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Date : 20031201

Dossier : IMM-4221-02

Référence : 2003 CF 1399

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MICHEL BEAUDRY

ENTRE :

                                                                HABIB SULTAN

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                             

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 15 août 2002, de refuser au demandeur, Habib Sultan, le statut de réfugié au sens de la Convention.


[2]                Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il allègue craindre avec raison d'être persécuté du fait de sa religion et de son appartenance à un groupe social particulier. Sommairement, il invoque, à l'appui de sa demande, la crainte d'être persécuté par la police pakistanaise, ainsi que par des membres de l'organisation extrémiste musulmane sunnite Sipah-e-Sahaba du Pakistan (SSP) à cause de sa participation active au groupe minoritaire musulman chiite.

[3]                La Commission a évalué la demande relativement aux trois motifs de protection prévus par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. La Commission a rejeté la demande du demandeur pour des raisons de crédibilité. Après avoir évalué la preuve et présenté ses motifs détaillés, la Commission a conclu que le témoignage du demandeur n'était ni crédible ni digne de foi et que ce dernier n'avait présenté aucune preuve crédible permettant de conclure qu'il risquait d'être soumis à la torture ou d'être exposé à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités s'il retournait au Pakistan.

QUESTION EN LITIGE

[4]                Le tribunal a-t-il commis une erreur en décidant que le demandeur n'était pas crédible?

[5]                Pour les motifs suivants, la réponse à cette question est non et, par voie de conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

CONTEXTE


[6]                Le demandeur est un citoyen pakistanais âgé de trente-neuf ans qui fait partie d'une famille bien connue pour sa participation active aux activités communautaires et religieuses chiites. Il a été « Zakir » (il récitait les textes de la religion musulmane chiite) à l'Imambargah de sa région et il gagnait sa vie en exploitant les fermes de son père. Les musulmans chiites minoritaires et la majorité sunnite auraient vécu ensemble relativement paisiblement jusqu'en 1995, lorsque le SSP a installé son bureau administratif dans la région et qu'il a commencé à harceler les chiites.

[7]                Le demandeur a déclaré qu'à cause de ses activités religieuses et communautaires, il avait été victime de nombreux actes de persécution religieuse entre décembre 1995 et avril 2001, date de son départ du Pakistan. Il a mentionné notamment que des graffitis anti-chiites avaient été peints sur sa maison, qu'il avait reçu des coups et des menaces de mort, qu'on lui avait lancé des pierres et qu'il avait signalé ces gestes à la police qui n'avait apparemment rien fait.

[8]                Selon le demandeur, en novembre 2000, il a décidé, avec d'autres membres chiites, de construire un dispensaire à la mémoire de son grand-père et il a lancé une campagne de financement. Le père du demandeur a également fait don d'un lopin de terre pour le dispensaire. Selon le témoignage du demandeur devant la Commission, les militants SSP l'ont battu et ils ont menacé de le tuer s'il ne mettait pas fin à ses activités.


[9]                Le 13 mars 2001, ces incidents ont atteint leur point culminant lorsque des inconnus ont ouvert le feu sur lui et que la police a refusé d'accepter sa plainte, de même que sa demande de protection. Le 15 mars 2001, alors que le demandeur se trouvait à sa ferme, la police a investi son domicile en exigeant qu'il se présente au poste de police. Le demandeur s'est enfui à Islamabad pour éviter d'être arrêté par la police et, pendant qu'il s'y trouvait, la police a fait une descente chez lui, ainsi qu'au domicile d'autres membres de sa famille et, le 21 juin 2001, un mandat d'arrestation a été décerné contre lui.

ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[10]            Pour l'essentiel, le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en reposant sa décision concernant sa crédibilité sur des conclusions de fait erronées tirées de façon arbitraire sans tenir compte des éléments de preuve qui lui avaient été présentés.

ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[11]            Le défendeur soutient que la Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible à cause des nombreuses invraisemblances, contradictions et omissions que contenait son témoignage.

DÉCISION CONTESTÉE

[12]            La Commission a rejeté la demande d'asile du demandeur au motif que son témoignage n'était ni crédible ni digne de foi.

NORME DE CONTRÔLE


[13]            La présente demande n'est fondée que sur les conclusions de Commission en matière de crédibilité et de vraisemblance. La Commission est un tribunal spécialisé dans la détermination des demandes d'asile et elle a un accès direct aux déclarations du témoin; elle est donc habituellement la mieux placée pour évaluer la crédibilité des témoins. Par voie de conséquence, la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission en matière de crédibilité est la décision manifestement déraisonnable. Dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a dit au sujet du tribunal qu'est la section du statut de réfugié :

[...] Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et d'en tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. [...]

[14]            En conformité avec la décision Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1144 (1re inst.) (QL), au paragraphe 11, avant d'annuler une conclusion de la Commission en matière de crédibilité, il faut que l'un des critères suivants soit établi :

1.          la Commission n'a pas fourni de motifs valables à l'appui de sa conclusion selon laquelle le demandeur n'était pas suffisamment crédible;

2.          les inférences tirées par la Commission reposent sur des conclusions de non-plausibilité qui, selon la Cour, ne sont tout simplement pas fondées;

3.          la décision est fondée sur des inférences qui ne s'appuient pas sur la preuve; ou

4.          la conclusion relative à la crédibilité repose sur une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.

[15]            Les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité doivent donc faire l'objet du plus haut degré de retenue judiciaire et elles ne devraient être annulées qu'en conformité avec les critères susmentionnés. La Cour ne devrait pas substituer son opinion à celle de la Commission pour ce qui est de la crédibilité ou de la plausibilité, sans dans les « cas les plus manifestes » .

ANALYSE

[16]            Dans sa décision, la Commission a rejeté la demande du demandeur et elle a décidé qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger. En rendant sa décision, la Commission donne ses motifs détaillés et elle tient certainement compte des incidents décrits par le demandeur; elle va jusqu'à en énumérer plusieurs dans ses motifs. Au surcroît, la Commission ne fait pas qu'énumérer une série de faits, mais elle offre une analyse de la preuve avant de conclure que la discrimination à laquelle le demandeur fait face ne constitue pas cumulativement de la persécution et que le préjudice qu'il craint n'est pas suffisamment grave pour qu'il y ait négation de ses principaux droits de la personne s'il devait retourner au Pakistan. En fait, la Commission a dit, aux pages 4, 5 et 6 de sa décision :

[traduction] [...] Le demandeur ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombe d'établir, au moyen d'une preuve crédible ou digne de foi, qu'il est une personne à protéger.

[...]


Par exemple, les problèmes du demandeur que lui causent ses adversaires religieux et qui ont entraîné son départ du Pakistan semblent s'être exacerbés suivant la décision du demandeur et de certains des principaux membres de la communauté chiite, en novembre 2000, de construire un dispensaire dans son village. Le demandeur a été ciblé personnellement à cause notamment de sa participation active à la création d'un dispensaire, dans son village, et pour lequel son père a fait don d'un lopin de terre. Toutefois, le demandeur n'a pas présenté une preuve crédible que son père avait réellement fait don de la terre. Le demandeur a déclaré que, pour faire don d'un terrain, le donateur doit enregistrer le transfert auprès du bureau du _ registrateur _.

[...]

La participation du demandeur à la création du dispensaire était le motif principal invoqué dans sa demande puisqu'elle aurait entraîné le faux premier rapport d'information et l'intérêt de la police à son endroit allégués qui l'ont forcé à quitter le Pakistan. Le fait qu'il n'ait pas réussi à étayer cette déclaration au moyen d'une preuve crédible a beaucoup nui à sa crédibilité. Toutefois, en évaluant toute la preuve présentée, le tribunal a conclu que le demandeur n'était pas crédible quand il a dit qu'il avait été victime de harcèlement et d'agressions qui constituaient de la persécution de la part de ses adversaires religieux depuis 1995.

À mon sens, cette conclusion révèle que la Commission a non seulement examiné toute la preuve qui lui avait été soumise, mais qu'elle s'est également penchée sur la question de savoir si la crainte du demandeur équivalait cumulativement à de la persécution.

[17]            Le demandeur laisse également à entendre que, dans son analyse, la Commission a omis de tenir compte de certains faits tels que les démêlés du demandeur avec la police. Sur cette question, la juge Tremblay-Lamer a dit, dans la décision Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 85 F.T.R. 13 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 13 :

Ainsi donc, même si l'État veut protéger ses citoyens, un demandeur remplira le critère du statut de réfugié si la protection offerte est inefficace. Un État doit donner réellement de la protection, et non simplement indiquer la volonté d'aider. Lorsque la preuve révèle qu'un demandeur a connu de nombreux incidents de harcèlement ou de discrimination ou à la fois de harcèlement et de discrimination sans que l'État le défende efficacement, la présomption joue, et on peut conclure que l'État veut peut-être protéger le demandeur, mais qu'il ne peut le faire.

Pour établir une crainte fondée de persécution, le demandeur doit à la fois démontrer l'existence d'une crainte subjective et l'incapacité de l'État d'assurer sa protection.

[18]            Dans l'arrêt Ward c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême dit clairement qu'il appartient au demandeur de présenter une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État de le protéger. En l'espèce, la Commission fonde sa décision sur une preuve documentaire qui démontre la volonté du gouvernement de s'attaquer à la violence motivée par la religion et à la discrimination contre les minorités. Par exemple, la Commission a dit que : [traduction] « selon les documents disponibles, le gouvernement du Pakistan a toujours réagi rapidement aux actes de violence religieuse, même si ses actions n'ont pas réussi à mettre fin aux meurtres perpétrés pour des motifs religieux » .

[19]            Selon la preuve, puisque les problèmes semblent d'origine locale, d'autres solutions raisonnables étaient disponibles au demandeur, notamment de déménager dans une autre ville telle que Lahore ou Rawalpindi. De l'avis de la Commission, si le demandeur ne se sentait pas en sécurité à cause de ses activités, il aurait pu songer à s'éloigner, même temporairement, de la région où il se sentait en danger. La Commission était justifiée d'estimer que le demandeur disposait d'autres solutions puisque la protection de l'État a une portée beaucoup plus vaste que la seule protection de la police. En l'espèce, la demandeur ne m'a pas convaincu que la Commission avait commis une erreur en décidant que l'État était en mesure d'assurer une protection.

[20]            Selon moi, la Commission a tenu compte des faits en l'espèce comme il se doit et sa conclusion n'est pas manifestement déraisonnable.


[21]            Les avocats n'ont soulevé aucune question grave de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                              _ Michel Beaudry _            

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-4221-02

INTITULÉ :                            HABIB SULTAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 19 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           LE JUGE MICHEL BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :           LE 1ER DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Jean-François Bertrand              POUR LE DEMANDEUR

Annie Van Der Meerschen         POUR LE DÉFENDEUR        

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean-François Bertrand              POUR LE DEMANDEUR

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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