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                                                                                                                                           Date : 20030710

                                                                                                                                       Dossier : T-938-02

                                                                                                                           Référence : 2003 CF 858

Ottawa (Ontario), le 10e jour de juillet 2003

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                                                 SAFIA ALOUACHE

                                                                                                                                             Demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                               Défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Mme Alouache en appelle d'une décision de George Springate, juge de la citoyenneté, datée du 25 avril 2002, qui rejette sa demande de citoyenneté parce qu'elle n'a pas fourni de preuve satisfaisante de sa présence au Canada pendant au moins 1 095 jours dans les quatre années précédant sa demande. [Alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, c. C-29, (la « Loi » ).]


Les faits

[2]                 Mme Alouache a 52 ans. Elle est Algérienne et a obtenu son statut de résidente permanente au Canada le 1er avril 1997. En venant au Canada, elle rejoignait sa famille immédiate, soit cinq frères et soeurs qui sont tous citoyens Canadiens.

[3]                 Elle dépose une demande de citoyenneté le 21 juin 2001 et indique dans son formulaire que depuis le 21 juin 1992, elle n'a été absente du Canada que pour des vacances d'une durée totale de 152 jours (visites à sa tante). Elle soumet donc avoir été au Canada 1 308 jours, soit 213 jours de plus que le minimum requis par la Loi.

[4]                 Avant son arrivée au Canada et depuis plus de 25 ans, Mme Alouache enseignait l'arabe en Algérie. N'ayant pu trouver un emploi à titre d'enseignante au Canada, elle s'est surtout occupé des enfants de son frère aîné et a travaillé bénévolement à l'entreprise familiale et à l'Académie IBN SINA de Montréal.

[5]                 En avril 2001, elle reçoit une offre de travail qui l'amènerait à habiter en Arabie Saoudite pour un certain temps. Mais pour être éligible, elle doit être citoyenne Canadienne. Elle demande donc un examen accéléré de sa demande.

[6]                 Pour établir sa présence au Canada, Mme Alouache a soumis au juge de la citoyenneté les documents suivants :


            i)          son passeport le plus récent expliquant qu'elle n'a plus en sa possession son ancien passeport l'ayant remis aux autorités algériennes lors du renouvellement de son passeport en septembre 1999;

            ii)        les avis de cotisation du ministère du Revenu pour les années 1998, 1999 et 2000;

            iii)         une lettre de l'Académie IBN SINA de Montréal;

            iv)        une attestation de résidence signée par tous ses frères et soeurs;

            v)         une lettre de la Régie d'assurance maladie;

            vi)        copie de plusieurs baux résidentiels;

            vii)        une lettre de l'avocat de la famille; et

            viii)       une lettre du médecin de famille.

La décision du juge de la citoyenneté

[7]                 Le juge Springate indique dans sa lettre de refus :

Lors de l'audition, j'ai eu des doutes à l'effet que vous ayez effectivement vécu au Canada et je vous ai demandé de fournir des documents additionnels. J'ai finalement examiné les documents que vous avez soumis et, à mon avis, ceux-ci ne constituent pas des preuves satisfaisantes de votre résidence au pays. J'en conclus donc que vous ne rencontrez pas l'exigence sur la résidence tel que défini au paragraphe 5(1)(c) de la Loi sur la citoyenneté.

                                                                                                                                                                                                        [Je souligne]

[8]                 La lettre du 25 avril 2002 ne contient aucun détail spécifique à la demande de Mme Alouache. De fait, il appert du dossier qu'il s'agit d'une lettre type désignée dans un formulaire comme « lettre non approuvée, français, alinéa 5(1)c), doute sur la résidence avec documents. »


[9]                 Il faudra donc examiner les notes du juge Springate pour déterminer plus spécifiquement les raisons pour lesquelles, il s'est dit insatisfait de la preuve fournie par Mme Alouache.

[10]            À cet égard, Mme Alouache réfère la Cour tout particulièrement au passage suivant (page 3 des notes du juge Springate) :

I met the applicant at her hearing. I have read the documents she submitted as proof of residence. My doubts remain. Indeed, it is not the sparce eivdence that was submitted that heightened my doubts. It is what was not submitted that does.

Il n'est pas clair si le juge réfère ici aux doutes qu'il avait noté sur la première page de ses notes en disant « I have serious doubts as to the veracity of her dates and figures » ou s'il répond plutôt à la question qu'il note juste avant d'écrire ce paragraphe, soit : « Does the applicant seek to be a true Canadian or does she simply seek a flag or passport of convenience? »

[11]            Outre ces mentions, le juge Springate analyse la preuve soumise. Il note, entre autres :

(1)            The applicant submitted leases. She is listed as a co-tenant. Yet, she submitted no rent receipts, no cancelled rent cheques to how her financial participation as co-tenant.

(2)           Indeed, the applicant submitted no evidence whatsoever to show that, throughout her entire residence period, she had a Canadian bank account and1or credit card.

(3)           Most telling is that, save the applicant's volunteer time at a local school for two months in 1999 (no dates and times submitted), she did not joint or become a member of any Canadian community organization, club, organization or group.


Questions en litige

[12]            Mme Alouache soumet que le juge Springate lui a imposé un fardeau de preuve plus lourd que la simple prépondérance de preuve et qu'il a considéré des éléments extrinsèques comme par exemple, son intention de résider au Canada après l'examen de sa demande de citoyenneté.

[13]            Elle argue aussi que le juge de la citoyenneté aurait dû recommander au ministre une dispense sur la base de motifs humanitaires. Mme Alouache réfère ici à sa condition de femme en Algérie.

Analyse

[14]            La norme de contrôle applicable a été exprimée à plusieurs reprises. [voir Canada (M.C.I.) c. Mindich (1999) 170 F.T.R. 148, para. 9, [1997] A.C.F. No. 978 (QL), Zhang c. M.C.I., 2001 CFPI 501, [2001] A.C.F.. No. 778 (QL) au para. 7; Canada v. Wu, 2002 CFPI 579, [2002] A.C.F. 765 (QL).] Le tribunal doit vérifier si le juge de la citoyenneté a bien appliqué l'un des test admis de résidence. Toutefois, dans l'appréciation des faits afférents à la demande, le tribunal doit s'abstenir de substituer son opinion à celle du juge de la citoyenneté sauf si sa décision est manifestement déraisonnable, abusive ou arbitraire.

[15]            Lors de l'audition, le tribunal a indiqué aux parties qu'il maintenait l'objection formulée par la défenderesse et qu'il n'entendait pas tenir compte de la nouvelle preuve soumise par Mme Alouache dans sa déclaration assermentée au soutien de cet appel.


[16]            En pratique, cela dispose du deuxième motif d'appel puisqu'il n'y a, maintenant au dossier, aucune preuve supportant l'argument que le juge de la citoyenneté aurait dû recommander une dispense sur la base de motifs humanitaires.

[17]            Il ne reste donc qu'à analyser l'argument que le juge de la citoyenneté a mal appliqué le test de résidence. (alinéa 5(1)c) de la Loi.)

[18]            Le tribunal note que le juge Springate n'indique pas quel test de résidence il a appliqué. La lettre de refus semble indiquer qu'il a appliqué le test de la présence physique puisqu'il dit douter que Mme Alouache a « effectivement vécu au Canada » . La défenderesse soumet que c'est effectivement ce test qu'il a suivi. Mme Alouache, quand à elle, dit que cette théorie ne tient pas à la lecture des notes du juge au dossier.

[19]            Dans Chahrour c. Canada (M.C.I.) 2002 CFPI 745, [2002] A.C.F. 1011 (QL), le juge Pinard dit que lorsqu'on applique le test de la présence physique, les relevés bancaires, les paiements de loyer ou la présence d'autres membres de la famille au Canada ne constitue pas des éléments de preuve pertinents à l'établissement de la résidence.


[20]            Il est clair des extraits des notes au dossier que le juge Springate a non seulement tenu compte de telle preuve mais qu'il a été influencé par l'absence de certains de ces indices tels que reçus de loyer, compte en banque ou carte de crédit, ou même par l'absence de participation à des organisations communautaires canadiennes ou autres groupes et finalement par l'intention d'aller travailler hors du Canada.

[21]            Dans les circonstances, le tribunal doit conclure comme le juge Heneghan l'a fait dans Hsu c. Canada (M.C.I.) 2001 CFPI 579, [2001] A.C.F. 862 (QL), que le juge Springate a confondu ou mêlé ensemble les différents courants jurisprudentiels en appliquant le test de la résidence aux faits mis de l'avant par Mme Alouache. Ceci constitue une erreur révisable.

[22]            Le tribunal note aussi que, comme dans l'affaire Melevsky c. M.C.I., 2002 CFPI 1148, [2002] A.C.F. 1554 (QL), le juge Springate semble avoir de nouveau exigé un fardeau de preuve plus élevé que le simple fardeau civil. La loi n'exige pas qu'un demandeur prouve sa résidence hors de tout doute.

[23]            Eu égard à ce qui précède, il n'est pas utile de commenter les autres arguments soulevés lors de l'audition. L'appel est accueilli.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         L'appel de la décision du juge de la citoyenneté rendue le 25 avril 2003 est accueilli.

2.         La demande est renvoyée pour considération par un nouveau juge de la citoyenneté.

                                                                                                                                      « Johanne Gauthier »                       

                                                                                                                                                                 Juge                             


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-938-02

INTITULÉ :                                        Alouache c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              13 mars 2003

MOTIFS [de l'ordonnance ou du jugement] : Gauthier J.

DATE DES MOTIFS :                      10 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Me Paul Fréchette                                                                          POUR LE DEMANDEUR

Me Thi Dung Tran                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Francischiello & Associés                                                              POUR LE DEMANDEUR

101 - 4570 Jean-Talon est

St-Léonard (Québec) H1S 1K2

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Ministre adjoint de la Justice

Montréal (Québec) H2Z 1X4


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