Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20020426

Dossier: T-1868-97

Citation neutre: 2002 CFPI 462

ENTRE :

                              MARTIN BEAUDRY

                                    et

                          JEAN-MARCEL RAYMOND

                                                               Demandeurs

ET:

                         JEAN-JACQUES GOLDMAN,

                 SONY MUSIC ENTERTAINMENT (CANADA) INC.,

                               CÉLINE DION,

                               RENÉANGÉLIL

                                    et

                                 BEN KAYE

                                                             Co-défendeurs

ET:

             SOCIETY FOR REPRODUCTION RIGHTS OF AUTHORS,

                  COMPOSERS AND PUBLISHERS IN CANADA,

                   SOCIETY OF COMPOSERS, AUTHORS AND

                       MUSIC PUBLISHERS OF CANADA

                  LA SOCIÉTÉDES AUTEURS, COMPOSITEURS

                         ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

                                    et

             LA SOCIÉTÉPOUR L'ADMINISTRATION DU DROIT

                 DE REPRODUCTION MÉCANIQUE DES AUTEURS,

                  COMPOSITEURS ÉDITEURS (SACEM / SDRM)

                                                              Mis-en-cause


                          MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 Il s'agit d'un appel interjeté, fondé sur l'article 51 des Règles de la Cour Fédérale, 1998, d'une ordonnance datée du 10 mai 2001 rendue par le protonotaire Me Richard Morneau, rejetant certaines des objections soulevées par les procureurs des co-défendeurs et ordonnant la production des documents suivants :

Quant au défendeur Angélil, l'entente intervenue entre les défenderesses Dion et Sony Music Entertainment (Canada) Inc.;

Quant au défendeur Goldman, l'entente intervenue entre les compagnies d'édition respectives du défendeur Goldman, J.R.G. Éditions Musicales-Caminair, et des co-défendeurs Dion, Angélil et Kaye, C.R.B. Music Publishing;

Quant au défendeur Kaye, les déclarations à l'égard de la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique au Canada ("SOCAN") et de la Société du Droit de Reproduction des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique au Canada Inc. ("SODRAC") pour toutes les oeuvres produites sur l'album "D'Eux";


Quant à la co-défenderesse Sony, les ententes intervenues entre les co-défendeurs Goldman et Sony eu égard à l'édition et à la production de l'album "D'Eux", lequel album reproduit l'oeuvre "Prière païenne" en litige.

  

[2]                 Les co-défendeurs cherchent à obtenir une ordonnance accueillant le présent appel et maintenant les objections soulevées par les procureurs des co-défendeurs Goldman, Dion, Angélil, Kaye et Sony en regard des demandes d'engagement de communication des dits documents.

  

[3]                 Par le présent litige, les demandeurs allèguent que les défendeurs ont violé leurs droits d'auteur quant à l'oeuvre "Tes lèvres mauves". En effet, les demandeurs prétendent qu'une partie importante de l'oeuvre "Tes lèvres mauves" créée par le demandeur Beaudry aurait été reprise dans l'oeuvre "Prière païenne", laquelle aurait été composée et écrite, aux dires des défendeurs, par le défendeur Goldman.

  

[4]                 En date du 29 mars 1999, Me Richard Morneau, protonotaire, ordonna le renvoi des questions de droit et de faits relatives aux dommages allégués par les demandeurs et au quantum de ceux-ci, conformément à la Règle 153 des Règles de la Cour Fédérale, 1998.


[5]                 En date du 23 octobre 2000, les défendeurs Goldman, Dion, Angélil et Kaye déposèrent une requête pour faire trancher les quelques 225 objections soulevées lors des interrogatoires au préalable des demandeurs tenus du 7 au 9 décembre 1999. En date du 19 janvier 2001, alors qu'il rendait une ordonnance visant à faire trancher ces objections, le protonotaire Morneau retenait que le coeur du présent litige se situait au niveau des questions portant sur l'accès et l'originalité des oeuvres en litige, de même que de la présence, de la teneur et du degré de similitude de ces oeuvres.

  

[6]                 C'est donc dans ce contexte que les interrogatoires des défendeurs ont été tenus du consentement des parties et de leurs procureurs. Les informations contenues aux encarts des deux albums sur lesquels l'oeuvre "Prière païenne" a été reproduite ont fait l'objet de questions de la part du procureur des demandeurs, lesquels encarts avaient été produites par ces derniers au soutien de leur déclaration sous les cotes P-10 et P-21. Aucune question n'a cependant pu être posée ou permise quant au contenu des ententes et contrats intervenus entre les défendeurs en regard de ces deux albums du fait des objections soulevées par tous les défendeurs. Les co-défendeurs n'ont en fait permis uniquement que soient posées des questions qui permettaient, selon eux, d'identifier les personnes parties à ces ententes.

  

[7]                 Ainsi, en date du 11 avril 2001, les demandeurs présentèrent une requête pour faire trancher les objections soulevées lors des interrogatoires au préalable des défendeurs. En date du 10 mai 2001, le protonotaire Morneau rendit une décision rejetant certaines des objections soulevées par les procureurs des co-défendeurs et ordonnant la production des documents au coeur du présent litige. Il prit soin de préciser que la décision sur le renvoi "n'a pas pour but ou pour mission d'écarter de la question de violation du droit d'auteur des aspects du litige qui, bien que pouvant servir à l'aspect dommages, peuvent néanmoins présenter suffisamment de pertinence quant à l'aspect violation pour être autorisés à ce stade-ci". Il a aussi indiqué que les éléments qu'il a qualifiés comme étant le coeur du litige étaient pertinents sans pour autant conclure précisément qu'il s'agissait là d'une liste exhaustive, ni qu'elle devait s'appliquer pour tous les interrogatoires à être tenus ultérieurement.

  

[8]                 En date du 22 mai et du 27 septembre 2001 respectivement, les co-défendeurs Sony, Goldman, Dion, Angélil et Kaye déposèrent une requête en appel de l'ordonnance du protonotaire Morneau datée du 10 mai 2001.

  

[9]                 Dans ladite ordonnance, le protonotaire Morneau tira les conclusions suivantes :


11. CES PROPOS DE LA COUR DANS [L'ARRÊT] READING & BATES S'APPLIQUENT ICI AUX DIVERSES ENTENTES QUE LES DEMANDEURS RECHERCHENT AUPRÈS DES DÉFENDEURS PUISQUE CEUX-CI SONT NOMBREUX ET QUE LEURS DROITS, POUVOIRS ET OBLIGATIONS AUX TERMES DE CES ENTENTES À L'ÉGARD DE L'OEUVRE ATTAQUÉE SONT D'INTÉRÊT POUR LES DEMANDEURS DANS LEUR DÉTERMINATION D E LA PARTICIPATION DE CHACUN DES DÉFENDEURS DANS LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE LEUR OEUVRE. PARTANT, LES ENTENTES PEUVENT AIDER LES DEMANDEURS À AVANCER LEUR CAUSE.

12. IL EST ÉGALEMENT INTÉRESSANT DE NOTER QUE C'EST LE CARACTÈRE CONFIDENTIEL QUI ESSENTIELLEMENT SEMBLE RETENIR LES DÉFENDEURS QUANT À LA PRODUCTION DE CES ENTENTES. IL SEMBLE, EN EFFET, POUR BON NOMBRE DES ASPECTS QUE CES ENTENTES POURRAIENT TOUCHER, QUE LES DÉFENDEURS ONT PERMIS AUX DEMANDEURS DE POSER UNE FOULE DE QUESTIONS. TOUTEFOIS, LORSQU'EST VENU LE TEMPS DE PRODUIRE SUR ENGAGEMENT CES ENTENTES, LES BARRIÈRES SE SONT ÉLEVÉES. CETTE DYNAMIQUE LAISSE CROIRE À LA COUR QUE CES ENTENTES SONT À CE STADE-CI PERTINENTES MAIS QUE C'EST LEUR CARACTÈRE CONFIDENTIEL QUI SOULÈVE PROBLÈME.

13. CET ASPECT DE CONFIDENTIALITÉ NE POUVAIT AUX YEUX DE LA COUR CONSTITUER UN ÉLÉMENT FONDAMENTAL DE LA DÉCISION SUR LE RENVOI ET NE PEUT MAINTENANT PRÉVENIR EN SOI LA PRODUCTION DES ENTENTES.

[...]

SONY MUSIC ENTERTAINMENT (CANADA) INC.

22. LA QUESTION 7, QUI RECHERCHE LA PRODUCTION D'UNE ENTENTE, M'APPARAÎT PERTINENTE VU LE CADRE DU LITIGE TEL QUE CIRCONSCRIT PRÉCÉDEMMENT. DE PLUS, ELLE PEUT-ÊTRE PRODUITE PAR LE BIAIS DE M. LUPRANO. ELLE DEVRA DONC ÊTRE PRODUITE AINSI DANS LES QUINZE (15) JOURS SUIVANT LE RESPECT DE LA RÈGLE 152 PAR LE PROCUREUR DES DEMANDEURS.

[...]

RENÉ ANGÉLIL

26. L'ENTENTE RECHERCHÉE PAR LA SEULE QUESTION EN LITIGE QUANT À CE TÉMOIN M'APPARAÎT PERTINENTE QUANT À SA NATURE AINSI QUE PAR LE FAIT QU'ELLE POURRAIT PERMETTRE AUX DEMANDEURS DE CONFIRMER PLUSIEURS DES INFORMATIONS QU'ILS ONT PU OBTENIR PAR LE BIAIS DES QUESTIONS DÉJÀ POSÉES. LE TÉMOIN ÉTANT LE GÉRANT DE LA DÉFENDERESSE DION, IL EST À MÊME DE PRODUIRE LADITE ENTENTE. ELLE DEVRA DONC ÊTRE PRODUITE DANS LES QUINZE (15) JOURS SUIVANT LE RESPECT DE LA RÈGLE 152 PAR LE PROCUREUR DES DEMANDEURS.

[...]

JEAN-JACQUES GOLDMAN

28. PUISQUE QUANT À CE TÉMOIN LA QUESTION 1 EST COMPRISE PAR LA QUESTION 2, IL Y A LIEU DE S'ATTARDER À CETTE QUESTION. CETTE QUESTION 2, QUI CONSISTE À PRODUIRE LA COPIE D'UNE ENTENTE ÉCRITE, SI ÉCRIT IL Y A, EST PERTINENTE VU LES REMARQUES GÉNÉRALES ÉLABORÉES PRÉCÉDEMMENT. ELLE DEVRA DONC ÊTRE PRODUITE DANS LES QUINZE (15) JOURS SUIVANT LE RESPECT DE LA RÈGLE 152 PAR LE PROCUREUR DES DEMANDEURS.


29. IL EN VA DE MÊME MUTATIS MUTANDIS POUR L'ENTENTE VISÉE PAR LA QUESTION 3.

[...]

BEN KAYE

36. QUANT AUX QUESTIONS 6 ET 7 (ET INDÉPENDAMMENT S'IL Y A UNE OBJECTION À L'ÉGARD DE LA QUESTION 6), ELLES VISENT DES DOCUMENTS PERTINENTS, D'AUTANT PLUS QUE LES DÉCLARATIONS À L'ÉGARD DE LA SACEM ONT ÉTÉ PRODUITES. ELLES DEVRONT ÊTRE RÉPONDUES.

(mes soulignés)

  

[10]            Il s'agit des conclusions contre lesquelles se pourvoient les défendeurs dans la présente instance.

[11]            La question principale que soulève le présent appel est de savoir si l'ordonnance discrétionnaire du protonotaire Morneau requérant que soient produits les divers documents faisant l'objet du présent litige est entachée d'erreur flagrante ou porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause, justifiant ainsi l'intervention de cette Cour.

  

[12]            Les défendeurs soumettent que le protonotaire Morneau a manifestement erré dans l'interprétation des faits en cause et dans l'application du droit applicable en déterminant que les documents visés par les paragraphes 26, 28, 29 et 36 de son ordonnance étaient pertinents au présent litige, le tout puisque ces documents ne se rapportent d'aucune façon aux arguments de faits et de droits avancés par l'une ou l'autre des parties en la présente instance. Ils invoquent les Règles 240, 242 et 247 des Règles de la Cour Fédérale, 1998 au soutien de leurs prétentions.

  

[13]            Quant aux demandeurs, ils soumettent de façon générale que l'ordonnance du protonotaire eu égard aux ententes et autres documents visés par celle-ci doit être maintenue en ce que ses conclusions et motifs quant à leur pertinence sont conformes aux Règles de cette Cour et au droit applicable en l'espèce, et qu'il ne ressort de ladite ordonnance aucune irrégularité, ni erreur manifeste ou flagrante et qui soit de nature telle à justifier l'intervention de cette Cour pour infirmer ou casser ladite ordonnance.

  

[14]            Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, la Cour d'appel fédérale s'est prononcée sur la norme de contrôle d'une décision discrétionnaire d'un protonotaire. Elle exprima sa conclusion comme suit au paragraphe 95 de la décision :

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

  

[15]            La décision en cause en est une qui, à mon avis, est entachée d'une erreur de droit flagrante, ce qui fait que la Cour doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire par instruction de novo. Comme l'analyse exposée ci-bas le démontre, la Cour ne peut souscrire aux conclusions auxquelles est arrivé le protonotaire. Il y a donc lieu d'intervenir.

  

[16]            Avant d'entamer mon analyse toutefois, une précision s'impose. Les demandeurs notent que dans ses prétentions écrites, la co-défenderesse Sony en appelle de l'ordonnance du protonotaire, tant sur les conclusions qui la concernent que sur les conclusions de l'ordonnance rendue contre les autres co-défendeurs. Ainsi, Sony demande que soient maintenues des objections soulevées par les autres co-défendeurs à l'encontre des demandes de production de documents auxquels elle ne semble pas être partie. Le procureur des demandeurs me demande donc de ne pas tenir compte de ces arguments lorsque je suis appelé à me prononcer sur la question de la production des documents relatifs aux co-défendeurs Dion, Angélil, Goldman et Kaye. Or, il appert de la transcription des interrogatoires des défendeurs que non seulement le procureur des co-défendeurs Dion, Angélil, Goldman et Kaye s'est objecté à la production desdits documents, mais le procureur de la co-défenderesse Sony s'est également objecté, cette dernière ayant clairement un intérêt puisqu'elle est partie au litige ainsi qu'à certains de ces documents et, par conséquent, ses intérêts pourraient être affectés de façon défavorable. Cet argument est donc mal fondé.


[17]            Les demandeurs soumettent que les questions qui ont été posées aux défendeurs n'ont aucunement porté sur les faits admis dans les actes de procédure. Ce principe est d'ailleurs confirmé aux Règles 240 et 242(b) qui établissent que, pour pouvoir être répondues, les questions posées lors d'un interrogatoire doivent se rapporter à un fait allégué et non admis dans un acte de procédure déposé par la partie soumise à l'interrogatoire. La co-défenderesse Sony soumet pour sa part que les trois ententes ainsi que les questions y concernant se rapportaient à des faits déjà admis dans les actes de procédures. Elle cite au soutien de sa prétention des extraits de la déclaration des demandeurs contenant des allégations relatives à la production, reproduction et commercialisation de l'album "D'Eux" par la défenderesse Sony et le rôle du défendeur Goldman dans la production de cet album. Il convient ici de les reproduire par souci de commodité :

22. Au cours de l'année 1995, SONY a produit, reproduit ou fait reproduire et mis en marché, sous les configurations cassette audionumérique et disque compact (aussi reconnu sous le vocable CD) un enregistrement sonore, aussi reconnu sous le vocable "album", intitulé "D'Eux", incorporant des interprétations d'oeuvres musicales par DION, tel qu'il appert d'un exemplaire "CD" dudit enregistrement, portant le numéro de catalogue CK 80219, signifié aux Défendeurs et produit au soutien des présentes sous la cot e P-10,

22.1 pour plus de précisions, l'album "D'Eux" a été mis en marché par Sony, au Québec et en France, le ou vers 29 mars 1995, tel qu'il appert d'un document daté du 27 février 1995, émanant soit du bureau de relation de presse ou du département de promotion radio de Sony, signifié aux Défendeurs et produit au soutien des présentes sous la cote P-10A.

23. Il appert d'une mention à cet égard au bas de la couverture arrière du "CD" (pièce P-10 précitée), que ledit album est également distribué par Sony.

24. L'encart intérieur dudit album (pièce P-10) indique que la musique et les textes (paroles) des oeuvres musicales incorporées sur l'album "D'Eux" auraient toutes été créées par Goldman, à l'exception toutefois des oeuvres intitulées respectivement "Je sais pas" et "Cherche encore" qui auraient été créées par Goldman, en collaboration avec deux tiers.


25. Il appert également à la page 18 de l'encart précité que les enregistrements des oeuvres musicales incorporés sur l'album auraient été effectués au cours des mois de novembre et de décembre 1994.

26. La page 18 de l'encart précité porte également la mention suivante, pour ce qui concerne les droits d'édition des oeuvres musicales incorporées sur l'album: Éditions: JRG/CRB Music (SOCAN).

27. Au surplus du paragraphe précédent, les Demandeurs exposent :

27.1 quant à l'indication "JRG", qu'il s'agit, en fait, de la dénomination sociale sous laquelle Goldman fait affaires, JRG Éditions musicales-Caminair (pièce P-1 précitée).

27.2 quant à l'indication "CRB", qu'il s'agit, en fait, de la société en commandite, Les Éditions Musicales CRB/CRB Music publishing, pour laquelle Dion, Angélil et Kaye sont "commandités" (pièce P-3 précitée).

28. Toutes les oeuvres musicales incorporées sur l'album "D"Eux" précité sont interprétés par DION.

29. Parmi les oeuvres musicales incorporées sur l'album "D'Eux", figure l'oeuvre musicale intitulé "Prière Païenne", laquelle apparaît comme la 11ième oeuvre dudit album, le tout tel qu'il appert à la couverture arrière dudit album (pièce P-10, précitée).

30. L'oeuvre musicale "Prière Païenne" a fait l'objet d'un dépôt par GOLDMAN auprès de la SACEM, le ou vers le 20 septembre 1994.

[...]

47. Tel qu'il appert d'une mention à cet égard au bas de la couverture arrière du "CD" (pièce P-21) ledit album est fabriqué et distribué par Sony.

48. Tel qu'il appert également d'une mention à cet égard à la couverture arrière du "CD" (pièce P-21), l'oeuvre musicale "Prière Païenne" est incorporée dans ledit album, en l'occurrence la 12ième oeuvre musicale.

[18]            La défenderesse Sony répondit à ces allégations dans sa défense du 10 octobre 1997 en ces termes :

22. It denies paragraph 22 as drafted, as the production of the album "D'Eux" began in September 1994, refers the Court to Exhibit P-10 and denies anything not in strict conformity therewith and refers the Court to what is hereinafter pleaded;

22.1 It admits subparagraph 22.1 of the Declaration;

23. It admits paragraph 23 of the Declaration;


24. It denies as drafted paragraph 24 of the Declaration, refers to Exhibit P-10, which states that the musical works incorporated on the album "D'Eux" were indeed created by the Defendant Jean-Jacques Goldman, and denies anything not in strict conformity therewith;

25. It denies as drafted paragraph 25 of the Declaration, refers to Exhibit P-10, which states that the recording of the musical works on the album indeed took place in November and December 1994, and denies anything not in strict conformity therewith;

26. It admits paragraph 26 of the Declaration;

27. It admits paragraph 27 and subparagraphs 27.1 and 27.2;

28. It denies as drafted paragraph 28 of the Declaration, adding that the musical works which appear on the album "D'Eux" are interpreted notably by the Defendants Dion and Goldman;

29. It admits paragraph 29 of the Declaration;

30. It has no knowledge of the allegations contained in paragraph 30 of the Declaration;

[...]

47. It admits paragraph 47 of the Declaration;

48. It admits paragraph 48 of the Declaration.

  

[19]         Les paragraphes 72 et 73 de la défense de la défenderesse Sony font également ressortir les éléments suivants :

72. Sony, CRB and Robert Goldman on behalf of the Defendant Goldman during the summer of 1994 entered into negotiations surrounding the creation of a collaboration, whereby the Defendant Goldman would provide the musical works for and produce an album for the Defendant Dion, the whole to be recorded by Sony for reproduction, marketing and distribution;

73. Over the next few months, this project became a reality and the album "D'Eux" was recorded and produced and eventually reproduced and marketed, including 12 musical works, of which 10 were written by defendant Goldman alone and 2 were co-written with third parties.

[20]            Dans leur réponse à la défense de la défenderesse Sony, les demandeurs ont reconnu les admissions suivantes :

12.1 Quant au sous-paragraphe 22.1 de la défense, ils prennent acte des admissions de la co-Défenderesse, Sony, quant aux allégations des Demandeurs, contenues au paragraphe 22.1 de leur déclaration et, quant à la pièce P-10A produite au soutien de celle-ci.

13. Ils prennent acte de l'admission contenue au paragraphe 23 de la défense.

14. Ils lient contestation avec les allégations contenues au paragraphe 24 de la défense, ajoutant que la pièce P-10 (déjàproduite) mentionne bien que deux oeuvres musicales auraient été créées par le co-Défendeur, Goldman, en collaboration avec des tiers, le tout tel qu'il appert à la pièce P-10, de même qu'il est admis par la co-Défenderesse, Sony, au paragraphe 73 de sa défense.

16. Ils prennent acte des admissions contenues aux paragraphes 26 et 27 de la défense.

16.1 Au surplus, quant à l'admission contenue au paragraphe 27 de ladite défense, les Demandeurs précisent qu'elle est contraire aux allégations mêmes de la co-Défenderesse Sony contenues aux paragraphes 4 et 10 de sa défense.

[...]

46. Quant au paragraphe 72 de la défense, les Demandeurs :

46.1 prennent acte de l'admission de la co-Défenderesse, Sony, relativement au fait que c'est cette dernière qui devait enregistrer des oeuvres musicales, reproduire et mettre en marché et distribuer un album pour la co-Défenderesse, Dion;

46.2 prennent acte de l'admission contenue audit paragraphe à l'effet que des négociations auraient été entamées au cours de l'été 1994;

46.3 ignorent, quant au reste, les allégations contenues audit paragraphe.

47. Quant au paragraphe 73 de la défense, les Demandeurs :

47.1 prennent acte de l'admission contenue audit paragraphe à l'effet que deux oeuvres musicales incorporées dans l'album "D'Eux" ont été écrites par le co-Défendeur, Goldman, en collaboration avec des tiers, et qu'il en a pris à ce dernier, suivant les négociations alléguées par Sony audit paragraphe, quelques mois, pour créer dix (10) oeuvres et produire l'album.

47.2 ignorent ledit paragraphe quant au reste.

[21]            La défenderesse Sony soumet que le fait qu'elle nie certains faits allégués dans ces paragraphes, par exemple au paragraphe 24 de la déclaration des demandeurs, ne se rapporte pas à la substance des actes et des événements qui y sont compris. De plus, ces éléments sont admis par une combinaison des allégations contenues dans les défenses déposées par les co-défendeurs. Ainsi, elle soumet que certains paragraphes de la défense du défendeur Goldman contiennent les réponses à la déclaration des demandeurs alors que d'autres constituent un "plaidoyer d'abondant" (further plea) comprenant plusieurs admissions directes concernant qui est l'auteur de l'oeuvre "Prière païenne", son interprétation par la co-défenderesse Céline Dion, ainsi que les enregistrements subséquents et la commercialisation de l'album. Par ailleurs, la défenderesse soumet que les pièces D-5 et D-24 déposées au soutien de la défense du défendeur Goldman contiennent d'importantes admissions et des éléments de preuve concernant les personnes qui prétendent détenir des droits d'auteur dans l'oeuvre "Prière païenne", car elles comprennent les déclarations à l'égard de la SACEM pour l'oeuvre "Prière païenne" faites par le défendeur Goldman.

  

[22]            Ainsi, la défenderesse Sony soumet que ces pièces démontrent clairement la portée et la proportion des droits détenus par les défendeurs Goldman, Erick Benzi (l'arrangeur), J.R.G. Éditions Musicales-Caminair et C.R.B. Music Publishing, les compagnies d'édition respectives des défendeurs Goldman, Dion, Angélil et Kaye ainsi que la répartition des droits de reproduction mécanique que doit verser la SACEM à ces entités, et, de surcroît, elles contiennent les signatures des défendeurs Goldman et Kaye, agissant à titre de représentants de JRG et de CRB, et qui forment partie intégrante des déclarations.

[23]            À ma lecture de ces actes de procédure dans leur entièreté, il m'apparaît clair que les droits respectifs des parties défenderesses ont été admis être fidèles aux inscriptions inclues aux encarts des albums en litige, tel qu'il appert des défenses produites par les défendeurs. Les inscriptions inclues aux encarts de même que les droits d'auteur, d'édition et de reproduction mécanique sont d'ailleurs confirmées par les pièces D-5 et D-24 produites en regard de la défense du défendeur Goldman. De plus, la réponse des demandeurs à la défense du défendeur Goldman prend acte des admissions qui y sont comprises. Certains paragraphes de la défense des co-défendeurs Dion, Angélil et Kaye contiennent aussi des réponses à la déclaration des demandeurs, réponses qui n'ont par ailleurs pas été contestées. De surcroît, les demandeurs reconnaissent les admissions faites par la défenderesse Sony dans leur requête visant à trancher les objections faites par le procureur de Sony lors de l'interrogatoire au préalable de M. Luprano, tel qu'il appert des paragraphes suivants des prétentions des demandeurs :

Pour sa part, Sony admet avoir reproduit et mis en marché les supports (albums) incorporant l'oeuvre en litige "Prière Païenne" allégués dans la déclaration des Demandeurs et que lesdits supports sont, au moment de l'institution des procédures en l'instance, toujours disponibles sur le marché.

[...]


D. De même, Luprano affirme que Sony serait propriétaire de droits dans les albums "D'Eux" et "Live à Paris", un fait par ailleurs confirmé par le procureur de Sony : ... "1995 Sony Music Entertainment (Canada) Inc. is the copyright".

E. Quant aux droits dans les oeuvres musicales incorporées dans les albums précités, sous réserve d'une objection formulée par le procureur de Sony, Luprano a indiqué qu'il était au courant que la Défenderesse, Les Éditions Musicales CRB/CRB Music Publishment était propriétaire d'une partie des droits d'auteur dans les chansons incorporées dans les albums précités, de même que JRG Éditions Musicales-Caminair.

[24]            La preuve démontre également que ces mêmes faits sont clairement établis par la pièce P-10 (l'album "D'Eux") à laquelle Sony s'est référée dans sa défense. Ainsi, à la lumière des extraits précités, il peut être raisonnablement conclu que les faits suivants ont été admis :

1) Selon la pièce P-10, il est indiqué que le défendeur Goldman a composé les paroles et la musique pour l'oeuvre "Prière païenne" qui y est enregistré et affirme être l'auteur de cette oeuvre et le détenteur de la part des droits d'auteur revenant à l'auteur;

2) Les défendeurs CRB et JRG détiennent la part des droits d'auteur dans l'oeuvre "Prière païenne" revenant à l'éditeur;

3) Les propriétaires des droits d'auteur ont accordé à la défenderesse Sony le droit d'enregistrer et de reproduire une reproduction mécanique de l'oeuvre "Prière païenne";


4) L'oeuvre "Prière païenne" a été interprétée par la défenderesse Dion et a été enregistrée par la co-défenderesse Sony;

5) La défenderesse Sony a produite, reproduite, distribuée et commercialisée l'album "D'Eux" sur lequel apparaît l'oeuvre "Prière païenne"; et

6) L'album "D'Eux" a été produite par le défendeur Goldman.

  

[25]            Deuxièmement, je note que le protonotaire a conclu que ces ententes contractuelles devaient être communiquées aux demandeurs essentiellement pour deux motifs : 1) ces documents permettront aux demandeurs Beaudry et Raymond de déterminer la participation de chacun des défendeurs dans la violation alléguée de leur oeuvre et, de ce fait, d'avancer leur cause; 2) selon le protonotaire, c'est plutôt en raison du caractère confidentiel de ces oeuvres que les défendeurs s'opposent à la communication de ces documents, ceci tel que démontré par le fait qu'une foule de questions ont été posées quant au contenu de ces ententes.

  

[26]            En ce qui concerne le premier motif retenu par le protonotaire, les demandeurs alléguaient au soutien de leur requête pour faire trancher les objections que ces documents leur étaient nécessaires pour les raisons suivantes :

1) Quant au contrat intervenu entre les défenderesses Dion et Sony, "afin de pouvoir préciser les droits et obligations respectifs des parties, et ce, tant pour ce qui concerne les droits dans les albums ou les bandes maîtresses qui y sont incorporées, que les droits d'auteur dans les oeuvres musicales reproduites dans ces supports, et pour ce qui concerne les droits et obligations respectifs des parties et leurs rôles" et "d'éviter toute surprise à ces sujets lors de l'enquête et de l'audition au mérite de la présente instance";

2) Quant aux ententes relatives à l'édition et à la production de l'album "D'Eux", afin de vérifier "l'étendue des droits, l'identité de leur titulaire, leurs rôles et pouvoirs respectifs" et "d'éviter toute surprise à ces sujets lors de l'enquête et de l'audition au mérite de la présente instance";

3) Quant aux déclaration à l'égard de la SOCAN et de la SODRAC, afin de "vérifier les droits dans les oeuvres tels que déclarés, de connaître l'identité des ayants droit, les dates de dépôt et de vérifier que tous les ayants droits sont bien ceux qui ont été indiqués par les Défendeurs".


[27]            Les demandeurs notent que les défendeurs ont confirmé l'existence d'ententes et d'autres documents écrits et ont permis que soient posées des questions sur lesdites ententes commerciales, de sorte qu'ils ne peuvent s'objecter maintenant à leur communication et à leur production, tentant ainsi de retirer une preuve dont ils ont accepté l'introduction.

  

[28]            Or, il appert de ma lecture des notes sténographiques des interrogatoires au préalable des défendeurs que ce n'est aucunement à l'égard du contenu des ententes intervenues entre les parties défenderesses que les questions du procureur des demandeurs ont porté, mais plutôt à l'égard des informations mentionnées dans les encarts des albums en cause, alors que ces encarts étaient présentés ou référés aux dits défendeurs au moment où ils étaient interrogés. En effet, les procédures et pièces déjà produites par les parties respectives, de même que les transcriptions des notes sténographiques des interrogatoires des défendeurs sont complètement muettes quant au contenu des ententes et autres documents dont production est ordonnée.

  

[29]            Ainsi, il était manifeste que les questions permises par les procureurs des défendeurs visaient non pas le contenu mais bien l'existence de ces ententes et les modalités pouvant y être stipulées, ainsi que l'identification des personnes y étant parties tel que l'établissent les encarts intérieurs des albums en litige, ces encarts étant au surplus suffisants à mon avis pour rencontrer les fins recherchées par les demandeurs sans qu'ils aient à connaître la teneur des ententes en question. D'ailleurs, aucun motif ne saurait justifier les demandeurs d'avoir accès à ces ententes puisqu'il est évident que ces dernières ne sont pas de nature à contenir des faits permettant d'établir si l'oeuvre "Prière païenne" a été crée par le défendeur Goldman en violation des droits des demandeurs. Ainsi, les justifications soumises par les demandeurs pour obtenir copie de ces ententes sont à prime abord mal fondées et le protonotaire Morneau procéda à une mauvaise appréciation des faits en ordonnant leur production.

  

[30]            Afin de déterminer le degré de pertinence requis afin qu'une partie soit en droit lors d'un interrogatoire au préalable de demander la communication d'un document de la personne interrogée, le protonotaire citait dans son ordonnance faisant l'objet du présent appel les décisions de cette Cour rendues dans les affaires Sydney Steel Corp. c. Omiasalj (Le), (1992) 2 C.F. 193 et Reading & Bates Contruction Co. c. Baker Energy Resources Corp. et autre, (1988) 24 C.P.R. (3d) 66 (ci-après Reading & Bates Contruction Co.). Tel qu'il est clairement établi dans l'arrêtReading & Bates Contruction Co., le document dont la communication est requise doit se rapporter aux questions en litige en regard des actes de procédure déposés par les parties. Il convient ici de reprendre les propos du juge McNair dans la décision précitée à la p. 70 :


The principle for determining what document properly relates to the matters in issue is that it must be one which might reasonably be supposed to contain information which may directly or indirectly enable the party requiring production to advance his own case or to damage the case of his adversary, or which might fairly lead him to a train of inquiry that could have either of these consequences [...].

[31]            À mon avis, le protonotaire a manifestement erré dans le cadre de l'application de cette règle de droit en l'espèce. Il est évident, lorsque l'on retient les six principes établis par l'arrêt Reading & Bates Contruction Co. aux pp. 70-72, qu'il ne suffit pas qu'un document puisse se rapporter de près ou de loin à l'oeuvre "Prière païenne" pour que celui-ci soit pertinent au présent litige. Encore faut-il qu'il soit de nature à permettre à la partie qui en demande la production de faire valoir ses propres arguments ou de réfuter ceux de son adversaire. Or, les documents demandés en l'instance ne peuvent en aucune façon affecter les positions des parties relativement à la seule question que cette Cour aura à trancher à ce stade-ci, à savoir celle de la prétendue violation des droits d'auteur des demandeurs par les défendeurs.

  

[32]            De surcroît, les motifs soulevés par les demandeurs quant à la pertinence de ces documents n'entrent clairement pas dans le cadre du litige dont cette Cour est saisie à ce stade tel qu'il a été originalement circonscrit par le protonotaire par son ordonnance du 19 janvier 2001, à savoir que ces documents ne se rattachent pas à l'accès et à l'originalité des oeuvres en litige, de même qu'à la présence, à la teneur et au degré de similitude de ces oeuvres. Même si l'on admet la possibilité que les relations contractuelles et documents relatifs à l'étendue des droits des défendeurs respectifs puissent relever d'une question autre que celle du quantum des dommages, encore faut-il que les demandeurs aient démontré en quoi lesdites ententes sont de nature à leur permettre de confirmer, réfuter ou infirmer les arguments des co-défendeurs quant à la violation alléguée de leurs droits d'auteur, ou faire avancer leur cause.

  

[33]            Or, une telle preuve n'a manifestement pas été faite par les demandeurs. À titre d'exemple, il n'a pas été démontré à ma satisfaction que les questions posées dans le cadre des interrogatoires des défendeurs ainsi que la demande de production des dites ententes ont quelque pertinence que ce soit aux questions relatives aux circonstances entourant la création de l'oeuvre "Prière Païenne" par le défendeur Goldman et à la possibilité pour les défendeurs d'avoir accès à l'oeuvre "Tes lèvres mauves". Ainsi, il était erroné de conclure que les ententes visées par l'ordonnance faisant l'objet du présent appel étaient pertinentes à la seule question de la violation alléguée des droits d'auteur des demandeurs, ceci puisqu'elles ne rencontraient même pas les exigences des autorités citées dans l'ordonnance.

  

[34]            Pour rendre justice au protonotaire, il convient ici de souligner que celui-ci n'avait vraisemblablement pas eu le bénéfice d'obtenir des éclaircissements de la part des procureurs des parties quant à la teneur des dites ententes, ce qui aurait pu le guider davantage dans sa détermination de la pertinence de ces documents dans le cadre du présent litige. Le procureur de la co-défenderesse Sony a exposé en détail à l'audience en appel que le type d'entente intervenue entre les défenderesses Dion et Sony ("Artist Agreement") ainsi que les ententes de production et d'édition d'albums comme ceux concernant l'album "D'Eux" ("Publishing Agreement") n'ont généralement pour but que de régler les questions monétaires des défendeurs entre eux. Elles concernent la rémunération, les dividendes, les licences, les droits de reproduction mécanique, les revenus pour performance auprès du public, etc.    Ces précisions n'ont d'ailleurs fait l'objet d'aucun désaccord entre les parties.

  

[35]            Il appert des allégations contenues dans les mémoires qui avaient été déposés par les demandeurs au soutien de leur requête pour faire trancher les objections soulevées lors des interrogatoires des co-défendeurs que ceux-ci jugeaient nécessaire le fait de connaître l'identité de tous les ayants droits, que ce soit dans l'oeuvre musicale ou dans les supports, et leur participation dans la violation alléguée pour ainsi être en mesure de prendre les moyens nécessaires et de rendre le jugement final au mérite à intervenir en l'instance opposable à chacun de ceux-ci, pour n'en nommer que quelques-uns, évitant ainsi une multiplicité de recours. Or, si les ententes en question devaient avoir quelque pertinence que ce soit, elle ne saurait que découler de la question de l'évaluation du quantum des dommages que les demandeurs pourraient être en droit de réclamer des défendeurs une fois qu'une violation aura été prouvée, cette question tombant sous la prohibition de la règle 247. Ainsi, le protonotaire Morneau a erré en droit en ordonnant la production des trois ententes pour les fins de déterminer "la participation de chacun des défendeurs dans la violation alléguée de l[']oeuvre [des demandeurs]", cette question ne pouvant être soulevée que lors de la détermination du quantum des dommages et profits ou subséquemment. Elle n'a cependant aucun impact sur la question de la violation alléguée des droits d'auteur présentement devant cette Cour.

  

[36]            Je note par ailleurs que les déclarations à l'égard de la SACEM ont été produites au dossier de la Cour puisque le dépôt de l'oeuvre "Prière païenne" auprès de cet organisme français était l'un des faits permettant d'établir à quelle date avait été achevée cette oeuvre par le défendeur Goldman. Quant aux documents SOCAN et SODRAC, le protonotaire a indiqué qu'il jugeait ces documents pertinents pour ensuite en ordonner la production. Il n'apparaît pas que l'un ou l'autre des procureurs des co-défendeurs se soit effectivement objecté à la production des déclarations SOCAN et SODRAC, le procureur de Sony ayant par ailleurs spécifiquement indiqué qu'il ne s'objectait pas à leur introduction, le tout tel qu'il appert de la transcription des notes sténographiques de l'interrogatoire du co-défendeur Kaye aux pp. 25-27. En effet, il ressort d'une intervention du procureur de la co-défenderesse Sony dans le cadre de l'interrogatoire au préalable du co-défendeur Kaye qu'il faille distinguer entre Sony Music Entertainment (Canada) Inc. et Sony A.T.V. Publishing, et que c'est uniquement dans la mesure où c'est un représentant de l'une de ces entités qui serait responsable de produire les déclarations auprès de la SODRAC que ledit procureur s'objectait à leur production au dossier de la Cour par le défendeur Kaye.

  

[37]            Or, il ne ressort nulle part, que ce soit dans les actes de procédure, les pièces, les transcriptions des interrogatoires, dans les prétentions qu'ont initialement soumises les co-défendeurs lors de la présentation de la requête pour faire trancher les objections, ni même dans l'ordonnance du protonotaire quelqu'argument ou justification permettant de soutenir que les déclarations produites auprès de la SOCAN et la SODRAC étaient pertinentes non seulement pour établir les circonstances entourant la commercialisation de l'oeuvre en litige, mais aussi d'autres éléments pertinents quant à l'aspect violation de droits d'auteur des demandeurs. Le protonotaire se devait d'étudier chacun de ces documents individuellement et les motifs allégués au soutien de la demande de communication des dits documents afin de déterminer si ceux-ci sont pertinents, chose qu'il n'a pas fait en l'espèce.

  

[38]            Ainsi, en l'absence d'une preuve convaincante au contraire, la production des déclarations à l'égard des organismes canadiens SOCAN et SODRAC ne semble avoir été effectuée que dans le cadre de la commercialisation par les défendeurs de cette oeuvre, démontrant ainsi des degrés de pertinence totalement différents. Puisque la commercialisation de cette oeuvre ne saurait découler que de la question visant à déterminer l'évaluation des dommages que les demandeurs auraient prétendument subis, celle-ci tombe sous la prohibition de la règle 247 et, ainsi, le protonotaire a commis une erreur en droit en ordonnant la communication de ces documents.

  

[39]            Les demandeurs soumettent que plusieurs questions subsistent encore, non seulement quant à la participation des défendeurs dans les violations, mais également dans leur implication, leurs rôles respectifs, les modalités de leur participation, l'identité précise de tous ceux qui ont pu contribuer à de telles violations et ce, d'autant plus qu'il appert des documents "déclarations d'oeuvres musicales" produites auprès de la société française SACEM que d'autres entités que les co-défendeurs seraient détentrices de droits par cession ou autrement dans l'oeuvre en litige (les entités "EMI Music Publishing", "SMP Canada" et "Sony Publishing", mentions qui n'apparaissent nullement aux encarts des pièces P-10 et P-21). Compte tenu de tout ceci, les demandeurs soumettent être en droit d'obtenir la production et la communication de ces documents ainsi que des ententes d'édition musicales visées par l'ordonnance du protonotaire qui sont susceptibles d'apporter certaines précisions quant à ces éléments.

  

[40]            À mon avis, toutes ces questions, bien que pertinentes, ne peuvent être abordées qu'après la conclusion de l'action et une détermination que les droits d'auteurs des demandeurs avaient effectivement été violées. Les demandeurs pourront donc obtenir production de ces ententes lors de l'audition au mérite quant à la question de la part de responsabilité des défendeurs dans les violations alléguées de droits d'auteur afin de vérifier les indications contenues dans les supports comportant ladite oeuvre, l'identité de tous les ayants droits, les rôles, pouvoirs, droits et obligations respectifs et ainsi présenter tous leurs arguments à cet égard.

  

[41]            Quant au second motif invoqué par le protonotaire au soutien de ses conclusions, celui-ci a retenu ce qui, à son avis, est ressorti clairement des procédures et des arguments présentés par les défendeurs et qui est apparu comme la source primordiale de leurs objections de communiquer et de produire les ententes et autres documents, en l'occurrence leurs prétentions quant à la confidentialité de ceux-ci. Selon lui, cet aspect de confidentialité ne pouvait aux yeux de la Cour prévenir en soi la production des ententes. Or, le protonotaire ne pouvait donner effet à l'argument concernant la confidentialité des ententes au détriment des principes stricts énoncés par l'arrêt Reading & Bates Contruction Co. quant à leur pertinence à la question présentement en litige. Il faudrait toutefois préciser que les co-défendeurs avaient invoqué cette question de confidentialité comme essentiellement leur unique motif pour opposer la production des ententes devant le protonotaire, et celui-ci n'a donc pas eu le bénéfice d'entendre les autres arguments des parties qui ont été soulevés devant moi en appel. Quoi qu'il en soit, ce motif de la confidentialité des ententes ne saurait également être retenu en l'espèce.


[42]            À mon avis, la production de ces contrats n'a non seulement aucune pertinence à la question que cette Cour est appelée à trancher à ce stade-ci, soit de déterminer s'il y a effectivement eu une violation commise par les défendeurs de l'oeuvre des demandeurs, mais elle est également de nature à causer à ceux-là un préjudice énorme puisque la teneur de ces conventions est confidentielle et privée. Il va sans dire que les questions de grande portée tenant de la nature "d'interrogatoire à l'aveuglette" et des questions ne présentant aucune pertinence à des éléments que le protonotaire avait lui-même défini après avoir rendu son ordonnance sur le renvoi étaient prohibées. À mon avis, l'ordonnance du 10 mai 2001 était de nature à permettre aux demandeurs d'effectuer une expédition de pêche dans les ententes commerciales, confidentielles et privées des défendeurs et, de ce fait, est mal fondée en faits et a ainsi entraîné des conclusions erronées en droit.

  

[43]            Enfin, les demandeurs notent que ni dans sa requête, ni dans ses prétentions écrites Sony n'a-t-elle présenté quelqu'argument, ni ne s'est portée en appel à l'encontre de la partie de l'ordonnance eu égard à la poursuite de l'interrogatoire d'un représentant de Sony informé des faits contenus dans la défense de cette dernière. Ainsi, suite à la demande formulée par le procureur des demandeurs, la Cour ordonne aux co-défendeurs de se rendre disponibles pour la poursuite de l'interrogatoire sur les ententes et autres documents visés par l'ordonnance du protonotaire et ce, dans les 40 jours du présent jugement, suivant les modalités contenues dans ladite ordonnance.

  

[44]            J'ai suggéré aux procureurs des parties à l'issue de l'audience que le dossier devrait être gérée de façon spéciale par un arbitre ou une tierce parties neutre afin d'accélérer le règlement du présent litige. Les parties ont exprimé leur accord, mais ont précisé qu'une telle ordonnance du juge en chef adjoint de cette Cour ne pourrait avoir effet qu'après qu'une décision finale soit rendue sur la question de la production des ententes et autres documents.

  

[45]            Pour les motifs précités, le présent appel est accueilli et les objections soulevées par les procureurs des co-défendeurs Goldman, Dion, Angélil, Kaye et Sony en regard des demandes d'engagement de communication desdits documents sont maintenues.   

   

ligne

     JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 26 avril 2002


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                           T-1868-97

INTITULÉ :                                       

MARTIN BEAUDRY et JEAN-MARCEL RAYMOND

Demandeurs

ET

JEAN-JACQUES GOLDMAN,

SONY MUSIC ENTERTAINMENT (CANADA) INC.,

CÉLINE DION, RENÉ ANGÉLIL et BEN KAYE

Défendeurs conjoints et solidaires

ET

SOCIÉTÉ DU DROIT DE REPRODUCTION DES AUTEURS, COMPOSITEURS

ET ÉDITEURS DE MUSIQUE AU CANADA (SODRAC) INC.,

SOCIÉTÉ DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE AU

CANADA (SOCAN),

LA SOCIÉTÉ DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE et

LA SOCIÉTÉ POUR L'ADMINISTRATION DU DROIT DE REPRODUCTION

MÉCANIQUE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ÉDITEURS (SACEM/SDRM)

Mises en cause

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 9 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                      le 26 avril 2002

COMPARUTIONS:

Me Éric P. Goyette                                                                         POUR LES DEMANDEURS


Me Paul-André Martel                                                                  POUR LES DÉFENDEURS GOLDMAN, DION, ANGÉLIL ET KAYE

Me David Platts                                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

Me Fred Headon                                                                            SONY MUSIC ENTERTAINMENT (CANADA) INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Tamaro, Goyette                                                                            POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

Dunton Rainville                                                                              POUR LES DÉFENDEURS Montréal (Québec)                       GOLDMAN, DION, ANGÉLIL ET KAYE

McCarthy Tétrault                                                                          POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)                                                                         SONY MUSIC ENTERTAINMENT (CANADA) INC.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.