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Date : 20030424

Dossier : IMM-5071-01

Référence : 2003 CFPI 504

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                             MEHDI NAGHASHIAN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 M. Mehdi Naghashian (le demandeur), de nationalité iranienne, voudrait vivre au Canada. En février 1999, il a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des entrepreneurs, avec l'intention d'exporter vers l'Iran des articles de chauffage et de réfrigération fabriqués au Canada. Le demandeur a subi une entrevue personnelle à l'ambassade du Canada à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, le 26 avril 2001. À la fin de l'entrevue, il a été informé que sa demande avait été refusée. Cette décision fut communiquée dans une lettre datée du 19 mai 2001, adressée par Dan Dragovich (l'agent des visas), dans laquelle l'agent des visas informait le demandeur que sa demande de résidence permanente au Canada était refusée parce qu'il n'était pas un entrepreneur au sens du paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, et modifications (le Règlement sur l'immigration). La lettre de refus a été finalement reçue par le demandeur le 2 octobre 2001. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]                 Dans sa lettre, l'agent des visas mentionne que sa décision était fondée sur le fait que le demandeur n'avait pas l'expérience de la gestion et manquait de connaissances sur le Canada. Plus précisément, l'agent des visas a relevé des contradictions concernant l'aptitude du demandeur à gérer une nouvelle entreprise, concernant son expérience et ses actifs, et concernant l'existence et l'origine de ses actifs déclarés. De plus, le demandeur n'a pu donner à l'agent des visas aucune information de base, soit sur l'aspect général des conditions socioéconomiques du Canada, soit sur l'aspect particulier des débouchés commerciaux au Canada, notamment les possibilités d'établissement d'une entreprise au Canada.

Point en litige

[3]                 Le demandeur soulève le point suivant :

1.          L'agent des visas a-t-il dénié au demandeur une évaluation juste et complète de sa demande?


Analyse

[4]                 Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que cette demande n'est pas recevable.

Question préliminaire : Norme de contrôle

[5]                 Une demande d'admission au Canada à titre d'immigrant suppose une décision discrétionnaire de la part de l'agent des visas, lequel doit rendre cette décision en se fondant sur des critères réglementaires précis. Si le pouvoir discrétionnaire conféré par la loi a été exercé de bonne foi et en conformité avec les principes de justice naturelle qui s'imposent, et s'il n'a pas été tenu compte de facteurs hors de propos ou étrangers à l'objet de la loi, alors la Cour ne peut intervenir (To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. n ° 696 (C.A.) (QL); Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2).

Point n ° 1 : L'agent des visas a-t-il dénié au demandeur une évaluation juste et complète de sa demande?

[6]                 Pour qu'un requérant puisse être considéré comme un entrepreneur, les deux conditions de la définition énoncée au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration doivent être remplies (Yeung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 792 (1re inst.) (QL)). Cette disposition est ainsi rédigée :



« entrepreneur » désigne un immigrant

a) qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à part l'entrepreneur et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, et

"entrepreneur" means an immigrant

(a) who intends and has the ability to establish, purchase or make a substantial investment in a business or commercial venture in Canada that will make a significant contribution to the economy and whereby employment opportunities will be created or continued in Canada for one or more Canadian citizens or permanent residents, other than the entrepreneur and his dependants, and

b) qui a l'intention et est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce;

(b) who intends and has the ability to provide active and on-going participation in the management of the business or commercial venture;


Intention et capacité d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante

[7]                 Le demandeur affirme que l'agent des visas ne s'est pas demandé s'il pouvait acheter une entreprise ou y investir une somme importante (Mak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 375 (1re inst.) (QL); So c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 6 (1re inst.) (QL)). Selon le défendeur, l'agent des visas s'est bien posé cette question, mais il n'a pas été convaincu que le demandeur avait les actifs qu'il prétendait avoir, et il a donc estimé que le demandeur n'était pas en mesure d'acheter une entreprise.


[8]                 Les mots « établir ou acheter une entreprise, ou y investir une somme importante » , dans la première partie de la définition de « entrepreneur » , sont disjonctifs et obligent l'agent des visas à évaluer séparément chacun des aspects (Mak, précité; So, précité). Cependant, si l'agent des visas ne se focalise pas sur l'aptitude du demandeur à acheter une entreprise ou à y investir une somme importante, il ne commet alors une erreur sujette à révision que si des faits permettent d'établir clairement une telle intention (Majeed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 742 (1re inst.) (QL); Dhamee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 109 (1re inst.) (QL)). Ici, le projet du demandeur concernait l'établissement d'une nouvelle entreprise au Canada, et non l'achat d'une entreprise déjà existante ni l'investissement d'une somme importante dans une entreprise existante. En conséquence, à mon avis, l'agent des visas n'était pas tenu d'examiner si le demandeur avait l'intention et la capacité d'acheter une entreprise ou d'y investir une somme importante.

[9]                 En tout état de cause, les notes du STIDI mentionnent que l'agent des visas a bien considéré la capacité du demandeur d'établir ou d'acheter une entreprise, ou d'y investir une somme importante. L'extrait suivant des notes du STIDI, à la page 6 du dossier certifié du tribunal, fait état des doutes de l'agent des visas à propos des actifs du demandeur :

[Traduction] J'AI INVITÉ LE DEMANDEUR À ME FOURNIR DES DOCUMENTS POUVANT EXPLIQUER SUFFISAMMENT LA PROVENANCE DE SES ACTIFS. LE DEMANDEUR A RÉPONDU QU'IL NE POUVAIT PAS PRODUIRE DE TELS DOCUMENTS, MAIS QUE LES ACTIFS ÉTAIENT LE RÉSULTAT DE SON TRAVAIL ANTÉRIEUR. J'AI DEMANDÉ AU REQUÉRANT S'IL GAGNAIT PLUS D'ARGENT IL Y A 10 ANS QUE MAINTENANT, ET IL A DIT OUI, MAIS IL NE POUVAIT PAS PRODUIRE DE RENSEIGNEMENTS. JE NE SUIS PAS SATISFAIT DE SON EXPLICATION. OU BIEN LE REQUÉRANT N'A PAS LES ACTIFS QU'IL DIT AVOIR, OU BIEN LES ACTIFS EN QUESTION NE PROVIENNENT PAS DE SES ACTIVITÉS COMMERCIALES OU INDUSTRIELLES LÉGITIMES.


[10]            Un examen des notes du STIDI dans leur intégralité révèle que l'agent des visas a invité plusieurs fois le demandeur à lui fournir explications, renseignements et documents supplémentaires sur ses actifs, mais le demandeur n'a pas été en mesure de les produire. Par conséquent, il était loisible à l'agent des visas de douter que le demandeur eût effectivement les actifs qu'il prétendait avoir. L'agent des visas n'a pas dit expressément si le demandeur avait la capacité d'acheter une entreprise ou d'y investir une somme importante, mais je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une erreur sujette à révision. Comme l'indique l'extrait ci-dessus, le demandeur n'a pu établir qu'il détenait les actifs qu'il prétendait avoir, et donc qu'il était en mesure d'en disposer. Par ailleurs, la définition de « entrepreneur » , au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration, renferme deux conditions, qui toutes deux doivent être remplies par le demandeur (Yeung, précité). Le demandeur ne répond pas à la deuxième condition de la définition, ce qui l'empêche d'obtenir un visa d'immigrant à titre d'entrepreneur, quand bien même il répondrait à la première condition de la définition.

Intention et capacité de participer d'une manière active et continue à la gestion de l'entreprise

(I)         Expérience de la gestion


[11]            Selon le demandeur, il était illogique pour l'agent des visas de dire qu'il n'avait pas l'expérience de la gestion étant donné qu'il avait été le propriétaire et l'exploitant d'une entreprise pendant plus de trente ans. Le demandeur affirme aussi que l'agent des visas n'a pas compris les chiffres produits par lui à propos de ses gains et bénéfices. Plus précisément, l'agent des visas n'aurait pas compris que la somme de 4 000 $ indiquée par le demandeur comme salaire mensuel brut était son salaire mensuel et non sa part des bénéfices. Par conséquent, cette somme n'avait pas à correspondre aux bénéfices annuels de 215 000 $.

[12]            À mon avis, il était loisible à l'agent des visas de dire que le demandeur n'avait pas démontré sa capacité de gérer une entreprise rentable, eu égard à ce qui suit :

           1.         Durant l'entrevue, le demandeur n'a pas été en mesure d'indiquer à l'agent des visas les détails touchant la position qu'il occupait dans l'entreprise, si ce n'est son affirmation selon laquelle il était en charge de la production;

           2.         Au soutien de sa conclusion selon laquelle le demandeur n'avait pas la capacité de gérer avec succès une entreprise commerciale au Canada, l'agent des visas s'est validement fondé sur le fait que le demandeur n'avait pu expliquer d'une manière satisfaisante ses actifs et les bénéfices tirés de son entreprise. Les notes du STIDI n'autorisent pas l'argument du demandeur selon lequel l'agent des visas a mal compris les chiffres fournis par le demandeur pour expliquer les gains et les bénéfices.

[13]            Par ailleurs, selon ce qu'indiquent les notes du STIDI, le demandeur n'a pu expliquer l'écart entre les divers chiffres produits. C'est là un facteur qu'il convient de prendre en compte pour savoir s'il pouvait participer d'une manière active et continue à la gestion de l'entreprise qu'il entendait lancer au Canada. De plus, la rentabilité de l'entreprise actuelle du demandeur est un facteur qui permettrait de dire si le demandeur a la capacité d'établir une entreprise et de participer activement à la gestion de cette entreprise (Yeung, précité; Lobzov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 1065 (1re inst.) (QL); Hui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 60 (1re inst.) (QL)). Par conséquent, l'agent des visas était fondé à s'en remettre à ces facteurs lorsqu'il a estimé que le demandeur n'avait pas la capacité de participer d'une manière active et continue à la gestion d'une entreprise.

(II)        Formation de technicien

[14]            Selon le demandeur, il était tout à fait injuste et déraisonnable pour l'agent des visas de rejeter son explication selon laquelle sa formation de technicien 40 ans auparavant avait été une formation acquise sur le tas. Il était également injuste et déraisonnable de la part de l'agent des visas d'exiger une preuve concordante.


[15]            À mon avis, il était loisible à l'agent des visas de rejeter l'explication du demandeur concernant cet aspect. Selon les notes du STIDI, le demandeur affirme qu'il a obtenu son emploi de technicien grâce à ses années d'expérience. Lorsqu'on lui a objecté que cet emploi était son premier emploi, le demandeur n'a pu expliquer de quelles années d'expérience il parlait.

(III)       Intention d'établir une entreprise au Canada

[16]            Selon le demandeur, l'affirmation de l'agent des visas selon laquelle le demandeur ne savait pas exactement ce qu'il entendait faire au Canada n'a absolument aucun sens. Le demandeur n'aurait pas présenté une demande dans la catégorie des entrepreneurs, ni attendu son entrevue durant plus de deux ans, s'il n'avait pas véritablement l'intention de faire des affaires au Canada. Le demandeur affirme aussi que l'agent des visas avait la conviction préconçue que le demandeur n'avait aucune intention de faire des affaires au Canada, en raison de son âge.

[17]            Je ne partage pas cette manière de voir. Il appartenait au demandeur de prouver qu'il répondait à la définition d'un entrepreneur, et un examen des notes du STIDI montre qu'il n'a pas apporté cette preuve. Il est loisible à la Cour de préférer la version de l'agent des visas à propos de ce qui est ressorti de l'entrevue, d'après ce que révèlent les notes du STIDI (Paracha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 1786 (1re inst.) (QL)).


[18]            La preuve n'autorise pas non plus l'argument du demandeur selon lequel l'agent des visas avait, en raison de l'âge du demandeur, des idées préconçues sur l'intention du demandeur d'établir une entreprise au Canada. Les notes du STIDI révèlent que l'agent des visas a considéré l'âge du demandeur comme l'un seulement des facteurs pertinents. L'agent des visas a aussi considéré l'incapacité du demandeur de parler l'anglais, son ignorance de la situation économique et commerciale actuelle du Canada, son manque de connaissances sur l'administration et la gestion, son manque d'instruction ou de formation de type classique, enfin le fait que les bénéfices commerciaux tirés de l'entreprise iranienne n'expliquaient pas les actifs du demandeur.

(IV)       Possibilité de dissiper les inquiétudes de l'agent des visas

[19]            Finalement, le demandeur affirme que l'agent des visas ne lui a pas donné une occasion juste et véritable de dissiper ses inquiétudes. L'agent des visas aurait dû permettre à son avocat, comme il l'avait demandé, d'aider le demandeur à dissiper les doutes de l'agent des visas.


[20]            Je ne partage pas cette manière de voir. L'agent des visas a rendu une décision sur la requête du demandeur après l'entrevue et il a immédiatement informé le demandeur de cette décision. L'avocat du demandeur ne s'est offert à produire des renseignements additionnels que le 9 août 2001, plus de trois mois après l'entrevue. Si le demandeur avait des renseignements additionnels à produire qui selon lui étaient nécessaires au soutien de sa requête, il aurait pu en informer l'agent des visas soit durant l'entrevue soit peu de temps après. D'ailleurs, l'agent des visas a invité plusieurs fois le demandeur, durant l'entrevue, à lui donner des explications et à produire d'autres renseignements; chaque fois, le demandeur n'a pas été en mesure de produire ces renseignements. En conséquence, le demandeur a bien eu l'occasion de répondre aux préoccupations de l'agent des visas, et le fait qu'il n'ait pas saisi cette occasion ne constitue pas une erreur de la part de l'agent des visas.

Question à certifier

[21]            Aucune des parties n'a proposé qu'une question soit certifiée.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que cette demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                   « Judith A. Snider »            

                                                                                                             Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                     IMM-5071-01

INTITULÉ :                    MEHDI NAGHASHIAN

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                 LE MERCREDI 16 AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                   MADAME LE JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS : LE JEUDI 24 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :

M. Mark Rosenblatt                                                pour le demandeur

Mme Alexis Singer                                                    pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rosenblatt et associés                                              pour le demandeur

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                   pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                    Date : 20030416

Dossier : IMM-5071-01

ENTRE :

MEHDI NAGHASHIAN

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                  défendeur

                                                                                     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                     

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