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Date : 20030225

Dossier : T-721-02

Ottawa (Ontario), le mardi 25 février 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

Entre :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                          appelant

                                                                              - et -

                                                   KENNETH CAMPBELL BARKER

                                                                                                                                                               intimé

                                                                     ORDONNANCE

VU un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration à l'encontre de la décision du 20 mars 2002 par laquelle madame le juge de la citoyenneté Northcote a attribué à l'intimé la citoyenneté canadienne, et la question en litige de savoir si l'intimé remplit les conditions relatives à la résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi),

ET VU les documents produits que j'ai lus et les arguments des parties que j'ai entendus,


ET pour les motifs de l'ordonnance prononcés aujourd'hui,

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES QUE :

le présent appel soit accueilli, et que la décision du juge de la citoyenneté Northcote d'attribuer la citoyenneté à l'intimé soit annulée.

                                                                                                                                     « Michael A. Kelen »             

                                                                                                                                                                 Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20030225

Dossier : T-721-02

Référence neutre : 2003 CFPI 226

Entre :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                          appelant

                                                                              - et -

KENNETH CAMPBELL BARKER

                                                                                                                                                               intimé

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]                 Il s'agit d'un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration à l'encontre des décisions du 20 mars 2002 par lesquelles le juge de la citoyenneté Northcote a attribué à l'intimé et à son épouse la citoyenneté canadienne. La seule question en litige dans le cadre du présent appel est celle de savoir si l'intimé remplit les conditions relatives à la résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985) ch. C-29 (la Loi).

[2]                 Il y a eu instruction simultanée du présent appel et de celui concernant Diane Kathleen Barker, l'épouse de l'intimé (dossier T-924-99).

FAITS

        L'intimé est né le 27 mai 1956 à Ladysmith, en Afrique du Sud, et il est citoyen de ce dernier pays. Le 24 juillet 1995, l'intimé a été admis au Canada à titre de résident permanent, accompagné de son épouse et de ses deux enfants. L'intimé a eu du mal à se trouver au Canada un emploi dans son domaine de compétence, soit comme cadre supérieur dans le secteur de la vente au détail, et il lui a été nécessaire de retourner en Afrique du Sud en septembre 1995 pour vendre la maison conjugale. Il s'attendait à ce que cela se fasse en six mois, mais le tout s'est avéré plus ardu que prévu. La famille de l'intimé est retournée en Afrique du Sud et l'épouse de celui-ci a redémarré l'entreprise dont elle avait fait cesser les activités au moment de leur départ.

[4]                 Pendant cette période, l'intimé est venu six fois au Canada pour se faire des relations, pour passer des entrevues en vue d'un emploi et pour faire des études de marché. Ses voyages au Canada ne lui ont valu aucune offre d'emploi; il prétend cependant que, si on lui en avait fait une, il aurait immédiatement quitté l'Afrique du Sud. Le 3 août 1998, l'intimé et son épouse ont vendu leur maison en Afrique du Sud et ils sont revenus au Canada, munis de permis de retour pour résident permanent.

[5]                 L'intimé et sa famille se sont établis à Toronto, et l'intimé a commencé à travailler pour Levi Strauss & Co. (Canada) Inc. en mars 1999. Il est demeuré au sein de cette entreprise jusqu'à janvier 2000, alors qu'il a accepté chez Adidas Canada un poste de gestionnaire d'unité de gestion, secteur des vêtements. Dans le cadre de son travail tant chez Levi Strauss que chez Adidas, l'intimé devait faire de courts voyages d'affaires hors du Canada. La plupart de ces voyages, qui se déroulaient aux États-Unis, duraient moins d'une semaine.

[6]                 À la même époque, l'épouse de l'intimé s'est aussi trouvé un emploi au Canada, chez Holt Renfrew & Co. Limited, et les enfants du couple ont fréquenté l'école à Toronto. L'intimé a obtenu une carte santé de l'Ontario, un numéro d'assurance sociale et un permis de conduire de l'Ontario et il a ouvert un compte à la Banque Canadienne Impériale de Commerce.

[7]                 En janvier 2001, l'intimé a été promu au poste de directeur du marchandisage des vêtements d'Adidas America, avec affectation pendant trois ans à un poste à Portland, en Oregon. L'intimé a d'abord refusé la promotion parce qu'il ne voulait pas quitter le Canada. Se rappelant toutefois les difficultés qu'il avait eues auparavant à trouver un emploi au Canada, il a en fin de compte accepté son transfert. Le 17 janvier 2001, l'intimé et sa famille ont quitté le Canada pour aller s'installer aux États-Unis. L'intimé travaille actuellement aux États-Unis grâce à un permis temporaire, et il compte retourner au Canada une fois son affectation terminée. Son travail chez Adidas requiert qu'il soit régulièrement en contact avec Adidas Canada et des fournisseurs canadiens.

[8]                 Le 15 janvier 2001, l'intimé, de même que son épouse, sa fille et son fils, ont demandé à obtenir la citoyenneté canadienne. Au moment de la présentation de la demande, l'intimé avait été physiquement présent au Canada pendant 813 jours au cours des quatre années précédentes, tandis que son épouse l'avait été pendant 892 jours. Bien qu'ils n'aient pas atteint le seuil de 1095 jours prévu à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, le juge de la citoyenneté Northcote a attribué la citoyenneté canadienne à l'intimé et à son épouse. Le juge de la citoyenneté a conclu que l'intimé « [traduction] désire depuis de nombreuses années s'établir au Canada et s'attend à y revenir au début de 2004 » . Compte tenu de ces facteurs, le juge de la citoyenneté a conclu que l'intimé s'était conformé à l'alinéa 5(1)c) et elle lui a octroyé, ainsi qu'à son épouse, la citoyenneté.

[9]                 Le ministre interjette maintenant appel de cette décision auprès de notre Cour, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[10]            Voici le libellé de l'alinéa 5(1)c) de la Loi :


Attribution de la citoyenneté

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

Grant of citizenship

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who


[...]

[...]           c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;


NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE


      La norme de contrôle judiciaire dans le cadre d'un appel de cette nature est celle du bien-fondé, dans la mesure où il porte sur l'application du critère de la résidence prévu à l'alinéa 5(1)c); se reporter à cet égard à Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 778, au paragraphe 7 (1re inst.) (QL). Quoi qu'il en soit, la Cour doit faire preuve d'une certaine retenue face à la décision du juge de la citoyenneté, et ne pas substituer son opinion à la sienne lorsque, « dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, [il ou elle] décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c) » (Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177, au paragraphe 33). Notre Cour a pour rôle de vérifier si le juge de la citoyenneté a correctement appliqué le critère de son choix; se reporter à Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mindich (1999), 170 F.T.R. 148, au paragraphe 9.

CRITÈRE RELATIF À LA RÉSIDENCE

      Notre Cour a établi un certain nombre de critères différents à appliquer à l'égard de l'alinéa 5(1)c). Comme le juge de la citoyenneté a fondé son analyse sur Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), la Cour se concentrera sur le critère relatif à la résidence énoncé dans cette affaire.

[13]            Dans Koo, aux pages 293 et 294, le juge Reed a énoncé un critère souple en six volets qui n'est pas fonction uniquement du nombre de jours où le requérant était physiquement présent au Canada :

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision :

1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?


4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

ANALYSE

[14]            L'appelant prétend que le juge de la citoyenneté a commis deux erreurs susceptibles de révision. L'appelant soutient, premièrement, que l'intimé n'a jamais centralisé son mode d'existence au Canada. L'intention qu'a pu avoir l'intimé de s'établir en permanence au Canada, il l'a délaissée, comme en fait foi le nombre important de ses absences. Deuxièmement, même si l'on devait admettre que l'intimé a centralisé son mode d'existence au Canada, il l'a maintenant « décentralisé » en déménageant aux États-Unis, et son intention de « recentraliser » son mode d'existence au Canada en 2004 ne suffit pas pour satisfaire aux prescriptions de l'alinéa 5(1)c); se reporter à cet égard à Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Gambino, 2002 CFPI 818.


[15]            L'intimé soutient pour sa part qu'il a centralisé son mode d'existence au Canada et qu'il y a établi d'importantes racines avant d'être transféré aux États-Unis. Il prétend avoir été absent du Canada par nécessité entre 1995 et 1998, comme il ne pouvait demeurer ici sans y avoir du travail. Il soutient en outre ne pas avoir délaissé l'intention de résider au Canada, mais plutôt avoir renforcé ses liens avec notre pays, grâce à de fréquentes visites à des amis et des membres de la famille qui y résident, pendant qu'il travaillait aux États-Unis.

[16]            La Cour conclut que l'intimé n'a pas rempli les conditions de résidence prescrites à l'alinéa 5(1)c). Avant le 3 août 1998, le mode d'existence de l'intimé était clairement centralisé en Afrique du Sud. L'intimé et sa famille avaient des liens beaucoup plus solides avec l'Afrique du Sud qu'avec le Canada de 1995 à 1998. Cela est démontré par les faits suivants, considérés en regard de l'affaire Koo :

·                        l'intimé a vécu moins de deux mois au Canada avant de retourner en Afrique du Sud en 1995;

·                        la famille de l'intimé a également résidé en Afrique du Sud de septembre 1995 à août 1998;

·                        les retours au Canada de l'intimé de 1995 à 1998 étaient plutôt de la nature de visites au pays;

·                        après avoir quitté le Canada en 1995, l'épouse de l'intimé y est revenue uniquement une fois que la famille y a déménagé en août 1998.

[21]            Je ne doute aucunement qu'après être déménagés au Canada le 3 août 1998, l'intimé et sa famille y ont centralisé leur mode d'existence. L'intimé et son épouse ont obtenu un emploi au Canada et les enfants du couple y ont fréquenté l'école. Les absences de l'intimé après août 1998 consistaient principalement en de courts voyages d'affaires aux États-Unis.


[22]            Il en ressort, malgré tout, que l'intimé n'a résidé que deux années et demie au Canada pendant les quatre années qui ont précédé sa demande de citoyenneté du 17 janvier 2001. Cette période de temps ne suffit pas pour satisfaire aux prescriptions de l'alinéa 5(1)c). Le juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que l'intimé et son épouse remplissaient les conditions relatives à la citoyenneté prévues à l'alinéa 5(1)c). Sa décision de leur attribuer la citoyenneté sera donc annulée.

[23]            Il ne reste donc encore en litige que la question de savoir si l'intimé résidait au Canada après le 17 janvier 2001. Le juge de la citoyenneté a conclu que le mode d'existence de l'intimé est demeuré centralisé au Canada après son déménagement aux États-Unis. Au soutien de cette conclusion, le juge de la citoyenneté a déclaré que « [traduction] le territoire visé par l'emploi de l'intimé comprend le Canada (2 à 3 jours par semaine) » et que l'intimé compte revenir habiter au Canada au début de 2004. Le juge de la citoyenneté a commis une erreur en tenant compte d'un facteur non pertinent. Le libellé de l'alinéa 5(1)c) est « orienté vers le passé » . Le requérant doit avoir accumulé trois années de résidence « dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande » [non souligné dans l'original]. Par conséquent, le lieu de résidence d'un requérant après la présentation de sa demande n'est pas un facteur pertinent.

[24]            La Cour ne se prononce pas quant à savoir si l'intimé résidait au Canada après le 17 janvier 2001. Il serait inapproprié pour la Cour d'en décider dans le cadre du présent appel. La question de savoir si le mode d'existence de l'intimé est demeuré centralisé au Canada devra être tranchée par un juge de la citoyenneté, advenant que l'intimé choisisse de présenter une nouvelle demande.


[25]            Pour ces motifs, le juge de la citoyenneté a commis une erreur en appliquant le critère relatif à la résidence aux fins de l'alinéa 5(1)c). L'appel est accueilli. La décision du juge de la citoyenneté Northcote d'attribuer la citoyenneté à l'intimé et à son épouse sera annulée.

                         « Michael A. Kelen »             

            Juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 25 février 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   Date : 20030225

                                            Dossier : T-721-02

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                           appelant

- et -

KENNETH CAMPBELL BARKER

                                                                              intimé

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                   


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-721-02

INTITULÉ :                                                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. KENNETH CAMPBELL BARKER

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                       LE 10 FÉVRIER 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :        LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                             LE 25 FÉVRIER 2003

COMPARUTIONS :

BRAD GOTKIN                                                                           POUR L'APPELANT

IRA NISHISATO                                                                          POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MORRIS ROSENBERG                                                              POUR L'APPELANT

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

BORDEN LADNER GERVAIS LLP         POUR L'INTIMÉ

TORONTO

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