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     Date : 19981216

     Dossier : IMM-5464-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 DÉCEMBRE 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARC NADON

ENTRE :

     ROHINA MANEL JAYASUNDARA,

     ANURADHI OOLU JAYASUNDARA,

     PULASTHI JAYASUNDARA

     et BUDDHI JAYASUNDARA,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 " MARC NADON "

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19981216

     Dossier : IMM-5464-97

ENTRE :

     ROHINA MANEL JAYASUNDARA,

     ANURADHI OOLU JAYASUNDARA,

     PULASTHI JAYASUNDARA

     et BUDDHI JAYASUNDARA,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]      Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision en date du 18 novembre 1997 par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) leur a refusé le statut de réfugié au sens de la Convention.

[2]      Les demandeurs sont Rohina Manel Jayasundara, une femme âgée de 48 ans, et ses trois enfants, soit sa fille, Anuradhi Oolu (17 ans), et ses deux fils, Pulasthi (15 ans) et Buddhi (9 ans). Les quatre demandeurs sont des ressortissants du Sri Lanka. La demanderesse adulte (ci-après appelée la demanderesse principale) a accepté que les quatre demandes soient entendues ensemble. Les demandeurs revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention parce qu'ils craignent d'être persécutés par l'armée et la police sri-lankaises en raison de leur appartenance à un groupe socio-politique; en l'occurrence, ils sont la femme et les enfants d'un membre du parti Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) qui est recherché par les autorités du Sri Lanka à cause des opinions et des activités politiques qui lui sont attribuées.

[3]      Les deux motifs sur lesquels s'est fondée la CISR pour refuser aux demandeurs le statut de réfugié au sens de la Convention sont le manque de crédibilité de leur revendication et l'absence d'une crainte objective et fondée de persécution par les autorités sri-lankaises. En ce qui concerne le premier motif, la CISR déclare dans sa décision :

     [traduction] Il existe plusieurs incohérences internes entre le FRP et la déposition. Par exemple, [1] dans son FRP, l'intéressée mentionne que les personnes en vêtements civils qui l'ont interrogée et qui ont perquisitionné la maison après l'assemblée générale annuelle du JVP le 6 juillet 1996 appartenaient aux forces de sécurité sri-lankaises, mais ne se sont pas vraiment identifiées. Pendant son interrogatoire, toutefois, l'intéressée principale a clairement affirmé que ces personnes lui ont dit qu'elles appartenaient à l'armée. En outre, [2] quand l'avocat lui a demandé si elle avait une idée du contenu des deux dossiers qui ont été saisis quand la maison a été perquisitionnée, l'intéressée principale a répondu : [traduction] " Ils pensaient peut-être que c'était important, mais je ne sais pas. Peut-être que c'était quelque chose qui concernait l'organisation. " Pourtant, dans son FRP, que le tribunal a accepté comme témoignage sous serment, elle a dit que [traduction ] " pendant la perquisition, ils ont trouvé une partie des documents et des dossiers qui appartenaient au JVP ". Il existe une autre incohérence : [3] l'intéressée principale mentionne dans son FRP qu'elle n'a rien dit au sujet de son mari aux hommes qui se sont rendus chez elle, si ce n'est qu'il était allé voir des parents. Néanmoins, durant son témoignage, elle a affirmé qu'elle leur avait donné des renseignements assez précis sur l'assemblée, notamment le fait que même si son mari avait assisté à l'assemblée, il ne l'avait pas organisée puisque c'est le bureau central à Colombo qui s'en était chargé. Elle a reconnu avoir aussi informé ses " questionneurs " que des affiches avaient été distribuées pendant l'assemblée. Elle a dit qu'elle leur avait donné tous ces renseignements pour la seule raison qu'ils l'avaient menacée. Elle a également dit qu'ils lui avaient demandé si elle avait assisté à l'assemblée, et que si elle avait aidé le JVP, toute sa famille serait tuée. Lorsque l'agent d'audience lui a demandé pourquoi elle avait reconnu avoir fourni tous ces renseignements sur son mari, elle a répondu qu'elle craignait pour sa vie et celle de ses enfants et qu'elle voulait qu'ils (les forces de sécurité présumées) partent avant que ses enfants rentrent (de l'école).         
         Il existe une autre incohérence qui a fait naître de sérieux doutes dans l'esprit du tribunal, soit [4] la visite que l'intéressée principale aurait faite à un avocat à Colombo. Ce renseignement avait initialement été exclu du FRP et il a été ajouté au moyen de corrections apportées par l'avocat au début de l'audience. Durant son interrogatoire, l'intéressée principale a dit qu'un avocat avait refusé de l'aider à cause de ses liens avec le JVP, mais selon la lettre que l'avocat a soumise au tribunal au début de l'audience, l'avocat qui a envoyé la lettre en date du 3 juin 1997 mentionne clairement au dernier paragraphe que [traduction] " comme elle n'était pas en mesure d'identifier ou de nommer les membres présumés de l'armée, je ne pouvais pas intenter une poursuite ". Cette remarque est très différente de la version donnée à l'audience et, considérée avec les autres questions touchant la crédibilité soulevées dans le contexte de cette revendication, incite le tribunal à ne pas donner de poids au témoignage de l'intéressée principale en ce qui concerne la question de l'avocat.         
         Le tribunal conclut que ces incohérences cumulatives sont graves. Elles dénotent non seulement un manque de crédibilité, mais aussi des manières évasives qui amènent le tribunal à réfléchir sur la sincérité générale de l'intéressée principale et à mettre en doute l'intégrité de son récit pris dans son ensemble.         

[4]      La première incohérence reprochée se rapporte à l'identité des personnes qui ont questionné la demanderesse principale le 13 juillet 1996. Dans son feuillet de renseignements personnels (FRP), la demanderesse principale déclare que [traduction] " des personnes en vêtements civils qui, j'en suis sûre, appartenaient aux forces de sécurité sri-lankaises sont venues dans notre maison et ont demandé à voir mon mari ". Durant son interrogatoire, la demanderesse principale a dit ceci à propos du même événement : [traduction ] " [...] des personnes qui affirmaient appartenir à l'armée sont venues et ont dit qu'elles faisaient partie de l'armée, elles étaient habillées en vêtements civils. Elles sont venues et m'ont demandé où était mon mari? "

[5]      La CISR interprète la déclaration que la demanderesse principale a faite dans son FRP comme voulant dire que la certitude de celle-ci quant à l'identité des intrus ne tenait pas à des paroles qui lui ont été dites. Toutefois, la remarque qu'elle a faite durant son interrogatoire laisse à entendre qu'elle avait été informée de l'identité des intrus. La CISR a conclu qu'il s'agissait d'une incohérence. La demanderesse soutient que son FRP n'est pas incompatible avec le fait que les intrus se sont identifiés.

[6]      Il n'appartient pas à la Cour de dire quelle interprétation elle préfère, mais bien de décider si la conclusion de fait tirée par la CISR sur ce point était ou non raisonnable. La Cour conclut que cette conclusion n'est pas déraisonnable. La CISR pouvait valablement conclure que ces deux déclarations de la demanderesse principale étaient incompatibles et que cette incohérence portait atteinte à sa crédibilité.

[7]      En ce qui concerne la deuxième incohérence reprochée, soit le contenu des dossiers qui ont été saisis dans la maison des demandeurs, la demanderesse principale affirme dans son FRP que [traduction] " pendant la perquisition, ils ont trouvé une partie des documents et des dossiers qui appartenaient au JVP ". Durant son interrogatoire, la demanderesse principale a déclaré : [traduction ] " Je ne peux pas vraiment vous dire ce que contiennent ces dossiers, mais je pense en avoir vu deux. L'un était rose, l'autre était bleu. " En réponse à la question [traduction ] " Selon vous, que contenaient ces dossiers? ", la demanderesse principale a répondu : [traduction ] " Peut-être qu'ils croyaient que leur contenu était important, mais je ne peux pas vraiment vous dire quoi. Je ne sais rien. Je ne sais pas où ces dossiers se trouvaient. " En réponse à la question [traduction ] " À qui appartenaient-ils? ", la demanderesse principale a répondu : [traduction ] " Ces dossiers se trouvaient certainement dans ma maison, mais je ne sais pas, peut-être qu'il s'agissait de dossiers de l'organisation ". En réponse à la question [traduction ] " [...] saviez-vous en quoi consistaient ces documents? ", la demanderesse principale a répondu : [traduction ] " Je le savais, il s'agissait, le document du JVP est un très petit document, donc je savais qu'il s'agissait de documents du JVP [...] Par documents, j'entends les journaux. " L'agent d'audience a ensuite demandé : [traduction ] " Ont-ils trouvé des dossiers appartenant au JVP? ", et la demanderesse principale a répondu : [traduction ] " Je ne sais pas, il a pris, ils ont pris deux dossiers et je soupçonne qu'ils ont peut-être trouvé des dossiers du JVP, mais je ne peux pas vous le dire. " Dans un effort pour clarifier l'incohérence, l'agent d'audience a dit : [traduction ] " Je suis en train de lire votre Feuillet de renseignements personnels, et vous y dites que pendant la perquisition ils ont trouvé une partie des documents et des dossiers qui appartenaient au JVP. Par conséquent, quand je lis votre Feuillet de renseignements personnels, c'est comme si ces dossiers appartenaient au JVP. " La demanderesse principale a répondu : [traduction ] " Je le soupçonne, mais je ne peux [...] sinon ils n'auraient pas dû prendre quoi que ce soit, il n'y avait rien d'important. C'est peut-être cela. C'est ce que j'ai voulu dire. "

[8]      Il ressort clairement des extraits susmentionnés de la transcription que la CISR avait des motifs de mettre en doute la crédibilité de la demanderesse principale vu les explications différentes qu'elle a fournies à propos du contenu des dossiers qui ont été saisis chez elle. Selon moi, il n'y a pas lieu de modifier cette conclusion.

[9]      La troisième incohérence reprochée se rapporte aux renseignements que la demanderesse principale aurait communiqués sur son mari. Dans son FRP, elle affirme : [traduction] " Je leur ai dit qu'il était allé voir un parent et qu'il serait de retour dans la soirée [...] Ils m'ont demandé les noms des personnes qui avaient assisté à l'assemblée du 6 juillet. Je leur ai dit que je ne les connaissais pas [...] Avant de partir, ils m'ont menacée en me disant qu'ils me détruiraient moi et ma famille si je ne les aidais pas à trouver mon mari. " Durant son interrogatoire, la demanderesse principale a déclaré : [traduction ] " Je leur ai dit qu'il s'était rendu chez un parent puis ils ont demandé si une assemblée avait eu lieu ici et qui y avait assisté. Ils ont aussi demandé qui l'avait organisée, pourquoi elle avait eu lieu et qui était présent. Je leur ai dit qu'une assemblée avait eu lieu ici, que mon mari ne l'avait pas organisée, mais qu'il y avait participé. Et je leur ai dit que les gens qui sont venus de Colombo ont organisé cette assemblée, que ce sont ces personnes qui ont organisé l'assemblée. "

[10]      La déclaration qu'a faite la demanderesse principale dans son FRP n'est pas aussi complète que dans les réponses données durant son interrogatoire, mais cela ne crée pas forcément une incohérence. Toutefois, je suis d'avis que la CISR pouvait conclure, d'après la preuve, que cette différence quant aux détails portait atteinte à la crédibilité de la demanderesse principale. Par conséquent, je ne modifierai pas la conclusion de fait de la CISR sur ce point.

[11]      En ce qui concerne la quatrième incohérence reprochée, soit la visite que la demanderesse principale aurait faite à un avocat, la CISR pouvait, d'après la preuve, tirer la conclusion qu'elle a tirée.

[12]      Le deuxième point litigieux se rapporte aux documents présentés à l'appui d'une crainte objective de persécution par les autorités sri-lankaises. La partie pertinente de la décision de la CISR est la suivante :

     [traduction] Subsidiairement, même si le tribunal jugeait la preuve de l'intéressée principale digne de foi, il conclut que sa crainte de persécution n'a pas de fondement objectif.         
         Les documents qui nous ont été soumis montrent que les Cingalais sont majoritaires au Sri Lanka. Ils contrôlent le gouvernement, l'armée, la police et la majeure partie de l'île à l'exception de la partie nord et de certaines régions dans les provinces de l'Est qui sont encore sous le contrôle des Tigres libérateurs de l'Eelam Tamoul (TLET). Depuis que le JVP a cessé ses activités terroristes, la vie est généralement calme dans le sud.         
         Bien que le pays soit considéré comme une démocratie de longue date dotée d'un régime politique pluraliste et d'une presse indépendante, il y a eu des périodes où les libertés civiles ont été brimées et, parfois, suspendues. Ainsi, le JVP a été interdit au cours des années 80 et n'a retrouvé son statut de parti officiel qu'en 1991, après que ses principaux dirigeants eurent été détenus ou tués et après que les partisans qui restaient eurent renoncé à leurs activités terroristes. Par conséquent, les documents ne disent rien sur la période durant laquelle l'intéressée principale affirme que les partisans du JVP ont été persécutés par le gouvernement d'obédience PA. La Direction générale de la documentation, de l'information et des recherches (DGDIR) a été invitée à fournir des renseignements à jour sur le traitement que les autorités du Sri Lanka réservent aux membres d'une famille qu'elles soupçonnent de participation aux activités du JVP, et sa réponse est que malgré le peu de renseignements sur la question, ceux qui ont été obtenus ne permettent pas de croire qu'il existe une politique semblable au Sri Lanka à l'heure actuelle. Il ressort de ces renseignements que, dans les années 90, aucun cas de mauvais traitements envers des partisans du JVP ou des membres de leur famille n'a été signalé. De fait, dans un rapport préparé par la mission canadienne à Colombo, il est mentionné que [traduction] " rien ne permet de conclure que le JVP constitue actuellement une menace pour les citoyens tamouls ou cingalais ". Toutefois, le document de la DGDIR cite une dépêche de septembre 1995 de l'agence de presse Reuters selon laquelle [traduction ] " le JVP planifie une campagne d'opposition pacifique au plan de déconcentration du gouvernement.         
         Le tribunal n'a été saisi d'aucune autre preuve documentaire objective qui confirme cette action du JVP ou qui montre que le gouvernement a exercé des représailles quelconques. Dans les circonstances, nous n'avons aucune preuve convaincante que les partisans du JVP sont persécutés par les autorités du Sri Lanka. Le témoignage de l'intéressée principale contredit la documentation existante et, selon la prépondérances des probabilités, nous ne croyons pas ses dires.         

[13]      Les demandeurs ont présenté de nombreux documents à l'appui de leur revendication. La CISR a toutefois préféré s'appuyer sur les renseignements de la Direction générale de la documentation, de l'information et des recherches (DGDIR) selon lesquels dans les années 90, aucun cas de mauvais traitements envers des partisans du JVP ou des membres de leur famille n'a été signalé, et sur un rapport préparé par la mission canadienne à Colombo qui a consulté différentes sources et affirme que rien ne permet de conclure que le JVP constitue actuellement une menace pour les citoyens tamouls ou cingalais. De toute évidence, il existait des éléments de preuve au soutien de la conclusion de la CISR sur ce point. La question de savoir si la CISR aurait dû tirer une autre conclusion est autre chose. Peut-être que d'autres commissaires auraient " apprécié " la preuve documentaire différemment. Toutefois, les demandeurs ne m'ont pas convaincu que la CISR a commis une erreur révisable en concluant qu'ils n'étaient pas fondés à craindre d'être persécutés.

[14]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 " MARC NADON "

                                         JUGE

Ottawa (Ontario)

Le 16 décembre 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      IMM-5464-97

INTITULÉ :                          Rohina Manel Jayasundara et autres c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 26 août 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE NADON

EN DATE DU :                      16 décembre 1998

COMPARUTIONS :

Howard P. Eisenberg                      pour les demandeurs

Toby Hoffman                          pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adler & Eisenberg                          pour les demandeurs

Hamilton (Ontario)

Morris Rosenberg                          pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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