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Date : 20030716

Dossier : IMM-3662-02

Référence : 2003 CF 881

Entre :

                              SINA YONN

                                                Partie demanderesse

Et :

        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                Partie défenderesse

                        MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après « la Section du statut » ) rendue le 19 juillet 2002 selon laquelle le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                 Le demandeur est citoyen du Cambodge, né le 10 octobre 1974. Il allègue avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques.

[3]                 Le demandeur prétend que, lorsqu'il vivait au Cambodge, il était en contact avec un groupe d'étudiants qui supportaient le parti d'opposition de Sam Rainsy. Selon le demandeur, ce groupe essaie d'alerter l'opinion publique contre les agissement inhumains du régime de Hun Sen. Il explique qu'il n'était pas un membre de ce groupe, mais qu'il collaborait avec eux.

[4]                 Le demandeur allègue qu'en avril 2001, il est parti vivre à Cuba, pour y travailler comme chauffeur pour son oncle, l'ambassadeur du Cambodge à Cuba. Trois semaines après son arrivé à Cuba, il prétend avoir reçu une lettre d'un ami du Cambodge et, comme il était pressé, il l'a apporté avec lui au travail. Dans cette lettre, son ami lui aurait demandé de faire de la propagande auprès des étudiants cambodgiens à Cuba en faveur du parti de Sam Rainsy. Le demandeur prétend qu'après avoir lu la lettre, il a dû la cacher dans le tiroir de son bureau, parce qu'il devait aller immédiatement conduire quelqu'un de l'ambassade. Le lendemain, la lettre n'était plus dans le tiroir où il l'avait laissée.


[5]                 Le demandeur allègue qu'une semaine plus tard il a été convoqué par le chargé politique de l'ambassade qui l'a accusé d'être un espion du parti Sam Rainsy. On lui ordonna de retourner au Cambodge.

[6]                 Le demandeur allègue que, la journée même, il a parlé à son oncle qui lui a expliqué qu'il devait le congédier mais qui lui a promis de l'aider. Ce soir là, le demandeur aurait parlé à son père et il aurait appris que ses parents avaient été convoqués par la police afin de les forcer de le convaincre de retourner au Cambodge pour faire face à son accusation. Ses parents lui ont conseillé de ne pas retourner au Cambodge parce qu'ils craignaient pour sa sécurité.

[7]                 Le demandeur prétend que son oncle et sa tante l'ont aidé à fuir au Canada. Il a revendiqué le statut de réfugié au Canada le 14 juin 2001.

[8]                 Le 19 juillet 2002, la Section du statut a rejeté la revendication du demandeur après avoir conclu qu'il y avait un absence de crédibilité pour les raisons suivantes:


a)          Ayant admis que la possession de la lettre présentait un risque pour lui, il n'est pas plausible que le demandeur aurait gardé cette lettre, et l'aurait laissée dans le tiroir d'un bureau à l'intérieur de l'ambassade cambodgienne.

b)          La preuve documentaire indique que le parti de Sam Rainsy n'est pas une entité illégale. Pour cette raison, un représentant de l'ambassade ne pourrait pas accuser le demandeur d'un acte criminel.

c)          Le fait qu'il soit demeuré à Cuba pendant un mois n'est pas plausible étant donné la gravité des accusations contre le demandeur.

d)          Il n'est pas plausible que l'oncle du demandeur puisse continuer son travail comme ambassadeur s'il a menti au personnel de l'ambassade canadienne à Cuba au sujet des motifs de la visite du demandeur au Canada, et s'il a aidé et encouragé l'évasion du demandeur contre les voeux des autorités cambodgiennes.

f)           Étant donné que le demandeur n'était pas membre du parti de Sam Rainsy, la Section du statut n'a pas cru qu'il "courre un risque comme cela semble avoir été le cas pour d'autres personnes associées au parti".


[9]                 On voit par ces motifs que la Section du statut en l'espèce a basé sa conclusion d'absence de crédibilité sur plusieurs invraisemblances. Le défendeur soutient que ces inférences ont été tirées de façon raisonnable et conformément aux principes de droit applicables. Avant de commencer mon analyse de la décision, je note d'abord le principe de l'affaire Maldonado c. Canada (Le Ministre de l'emploi et de l'immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.), selon laquelle il y a une présomption que les prétentions du demandeur sont vraies.

[10]            Le demandeur allègue que la Section du statut a conclu qu'il n'est pas plausible que le demandeur aurait gardé la lettre de son ami cambodgien dans le tiroir d'un bureau à l'intérieur de l'ambassade. La Section du statut a écrit dans sa décision que le demandeur "n'a pas fourni de réponse" à cette question. En fait, le demandeur a expliqué qu'il a apporté la lettre avec lui au travail parce qu'il était pressé, et qu'il l'a laissé dans le tiroir de son bureau parce qu'il devait aller immédiatement conduire quelqu'un de l'ambassade. Cette explication est tout à fait raisonnable. Cependant, la Section du statut ne semble pas en avoir tenu compte dans leur considération de la revendication. Leur conclusion de l'invraisemblance par rapport à la lettre est donc manifestement erronée.


[11]            La Section du statut a conclu qu'il n'est pas plausible que le demandeur soit demeuré à Cuba pendant un mois étant donné la gravité des accusations portées contre lui. Cependant, le preuve documentaire démontre que le demandeur avait un visa et un permis de conduire Cubain. Sa position à Cuba étant stable, il n'y avait donc aucune raison pour lesquelles les autorités locales le chercheraient.

[12]            Ensuite, la Section du statut a conclu qu'il n'est pas plausible que l'oncle du demandeur puisse continuer son travail comme ambassadeur dans les circonstances. Cette conclusion est fondée sur la spéculation. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles l'oncle du demandeur pouvait continuer son travail à l'ambassade. Il est possible que le gouvernement cambodgien ignorait l'assistance qu'il a portée à son neveu. Ou bien, il est possible qu'il ait eu un rapport avec des fonctionnaires de haut niveau dans le gouvernement cambodgien. Je conclus que les déterminations de la Section du statut relativement à ces prétendues invraisemblances sont déraisonnables.      


[13]            De plus, la Section du statut a conclu qu'il n'est pas plausible que le demandeur serait accusé d'un acte criminel, étant donné que le parti de Sam Rainsy n'est pas une entité illégale. Cette conclusion est troublante. La Section du statut elle-même a constaté que la sécurité des membres du parti Sam Rainsy est mise en péril par la régime Hun Sen. Même si le parti en opposition existe légalement en théorie, il est clair que les personnes associées au parti sont ciblées. La conclusion que le demandeur ne serait pas accusé d'un acte criminel parce que le parti est une entité légale est manifestement erroné.


[14]            Finalement, la Section du statut n'a pas cru qu'il y avait un risque que le demandeur soit persécuté s'il devait retourner au Cambodge parce qu'il n'était pas membre du parti de Sam Rainsy. Cette conclusion est manifestement erronée pour deux raisons. La Section du statut a erré en fait en constatant seulement que "[i]l y a eu des exemples d'attaques contre des membres de la direction du parti". Or, la preuve documentaire indique que des attaques ont été perpétrées contre les membres du parti en général et non seulement contre les membres de la direction. En l'espèce, la question n'est pas à savoir si le demandeur est membre du parti de Sam Rainsy mais plutôt s'il est perçu comme étant associé avec ce parti selon les agents de persécution: Canada (Attorney General) v. Ward, [1993] 2 S.C.R. 689. Le demandeur a déposé une photo de lui avec Sam Rainsy comme preuve de son association avec le parti. De plus, le témoignage du demandeur révèle qu'il participait à plusieurs activités du parti Sam Rainsy au Cambodge et qu'il a reçu une lettre d'un membre du parti lors de son séjour à Cuba.    Cette preuve démontre la possibilité que le demandeur soit perçu comme étant associé avec le parti Sam Rainsy.

[15]            Je conclus que la Section du statut a commis plusieurs erreurs justifiant l'intervention de cette Cour. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section du statut en date du 19 juillet 2002 est annulée et la demande est renvoyée pour être considérée de nouveau par un panel nouvellement constitué.

      JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 16 juillet 2003


                        COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                     

DOSSIER :                  IMM-3662-02

INTITULÉ:                 SINA YONN

                                                           Demandeur

                                 et

        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                   Défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :      25 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE: L'HONORABLE JUGE ROULEAU   

DATE DES MOTIFS :        16 juillet 2003

COMPARUTIONS:

Me Louis NADEAU                                 POUR LE DEMANDEUR

Me Marie-Claude DEMERS                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Louis NADEAU, Avocat

3-5022, Côte-des-Neiges

Montréal ( Québec)

H3V 1G6

Tél: 514-341-5330

                        Demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec

                                                                       Défendeur

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