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Date : 20030721

Dossier : T-994-03

Référence : 2003 CF 902

ENTRE :

GLENN ALEXANDER ROSS

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                                                                                  défenderesse

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]         La Couronne, par voie de requête et en invoquant la règle de la chose jugée, réussit à faire rejeter en l'espèce la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, Glenn Ross, qui cherchait à empêcher le ministre du Revenu national de faire exécuter contre lui l'action en recouvrement visant les années d'imposition 1989 et 1990. Le demandeur espérait y arriver en obtenant des jugements déclaratoires établissant non seulement que le ministre n'avait pas le droit de faire un certificat relatif à la dette fiscale et que le certificat du 30 septembre 1999 était nul, mais aussi que l'enregistrement du certificat à la Cour fédérale était nul de nullité absolue.


[2]         La Couronne a aussi demandé qu'il soit interdit à M. Ross d'intenter d'autres actions devant la Cour tant qu'il n'aura pas payé tous les dépens auxquels il a déjà été condamné. Sa demande est accueillie mais, bien entendu, il n'est pas interdit à M. Ross de faire appel de la présente décision. Il ne s'agit pas non plus d'une interdiction absolue comme celle découlant de l'application de l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale visant les poursuites vexatoires.

[3]         En outre, la Couronne peut avoir taxé les dépens de la présente requête sur la base avocat-client à titre d'indemnité.

EXAMEN DE LA QUESTION

[4]         La Couronne soutient que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée à la fois parce que la réparation demandée n'existe pas et parce que le principe de l'autorité de la chose jugée s'applique clairement au fait de revenir sur les années d'imposition 1989 et 1990 et sur le certificat établi au sujet de la dette fiscale.

Action en recouvrement d'impôt


[5]         La présente demande de contrôle judiciaire, purgée de tout ce qui n'est pas pertinent, a été présentée en vue d'empêcher le ministre du Revenu national de percevoir un impôt considérable dû pour les années d'imposition 1989 et 1990 du demandeur. Le montant de la dette fiscale figure dans les avis de nouvelle cotisation établis le 25 mai 1993 pour ces années d'imposition. Suite à ces avis, M. Ross a déposé un avis d'opposition, mais le 3 janvier 1995, les cotisations ont été confirmées et M. Ross n'a pas interjeté appel de cette décision. Veuillez vous reporter à l'exposé des faits de Madame le juge Dawson dans une instance antérieure opposant les mêmes parties, à la même fin, Ross c. Canada, 2002 CFPI 401, 2002 DTC 6884 aux pages 6885 et suivantes.

[6]         Cette procédure de réalisation a eu comme premier résultat d'empêcher le ministre de commencer à percevoir l'impôt dû selon l'avis de nouvelle cotisation avant d'avoir confirmé l'opposition à l'avis de cotisation. La loi prévoit une nouvelle période de grâce de 90 jours après la confirmation du ministre. En l'espèce, au terme de cette période, le 3 avril 1995, le ministre a pu prendre diverses mesures, notamment établir un certificat en vertu de l'article 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu qui autorise le ministre à enregistrer ce certificat à la Cour. Or, l'enregistrement produit le même effet que s'il s'agissait d'un jugement rendu par la Cour (voir les paragraphes 225.1(1) et 223(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu). Comme le fait remarquer le juge Dawson dans la décision Ross (précitée), le ministre avait six ans, à compter de 1995, pour enregistrer le certificat et le ministre l'a fait le 30 septembre 1999, donc dans les délais.


[7]         Je souligne ici une incohérence dans l'avis de demande de contrôle judiciaire déposé par M. Ross le 13 juin 2003. La demande renvoie à un avis de nouvelle cotisation datée du 2 juin 2003, mais traite ensuite exclusivement d'un recours visant les années d'imposition 1989 et 1990, en soutenant que le certificat de la dette est nul et que son enregistrement est nul de nullité absolue.

[8]         Il ne faut pas oublier non plus qu'il faut en appeler d'une cotisation conformément aux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu et, éventuellement, si on le veut, devant la Cour canadienne de l'impôt (voir les articles 165 et 169 de la Loi de l'impôt sur le revenu, de même que l'arrêt Optical Recording Laboratories Inc. c. Canada, [1991] 1 C.F. 309; (1990) 90 DTC 6647 aux pages 6652 et suivantes (C.A.). D'après cette analyse, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée faute de compétence; en outre, cela constitue une procédure abusive parce que c'est un moyen de contester les cotisations d'impôt à payer pour les années 1989 et 1990 et le certificat, en présentant une demande de contrôle judiciaire plus de trois ans après l'enregistrement d'un certificat à la Cour fédérale en 1999; or, le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale fixe à 30 jours le délai de prescription d'une telle demande.

Application du principe de l'autorité de la chose jugée


[9]         Il y a un autre motif plus convaincant de rejeter la demande. Il se fonde sur le principe de la chose jugée et remplit nettement le critère établi dans l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.) : la demande « est manifestement irréguli[ère] au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli[e] » , sauf si c'est l'exception qui confirme la règle.

[10]       Dans la décision Ross (précitée), qui a été rendue après l'arrêt Markevich c. Canada, [2001] 3 C.F. 449 de la Cour d'appel fédérale, le procureur de la Couronne n'a pas obtenu que l'audition de la cause soit ajournée en attendant que la Cour suprême du Canada entende l'affaire Markevich. La Cour suprême du Canada a statué en appel qu'elle souscrivait aux conclusions auxquelles était parvenue la Cour d'appel fédérale. Pourtant, la cour est tenue d'appliquer la loi telle qu'elle est et non telle qu'elle devrait être. De plus, elle doit instruire les instances au moment où elles sont introduites : voir par exemple Huseyinov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 174 N.R. 233 à la page 234 (C.A.F.). Je reviendrai ci-après sur cette obligation d'appliquer la loi telle qu'elle existe au moment où une affaire est jugée lorsque j'appliquerai le principe de la chose jugée à la présente instance. De toute façon, le juge Dawson, dans Ross (précitée), a statué que la dette de M. Ross, pour laquelle un certificat avait été déposé, n'était pas prescrite ni éteinte et, de surcroît, qu'une demande formelle de paiement adressée directement à l'épouse de M. Ross le 16 mai 2001 avait été délivrée en bonne et due forme. Le juge Dawson a ordonné que les dépens de la Couronne soient taxés conformément à la colonne III des Règles de la Cour fédérale. L'officier taxateur est arrivé au montant de 1 112,93 $ que M. Ross a approuvé.


[11]       La Cour d'appel fédérale a confirmé la décision rendue par le juge Dawson dans l'affaire Ross. Les dépens à la Cour d'appel ont été adjugés à la Couronne et s'élevaient à 1 056,40 $, somme que M. Ross a également approuvée.

[12]       Le 15 mai 2003, la Cour suprême du Canada a refusé d'autoriser le pourvoi contre la décision du juge Dawson et les dépens ont de nouveau été adjugés à la Couronne. Personne n'a mentionné la taxation des dépens ni un accord sur leur montant.


[13]       Une autre étape de la saga de M. Ross dont je vais parler, c'est la demande de contrôle judiciaire Ross c. Canada, numéro de dossier ITA-8972-99, que je vais appeler Ross 1999. Dans cette demande, M. Ross ne contestait pas directement la validité des avis de cotisation pour les années d'imposition 1989 et 1990; il soutenait plutôt qu'une partie de sa dette fiscale qui aurait été versée au gouvernement de la Colombie-Britannique s'il l'avait payée, avait en fait été payée volontairement par la Couronne fédérale. Cette dernière a demandé que l'instance soit rejetée pour divers motifs, notamment parce que la chose avait déjà été jugée. Dans les motifs que j'ai exposés le 29 avril 2003, j'ai rejeté l'action Ross 1999 en appliquant notamment le principe de l'autorité de la chose jugée. J'ai fait remarquer que, même si l'instance était nettement abusive, je n'adjugeais pas les dépens sur la base avocat-client parce que je donnais à M. Ross le bénéfice du doute en concluant qu'il avait mal compris le principe de la chose jugée. Néanmoins, compte tenu de la conclusion à laquelle le juge Dawson est arrivée dans la décision Ross (précitée), j'ai blâmé M. Ross et adjugé comme dépens une somme globale de 1 200 $, payable sur-le-champ et calculée selon la colonne V du tarif B.

[14]       Le principe de l'autorité de la chose jugée, ou préclusion découlant d'une question déjà tranchée (issue estoppel), a pour objet d'empêcher qu'une question définitivement tranchée soit indéfiniment remise en cause par les mêmes parties, puisque cela jetterait le discrédit sur le droit et sur la justice. Les conditions d'application de la préclusion la plus élémentaire, assez restrictives, ont été énoncées dans l'arrêt Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, à la page 254, lorsque la Cour a fait sien le passage suivant de l'arrêt Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd. (no 2), [1967] 1 A.C. 835 (H.L.) à la page 935 :

[traduction] Les conditions d'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée sont encore les suivantes : 1) que la même question ait été décidée; 2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion soit finale; et 3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l'affaire où la préclusion est soulevée, ou leurs ayants droit.

On ne peut faire autrement que conclure que l'action de M. Ross remplit nettement ces conditions. M. Ross mentionne le fait qu'en juin 2003, un montant de 1 577,41 $ a été soustrait du solde qui lui était dû pour rembourser sa dette fiscale d'environ 1 620 $, parce qu'il avait un solde créditeur pour son année d'imposition 2002. Le ministre a parfaitement le droit d'effectuer un tel virement sans que cela ne change quoi que ce soit à la procédure de recouvrement hormis réduire le montant que le ministre est autorisé à percevoir. Tout cela a un effet minime.


[15]     La préclusion peut aussi avoir une application légèrement plus étendue que celle exposée dans l'arrêt Angle (précité) au sens où elle s'applique à des questions qui auraient dû être tranchées lors des instances qui ont opposé antérieurement les parties, afin qu'un demandeur ne puisse pas soumettre un défendeur à différentes facettes de la même question en intentant une action après l'autre. Dans la décision Martelli c. Martelli, (1983) 148 D.L.R. (3d) 746, de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, Monsieur le juge Hinkson a examiné à fond l'état du droit concernant la préclusion fondée sur la chose jugée, avant d'en faire un résumé qu'il croit correct :

[traduction] Les tribunaux ont statué que la théorie de la préclusion fondée sur la chose jugée ou res judicata s'applique à tout point, que ce soit implicitement ou explicitement, qui constituait en substance le ratio fondamental d'une décision antérieure. La théorie s'applique non seulement aux questions effectivement en litige, mais encore à tout point qui fait partie intégrante de l'objet d'un litige et qu'une partie aurait pu soulever, si elle avait fait preuve de diligence, au moment de l'instance antérieure. Ce concept se fonde sur le principe que les litiges prennent fin un jour et que, pour toute question soulevée judiciairement, l'ensemble des arguments doit être soumis à la cour en même temps et non par bribes, une action à la fois.

(Page 748)

Puis le juge Hinkson présente un passage du mémoire d'une partie à un litige qui se fonde sur l'arrêt Henderson c. Henderson (1843), 3 Hare 100, 67 E.R. 313 auquel renvoie précisément Monsieur le juge Ritchie dans l'arrêt Grandview (La ville de ) c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621, à la page 634 :


[traduction] . . . J'espère exprimer correctement la règle que s'est imposée la présente Cour quand j'affirme que, si un point donné devient litigieux et qu'un tribunal compétent le juge, on exige des parties qu'elles soumettent toute leur cause et, sauf dans des circonstances spéciales, on n'autorisera pas ces parties à rouvrir le débat sur un point qui aurait pu être soulevé lors du litige, mais qui ne l'a pas été pour l'unique raison qu'elles ont omis de soumettre une partie de leur cause, par négligence, inadvertance ou même par accident. Le plaidoyer de la chose jugée porte, sauf dans des cas spéciaux, non seulement sur les points sur lesquels les parties ont en fait demandé au tribunal d'exprimer une opinion et de prononcer jugement, mais sur tout point qui faisait objectivement partie du litige et que les parties auraient pu soulever à l'époque, si elles avaient fait preuve de diligence.

(Henderson, précité, à la page 115)

La clé c'est que le principe de la chose jugée s'applique, sauf dans des circonstances spéciales, non seulement à ce que la cour est tenue de trancher lors de la première instance, mais aussi à tous les points et à toutes les questions qui se rapportent à cette première instance et qui, si les parties avaient fait preuve de diligence, auraient été soulevés dans le cadre de celle-ci.

[16]     En l'espèce, le procureur de la Couronne cite à bon droit l'arrêt Yat Tung Co. c. Dao Heng Bank, [1975] A.C. 581, dans lequel le Conseil privé fait deux observations. La première, c'est qu'avant d'exclure l'objet de l'instance en appliquant le principe de l'autorité de la chose jugée, la cour doit examiner minutieusement les circonstances car, même si on ne peut pas invoquer la négligence, l'inadvertance et l'accident pour neutraliser l'application du principe, il peut exister des circonstances spéciales justifiant que le principe ne soit pas appliqué pour que justice soit rendue : voir l'arrêt Dao Heng Bank à la page 590. La deuxième observation du Conseil Privé découle de l'arrêt Henderson (précité) qu'il a approuvé, à savoir que tout point faisant partie du litige devrait être soulevé à l'instance initiale si c'est possible pour des parties le moindrement diligentes, ajoutant cette nuance au concept de l'abus de procédure en citant l'arrêt de la Cour d'appel Greenhalgh c. Mallard [1947] 2 All E.R. 255, à la page 257 :


[traduction] « . . . la chose jugée, pour cette fin, ne s'applique pas qu'aux seules questions qu'un tribunal est expressément appelé à trancher, mais . . . elle vise les questions ou les faits qui relèvent si clairement de l'objet du litige et qui auraient si manifestement pu être soulevés que de permettre l'ouverture d'une autre instance à leur égard équivaudrait à un abus de procédure. »

La Cour d'appel fait observer dans Mallard (un point que reprend le Conseil privé dans l'arrêt Dao Heng Bank) que le principe de la chose jugée s'applique à tout point qui aurait si nettement pu être soulevé lors de l'instance antérieure que ce serait un abus de procédure de le réexaminer dans une nouvelle instance. Néanmoins, je me dois de revenir à la réserve des circonstances spéciales suggérée par le Conseil privé dans l'arrêt Dao Heng Bank : [traduction] « la réserve des "circonstances spéciales" existe pour les cas où il s'impose de ne pas appliquer la règle afin que justice soit rendue » (page 590). En l'espèce, je ne remarque aucune circonstance spéciale qui neutraliserait l'application du principe de la chose jugée. Au mieux, le demandeur, M. Ross, renvoie au fait que la Cour suprême du Canada a rendu l'arrêt Markevich (précité) après que le juge Dawson ait rendu la décision Ross (précitée) et que, même si la Cour suprême du Canada est arrivée à la même conclusion que la Cour d'appel fédérale, le raisonnement qu'elle a suivi pour y parvenir a pu être quelque peu différent. La réponse à cette prétention est double. Premièrement, je ne vois pas en quoi le raisonnement appliqué par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Markevich (précité) peut aider M. Ross et, deuxièmement, comme je l'ai déjà souligné, la cour, en l'occurrence le juge Dawson de la Cour fédérale, était tenue d'appliquer le droit tel qu'il était à la date de l'instance.


[17]     Monsieur Ross soutient aussi que l'arrêt MacKinnon c. Canada, 2003 CAF 158, rendu par la Cour d'appel fédérale le 25 mars 2003 (inédit), dans lequel la Cour d'appel fédérale analysait la décision de la Cour suprême du Canada dans Markevich (précité), devrait s'appliquer pour modifier la conclusion à laquelle le juge Dawson est arrivée dans Ross (précité). Dans l'arrêt MacKinnon, la Cour d'appel a signalé que le délai commençait à courir contre le ministre à l'échéance des divers délais fixés dans la Loi de l'impôt sur le revenu et que l'enregistrement d'un certificat à la Cour fédérale est un moyen de modifier le délai de prescription.

[18]     La décision rendue dans MacKinnon reposait sur le fait qu'au moment où le certificat a été délivré, l'impôt des deux premières années d'imposition était prescrit. Ce n'est pas du droit nouveau étant donné les arrêts Markevich (précités) de la Cour d'appel fédérale et de la Cour suprême du Canada, ainsi que le droit appliqué par le juge Dawson dans Ross (précité). La question en litige en l'espèce n'est pas la délivrance d'un nouveau certificat, mais le certificat délivré en 1995 dont le juge Dawson a confirmé la validité dans Ross et qui demeure valide en l'instance. En outre, il ressort clairement de la demande de contrôle judiciaire en l'espèce que M. Ross vise de nouveau les années d'imposition 1989 et 1990 et le certificat délivré à leur égard, certificat, je le répète, dont le juge Dawson a confirmé la validité en statuant qu'il constituait une base valide sur lequel fonder une action en recouvrement.


[19]     Je ne remarque aucune circonstance spéciale qui autoriserait M. Ross à remettre en litige une question qui a déjà été plaidée ou qui aurait pu l'être à l'instance antérieure, si celui-ci avait été plus diligent.


[20]     Comme je l'ai déjà fait remarquer, la réparation demandée par M. Ross devant le juge Dawson a donné lieu à un examen exhaustif de toute l'affaire, y compris la question de savoir si le certificat du ministre constitue un jugement de la Cour fédérale, l'absence d'une ordonnance appuyant le bref d'exécution basé sur le certificat, l'effet du certificat, l'inexistence d'un appel de la cotisation devant la Cour canadienne de l'impôt, de même que la question de savoir si le demandeur avait une dette fiscale envers la Couronne pour 1990 et les années antérieures, si la prescription aurait pu empêcher le ministre de prendre les mesures qu'il a prise et s'il devait y avoir une nouvelle décision, enfin, la validité du certificat, du bref de saisie-exécution et de la demande formelle de paiement. Le juge Dawson conclut que la dette fiscale n'est pas éteinte, que la demande formelle de paiement a été délivrée en bonne et due forme et que le dépôt du certificat a protégé le droit du ministre de recouvrer la dette fiscale. M. Ross m'a présenté peu de documents pertinents et aucun élément de preuve ni fait qui ne pouvaient pas, en faisant preuve d'une certaine diligence, être soulevés à l'instance devant le juge Dawson. Ainsi, la théorie de la chose jugée est un solide motif de rejeter la présente action parce que, comme l'a dit le juge Strayer dans David Bull (précité), elle « est manifestement irréguli[ère] au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli[e] » . M. Ross n'a pas le moindre début de cause d'action qui pourrait justifier donner lieu à une modification utile. En conséquence, la demande est radiée sans autorisation de modifier.

Dépens

[21]     Après avoir conclu que le principe de l'autorité de la chose jugée s'applique aux questions soulevées par M. Ross dans la présente demande de contrôle judiciaire, je dois rejeter celle-ci. Toutefois, le procureur de Sa Majesté demande les dépens sur la base avocat-client parce qu'il y a abus de procédure et procédure vexatoire. À l'appui de sa demande, la Couronne mentionne non seulement la décision Ross rendue par le juge Dawson et les jugements en appel de cette décision, mais aussi une action intentée depuis par M. Ross, dossier ITA-8972-99 que j'ai appelé Ross 1999, action qui a été rejetée notamment parce que le principe de la chose jugée y était applicable.


[22]     Lorsque j'ai rejeté la demande de contrôle judiciaire Ross 1999, j'ai souligné que même si la conduite de M. Ross était abusive et lui valait une certaine réprimande, je lui donnais le bénéfice du doute parce que j'avais l'impression qu'il comprenait mal le principe de l'autorité de la chose jugée. Dans mes motifs, j'exposais longuement ce principe. J'ai aussi étudié en détail les dépens sur la base avocat-client. Au bout du compte, même si, je le répète, j'estimais qu'il y avait clairement abus, j'ai répugné à adjuger des dépens sur la base avocat-client, citant la décision Schmidt c. Canada (2002 BCSC 1738), inédite, rendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique le 17 décembre 2002, comme un exemple d'une autre affaire dans laquelle les dépens auraient pu être adjugés sur la base avocat-client étant donné la multiplicité des instances. En l'occurrence, il y a eu une foule d'actions successives intentées contre la même défenderesse qui a dû subir diverses instances et appels infructueux. Certes, outre la première affaire Ross à la Section de première instance, ces instances étaient nettement abusives et M. Ross ne pouvait pas se méprendre sur leur issue. Je vais maintenant citer un passage de la décision Schmidt afin d'établir certains principes applicables :

[traduction]

[38]          En l'espèce, tous les défendeurs réclament des dépens spéciaux en invoquant le principe énoncé dans Stiles c. British Columbia (Workers' Compensation Board) (1989), 38 B.C.L.R. (2d) 307 (C.A.), à la page 311 :

... des dépens sur la base avocat-client ne devraient pas être adjugés sauf si une forme de conduite répréhensible, soit dans les circonstances à la source de la cause d'action, soit dans l'instance, ne justifie de tels dépens en guise de châtiment punition dommages exemplaires. Les qualificatifs « scandaleux » et « monstrueux » ont aussi été employés.

[39]          Dans Leung c. Leung (1993), 77 B.C.L.R. (2d) 305, à la page 314 (C.S.), Monsieur le juge Esson (alors juge en chef) a donné à l'épithète « répréhensible » le simple sens de « digne de reproche ou de blâme » .

             [40]          Monsieur Schmidt connaît, au moins depuis février 2001, l'essentiel de la position des défendeurs. Il est parfaitement au courant des démarches à entreprendre pour faire appel des conclusions de la Cour canadienne de l'impôt et demander une révision ministérielle de sa condamnation au criminel. Il a préféré préparer une contestation parallèle de cette action en présentant devant notre cour sa prétendue « demande » et sa déclaration. Lorsqu'il est établi que de telles actions constituent un abus de procédure, je conclus qu'une telle conduite est répréhensible. M. Schmidt a agi délibérément, en sachant pertinemment quels étaient ses recours acceptables en droit. Sa décision d'intenter la présente instance lui mérite un blâme.

[41]          En conséquence, j'adjuge au défendeur les dépens spéciaux qu'il a demandés.


[23]     Dans Schmidt, Monsieur le juge Kirkpatrick a adjugé des dépens spéciaux parce que M. Schmidt avait agi délibérément en sachant pertinemment quels étaient ses recours acceptables en droit et quelle en était l'issue. Comme telles, ses actions ont été qualifiées à la fois d'abus de procédure judiciaire et de conduite répréhensible, justifiant une réprimande ou un blâme et, partant, le paiement de dépens sur la base avocat-client. M. Ross se trouve dans la même situation. En l'espèce, la Couronne peut donc se faire adjuger les dépens sur la base avocat-client afin d'être indemnisée. Au lieu de fixer une somme globale maintenant, la question est renvoyée à l'officier taxateur.

Interdiction d'intenter d'autres actions avant paiement des dépens

[24]     Enfin, Sa Majesté demande soit un cautionnement pour dépens, soit une ordonnance interdisant à M. Ross d'intenter de nouvelles instances tant qu'il n'aura pas payé tous les dépens adjugés contre lui qu'il doit déjà à Sa Majesté. Le second élément de cette alternative convient le mieux en l'espèce puisque la demande de contrôle judiciaire a été rejetée, mais l'affaire des dépens dus n'est pas réglée. Je constate que M. Ross a l'obligation de payer les montants suivants :

Contrôle judiciaire T-1881-01, Ross (précité)          1 812,93 $

Appel A-238-02, appel de Ross (précité)                 1 056,04 $

Demande de contrôle judiciaire, Ross 1999 1 200,00 $


Il doit également des dépens non précisés à la Cour suprême du Canada pour la demande d'autorisation de pourvoi no 29500, Ross c. Sa Majesté la Reine, qui a été rejetée avec dépens le 15 mai 2003, de même que les dépens en l'espèce qu'il reste à taxer. La Couronne aurait dû recevoir le paiement des dépens dans un délai raisonnable. Je constate aussi la tendance générale de M. Ross à déposer des instances, quasi identiques d'ailleurs, à grands frais pour les contribuables canadiens. Il convient donc, comme dans Ceminchuk c. IBM Canada Ltd. (1995), 62 C.P.R. (3d) 546 (C.F. 1re inst.), d'interdire à M. Ross d'engager des instances devant la Cour tant qu'il n'aura pas réglé les dépens qu'il doit. La présente ordonnance ne constitue pas une interdiction générale empêchant M. Ross de se prévaloir d'un recours devant à la Cour fédérale comme s'il s'agissait en l'espèce d'une instance visée à l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale, parce que M. Ross agirait de façon vexatoire. L'ordonnance se fonde plutôt sur la compétence implicite de la Cour fédérale qui peut imposer la sanction nécessaire pour se protéger des abus de procédure et pour s'assurer de l'efficacité de son fonctionnement : je renvoie à la décision Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Co., [1985] 2 C.F. 13, à la page 26 et j'applique les arrêts Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, aux pages 639 à 644 inclusivement, et Nu-Pharm Inc. c. Canada (Procureur général) (C.A.), [2000] 1 C.F. 463 aux pages 468 et 469.


[25]     Dans l'arrêt Nu-Pharm, Monsieur le juge Décary, qui a rendu les motifs pour la Cour, traite des questions de procédure et du droit de rendre toute ordonnance procédurale appropriée qui s'impose. Il fait allusion à ce qu'il appelle le « critère de la "compétence implicite" » (page 472) qui confère à la Cour la compétence procédurale dont elle a besoin pour exercer sa compétence propre (pages 472-473). En l'espèce, il convient que M. Ross n'ait pas le droit de faire appel à la Cour tant qu'il n'aura pas payé tous les dépens déjà adjugés contre lui. Bien entendu, cela n'empêchera pas M. Ross de présenter un appel de la présente décision.

[26]     Je remercie M. Ross et le procureur de la Couronne d'avoir tous deux présenté exhaustivement leur cause.

« John A. Hargrave »

        Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

21 juillet 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                T-994-03

INTITULÉ :                                        Glenn Alexander Ross

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 7 juillet 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :       Le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                           Le 21 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Glenn Alexander Ross                                 POUR LE DEMANDEUR en son nom propre

David Jacyk                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Glenn Alexander Ross                                 POUR LE DEMANDEUR en son nom propre

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris A. Rosenberg                                   POUR LA DÉFENDERESSE

Procureur général adjoint du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

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