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Date : 20030312

Dossier : T-668-96

Référence : 2003 CFPI 297

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                                    MIL-DAVIE INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                 HIBERNIA MANAGEMENT AND DEVELOPMENT COMPANY LTD.

                                                                                                                                               défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                 La présente requête de la défenderesse, Hibernia Management and Development Company Ltd. (Hibernia), vise l'obtention d'un jugement sommaire, en vertu des articles 213 à 219 des Règles de la Cour fédérale (1998), à l'encontre de la demanderesse, Mil-Davie Inc. (Mil-Davie).

[2]                 La requête vise l'obtention d'une ordonnance en faveur de Hibernia :


i)           confirmant sa défense telle qu'énoncée aux paragraphes 27 à 33 et 35 de sa défense, au sujet des réclamations énoncées dans la déclaration, qui constituent en substance une plainte portant que la défenderesse a violé l'article 45 de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord atlantique Canada - Terre-Neuve, L.C. 1987, ch. 3 (la Loi fédérale sur l'Accord) et la Canada-Newfoundland Atlantic Accord Implementation Newfoundland Act, R.S.N. 1990, ch. C-2 (la Loi de Terre-Neuve sur l'Accord) (décrites collectivement ci-après comme les Lois sur l'Accord), et qu'en conséquence de la violation alléguée Hibernia peut être poursuivie par la demanderesse en dommages-intérêts;

ii)          concluant que la défenderesse n'a pas violé ses obligations en vertu de l'article 45 de la Loi fédérale sur l'Accord;

iii)          concluant que la demanderesse ne peut justifier une cause d'action civile simplement en alléguant le fait que la défenderesse n'aurait pas rencontré ses obligations en vertu des Lois sur l'Accord, ou du défaut allégué de la défenderesse de rencontrer ses obligations en vertu du plan de retombées Hibernia déposé auprès de l'Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers (l'Office), et approuvé par ce dernier en vertu des Lois sur l'Accord;

iv)         concluant que la défenderesse n'a pas d'obligations légales vis-à-vis un entrepreneur spécifique, comme la demanderesse, qui trouveraient leur source dans les Lois sur l'Accord et/ou dans le plan de retombées Hibernia;


v)          concluant que si de telles obligations trouvent leur source dans les Lois sur l'Accord ou dans le plan de retombées Hibernia, une violation de ces obligations ne constitue pas en soi une diminution inappropriée de la concurrence, ce qui serait une violation de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, et modifications; et

vi)         rejetant les réclamations de la demanderesse voulant que la défenderesse n'a pas respecté ses obligations en vertu de l'article 45 de la Loi fédérale sur l'Accord, que la défenderesse est passible de dommages-intérêts à verser à la défenderesse pour le non-respect de ses obligations en vertu des Lois sur l'Accord ou du plan de retombées Hibernia, et que le non-respect des obligations imposées par les Lois sur l'Accord ou par le plan de retombées Hibernia constitue une diminution inappropriée de la concurrence et une violation de la Loi sur la concurrence.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[3]                 Les questions en litige sont les suivantes :

i)           S'agissant des réclamations de la demanderesse dont j'ai fait état au paragraphe 2 qui précède, et au sujet desquelles la défenderesse cherche à obtenir un jugement sommaire en sa faveur, existe-t-il une véritable question litigieuse?


ii)          Si la Cour conclut qu'il y a une véritable question litigieuse, l'ensemble de la preuve soumise à la Cour permet-elle de trancher les questions de faits et de droit soulevées par la requête et serait-il juste de prononcer un jugement sommaire dans les circonstances?

iii)          Si les éléments portés à la connaissance de la Cour lui permettent de prononcer un jugement sommaire et qu'un tel procédé soit juste dans les circonstances, les questions suivantes restent à régler :

a)          La défenderesse a-t-elle fait défaut de respecter ses obligations en vertu de l'article 45 de la Loi fédérale sur l'Accord?

b)         La demanderesse peut-elle justifier une cause d'action civile qui se fonderait seulement sur le défaut allégué de la défenderesse de respecter ses obligations en vertu des Lois sur l'Accord et/ou en vertu du plan de retombées Hibernia?

c)          Y a-t-il des obligations juridiques qui incombent à la défenderesse vis-à-vis un entrepreneur donné, comme la demanderesse, qui trouvent leur source dans les Lois sur l'Accord et/ou dans le plan de retombées Hibernia?

d)         Si de telles obligations juridiques existent, le défaut de les respecter constitue-t-il en soi une diminution inappropriée de la concurrence et, par conséquent, une violation de la Loi sur la concurrence?


LE CONTEXTE

[4]                 Mil-Davie est une société constituée légalement qui possède un chantier naval à Lauzon (Québec).

[5]                 Hibernia est une société dûment constituée en vertu des lois du Canada. La défenderesse se livre à l'exploration, à la mise en oeuvre et à la production de ressources pétrolières dans le champ pétrolier Hibernia, au large des côtes de Terre-Neuve.

[6]                 Mil-Davie a présenté une réclamation à l'encontre de Hibernia suite à la décision de cette dernière d'accorder à un tiers, Saint John Shipbuilding Limited (Saint John Ltd.), un contrat pour terminer la construction des modules de forage M71 et M72, qui font partie de la plate-forme de production extracôtière de Hibernia. Mil-Davie avait participé sans succès à l'appel d'offres pour le contrat original de construction des modules de forage M71, M72 et M73. Le contrat original avait été octroyé par Hibernia à un chantier naval de Terre-Neuve appartenant à Vinland Industries Ltd. (le chantier naval Vinland), qui n'a pas terminé le travail dans les délais prévus au contrat.


[7]                 Mil-Davie soutient que la décision de Hibernia d'accorder le contrat à Saint John Ltd. a été prise sans que l'on ait procédé à un appel d'offres, de mauvaise foi, dans une intention délictueuse et en violation de la Loi sur la concurrence, de la Loi fédérale sur l'Accord, de la Newfoundland Accord Act et du plan de retombées Hibernia.

[8]                 Les Lois sur l'Accord constituent un cadre réglementaire fédéral-provincial complet pour l'exploration pour le pétrole et le gaz dans les zones extracôtières et pour la gestion de leur production. Une des composantes fondamentales de ce régime est la création de l'Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, qui est chargé de gérer les Lois sur l'Accord et d'en assurer le respect.

[9]                 L'article 45 de la Loi fédérale sur l'Accord exige de tout promoteur comme Hibernia qu'il soumette un plan de retombées économiques à l'Office pour examen et approbation dans le cadre du processus d'approbation de toute mise en valeur, et ce avant que l'Office ne donne son aval. Le plan de retombées économiques doit faire état du recours à la main-d'oeuvre canadienne, et plus particulièrement terre-neuvienne. Le plan de retombées économiques doit aussi indiquer comment les industriels, les conseillers, les entrepreneurs et les sociétés de services de Terre-Neuve et ailleurs au Canada se verront offrir la juste possibilité de participer, dans des conditions de libre concurrence, à la fourniture des biens et services nécessaires. Par conséquent, en cas de non-respect d'une clause ou condition du plan de retombées économiques, l'Office peut révoquer ou suspendre tout permis d'exploitation ou toute autre autorisation.


[10]            En conformité des obligations que lui imposent les Lois sur l'Accord, Hibernia a soumis un plan de retombées économiques à l'Office, qui a été approuvé. Cette approbation a autorisé Hibernia à confier au chantier naval Vinland la construction des modules de forage M71, M72 et M73. Lorsque le chantier naval Vinland n'a pu respecter ses obligations contractuelles envers Hibernia, la défenderesse a accordé le contrat pour terminer les travaux à Saint John Ltd., sans utiliser un appel d'offres et sans la participation de l'Office, le tout au détriment des intérêts de Mil-Davie.

LES RÉCLAMATIONS DE MIL-DAVIE

[11]            Premièrement, bien que la déclaration n'énonce pas clairement les réclamations en cause, il semble que Mil-Davie soutienne que Hibernia aurait violé l'article 45 de la Loi fédérale sur l'Accord et/ou le plan de retombées économiques approuvé par l'Office et, en accordant le contrat pour terminer les travaux à Saint John Ltd. sans appel d'offres, la demanderesse n'aurait pas reçu la juste possibilité d'obtenir ce contrat. De plus, il semble que Mil-Davie soutienne que Hibernia doit respecter certaines obligations juridiques envers elle, en vertu des Lois sur l'Accord ou du plan de retombées économiques.


[12]            Deuxièmement, Mil-Davie soutient qu'en accordant le contrat pour compléter les travaux à Saint John Ltd., Hibernia a violé l'article 45 de la Loi sur la concurrence. La demanderesse s'appuie sur le recours spécial prévu à l'alinéa 36(1)a) de cette Loi pour justifier sa réclamation. (Voir les paragraphes 10 et 11 du mémoire de Mil-Davie.)

[13]            Troisièmement, bien que la chose ne soit pas claire même après un examen approfondi de la déclaration, il semble que Mil-Davie soutienne que Hibernia n'a pas agi de bonne foi. On trouve des allégations voulant que Hibernia aurait utilisé des pratiques commerciales restrictives menant à une diminution inappropriée de la concurrence, qui seraient liées aux obligations que Hibernia serait tenue de respecter en faveur de Mil-Davie, le tout en vertu des Lois sur l'Accord et du plan de retombées économiques.

[14]            Finalement, Mil-Davie réclame des dommages-intérêts pour perte de profits et pour perte de contribution à ses frais généraux (6 500 000 $), imputables au fait qu'elle n'a pas obtenu le contrat pour terminer les travaux. Afin d'avoir gain de cause à ce sujet, Mil-Davie devait pouvoir démontrer que Hibernia avait une obligation juridique de lui accorder le contrat pour terminer les travaux ou, du moins, de lui accorder la possibilité de participer à un appel d'offres pour obtenir ce contrat. La demanderesse soutient que cette obligation juridique est fondée sur le fait que Hibernia n'aurait pas respecté l'article 45 de la Loi fédérale sur l'Accord, non plus que le plan de retombées économiques.


[15]            Mil-Davie réclame aussi des dommages-intérêts punitifs et exemplaires (5 millions de dollars). Afin d'assumer le fardeau qui lui revient à ce sujet, la demanderesse devra prouver l'existence de mauvaise foi, ainsi que le fait que certaines des actions de Hibernia étaient contraires aux obligations que lui imposent les Lois sur l'Accord et le plan de retombées économiques.

[16]            De plus, Mil-Davie demande 5 millions de dollars de dommages suite à l'atteinte à sa réputation que constitue le traitement qu'elle a reçu de Hibernia.

[17]            Mil-Davie soutient qu'il y a bon nombre de faits en litige qui mettent en cause la crédibilité des témoins, ces derniers devant donc être entendus.

LE REQUÊTE DE HIBERNIA

[18]            Se fondant sur les articles 213 à 219 des Règles de la Cour fédérale, Hibernia soutient qu'elle n'a pas violé ses obligations en vertu de l'article 45 de la Loi fédérale sur l'Accord et donc que la Cour doit recevoir sa défense, telle qu'énoncée aux paragraphes 27 à 33 et 35 de sa défense.


[19]            Hibernia est d'avis qu'il n'existe pas de cause civile d'action qui se fonderait sur l'allégation voulant que Hibernia n'a pas satisfait à ses obligations en vertu des Lois sur l'Accord ou du plan de retombées économiques, et que, de toute façon, les Lois sur l'Accord et/ou le plan de retombées économiques ne créent aucune obligation envers un entrepreneur donné, comme Mil-Davie.

[20]            Subsidiairement, Hibernia soutient que même s'il existait de telles obligations juridiques dans les Lois sur l'Accord et/ou dans le plan de retombées économiques, leur violation ne constituerait pas une diminution inappropriée de la concurrence, ni une violation de la Loi sur la concurrence et donc ne pourrait justifier l'octroi de dommages-intérêts en droit.

[21]            Hibernia est d'avis que la Cour n'a pas à trancher des questions litigieuses pour régler cette requête et que la crédibilité des témoins n'est pas en cause. Selon Hibernia, les éléments présentés à la Cour suffisent à trancher toute question de faits ou de faits et de droit soulevée par cette requête.

LE DROIT ET LA JURISPRUDENCE EN MATIÈRE DE JUGEMENT SOMMAIRE

[22]            Dans Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. S.A., [1996] 2 C.F. 853 (C.F. 1re inst.), décision confirmée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., 2001 C.A.F. 11, [2001] A.C.F. no 400 (C.A.F.), le juge Tremblay-Lamer a fait un examen très pratique de la jurisprudence et elle a énoncé ainsi les principes généraux applicables à une requête pour obtenir un jugement sommaire (au paragraphe 8) :

« J'ai examiné toute la jurisprudence se rapportant aux jugements sommaires et je résume les principes généraux en conséquence :


1.             ces dispositions ont pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire (Old Fish Market Restaurants Ltd. c. 1000357 Ontario Inc. et al., [1994] A.C.F. no 1631, 58 C.P.R. (3d) 221 (C.F. 1re inst.));

2.             il n'existe pas de critère absolu [...], mais le juge Stone, J.C.A. semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie [(1990), 75 O.R. (2d) 225 (Div. gén.)]. Il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;

3.             chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien [...];

4.             les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario [R.R.O. 1990, Règl. 194]) peuvent faciliter l'interprétation [...];

5.             saisie d'une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire [...];

6.             le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire [...];

7.             lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès [...] L'existence d'une apparente contradiction de preuves n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit « se pencher de près » sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher. [...]

[23]            Dans Radil Bros. Fishing Co. Ltd. c. Sa Majesté La Reine (1998), 158    F.T.R. 313, aux paragraphes 14 et 15, le juge Rouleau a expliqué que s'agissant d'une requête pour obtenir un jugement sommaire, dans la mesure où il existe une question litigieuse véritable en matière de faits essentiels, on n'a pas à se pencher sur la force ou la faiblesse de la réclamation ou de la défense :


Les dispositions en matière de jugement sommaire contenues dans les Règles de la Cour fédérale visent à permettre à la Cour de statuer sommairement sur les affaires qui, selon elle, ne devraient pas être instruites parce qu'il n'existe aucun différend factuel véritable entre les parties. C'est une décision qui doit être prise en fonction des circonstances particulières de chaque affaire et en fonction du droit et des faits invoqués au soutien de la déclaration ou de la défense.

Une requête en jugement sommaire ne vise pas à remplacer un procès et ne devrait pas être considérée comme telle. Le juge des requêtes qui doit décider si un procès est inutile et ne servirait à rien a un rôle restreint et doit se garder d'agir comme un juge de première instance et de se prononcer sur les questions en litige. Dans la mesure où il existe une question litigieuse véritable en ce qui concerne les faits essentiels, la force ou la faiblesse de la réclamation ou de la défense contestée importe peu. L'affaire devrait être instruite pour que le litige puisse être tranché par le juge de première instance. Par conséquent, un jugement sommaire devrait être prononcé uniquement dans les cas les plus évidents.

Comme le mentionne le juge Rouleau, en matière de jugement sommaire un juge doit l'accorder dans la mesure où il lui semble évident que la conclusion est claire au vu de la situation de faits et de droit qui lui est présentée.

[24]            S'agissant de la question des faits qui seraient liés à la crédibilité des témoins, le juge Evans (alors à la Section de première instance) déclare ceci dans F. Von Langsdorff Licensing Ltd. c. S.F. Concrete Technology Inc., [1999] A.C.F. no 526 (C.F. 1re inst.) (au paragraphe 10) :

« Une requête en jugement sommaire n'est cependant pas la procédure appropriée lorsqu'il s'agit de trancher des questions de fait qui portent sur la crédibilité ou qui nécessitent le genre d'évaluation des éléments de preuve contradictoires qui relève légitimement du juge du procès. »

[25]            Ayant examiné une partie de la jurisprudence qui porte sur les requêtes pour obtenir un jugement sommaire, je vais maintenant examiner les deux questions suivantes :


1.         Les réclamations de Mil-Davie et la position de Hibernia soulèvent-elles une question sérieuse à instruire?

2.         S'il y a effectivement une question sérieuse à instruire, les éléments portés à la connaissance de la Cour sont-ils suffisants pour trancher les questions de faits et de droit soulevées dans la requête de Hibernia? Si oui, est-il raisonnable d'accorder un jugement sommaire dans les circonstances?

ANALYSE

1.         Les réclamations de Mil-Davie et la position de Hibernia soulèvent-elles une question sérieuse à instruire?

[26]            L'article 45 de la Loi fédérale sur l'Accord est rédigée comme suit :

45.    Définition

(1) Au présent article, est un plan de retombées le plan comportant comme objectif le recours à la main-d'oeuvre canadienne, et plus particulièrement, terre-neuvienne, et, sous réserve de l'alinéa (3)d), la juste possibilité pour les industriels, les conseillers, les entrepreneurs et les sociétés de services établis dans la province et ailleurs au Canada de participer, dans des conditions de libre concurrence, à la fourniture des biens et services nécessités par les activités en cause.

(2) Plan - Avant que ne soient approuvés les plans de mise en valeur visés au paragraphe 139(4) ou autorisées les activités visées à l'alinéa 138(1)b), est soumis à l'Office, sauf dispense par celui-ci, pour approbation un plan Canada Terre-Neuve de retombées économiques.

(3) Dispositions spéciales - Le plan de retombées contient des dispositions visant à garantir :

                 a)             que son auteur -- personne morale ou autre organisme -- établisse dans la province une instance décisionnelle avant le début des activités extracôtières;


                 b)             que, en harmonie avec la Charte canadienne des droits et libertés, la main-d'oeuvre locale ait priorité de formation et d'embauche dans le programme de travail visé et que toute convention collective conclue entre l'auteur et un syndicat sur les conditions de travail dans la zone extracôtière comporte des dispositions compatibles avec le présent alinéa;

                 c)             que des crédits soient affectés dans la province à la recherche-développement, à l'enseignement et à la formation;

                 d)             que priorité soit donnée aux biens et services provinciaux s'ils se comparent, en situation de libre concurrence, à ceux des autres marchés notamment quant au prix, à la qualité et aux conditions de fourniture.

(4) Programmes de promotion sociale - L'Office peut exiger qu'un plan de retombées contienne des mesures garantissant aux individus ou groupes défavorisés l'accès à la formation et à l'embauche, ou à leurs sociétés ou coopératives la possibilité de participer à la fourniture de biens et services nécessités par les activités en cause.

(5) Obligation - L'Office consulte les ministres fédéral et provincial sur la conformité du plan avec les objectifs énoncés aux paragraphes (1), (3) et (4).

(6) Instructions - L'Office peut approuver tout plan de retombées, sous réserve des instructions données sous le régime du paragraphe 42(1). [1992, ch. 35, art. 47]

[27]            Hibernia est d'avis que l'article précité ne lui impose aucune obligation envers Mil-Davie, et que seul l'Office est habilité, en vertu des Lois sur l'Accord, à imposer toute obligation qui pourrait exister dans le plan de retombées économiques qu'il a approuvé.

[28]            À l'appui de sa position, Hibernia renvoie à la décision du juge Osborn de la Cour supérieure de Terre-Neuve dans St. John's (City) c. Canada-Newfoundland Offshore Petroleum Board [1998] N.J. no 233 (N.L.S.C.T.D.), où l'on trouve ceci :

[traduction]

« Il n'existe pas d'obligation claire et absolue pour l'Office d'assurer la mise en oeuvre d'une condition liée à l'approbation d'un plan de retombées économiques et il s'ensuit qu'une telle obligation n'est due à personne et donc que personne... n'a le droit d'en exiger la mise en oeuvre. »


[29]            Je suis d'avis que la présente instance peut être distinguée de l'affaire précitée. Sans avoir à faire une recherche à cette étape des procédures pour déterminer si un tiers (tel que Mil-Davie) a un droit d'action s'il y a une violation des Lois sur l'Accord et/ou du plan de retombées économiques tel qu'approuvé, je fais remarquer que dans la décision précitée la demanderesse est la Ville de St. John's alors que dans la présente affaire il s'agit d'un chantier naval. De plus, Mil-Davie a eu par le passé des relations avec Hibernia puisqu'on l'a évaluée comme fournisseur potentiel dans le cadre du processus d'appel d'offres pour le contrat initial, ce qui n'est pas le cas de la Ville de St. John's.

[30]            De plus, l'article 45 de la Loi fédérale sur l'Accord traite spécifiquement des fournisseurs de services comme Mil-Davie et il leur accorde la juste possibilité de participer à un projet dans des conditions de libre concurrence, ce qui n'est pas le cas pour la Ville de St. John's.

[31]            Les faits admis par les deux parties donnent l'impression que les exigences d'équité et que le droit de participer dans des conditions de libre concurrence dans tout contrat, tels que prévus à l'article 45 de la Loi fédérale sur l'Accord, n'ont pas été respectés par rapport à Mil-Davie. Ceci étant, je ne veux pas dire que Mil-Davie a automatiquement un droit d'action ou qu'il y a eu violation des articles 36 et 45 de la Loi sur la concurrence.


[32]            Bien que je constate que la défense de Hibernia semble bien fondée, je ne suis pas dans une situation qui me permet d'évaluer les chances de succès de ses arguments. Comme le juge Rouleau a conclu dans Radil, précité, dans la mesure où il semble y avoir des arguments juridiques, alors on doit convenir de l'existence d'une question litigieuse véritable et les chances de réussite ne doivent pas être prises en compte.

[33]            De plus, étant donné les objectifs de la Loi sur la concurrence, l'argument de Mil-Davie, selon lequel il y a eu une violation des articles 36 et 45 de cette Loi, ne peut être évalué au fond à cette étape-ci. Bien que la défense par rapport à l'allégation de violation se fonde sur des bases solides, je ne peux conclure qu'il est évident que cet argument est voué à l'échec.

[34]            Par conséquent, les arguments présentés par Mil-Davie soulèvent de véritables questions litigieuses.

2.         S'il y a effectivement une question sérieuse à instruire, les éléments portés à la connaissance de la Cour sont-ils suffisants pour trancher les questions de faits et de droit soulevées dans la requête de Hibernia? Si oui, est-il raisonnable d'accorder un jugement sommaire dans les circonstances?

[35]            Hibernia soutient que les faits nécessaires pour trancher la requête se trouvent tous dans la déclaration de Mil-Davie, dans les aveux de Hibernia que l'on trouve dans sa défense, dans les Lois sur l'Accord, dans les décisions de l'Office approuvant le plan de retombées économiques et dans les affidavits versés au dossier.


[36]            Hibernia soutient que la requête en jugement sommaire soulève des questions d'interprétation des lois, mais qu'il n'y a pas de questions relatives à la crédibilité des témoins qui exigeraient une audition devant le juge des faits.

[37]            De son côté, Mil-Davie soutient qu'il y a plusieurs facteurs litigieux entre les parties et que la crédibilité des témoins devra être évaluée par le juge des faits. Lors des plaidoiries, j'ai été informé que Mil-Davie avait l'intention de présenter au procès des témoignages qui exigeront une évaluation de la crédibilité de ces témoins.

[38]            J'ai examiné sérieusement les mérites potentiels de l'affaire, ainsi que les questions de crédibilité qui pourraient devoir être réglées, et je ne peux en minimiser la possibilité (Granville Shipping Commission. c. Pegasus Lines Ltd. S.A., [1996] 2 C.F. 853 (C.F. 1re inst.)).

[39]            Par conséquent, comme j'ai été informé par Mil-Davie que la crédibilité des témoins est importante et, comme la jurisprudence l'a déterminé lorsque des questions relatives à la crédibilité sont soulevées, je dois conclure que seul le juge des faits peut les trancher.

[40]            Pour les motifs que j'ai mentionnés et au vu des plaidoiries et des prétentions écrites de Mil-Davie, je ne peux conclure que les éléments qui me sont présentés suffisent à trancher les questions de droit ou les questions de faits et de droit.


[41]            Finalement, je ne peux terminer ces motifs sans indiquer que j'ai mes doutes quant au potentiel de succès des réclamations de Mil-Davie. Toutefois, le fait d'accorder la requête en jugement sommaire ne respecterait pas les critères établis par la jurisprudence dans l'interprétation des articles 213 à 219 des Règles de la Cour fédérale. En ma qualité de juge des requêtes, je ne considère pas avoir toute l'information disponible pour trancher l'affaire au fond. Si Mil-Davie a l'intention de poursuivre l'affaire, je suis d'avis que les intérêts de la justice seraient mieux servis si le juge des faits est saisi de toute la preuve.

[42]            Comme je l'ai mentionné à l'audience, la question de compétence pourrait être abordée à nouveau par le juge des faits. Il n'est donc pas nécessaire que j'en discute dans le cadre de cette requête.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

La requête en jugement sommaire est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                                         « Simon Noël »             

                                                                                                             Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                        T-668-96

INTITULÉ :                       MIL DAVIE INC. c. HIBERNIA MANAGEMENT

AND DEVELOPMENT COMPANY LTD.

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                ST. JOHN'S (TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 17 DÉCEMBRE 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :     Le 12 mars 2003

COMPARUTIONS :

MICHEAL HARRINGTON ET                                     POUR LA DEMANDERESSE

MAUREEN RYAN

JEAN RIOU                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STEWART MCKELVEY STIRLING SCALES           POUR LA DEMANDERESSE

ST. JOHN'S

MORISSET VAILLANCOURT BERNIER     POUR LA DÉFENDERESSE

SAINTE-FOY


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