Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20030103

Dossier : T-1209-02

Référence neutre : 2003 CFPI 4

ENTRE :

                         FRANÇOIS ALAIN MOUSSA

                                                                demandeur

                                    et

                 LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

      et LA COMMISSION DE L'IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ

                                                            défenderesses

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                  Le demandeur, plaideur non juriste assurant dorénavant sa propre défense, demande le contrôle judiciaire d'une décision rendue le 28 juin 2002 par la Commission de la fonction publique, laquelle avait rejeté sa plainte de discrimination raciale et de harcèlement.


[2]             À première vue, par la présente requête, le demandeur sollicite une prorogation du délai prévu pour soumettre un affidavit supplémentaire, en présumée conformité avec le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale. En principe, une requête sollicitant l'autorisation de déposer tardivement un affidavit ou un affidavit complémentaire, selon le cas, ne relève pas de la Loi sur la Cour fédérale, mais bien des Règles de la Cour fédérale, lesquelles prévoient, soit une prolongation du délai de 30 jours imparti pour déposer des affidavits, selon l'article 306 des Règles, soit le dépôt d'un affidavit complémentaire, en application de l'article 312 des Règles.

ÉTUDE

[3]                  Dans l'introduction de leur mémoire, les défenderesses décrivent la question comme une demande d'autorisation visant à obtenir l'autorisation de déposer un affidavit supplémentaire, mais elles utilisent ensuite le critère applicable à une demande d'autorisation visant à obtenir l'autorisation de déposer un affidavit tardif. La situation est également ambiguë parce que les défenderesses auraient dû soumettre leurs affidavits au plus tard le 24 novembre 2002, mais que le dépôt à la Cour n'a pas encore été fait. Or, le demandeur, dans une lettre du 11 décembre 2002 dont la Cour a reçu copie, fait état du report d'un contre-interrogatoire portant sur les affidavits, ce qui laisse entendre que les affidavits des défenderesses ont pu être signifiés. La présente requête pourrait donc porter sur une demande d'autorisation, soit de déposer un affidavit tardif, soit de déposer un affidavit supplémentaire, c'est-à-dire un affidavit en réponse. Pour éviter d'autres formalités administratives et des délais supplémentaires, je vais envisager les deux possibilités. Mais je tiens d'abord à préciser que le demandeur ne peut changer l'intitulé de la cause comme il l'a fait à divers endroits dans le document soumis le 3 décembre 2002. L'intitulé de la cause, à moins d'avis contraire de la Cour, est celui indiqué ci-dessus.


Preuve présentée au tribunal

[4]                 Avant d'aborder la requête de prorogation du délai, quel qu'en soit la forme, je ferai remarquer que le demandeur omet de régler un problème initial. Le but d'un contrôle judiciaire est d'étudier la décision rendue par un tribunal à la lumière des éléments de preuve dont il était saisi. Tout autre élément de preuve est sans pertinence quant à savoir s'il y a lieu de procéder à un contrôle et je me reporte ici à la cause Asafov v. Canada (MCI), une décision non publiée du 18 mai 1994, rendue par le juge Nadon, alors juge à la Section de première instance, dans le dossier IMM-7425-93. Le fait qu'une cour devant se prononcer sur une question de contrôle judiciaire ne peut admettre que les éléments de preuve dont le décideur initial était saisi a également été souligné par le juge MacKay dans Wood c. Canada (AG) (2001), 199 F.T.R. 133 (C. F. 1re inst.) pages 140 et 141. Or, le mémoire fait abstraction de cette règle. Je vais donc aborder également la question du bien-fondé de la requête.

Dépôt tardif d'un affidavit


[5]             Pour traiter une demande d'autorisation visant le dépôt d'un affidavit après le délai imparti de 30 jours, il faut soupeser deux éléments. Le premier est les motifs du retard, le deuxième, la valeur intrinsèque de l'affidavit, c'est-à-dire sa pertinence, sa recevabilité et son utilité éventuelle pour la Cour. Ici, l'avocat des défenderesses fait référence à la cause Prouvost S.A. c. Munsingwear Inc., [1992] 2 C.F. 541, un arrêt de la Cour d'appel fédérale. Je ferai référence à trois autres affaires, La Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada c. Le parc national de Banff (1994), 77 F.T.R. 218 (C. F. 1re inst.), une décision du juge MacKay; Maxim's Ltd. c. Maxim's Bakery Ltd. (1990), 37 F.T.R. 199 (C. F. 1re inst.), une décision du juge Strayer, alors juge à la Section de première instance; et Strykiwsky c. Mills, une décision non publiée du 1er septembre 2000 rendue par le juge Muldoon dans le dossier T-389-00.

[6]                  Dans la cause Parc national de Banff, le juge MacKay a énoncé ce qui suit :

[13]     Dans l'arrêt Munsingwear Inc. c. Prouvost S.A., [1992] 2 C.F. 541 (C.A.); 141 N.R. 241 (C.A.F.), le juge Décary, qui parlait au nom de la Cour d'appel, a traité des critères applicables à la production tardive d'affidavits en vertu de la Règle 704(8) dans un appel formé contre une décision rendue par le registraire des marques de commerce sous le régime de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, où par l'application de la Règle 704 il y a un délai limité pour la production d'une preuve additionnelle. Même si tel n'est pas le cas en l'espèce, à mon avis les critères employés dans cette affaire sont applicables à la présente espèce, où la Cour est saisie d'une demande de production de documents une fois expiré le délai qu'elle a fixé par ordonnance. Selon ces critères, la Cour doit examiner les raisons du retard de même que la valeur intrinsèque des affidavits, c'est-à-dire leur pertinence, leur recevabilité et leur utilité éventuelle pour la Cour.

Dans la cause Maxim, le juge Strayer a affirmé ce qui suit :

[3]    Il ressort nettement de la jurisprudence que, lorsque la Cour étudie une demande de prorogation de délai, en conformité avec la Règle 704(8), elle doit tenir compte à la fois des raisons invoquées pour justifier le retard et de la valeur intrinsèque des affidavits (c.-à-d. de leur pertinence, de leur recevabilité, de leur utilité éventuelle pour la Cour). Le tribunal a déclaré dans certains précédents qu'il fallait apprécier ensemble les deux facteurs. [Note en bas de page : Voir p. ex., McDonald's Corp. et autres c. Silcorp Ltd./Silcorp Ltée (1987) 17 C.P.R. (3d) 478, aux pages 479 et 480 (C.F. 1re inst.); Joseph E .Seagran & Sons c. Seagram Real Estate Ltd. et autres (1988) 23 C.P.R. (3d) 283, à la page 284.] Estimant qu'il s'agit de la méthode qui convient en l'espèce, je conclus qu'elle signifie qu'il faut peser l'importance du retard par rapport à la valeur possible des affidavits et que l'un de ces deux facteurs peut l'emporter sur l'autre. Je crois qu'en l'espèce, si l'on applique cette méthode, le retard et l'absence de justification de celui-ci l'emportent sur la valeur éventuelle de ces affidavits.


Ces deux causes ont été jugées en application des anciennes règles, mais il reste que le critère est restéle même que dans les Règles de la Cour fédérale (1998) : par exemple, voir Strykiwsky c. Mills, précitée, aux paragraphes 7 à 9.

[7]                  En l'espèce, le demandeur n'a pas tenu compte de la convention voulant qu'il lui faille produire l'affidavit qu'il souhaite déposer tardivement. Cependant, il appert que le matériel qu'il souhaite déposer en preuve par la voie d'un nouvel affidavit comporte trois documents : 1) la lettre du 2 août 2002, du demandeur à Mme Bernier, directrice des Ressources humaines à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié; 2) la lettre du 26 novembre 2002, de la directrice exécutive de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié; 3) la réponse du 3 décembre 2002, du demandeur à la directrice exécutive.

[8]                  Le demandeur ne donne aucune raison justifiant le dépôt tardif du matériel documentaire autre que le fait qu'il aurait reçu des conseils contradictoires. Dans le présent contexte, des conseils contradictoires ne constituent pas une raison valable, parce que le 24 octobre 2002, lorsque le demandeur a déposé le matériel faisant l'objet de son affidavit initial, il était représenté par un avocat. Le demandeur ne dit pas si cet avocat a abandonné sa cause, mais seulement qu'il a reçu des conseils contradictoires sur le délai fixé pour déposer ses documents. Il n'explique pas non plus la nature des conseils contradictoires, ou de qui il les a reçus. Cependant, plus probante encore est l'absence de valeur intrinsèque du matériel présenté.

[9]                  Les trois lettres que le demandeur souhaite introduire sont sans rapport avec la présente cause, elles ne font que réitérer l'argument général qui apparemment a déjà été présenté à la Commission et elles ne sont que des allégations générales qui, si elles n'ont pas alors été présentées au tribunal, auraient pu l'être. Il semblerait également que les documents portent sur une demande faite par un employé du gouvernement pour que le demandeur lui procure des narcotiques, qu'ils contiennent du matériel litigieux, du point de vue du demandeur, quant à savoir à qui il devrait s'adresser à la Commission du statut de réfugié. De plus, dans sa lettre du 3 décembre 2002, le demandeur demande à être informé de certaines mesures disciplinaires dont la nature n'est pas précisée.

[10]            Ces lettres semblent n'avoir aucune pertinence ou utilité potentielle pour la Cour dans le cadre de l'examen de la décision du 28 juin 2002 rendue par la Commission de la fonction publique. Pertinence et recevabilité vont de pair, puisque les faits non pertinents ne sont pas admissibles.

[11]            À mon avis, le demandeur n'a donné aucune explication satisfaisante justifiant son retard. Par surcroît, les documents qu'il souhaite déposer n'ont aucune valeur intrinsèque. La demande de prorogation du délai de 30 jours prescrit à l'article 306 des Règles pour le dépôt d'un affidavit est sans fondement.


Dépôt d'un affidavit supplémentaire ou complémentaire

[12]         Le juge Nadon, de la Cour d'appel, dans Lapointe Rosenstein c. Atlantic Engraving Ltd., un arrêt non publié du 16 décembre 2002, dossier A-682-01, énonce aux paragraphes 8 et 9 les critères à respecter, en application de l'article 312 des Règles, pour le dépôt d'un affidavit supplémentaire :

[8]         Conformément à la règle 306 des Règles de la Cour fédérale (1998), un demandeur dispose de trente jours à compter du dépôt de son avis de demande pour déposer les affidavits et les pièces qu'il entend utiliser à l'appui de sa demande (les appels interjetés en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce relèvent de la Partie 5 des Règles intitulée « Demandes » (règles 300 à 334) et doivent donc être introduits par voie d'avis de demande). Exceptionnellement, la règle 312 prévoit qu'une partie peut, avec l'autorisation de la Cour, déposer des affidavits complémentaires. Aux termes de cette règle, la Cour peut autoriser le dépôt d'affidavits complémentaires lorsque les conditions suivantes sont réunies :

i)           Les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice;

ii)          Les éléments de preuve aideront la Cour;

iii)          Les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse (voir Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 15 (1re inst.); Robert Mondavi Winery c. Spagnol's Wine & Beer Making Supplies Ltd. (2001), 10 C.P.R. (4th) 331 (1re inst.)).

[9]         De plus, lorsqu'il sollicite l'autorisation de déposer des documents complémentaires, le demandeur doit démontrer que les éléments de preuve qu'il cherche à produire n'étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse. Une partie ne peut se servir de la règle 312 pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible (voir Salton Appliances (1985) Corp. c. Salton Inc. (2000), 181 F.T.R. 146, 4 C.P.R. (4th) 491 (1re inst.); Inverhuron & District Ratepayers Assn. c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2000), 180 F.T.R. 314 (1re inst.)).


Je dois donc examiner les nouveaux documents et me demander s'ils serviraient les intérêts de la justice, s'il aideront la Cour et s'ils risquent de causer un préjudice grave aux défenderesses, au sens de préjudice auquel il ne peut être remédié par l'octroi de dépens. Il est inutile ici d'examiner la preuve au regard du quatrième critère pour déterminer si les documents supplémentaires étaient disponibles avant le contre-interrogatoire portant sur les affidavits, puisque le contre-interrogatoire n'a pas encore eu lieu.

[13]            J'ai déjà conclu que les documents que le demandeur souhaite déposer ne sont pas pertinents et qu'ils n'ont pas d'utilité potentielle pour la Cour. Ces documents ne serviront donc pas les intérêts de la justice et ne seront pas utiles pour la Cour.

[14]            Il n'y a aucun rapport entre les nouveaux documents et la demande de contrôle judiciaire et cette situation risque fort d'entraîner un préjudice important sinon grave pour les défenderesses, parce que je conçois mal comment elles pourraient réagir à des documents non pertinents et litigieux, dont certains cadrent nullement avec le contexte de la présente demande. Ce genre de difficulté constitue un préjudice auquel il ne peut être remédié par l'octroi de dépens. Dans le contexte de l'article 312 des Règles, la demande d'autorisation visant le dépôt d'un affidavit en sus de ce que prévoit l'article 306 des Règles est donc rejetée.

[15]            La requête visant le dépôt d'un affidavit supplémentaire ou complémentaire, selon la façon dont la question est perçue, est rejetée.


[16]            Les défenderesses, qui demandent les dépens, auront droit à des dépens de 400 $, payables immédiatement.

                  « John A. Hargrave »     

                                                                                                                   Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 3 janvier 2003

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Tra.


                          COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIERS

REQUÊTE TRAITÉE PAR ÉCRIT SANS LA COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                              T-1209-02

INTITULÉ :                           François Alain Moussa c. Commission de la fonction publique et Commission de l'immigration et du statut de réfugié

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le protonotaire Hargrave

DATE :                                Le 3 janvier 2003

OBSERVATIONS ÉCRITES :

François Alain Moussa                 LE DEMANDEUR pour son propre compte

Keith J. Richardson                   POUR LES INTIMÉES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

François Alain Moussa                 LE DEMANDEUR pour son propre compte

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris A. Rosenberg                   POUR LES DÉFENDERESSES

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

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