problème n'est pas résolu, il est possible qu'une découverte permettant de le résoudre soit considérée comme faisant preuve d'esprit inventif, surtout s'il y a eu de vaines tentatives pour trouver une solution. Il peut y avoir « invention » dans le fait de reconnaître l'existence d'un problème, mais étant donné un problème connu dont l'invention se veut la solution, la question qui se pose toujours est : la solution revendiquée par le breveté peut-elle être considérée comme une solution qui aurait apparu à une personne d'intelligence normale, ayant une certaine connaissance de l'objet du brevet et qui s'y serait intéressée?

[46]            En conséquence, l'étape suivante consiste à évaluer l'antériorité d'utilisation du carvedilol afin de décider si la solution revendiquée par GlaxoSmithKline en est une qui serait venue à l'esprit de toute personne dotée d'une intelligence moyenne et moyennement familiarisée avec le carvedilol et qui se serait penchée sur la question.

[47]            La preuve d'antériorité - Pour traiter de cette question, j'adopterai une approche chronologique. Les connaissances que l'on a sur le carvedilol découlent du fait que celui-ci fait partie d'une classe de médicaments appelée « bêta-bloquants » . La première percée a été enregistrée à la fin des années 70. En fait, le 30 juin 1979, les Drs Swedberg et Waagstein assistés de leurs collaborateurs ont publié dans un article de la revue The Lancet, intitulé « Prolongation of survival in congestive heart cardiomyopathy by beta-receptor blockade » , les résultats de leur essai sur l'utilisation de bêta-bloquants chez des sujets atteints d'insuffisance cardiaque congestive. Selon les auteurs, les bêta-bloquants prolongent la vie des patients présentant une cardiomyopathie congestive :

[traduction]

Résumé - Vingt-quatre patients présentant une cardiomyopathie congestive (groupe I) ont été comparés à un groupe de treize témoins présentant des résultats cliniques et une fonction myocardique comparables, qui ont été choisis rétrospectivement (groupe II). Tous les patients ont reçu de la digitale et des diurétiques, mais les patients du groupe I ont également reçu des bêta-bloquants. Le taux de survie chez les patients du groupe I (83 %, 66 % et 52 % après un, deux et trois ans, respectivement) différait grandement du taux enregistré chez les sujets du groupe II (46 %, 19 % et 10 %, respectivement). Ces résultats semblent être confirmés par la démonstration selon laquelle le bêta-blocage a amélioré la fonction myocardique chez les sujets du groupe I. On peut donc en déduire que le bêta-blocage prolonge la vie des personnes atteintes de cardiomyopathie congestive [non souligné dans l'original].

[48]            Lors de cette étude, les doses de bêta-bloquants ont été augmentées graduellement sur une durée de quatre semaines et ce, jusqu'à ce que la dose maximale soit atteinte. Je remarque qu'on les augmente aussi graduellement dans le cas du brevet 548.

[49]            En 1983, dans le European Heart Journal, (1983) 4 (Supplement A), 173-178, les mêmes médecins ont publié un article intitulé « Beta-Blockers in Dilated Cardiomyopathies : They Work » ; dans cet article, ils faisaient une mise à jour des données publiées antérieurement. Voici leur conclusion :


[TRADUCTION] Ce n'est qu'après avoir effectué une étude randomisée contrôlée durant au moins deux ans qu'on peut déterminer si le bêta-blocage chronique améliore le taux de survie chez les sujets atteints de cardiomyopathie dilatée.

[50]            Le Dr Abraham a été contre-interrogé relativement à ces deux articles, particulièrement en ce qui a trait au caractère plutôt innovateur pour l'époque des études publiées par les Drs Swedberg et Waagstein et il a confirmé que le mérite d'associer les bêta-bloquants à la prolongation de la vie leur revenait.

[TRADUCTION]

...

Q             Alors vous faites essentiellement la même chose que l'étude Swedberg?

R             Nous faisons exactement la même chose. Et, croyons-nous que cette approche pour le traitement de l'insuffisance cardiaque fonctionne ou doit être préconisée? Absolument pas. Voulons-nous publier quelque chose de provoquant qui stimule la pensée et qui aiguillonne les autres et nous aiguillonnent à pousser la recherche dans ce domaine? Assurément.

Q             Et, c'est ce que faisait également l'équipe Swedberg?

R.            Je le crois.

Q             Et, en fait, cela a fonctionné parce que les gens ont repris son idée pour ensuite amorcer les phases II et III de l'essai avec les bêta-bloquants aux fins du traitement de l'insuffisance cardiaque; exact?

R             Oui.

...

[non souligné dans l'original].

[Voir D.D. vol. 1, p. 260]       

[51]            Ce que je comprends du témoignage du Dr Abraham c'est qu'il reconnaît que l'idée d'utiliser les bêta-bloquants pour prolonger la vie en cas d'ICC a été lancée à la suite de l'étude du Dr Swedberg. Il admet aussi l'influence qu'a eue l'article publié en 1979 :

[TRADUCTION]

...

Q             Si je comprends bien vos commentaires, cet article [l'article Swedberg publié en 1979] n'a jamais resurgi du fait qu'il a été clairement rejeté. Personne ne le cite jamais; c'est bien cela?

R             Oh non! Bien sûr que des gens se reportent à cet article. (...) Le Lancet [...] aime publier des articles provocants ...

[Voir D.D. vol.1, p. 257]

[52]            Après lecture de ces articles et écoute des commentaires du Dr Abraham, j'estime que l'idée d'utiliser les bêta-bloquants pour accroître le taux de survie a d'abord germé dans l'esprit des Drs Swedberg et Waagstein et des autres chercheurs associés à l'étude de 1979.


[53]            Il a fallu attendre jusqu'en 1990 pour que le milieu médical soit informé d'une autre étude sur l'usage des bêta-bloquants dans le traitement de l'insuffisance cardiaque congestive où l'on a eu recours directement au carvedilol. En fait, le Dr Das Gupta a publié, dans le numéro du 1er novembre 1990 de la revue The American Journal of Cardiology, un article intitulé « Value of Carvedilol in Congestive Heart Failure Secondary to Coronary Artery Disease » . L'étude du Dr Das Gupta était une étude ouverte non contrôlée visant à évaluer l'efficacité et l'innocuité du carvedilol. Les études subséquentes sur le carvedilol ont pris appui sur ce concept. Comme le Dr Pitt l'explique dans son affidavit, cet article révèle que le carvedilol peut être mieux toléré en raison de ses propriétés vasodilatatrices qui peuvent neutraliser l'inotropisme négatif du blocage adrénergique bêta. Dans cette étude, 17 patients atteints d'insuffisance cardiaque congestive chronique ont été traités au carvedilol avec une dose de départ de 12,5 mg deux fois par jour, pendant huit semaines. La dose a été augmentée après deux et quatre semaines, jusqu'à 25 et 50 mg deux fois par jour, selon les besoins. Douze patients ont terminé l'étude; chez onze d'entre eux, on a observé une nette amélioration de leur état de santé, tant sur le plan symptomatique que sur le plan clinique. D'après le Dr Pitt, les résultats de cette étude laissent entrevoir des effets positifs au niveau des symptômes, tels qu'une amélioration de la fonction ventriculaire gauche, qui pourraient entraîner une utilisation plus répandue du carvedilol pour le traitement de l'insuffisance cardiaque congestive. En outre, il a ajouté que ces résultats permettaient également de croire que le traitement des patients atteints d'insuffisance cardiaque congestive au moyen du carvedilol pourrait également avoir pour avantage de réduire la mortalité.

[54]            En ce qui concerne cette étude, le témoin expert de GlaxoSmithKline, le Dr Abraham, a admis en contre-interrogatoire [voir D.D. vol. 1, p. 252-253] que les personnes nommées dans le brevet 548 ne sont pas les premières personnes à avoir administré du carvedilol à des patients souffrant d'ICC et que le groupe Das Gupta avait déjà administré du carvedilol à des patients bien avant 1995.


[55]            Le dossier renferme de nombreux rapports, études, recensions, etc., sur l'effet du carvedilol dans le traitement de l'ICC. Citons, entre autres, en 1993, le rapport sommaire de Krum et celui d'Olsen. Le premier fait état d'une étude à double insu (ni le patient ni le chercheur ne connaissant le traitement administré) contrôlée contre placebo, dans le cadre de laquelle 32 patients ont suivi un traitement durant 14 semaines pendant qu'ils prenaient de la digoxine, des diurétiques et des inhibiteurs de l'ECA. Cet essai a mis en évidence une amélioration de la fonction cardiaque et de la tolérance à l'effort. Il a également fait ressortir les avantages de la prise de carvedilol sur les plans hémodynamique et clinique.

[56]            Le rapport sommaire d'Olsen traite d'une étude effectuée sur 54 patients souffrant d'ICC à qui l'on a administré une dose initiale de 6,25 mg deux fois par jour, laquelle a été augmentée sur une période d'un mois pour atteindre une dose maximale de 25 mg deux fois par jour. Les patients ont toléré le médicament et ont connu une amélioration des symptômes et de la fonction cardiaque.

[57]            Coïnventrice du brevet 548, la Dr Lukas, témoin expert de GlaxoSmithKline, a été contre-interrogée sur les deux rapports sommaires dont il est question. Fait intéressant, dans un article consacré au Carvedilol Trial des États-Unis et intitulé « The Effect of Carvedilol on Morbidity and Mortality in Patients with Chronic Heart Failure » , lequel a été publié le 23 mai 1996 dans le The New England Journal of Medicine et écrit par Milton Parker, M.D., pour le compte du Carvedilol Heart Failure Study Group des États-Unis, la Dr Lukas, à titre de membre du comité directeur, a analysé les études de Krum et de Olsen et a estimé que les résultats publiés en 1993 avaient démontré que le carvedilol pouvait réduire le taux de mortalité :

...

[TRADUCTION] 103           Q. On peut lire [dans le rapport sommaire du Carvedilol Trial des États-Unis] : « Toutefois, comme on présumait, d'après des études antérieures, que le carvedilol pouvait réduire le taux de mortalité, les analyses statistiques ont toutes été bilatérales. »


...

R. Oh, oui. [...] On croyait que le médicament pourrait le réduire, oui, mais - - Je regrette, mais étant donné ce que dit la lettre, les analyses ont été bilatérales puisqu'il était également envisagé que le médicament ne le réduise pas.

...

107           Q. Je comprends toutefois - - Que signifie ici : « vu les études antérieures » ? À quelles études antérieures vous reportez-vous?

R. Vous voulez dire les études antérieures montrant que le carvedilol peut réduire le taux de mortalité?

108           Q. Mm-hmm.

R. Je crois que l'on se reporte aux essais pilotes qui ont été réalisés avec le carvedilol, spécialement aux essais de Krum et de Olsen, qui étaient de petite envergure, mais qui montraient une réduction du nombre de patients décédés pendant le traitement au carvedilol par rapport au groupe placebo. Mais, j'insiste, nous ne parlons que de nombres. Il n'y avait que 100 patients. C'était comme lancer une pièce de monnaie en l'air; les résultats auraient pu aller dans un sens ou dans l'autre.

... [non souligné dans l'original].

[Voir D.D. vol. 4, p. 1423-1425]

[58]            À nouveau, en contre-interrogatoire, la Dr Lukas a été confrontée avec les études de 1993 de Krum et de Olsen. Les questions ont mené le témoin expert à comparer les deux rapports sommaires avec le Carvedilol Trial des États-Unis. Bien qu'il y ait une distinction marquée quant au nombre de patients ayant participé à chacune des études et une petite différence quant à la durée de la période d'essai, la Dr Lukas a fini par admettre que la dose de carvedilol administrée aux patients de chaque étude était essentiellement la même; ainsi, dans les essais portant sur le carvedilol, les doses ont été augmentées sur une certaine période (de deux à dix semaines) pour ainsi passer de 6,25 mg à 50 mg [voir D.D. vol. 4, p. 1473-1474].

[59]            Dans l'article de Doughty, précité, un article également très important et publié en 1994, les auteurs indiquent qu'il y a d'abord eu les études de Swedberg/Waagstein de 1979 qui laissaient entrevoir la possibilité de prolonger la vie avec les bêta-bloquants. Ces études avancent qu'une thérapie à long terme est bien tolérée par les patients et peut entraîner une amélioration hémodynamique significative. Cet article indique qu'alors que le MDC Trial n'a pas démontré statistiquement un effet significatif sur le taux de mortalité totale, moins de patients traités au métoprol se sont vus inscrire sur une liste de transplantation. Les études ajoutent que les données concernant la mortalité pour de nombreux essais avec des bêta-bloquants à la suite d'un infarctus du myocarde sont pertinentes et rassurantes. En conclusion, les auteurs soutiennent que [traduction] « plus d'études s'avèrent nécessaires afin de déterminer si les bêta-bloquants peuvent encore réduire le taux de mortalité causé par l'insuffisance cardiaque et donc fournir une thérapie utile et complémentaire à celles qui existent déjà » .

[60]            GlaxoSmithKline prétend que ce qui ressort de l'article en question de même que de l'article de Hampton c'est l'incertitude. L'article Hampton, précité, contient un résumé très complet de l'état de la technique relative aux bêta-bloquants. GlaxoSmithKline a contre-interrogé le Dr Pitt sur certains extraits de l'article de Hampton afin de démontrer qu'en 1994 le questionnement relatif à la capacité des bêta-bloquants de réduire le taux de mortalité demeurait entier et l'incertitude persistait. Essentiellement, GlaxoSmithKline a tenté de démontrer que de plus vastes essais étaient nécessaires pour s'assurer que les bêta-bloquants pouvaient diminuer le taux de mortalité chez les personnes souffrant d'ICC :

...


[TRADUCTION]

262.          Q. Oui. Et par cette phrase on voit que - Je vais citer la deuxième phrase :

« En conséquence, on peut soutenir que l'augmentation du taux de mortalité qu'on note dans cet étude serait spécifique au xamotérol et, il est fort à penser, improbable avec un autre bêta-bloquant. Cependant, en l'absence d'essais avec d'autres bêta-bloquants, il peut être hasardeux de formuler pareille hypothèse. »

Êtes-vous en accord avec cet énoncé?

R. Laissez-moi réfléchir une seconde. Je crois qu'à cette époque il s'agissait d'un énoncé raisonnable.

263.          Q. Oui. Soit en 1994?

R. Oui. Ils ne disposaient pas d'essais cliniques portant sur le taux de mortalité. Il s'agit d'un énoncé raisonnable.

...

279.          Q. Oui. Et que pensez-vous de la dernière phrase du paragraphe que je vais citer?

« Jusqu'à ce que les résultats de ces essais deviennent disponibles, les cliniciens ont tout intérêt à se limiter aux médicaments plus anciens, connus depuis longtemps. »

Vous voyez cela?

R. Oui.

280.          Q. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?

R. Oui.                    

...

[Voir D.D. vol. 5, p. 2265-2269]


[61]            En me fondant sur cet extrait de la transcription du contre-interrogatoire du Dr Pitt et sur le reste de la preuve en général, j'arrive à la conclusion qu'on a donné à penser aux cardiologues et aux autres spécialistes en la matière qu'il était nécessaire d'entreprendre un vaste essai clinique portant sur les effets bénéfiques du carvedilol pour abaisser le taux de mortalité. Pharmascience soutient que la littérature antérieure à février 1995 a énoncé clairement que la prochaine étape consistait à entreprendre de vastes essais cliniques. Je partage cet avis et d'autant plus que cette conclusion s'appuie sur d'autres éléments de preuve documentaire. Il y a deux autres articles auxquels je trouve utile d'avoir recours : le premier de David T. Kelly, « Carvedilol in Heart Failure » , publié dans le journal Cardiology de 1993 (82, suppl. 3, p. 45-49) - aussi utilisé comme seule publication à l'appui de l'argument d'antériorité - le second des Drs Hjalmarson et Waagstein, intitulé « The Role of ß-Blockers in the Treatment of Cardiomyopathy and Ischaemic Heart Failure » (Drugs 47 (suppl. 4) : 31-40, 1994).

[62]            L'article de Kelly révèle que le dosage des bêta-bloquants a été initié par Waagstein; selon ce chercheur, il importe de commencer par une faible dose pour ensuite l'accroître à intervalles jusqu'à ce que la dose thérapeutique soit atteinte :

[TRADUCTION] Les patients se verront administrer une dose d'essai de 6,25 mg de carvedilol et ensuite, si celle-ci se révèle satisfaisante, elle sera augmentée jusqu'à une dose maximale sur une période de deux à trois semaines. La première dose de carvedilol est fixée à 3,125 mg. Les patients prennent au départ 3,125 mg deux fois par jour pendant sept jours, la deuxième semaine 6,25 mg puis 12,5 mg et la semaine suivante 25 mg deux fois par jour, ce qui correspond à la dose maximale utilisée [voir D.D. vol. 2, p. 846].

[63]            Je me rends compte qu'en général le même dosage est utilisé dans le brevet 548. En conséquence, il semble que l'éventail des concentrations de carvedilol nécessaires pour le traitement de l'ICC était généralement connu avant l'enregistrement du brevet 548. Contre-interrogé sur ce qui précède, le Dr Abraham a répondu ce qui suit :

[TRADUCTION]

...


Q              D'accord. Maintenant, en février 1995, je comprends qu'on savait que le carvedilol devait être administré en commençant par de petites doses qu'on augmente graduellement.

R             C'est la façon dont le médicament a été administré dans les essais cliniques.

Q             Oui. Alors dans les essais cliniques comme ceux de Olsen et de Krum, les chercheurs ont débuté avec une dose de 3,125 mg deux fois par jour et ont graduellement passé de 6,25 mg à 25 mg deux fois par jour; est-ce exact?

R             Oui.

Q             Donc, avant 1995, le carvedilol a été utilisé sur des patients souffrant d'ICC lors de ces essais cliniques de petite envergure de phase II?

R             Oui.

...

[Voir D.D. vol. 1, p. 247]

[64]            Finalement, le dernier article que je tiens à mentionner a été écrit en 1994 par Hjalmarson et Waagstein. Cet article trace un portrait de la situation de l'époque quant aux effets des bêta-bloquants sur le taux de mortalité :

[traduction]

Swedberg et ses collaborateurs ont été les premiers à laisser entendre que l'usage à long terme des bêta-bloquants pouvait prolonger la vie des patients présentant une cardiomyopathie dilatée [...] Le traitement par bêta-bloquants améliorait la fonction myocardique et la capacité à l'effort. De plus, dans ce groupe, le taux de survie après trois ans était beaucoup plus élevé que dans le groupe témoin. [...] Plus récemment, une étude de suivi à long terme chez un autre groupe de patients présentant une cardiomyopathie dilatée idiopathique a révélé des résultats similaires et un taux de survie d'environ 50 % (Waagstein et coll., 1983).

Les résultats de ces deux études, qui laissent entrevoir qu'un traitement à long terme par des bêta-bloquants améliore la survie des patients atteints de cardiomyopathie dilatée idiopathique, doivent être confirmés au moyen d'un essai contre placebo à grande échelle. [...] Nous devons attendre les résultats de trois études à grande échelle qui sont en cours aux États-Unis et en Europe et qui portent sur les effets du bucindolol, du carvedilol et du métoprolol sur la survie. [Non souligné dans l'original].


Conséquemment, en 1994, il était généralement reconnu que le carvedilol pouvait prolonger la vie. Tout ce qui manquait étaient des résultats concluants quant à l'effet de ce médicament.

[65]            Comme le soutient GlaxoSmithKline, il est vrai que les personnes versées dans l'art n'ont pas considéré les essais de phase II comme fournissant suffisamment d'indications quant à l'utilisation du carvedilol étant donné les expériences préalables avec les médicaments pour le traitement de l'insuffisance cardiaque et, plus particulièrement, les résultats de l'expérience collective prometteuse de phase II, laquelle n'a finalement démontré aucun effet bénéfique voire un accroissement du taux de mortalité une fois ces médicaments testés dans de plus vastes études de phase III. Toutefois, il est également vrai que les personnes versées dans l'art savaient qu'il y avait eu des résultats positifs montrant qu'il était possible que certains bêta-bloquants aient un effet bénéfique sur la réduction du taux de mortalité en cas d'ICC.


[66]            Bien que les témoins experts de Pharmascience admettent que les essais de petite envergure de phase II dirigés par Krum et par Olsen de même que les autres recherches pertinentes et les articles de revues n'indiquent pas aux cardiologues comment utiliser le carvedilol pour traiter les patients souffrant d'ICC, mais laissent plutôt entendre qu'un essai de grande envergure de phase III était nécessaire pour tester le carvedilol, il demeure que le caractère évident d'une utilisation éventuelle du carvedilol pour réduire le taux de mortalité n'a pas été invalidé. La preuve établit que tout ce qui manquait c'était la confirmation des résultats; le fait d'associer l'utilisation du carvedilol à la prolongation de la vie pour traiter des patients souffrant d'ICC est survenu en 1979 pour la classe des bêta-bloquants et à la fin des années quatre-vingts pour le carvedilol. J'estime que les résultats finaux de la phase III ne servent qu'à éliminer l'incertitude chez les cardiologues et autres intéressés. Ce n'est pas dans les résultats de ces tests qu'il faut chercher cette part de créativité essentielle à toute invention. Ces résultats ne font que confirmer si une invention peut être utilisée ou non. L'étincelle de créativité réside dans le fait d'associer l'utilisation du carvedilol à la prolongation de la vie pour les personnes souffrant d'ICC. Voilà l'invention qui faisait partie du domaine public avant février 1995. Comme l'ont déjà précisé les tribunaux : « Il n'est pas nécessaire de manifester un esprit d'invention pour suivre une voie évidente et bien tracée, en faisant appel à des techniques et procédés connus utilisant des compositions connues. » Si, comme l'a laissé entendre le Dr Abraham dans son contre-interrogatoire [voir D.D. vol. 1, p. 229], il y a un certain nombre de cardiologues qui ont dirigé des essais cliniques portant sur l'ICC : l'équipe Waagstein-Swedberg en Suède, les Drs Bristow, Packer et Colucci aux États-Unis; le Dr Kelly en Australie et le Dr Parker (le témoin expert de GlaxoSmithKline en l'espèce) au Canada, techniquement ces mêmes personnes auraient pu entreprendre un essai clinique de grande envergure comme celui initié par GlaxoSmithKline. Dans un tel cas, la part d'inventivité est moindre voire inexistante.

[67]            Quant à la question de l'évidence, je suis convaincu que les éléments d'antériorité, pris individuellement ou dans leur ensemble, auraient pu mener tout technicien compétent et sans imagination (un cardiologue) à réaliser l'invention, à savoir considérer l'utilisation du carvedilol pour le traitement de l'ICC, particulièrement pour prolonger la vie et ce, sans expérimentation excessive, le tout sous réserve des résultats des essais de phase III prévus pour 1994. Le brevet 548 était évident étant donné l'état de la technique à la date de l'invention.

[68]            Pour arriver à cette conclusion, j'ai examiné soigneusement l'ensemble de la preuve fournie par les affidavits et par les transcriptions des contre-interrogatoires des témoins experts. GlaxoSmithKline n'a pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l'allégation d'évidence n'est pas fondée.

Le brevet 548 est-il invalide en raison de l'antériorité?

[69]            Au sujet de l'antériorité, Pharmascience allègue ce qui suit dans son ADA :

[TRADUCTION] ... l'utilisation du carvedilol pour le traitement de l'ICC était connue. ... On savait qu'il fallait d'abord administrer le carvedilol à raison de 3,125 mg deux fois par jour pendant 7 jours, ensuite de 6,25 mg puis de 12,5 mg la seconde semaine et finalement de 25 mg deux fois par jour la semaine suivante. (...) On savait que le carvedilol était utilisé sous forme d'une préparation pharmaceutique comprenant du carvedilol ou un sel pharmaceutiquement acceptable de ce médicament, en association avec un excipient pharmaceutiquement acceptable pour le traitement de l'ICC.

[70]            Le critère de l'antériorité établi dans Beloit, précité, et confirmé par la Cour suprême dans l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, est le suivant :


On se souviendra que celui qui allègue l'antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l'invention était connue du public avant la date pertinente. L'enquête porte sur l'invention litigieuse elle-même et non, comme dans le cas de l'évidence, sur l'état de la technique et des connaissances générales. De plus, ainsi qu'il ressort du passage précité de la Loi, l'antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueilllir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d'en arriver à l'invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée. Lorsque, comme c'est le cas ici, l'invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne relève pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d'antériorité. [non souligné dans l'original].

[71]            Dans son ordonnance, en date du 13 décembre 2001, le protonotaire Lafrenière a précisé que Pharmascience [traduction] « ne peut s'appuyer que sur l'article de David T. Kelly dans la revue Cardiology de 1993, lequel est inscrit comme pièce 24 de l'annexe A de l'avis d'allégation [l'article de Kelly], pour appuyer sa prétention d'invalidité du fait de l'antériorité à laquelle se heurtent les lettres patentes canadiennes no 2 212 548... » [non souligné dans l'original].

[72]            En conséquence, pour appuyer son allégation d'invalidité en raison de l'antériorité, Pharmascience peut uniquement s'appuyer sur l'article de Kelly, ses témoins experts et les contre-interrogatoires des témoins experts de GlaxoSmithKline.

[73]            Pharmascience allègue que l'article de Kelly fournit toute l'information pratique nécessaire pour réaliser l'invention revendiquée sans faire preuve d'une quelconque forme d'inventivité. La « recette » de l'invention s'y trouve. L'article expose le plan d'un essai multicentrique, il indique que les patients prendront des inhibiteurs de l'ECA et il décrit le schéma posologique utilisé pour traiter les patients. Mais surtout, l'article de Kelly fournit l'indication qu'un essai de grande envergure était nécessaire.


[74]            Toutefois, vu mon interprétation de l'article de Kelly et ma compréhension des éléments de preuve fournis par les témoins experts, je ne crois pas, comme l'a énoncé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt The King v. Uhlemann Optical Co. (1949), 11 C.P.R. 26, que [traduction] « l'information relative à l'invention alléguée qu'on retrouve dans la publication précédente [est], quant à l'utilité pratique, [...] équivalente à celle fournie par le brevet subséquent » . La Cour poursuit en disant :

[TRADUCTION] [L]es aspects essentiels de l'invention ou les éléments nécessaires ou importants visant à réaliser l'invention et à la rendre réellement utile doivent se retrouver en majeure partie dans la publication antérieure. Il ne suffit pas de prouver qu'un dispositif qu'on y décrit aurait pu être utilisé pour arriver à un résultat particulier. On doit être en présence d'indications claires quant à cette utilisation. Il ne suffit pas non plus de démontrer que la publication contient des propositions qui, alliées à d'autres, peuvent laisser entrevoir l'invention ou des étapes importantes de sa réalisation. Il faut plus que l'essence d'une idée qui, compte tenu de l'expérience subséquente, peut être considérée comme le point de départ d'une nouvelle percée. L'invention doit apparaître dans son intégralité dans la publication avec toutes les indications nécessaires pour informer le public de la manière dont elle se réalise. Elle doit être présentée au public de telle façon [p. 158] que personne par la suite ne pourra la revendiquer comme sienne [non souligné dans l'original].


[75]            L'article de Kelly ne traite pas d'un aspect important de l'invention; l'auteur ne mentionne pas et n'anticipe pas une fin médicale et un effet du carvedilol sur la morbidité et la mortalité. La publication expose la nécessité d'entreprendre une vaste étude comparative randomisée contre placebo afin de déterminer si le carvedilol peut être utile pour le traitement de l'ICC. Ainsi, on ne retrouve pas toute l'information nécessaire à la réalisation de l'invention revendiquée. Ayant tranché qu'il y a invention lorsqu'on associe à l'utilisation du carvedilol un effet bénéfique, le résultat positif (la réduction du taux de morbidité et de mortalité) découlant de l'utilisation du carvedilol est un élément fondamental de l'invention. Il doit être plus qu'implicite que l'amélioration du traitement au carvedilol donnera lieu, à la suite des essais préconisés, à une réduction du taux de mortalité. Il me semble que la notion [traduction] d' « intégralité de l'invention » doit comprendre, en l'espèce, l'utilisation du médicament afin de réduire le taux de mortalité. Aussi, l'article de Kelly omet-il de spécifier le résultat escompté, lequel est nécessaire afin de revendiquer l'invention que constitue l'utilisation du carvedilol.

[76]            En conséquence, je conclus que GlaxoSmithKline s'est acquittée, selon la prépondérance des probabilités, de la charge de la preuve qui lui incombait et que l'allégation d'invalidité fondée sur le motif d'antériorité n'est pas justifiée.

[77]            Pour parvenir à mes conclusions relativement aux allégations d'évidence et d'antériorité, je me suis fondé sur ma compréhension et sur mon analyse du contenu des monogrammes et articles de revues parus entre 1979 et février 1995. J'ai soigneusement examiné les affidavits et les transcriptions des contre-interrogatoires. Ils ont été utiles et m'ont permis de bien comprendre les questions médicales. Je n'oublie pas les mots du juge Hugessen dans Beloit, précité, lequel a écrit que la preuve des témoins experts « doit être considérée avec beaucoup de soins » . Comme l'a fait valoir l'avocat de GlaxoSmithKline, les Drs W.T. Abraham et B. Pitt s'entendent généralement sur les faits relatifs aux questions médicales. Aussi ai-je tranché les questions juridiques comme il m'appartenait de le faire.

CONCLUSION

[78]            En raison de ma conclusion quant à l'allégation d'évidence, la demande d'ordonnance d'interdiction est rejetée.


DÉPENS

[79]            Pharmascience a droit à ses dépens à l'encontre de GlaxoSmithKline conformément à la colonne III du tableau de tarification B des Règles de la Cour fédérale (1998). Aucune ordonnance portant sur les dépens ne sera prononcée en faveur ou à l'encontre du ministre de la Santé.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         que la demande soit rejetée;

2.         que les dépens de la présente instance soient payés à Pharmascience par les demandeurs conformément à la colonne III du tableau de tarification B des Règles de la Cour fédérale (1998)

Simon Noël

           

            Juge

Traduction certifiée conforme

Évelyne Côté


                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1871-01

INTITULÉ :

GLAXOSMITHKLINE INC.

                                                     et

                  SMITHKLINE BEECHAM CORPORATION

                                                                                     demanderesses

                  et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et

PHARMASCIENCE INC.

défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 10 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le juge Simon Noël

DATE DES MOTIFS :                                   le 18 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Patrick E. Kierans                                             POUR LES DEMANDERESSES

Darren Noseworthy

Carol Hitchman                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Paula Bremner                                                   PHARMASCIENCE INC.

AVOCATS INSRITS AU DOSSIER :

Ogilvy Renault                                                   POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

Hitchman & Sprigings                                        POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                              PHARMASCIENCE INC.


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