Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20041112

Dossier : T-583-04

Référence : 2004 CF 1594

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                              BERIT MARGARETA GUNNARSSON

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Berit Gunnarsson interjette appel de la décision par laquelle une juge de la citoyenneté a refusé sa demande de citoyenneté. La demande présentée par Mme Gunnarsson a été refusée parce qu'elle n'a pas respecté les exigences en matière de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Mme Gunnarsson prétend que la juge de la citoyenneté a omis de tenir compte de la mesure dans laquelle elle avait centralisé sa vie au Canada et d'y accorder l'importance appropriée.

[2]                Le présent appel a été entendu en même temps que les appels interjetés dans les dossiers T-581-04 et T-582-04 qui se rapportent à l'époux et au fils de Mme Gunnarsson.

Les faits

[3]                Mme Gunnarsson est une citoyenne suédoise âgée de 58 ans. Son époux est actuellement un cadre supérieur de la société de chaussures Bata. M. Gunnarsson a commencé sa carrière chez la société Bata en Suède, mais, en 1980, la société l'a muté en France. En 1982, il a été muté de nouveau, cette fois au siège de la société Bata au Canada.

[4]                Mme Gunnarsson est entrée au Canada avec son époux et ses deux fils en 1982. Un an plus tard, elle a obtenu le statut de résident permanent. Il faut mentionner toutefois que de nombreux membres de la famille étendue de Mme Gunnarsson résident toujours en Suède.

[5]                Lorsque la famille s'est installée au Canada, Mme Gunnarsson et son époux ont vendu leur maison en Suède et ont acheté une maison près de Toronto. Ils ont par la suite vendu cette maison et ils ont acheté à Willowdale une autre maison qu'ils possèdent encore aujourd'hui. En 1986, ils ont de plus acheté un chalet dans les Muskokas où ils passaient leurs vacances d'été.


[6]                Entre 1982 et 1992, Mme Gunnarsson et son époux ont élevé leurs enfants dans la région de Toronto. Les membres de la famille ont développé de nombreuses amitiés au Canada et ils se sont complètement intégrés dans leur collectivité. Mme Gunnarsson s'adonnait à son passe-temps, la poterie, et elle est devenue membre d'un club de poterie de la région de Toronto. Mme Gunnarsson a continué à être membre du club de poterie, ce qui lui permet d'assister à des ateliers et d'entretenir des relations avec des amis lorsqu'elle revient au Canada.

[7]                En 1992, la société Bata a muté une fois de plus M. Gunnarsson, cette fois en Thaïlande. Mme Gunnarsson a accompagné son époux et Carl Frederik, l'un de ses fils, en Extrême-Orient. L'autre fils de Mme Gunnarsson, Magnus, est resté au Canada. Carl Frederik est depuis revenu au Canada et il est maintenant citoyen canadien. Magnus est l'appelant dans le dossier d'appel T-581-04.

[8]                Les membres de la famille Gunnarsson ont passé six ans en Thaïlande. Après avoir quitté la Thaïlande, le couple a déménagé en République tchèque. Ce séjour a été suivi par une affectation en Afrique du Sud. En 2001, M. Gunnarsson a obtenu une promotion et il est devenu président des activités européennes de la société Bata. Cette promotion a nécessité un déménagement à Paris où Mme Gunnarsson et son époux résident encore aujourd'hui.

[9]                Pendant qu'ils vivaient à l'étranger, Mme Gunnarsson a accompagné son époux à de nombreuses cérémonies et activités officielles. Selon Mme Gunnarsson, lors de ces occasions, elle avait l'impression d'agir en tant que représentante de la société Bata et du Canada.


[10]            Au cours des 12 années pendant lesquelles ils ont été en poste à l'étranger, Mme Gunnarsson et son époux étaient locataires des logements où ils vivaient. Ils ont loué leur maison de Willowdale et ils ont entreposé leurs biens à Mississauga. Chaque année, Mme Gunnarsson passe approximativement deux à trois mois au Canada, principalement au chalet familial.

[11]            La famille a dépensé récemment environ 40 000 $ pour des améliorations au chalet en prévision de pouvoir y passer plus de temps lorsque M. Gunnarsson prendra sa retraite de la société Bata, ce qu'il prévoit faire au cours de l'hiver 2005.

Les exigences pour l'attribution de la citoyenneté

[12]            La Loi sur la citoyenneté (la Loi) exige qu'un demandeur, pour être admissible à l'obtention de la citoyenneté, soit un résident permanent et ait résidé au Canada pendant trois ans au cours des quatre ans qui ont précédé la date de sa demande. La Loi établit en outre une formule devant être utilisée pour calculer le temps que le demandeur a passé au Canada.

La décision de la juge de la citoyenneté

[13]            Lors de l'examen des faits de la présente affaire, la juge de la citoyenneté a remarqué que Mme Gunnarsson avait été absente du Canada pendant 1 033 jours au cours des quatre ans qui ont précédé sa demande et qu'elle n'avait été physiquement présente au Canada que pendant 427 jours au cours de cette période.


[14]            La juge de la citoyenneté a mentionné que dans la décision Koo (Re), [1992] A.C.F. no 1107, Mme la juge Reed a déclaré que la présence physique au Canada n'était pas requise pour pouvoir satisfaire au critère en matière de résidence prévu par la Loi sur la citoyenneté. Plutôt, le critère devrait être énoncé de façon à savoir si le demandeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement » au Canada. En d'autres termes, la question est celle de savoir si le demandeur a centralisé son mode d'existence au Canada.

[15]            La juge de la citoyenneté, lorsqu'elle a traité de cette question, a examiné les six questions qui selon la décision Koo (Re) aident à établir si un demandeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement » au Canada. Lors de l'appréciation de la qualité des attaches de Mme Gunnarsson avec le Canada, la juge de la citoyenneté a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

Il est difficile pour une personne qui passe plus de temps à l'extérieur du pays qu'au pays d'établir des attaches avec le Canada. Le fait de visiter un membre de la famille ou de se rendre à une propriété ne constitue pas en soi des attaches importantes avec le Canada.

Au cours de la période pertinente de quatre ans, vous avez passé 427 jours au Canada et 1 033 jours à l'extérieur du Canada. Bien que vous soyez propriétaire de biens immobiliers au Canada et que vous ayez un fils qui vit à Ottawa, vous ne vivez pas « régulièrement, normalement ou habituellement » au Canada. En fait, vous avez passé moins de temps au Canada qu'à Bangkok, qu'en République tchèque, qu'en Afrique du Sud et, actuellement, qu'en France. Vous avez déclaré lors de l'audience que vous n'avez pas un attachement à ces pays. Cependant, il est très difficile d'établir des attaches importantes avec le Canada alors que vous ne participez pas de façon quotidienne à la vie d'une collectivité de ce pays.

[16]            La juge de la citoyenneté a en outre décidé de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par les paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi sur la citoyenneté qui permettent que la citoyenneté soit attribuée à un demandeur pour des raisons d'ordre humanitaire ou afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada. La juge de la citoyenneté, lorsqu'elle a pris cette décision, a mentionné que Mme Gunnarsson n'avait déposé aucun document au soutien de l'utilisation du pouvoir discrétionnaire.


La norme de contrôle

[17]            Mme Gunnarsson prétend que la juge de la citoyenneté a mal appliqué le droit applicable à la preuve dont elle disposait à l'égard de sa demande de citoyenneté. Selon Mme Gunnarsson, cette situation soulève une question mixte de fait et de droit pour laquelle la norme de contrôle appropriée est [TRADUCTION] « proche de la décision correcte » . À cet égard, elle s'appuie sur la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 410.

[18]            Après le prononcé de la décision Lam, la Cour suprême du Canada a rendu son arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, et son arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226. Ces arrêts ont établi qu'il existe seulement trois normes de contrôle dans le contexte du droit administratif, à savoir : la décision correcte, la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable. Ces normes n'existent pas suivant une progression ou une suite, comme on le pensait antérieurement, et il n'y a pas d'échelons intermédiaires sur l'échelle de la retenue.


[19]            Depuis que les arrêts Dr Q et Ryan ont été rendus, un bon nombre de juges de la Cour ont eu la possibilité de réexaminer la question de la norme de contrôle devant être appliquée aux affaires de citoyenneté. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Chang, [2003] A.C.F. no 1871, M. le juge Mackay a appliqué une analyse pragmatique et fonctionnelle au contexte de la citoyenneté et a conclu que la norme de la décision raisonnable simpliciter était appropriée dans les circonstances.

[20]            Depuis, cette conclusion a été suivie dans de nombreuses affaires : voir par exemple la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Xiong, [2004] A.C.F. no 1356, la décision Borissotcheva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 494, la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Fu, [2004] A.C.F. no 88, et la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Chen, [2004] A.C.F. no 1040.

[21]            J'adhère à l'analyse effectuée par le juge Mackay et je conclus que la norme de contrôle appropriée dans la présente affaire est la décision raisonnable simpliciter.

Analyse

[22]            Différents juges de la Cour ont adopté des démarches différentes quant à la façon selon laquelle les exigences en matière de résidence prévues par la Loi sur la citoyenneté devraient être interprétées. Un juge de la citoyenneté peut adopter l'une ou l'autre de ces diverses démarches lorsqu'il tranche la question de savoir si un demandeur particulier a respecté les exigences en matière de résidence prévues par la Loi.


[23]            Dans la présente affaire, la juge de la citoyenneté a suivi la démarche préconisée dans la décision Koo (Re). Bien qu'elle reconnaisse que la juge pouvait utiliser cette démarche, Mme Gunnarsson affirme qu'elle a commis une erreur dans son application du critère de la décision Koo (Re).

[24]            Selon Mme Gunnarsson, la juge de la citoyenneté n'a pas tenu compte de la période précédant 1992 lorsqu'elle a apprécié la qualité de ses attaches avec le Canada. Par conséquent, elle a omis de tenir compte de la nature et de l'étendue des attaches créées par Mme Gunnarsson avec le Canada avant qu'elle déménage à l'étranger avec son époux en 1992.

[25]            Mme Gunnarsson affirme que la juge de la citoyenneté a omis d'examiner la question de savoir si ses attaches avec le Canada étaient plus importantes que celles qu'elle avait avec tout autre pays.

[26]            De plus, bien que les visites de Mme Gunnarsson à son chalet aient effectivement été relativement courtes, la juge de la citoyenneté aurait dû tenir compte du fait qu'elle se rendait à son chalet chaque année, immanquablement.

[27]            Finalement, Mme Gunnarsson cite de nombreuses décisions qui, selon ce qu'elle affirme, se rapportent à des cas similaires. Dans chaque cas, il a été conclu que l'appelant avait satisfait au critère en matière de résidence prévu par la Loi sur la citoyenneté malgré que la personne n'ait pas été physiquement présente au Canada pendant de longues périodes au cours des quatre ans qui ont précédé la date de la demande.

[28]            Un examen des motifs de la juge de la citoyenneté révèle qu'elle était très consciente du fait que Mme Gunnarsson avait passé dix ans au Canada avant de déménager à l'étranger avec son époux en 1992. Cependant, compte tenu de la nature et de l'étendue des absences de Mme Gunnarsson du Canada au cours des douze années suivantes, la juge de la citoyenneté a conclu que ces absences du Canada ne pouvaient pas à juste titre être considérées comme temporaires. À mon avis, elle pouvait raisonnablement tirer cette conclusion.

[29]            La question suivante est celle de savoir si la juge de la citoyenneté a commis une erreur par une omission d'avoir correctement examiné la question de savoir si les attaches de Mme Gunnarsson avec le Canada étaient plus importantes que celles qu'elle avait avec tout autre pays. À cet égard, un examen des motifs révèle que la juge de la citoyenneté a effectivement apprécié les attaches qu'a Mme Gunnarsson avec le Canada en fonction de ses liens familiaux en Suède. Elle a en outre examiné le temps que Mme Gunnarsson a passé au Canada au cours des dernières années en fonction du temps passé dans plusieurs autres pays. Même si une analyse extrêmement complète sur cette question aurait été préférable, je ne suis pas convaincue, compte tenu de la nature ambulante de la vie de Mme Gunnarsson, que cette question aurait été déterminante à l'égard de sa demande. En fin de compte, la question comme elle a été correctement traitée par la juge de la citoyenneté était celle de savoir si Mme Gunnarsson avait centralisé son existence au Canada.


[30]            À l'égard des visites de Mme Gunnarsson à son chalet au Canada, la juge de la citoyenneté a expressément mentionné dans sa décision que lorsqu'elle vient au Canada, Mme Gunnarsson demeure dans son chalet. Dans sa décision, la juge de la citoyenneté a en outre examiné en détail les absences de Mme Gunnarsson du Canada. À partir de cela, la régularité des visites de Mme Gunnarsson à son chalet serait évidente. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que la juge de la citoyenneté a omis de correctement tenir compte de la nature répétitive des visites de Mme Gunnarsson dans ce pays.

[31]            Mme Gunnarsson a soumis à la Cour plusieurs projets de loi qui reflètent les tentatives du gouvernement de modifier les dispositions de la Loi sur la citoyenneté se rapportant aux exigences d'admissibilité. Je ne suis pas convaincue que ces projets de loi sont très utiles dans la présente affaire. Peu importe les modifications que le gouvernement ait pu souhaiter apporter à la législation, ce sont les dispositions de la Loi sur la citoyenneté dans sa forme actuelle qui sont pertinentes à la présente affaire.

[32]            J'ai en outre examiné les affaires citées par Mme Gunnarsson et par le défendeur, lesquelles traitent toutes de situations de fait quelque peu similaires. Il ressort clairement de mon examen de ces affaires que chacune dépend en fin de compte largement de ses propres faits et est, par conséquent, peu utile.

Conclusion

[33]            Je souscris à la conclusion de la juge de la citoyenneté selon laquelle Mme Gunnarsson ferait indéniablement une excellente citoyenne canadienne. Ce n'est cependant pas la question en l'espèce.


[34]            Malgré les observations très habiles de l'avocate de Mme Gunnarsson, je ne suis pas convaincue que la juge de la citoyenneté a commis une erreur lorsqu'elle a appliqué le critère de la décision Koo (Re). Elle était comme il se doit sensible au fait que la présence physique au Canada n'est pas requise pour qu'il soit satisfait au critère en matière de résidence énoncé dans la Loi sur la citoyenneté. En outre, la juge de la citoyenneté a tenu compte des facteurs appropriés lorsqu'elle a apprécié la question de savoir si Mme Gunnarsson vivait régulièrement, normalement ou habituellement au Canada.

[35]            La source de la préoccupation de Mme Gunnarsson est en fin de compte l'importance accordée par la juge de la citoyenneté aux divers faits. Même si un autre juge de la citoyenneté aurait pu tirer une conclusion différente compte tenu de ces faits, je ne peux pas conclure que la décision dans la présente affaire était déraisonnable.

[36]            Par conséquent, l'appel de Mme Gunnarsson est rejeté.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Le présent appel est rejeté.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-583-04

INTITULÉ :                                        BERIT MARGARETA GUNNARSSON

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 3 NOVEMBRE 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                       LE 12 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Elissa Goodman

BORDEN LADNER GERVAIS, LLP

Avocats

Scotia Plaza

40, rue King Ouest

Toronto (Ontario)    M5H 3Y4                                        POUR LA DEMANDERESSE

Ann Margaret Oberst

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

130, rue King Ouest

Bureau 3400, case postale 36

Toronto (Ontario)    M5X 1K6                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elissa Goodman

(416) 367-6625                                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Ann Margaret Oberst

(416) 973-7537                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.