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Date : 20050118

Dossier : IMM-2770-04

Référence : 2005 CF 37

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

QAMAR NIGAR SHERWANI

et FAKHER KHAN

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                Il ne faut pas disséquer les décisions de première instance au scalpel[1] mais plutôt les examiner dans leur ensemble. Les causes où sont essentiellement en jeu des questions de fait ne justifient donc pas l'intervention de la Cour, à moins que les conclusions du juge des faits soient manifestement déraisonnables; par le terme « conclusions » , on entend celles qui ont été formulées eu égard à l'ensemble de la preuve, et il faut les lire en contexte.

LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[2] (LIPR), de la décision rendue le 2 mars 2004 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle elle a rejeté la revendication du statut de réfugié faite par les demanderesses en vertu de l'article 96, et aussi celle de « personne à protéger » faite en vertu du paragraphe 97(1) de la LIPR.

LE CONTEXTE

[3]                Les demanderesses, Mme Qamar Nigar Sherwani et sa fille, Fakher Khan, qui sont citoyennes pakistanaises, allèguent craindre avec raison d'être persécutées du fait de leurs opinions religieuses.


[4]                En mars 2001, Mme Sherwani et son mari ont participé à une manifestation contre l'assassinat de shiites. À cette occasion, son mari a publiquement condamné ces meurtres. Le 18 septembre 2001, son mari a organisé un majlis au domicile d'un membre. Ce soir-là, des coups de feu ont été tirés à l'extérieur de leur domicile par des membres du Sipah-e-Sahaba Pakistan (SSP). Mme Sherwani, son mari et ses deux fils ont été battus. La police a refusé de recevoir leur plainte.

[5]                Mademoiselle Khan s'est liée d'amitié avec Aisha, la fille de l'imam sunnite local. Le 18 janvier 2002, Aisha a assisté à un majlis au domicile de Mme Sherwani. Le 25 janvier 2002, le père d'Aisha et des membres du SSP se sont rendus au domicile de Mme Sherwani, où elle a été brutalisée, ainsi que son mari. Pour cette raison, le mari de Mme Sherwani et ses deux fils se sont cachés.

[6]                Le 10 février 2002, des voyous du SSP se sont rendus au domicile de Mme Sherwani. Ils ont menacé d'enlever Mademoiselle Khan qui avait, selon eux, « pourri » Aisha. Mme Sherwani et sa fille se sont cachées. Le SSP a menacé de les punir pour avoir corrompu une sunnite. Par conséquent, Mme Sherwani et sa fille se sont enfuies au Canada le 28 février 2002.

[7]                Après son arrivée au Canada, Mme Sherwani a appris que son mari et ses fils s'étaient cachés à Karachi et ensuite à Dubaï. Elle a aussi appris que son domicile et celui de son frère avaient fait l'objet de descentes de la police, qui voulaient arrêter la demanderesse et son mari. Des mandats d'arrestation ont été lancés contre eux le 29 mars 2002.


LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[8]                La Commission a conclu qu'il y avait des invraisemblances, des contradictions et des divergences entre les dépositions des demanderesses et la preuve documentaire. Elle a jugé que les explications fournies à ce sujet n'étaient pas satisfaisantes.

LA QUESTION EN LITIGE

[9]                1. Les conclusions de fait de la Commission étaient-elles manifestement déraisonnables?

ANALYSE

1. Les conclusions de fait de la Commission étaient-elles manifestement déraisonnables?

[10]            La Cour fait preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions de fait de la Section de la protection des réfugiés, notamment en ce qui a trait à la crédibilité des témoins. La Cour n'intervient que si ces conclusions sont manifestement déraisonnables [Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3]].


[11]            La Commission a donné un certain nombre de raisons à l'appui de sa décision de rejet de la demande d'asile. Premièrement, dans sa déposition, Mme Sherwani a déclaré qu'un rapport de renseignements préliminaires avait été enregistré contre elle le 1er mars 2002 et que, le 29 mars 2002, un mandat d'arrestation avait été enregistré contre elle. Cependant, ni dans son récit écrit ni dans la lettre de son avocat il n'est fait mention d'un rapport de renseignements préliminaires. Elle n'a pas pu non plus donner des précisions quant aux accusations. Dans sa déposition, Mademoiselle Khan a déclaré que son oncle maternel avait essayé d'obtenir ce rapport de renseignements préliminaires au Pakistan, mais sans succès. La Commission a signalé que, selon la documentation précisée[4], il était possible, dans certains cas, de se procurer des rapports de renseignements préliminaires des autorités. Mme Sherwani et Mademoiselle Khan n'ont pas paru très certaines de l'existence d'un rapport de renseignements préliminaires ayant été enregistré contre Mme Sherwani. Suite à leur témoignage, la Commission n'a pas cru qu'un rapport de renseignements préliminaires ait été enregistré contre Mme Sherwani.


[12]            Deuxièmement, il a été allégué que des mandats d'arrêt avaient été lancés contre Mme Sherwani et son mari le 29 mars 2002. Des copies certifiées des mandats envoyées à Mme Sherwani le 14 mars 2002 par son avocat au Pakistan ont été produites par les demanderesses avant l'audience. Au cours de celle-ci, Mme Sherwani a produit un document présenté comme étant la copie du mandat d'arrêt original lancé contre son mari; cependant, le dossier ne comporte aucune attestation. La Commission n'a pas jugé plausible que les autorités du Pakistan auraient établi une copie de l'original du mandat d'arrêt sans indiquer sur le document qu'il s'agissait, en fait, d'une copie. La Commission a donc conclu que le mandat d'arrêt relatif au mari était un faux et que, par conséquent, le mandat d'arrêt visant Mme Sherwani ne pouvait pas non plus être considéré comme authentique. La Commission a aussi pris en compte la preuve documentaire selon laquelle il est facile de se procurer des faux documents au Pakistan.

[13]            Troisièmement, la Commission n'a pas jugé vraisemblable que Mme Sherwani et sa fille, qui auraient joué un rôle de premier plan dans ce qui a été présenté comme la conversion d'Aisha, ne se soient pas cachées avec M. Sherwani et ses deux fils le 25 janvier 2002. Dans sa déposition, Mme Sherwani a déclaré que, ce jour-là, elle-même, son mari et sa fille avaient été brutalisés, ce qui donne à penser que Mme Sherwani était ciblée.

[14]            Quatrièmement, la Commission n'a pas jugé vraisemblable que le SSP, qui avait été proscrit par les autorités militaires en janvier 2002, ait été en collusion avec la police contre Mme Sherwani et sa fille en février 2002.

[15]            Cinquièmement, vu les antagonismes ethniques séculaires au Pakistan, la Commission n'a pas jugé vraisemblable que Mme Sherwani et sa famille auraient pris le risque de faire participer Aisha, une sunnite, la fille d'un imam sunnite, à un majlis à leur domicile.


[16]            Ayant énuméré les cinq conclusions de fait qui ont abouti au rejet, par la Commission, de la demande de Mme Sherwani et de Mademoiselle Khan, la Cour réitère le principe général suivant : les questions du poids à donner aux témoignages et de la crédibilité des témoins relèvent de la compétence de la Commission, qui est la mieux placée pour apprécier la crédibilité d'un revendicateur du statut de réfugié, et sa décision ne doit être infirmée que dans les cas les plus évidents [Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[5]]. En outre, les revendicateurs du statut de réfugié ne peuvent essayer de justifier devant la Cour, des éléments de leur déposition ou des documents qu'ils ont produits devant la Commission. Celle-ci a déjà étudié et rejeté les explications des demanderesses, qu'elle a rejeté au motif qu'elles étaient pas dignes de foi, ou vraisemblables [Muthuthevar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6]]. En somme, même si la Cour aurait pu en arriver à des conclusions différentes de celles de la Commission en ce qui concerne certains aspects de la cause, néanmoins, compte tenu d'un bon nombre de problèmes de crédibilité explicités par la Commission, elle ne peut conclure que la décision de la Commission était manifestement déraisonnable; elle n'interviendra donc pas.


[17]            Un dernier point reste à régler. Comme l'ont souligné les demanderesses, la Commission a confondu la Ligue musulmane pakistanaise (LMP) avec le Sipah-e-Sahaba (SSP) dans son sommaire des allégations des demanderesses. Elle a aussi fait quatre autres erreurs de fait de faible importance dans le même sommaire (concernant le lieu où le mari de Mme Sherwani et ses fils se cachent actuellement, le nombre de fils battus tel ou tel jour, le lieu où Mme Sherwani et sa fille se sont cachées avant de se rendre au Canada, la présence ou l'absence de membres du SSP à une certaine réunion au domicile de Mme Sherwani). Néanmoins, la Cour conclut que des erreurs de détail n'ont aucune incidence sur les conclusions générales tirées par la Commission quant à la vraisemblance des faits relatés et au manque de valeur probante de la preuve documentaire produite à l'appui de la demande. Le droit est bien fixé : la Cour ne doit pas examiner à la loupe les motifs de la Commission, et seules des erreurs importantes justifient son intervention [Miranda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[7], Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8], Mardones c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[9]]. En l'espèce, les erreurs relevées ne constituent pas des erreurs déterminantes qui amèneraient la Cour à infirmer la décision de la Commission.

CONCLUSION

[18]            Pour ces motifs, la Cour répond à la question en litige par la négative.Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n'y a aucune question à certifier.

                                                                                                                          _ Michel M.J. Shore _            

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B, B.C.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2770-04

INTITULÉ :                                                    QAMAR NIGAR SHERWANI

et FAKHER KHAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 13 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS DE

L'ORDONNANCE ET

DE L'ORDONNANCE :                               LE 18 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Jack B. Rosenfeld                                              POUR LES DEMANDERESSES

Lisa Maziade                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jack B. Rosenfeld                                              POUR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)

John H. Sims                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1] Miranda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993) 63 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.), [1993] A.C.F. no 437 (QL).

[2] L.C. 2001, ch. 27.

[3] (1999) 174 D.L.R. (4th) 165, au paragraphe 5 (C.A.F.).

[4] Annexe A-3, Relieur du bureau régional de Montréal, Section 10.3, PAK 29687.E, le 13 juillet 99.

[5] (1993) 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 4.

[6] [1996] A.C.F. no 207, au paragraphe 7 (C.F. 1re inst.) (QL).

[7] Précité.

[8] 2002 CFPI 1272, [2002] A.C.F. no 1724 (QL), au paragraphe 27.

[9] [1997] A.C.F. no 351 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 4.

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