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Date : 20000202


Dossier : T-269-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 2 FÉVRIER 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL



ENTRE :

     CLAIRE GRIFFITHS ET GINA GOAD

     demanderesses


     -et-


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, SEAN SMITH, STEVE HEWETT,

     CRAIG KENNEDY, MICHAEL GALAMBOS, BRUCE MACHACYNSKI,

     JACKIE MACK, SHAWN SLACK, AMY MACINNES et ANGELA RURAK

     défendeurs




ORDONNANCE



     Pour les motifs exposés par écrit, j"annule la décision rendue par le comité d"appel le 26 février 1999 et je renvoie l"affaire pour réexamen par un comité différemment constitué, en lui donnant pour directive expresse de décider si les nominations ont été faites en fonction du mérite en l"espèce .

     Comme les demanderesses ont gain de cause, je leur accorde les dépens conjointement contre le procureur général du Canada.



Juge

Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL.L.



Date : 20000202


Dossier : T-269-99



ENTRE :

     CLAIRE GRIFFITHS ET GINA GOAD

     demanderesses


     -et-


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, SEAN SMITH, STEVE HEWETT,

     CRAIG KENNEDY, MICHAEL GALAMBOS, BRUCE MACHACYNSKI,

     JACKIE MACK, SHAWN SLACK, AMY MACINNES et ANGELA RURAK

     défendeurs



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE CAMPBELL :



[1]          La question qui doit être tranchée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si l"un des deux comités d"appel de la Commission de la fonction publique qui ont révisé le processus de sélection contesté par Claire Griffiths et Gina Goad (les demanderesses) a décidé, comme il le devait, que les candidats qui ont comblé les postes ont été sélectionnés selon le principe du mérite.




[2]          La norme que doit appliquer un comité d"appel agissant en vertu de la Loi sur l"emploi dans la fonction publique (la LEFP) est énoncée clairement par le juge Décary dans l"arrêt Leckie c. Canada1 prononcé par la Cour d"appel fédérale en 1993 :

Afin de parvenir, en vertu de l'article 21, à établir qu'il y avait violation du principe du mérite, les requérants devaient convaincre le comité d'appel que le mode de sélection choisi était " tel[-] qu'on puisse douter qu'il permette de juger du mérite des candidats ", c'est-à-dire qu'il permette de juger si l'on avait trouvé " les personnes les mieux qualifiées ". La fonction principale d'un comité d'appel étant de s'assurer que les personnes les mieux qualifiées ont été nommées , il va sans dire que l'appelant, avant même de tenter de contester le mode de sélection choisi, devrait au moins alléguer (et finalement prouver) qu'il existe la possibilité réelle ou la vraisemblance que les personnes les mieux qualifiées n'ont pas été nommées.
[non souligné dans l"original]

A. Les faits2

     1. Le concours


[3]          Un processus de sélection a été effectué pour choisir neuf employés devant être nommés à nouveau pour une période déterminée au poste d"agent des douanes (PM-02) à Revenu Canada - Douanes (le ministère) à Port of Landsdowne (Ontario).



[4]          La compétence et les qualités personnelles des demanderesses ont été évaluées à partir de cotes existantes sur le test d"inspecteur des douanes et à l"aide d"une échelle de cotation de cinq points. Le seul outil d"évaluation utilisé était la connaissance qu"avait le jury de sélection du rendement de chaque candidat. Les résultats finals ont été inscrits à la main sur des fiches de cotation.



[5]          Des personnes, dont les demanderesses ne faisaient pas partie, ont été sélectionnées pour être nommées à nouveau pour une période déterminée.

     2. La décision du premier comité d"appel


[6]          Les demanderesses ont interjeté appel de la sélection en vertu du paragraphe 21(1) de la LEFP. À l"audience devant le premier comité d"appel, le 27 mai 1998, les demanderesses ont formulé huit allégations par l"entremise de leur représentant.



[7]          Le 30 juin 1998, la présidente du comité d"appel, Mme Larivière-Caw, a accueilli l"appel et conclu que la connaissance de la loi administrée par le ministère n"avait pas été correctement évaluée. La présidente a aussi conclu que les fiches de cotation générales préparées par la Commission de la fonction publique (la CFP) n"étaient pas assez claires pour être utilisées aux fins d"évaluer les qualités personnelles des candidats, affirmant que cette situation n"était ni transparente ni équitable.

     3. Les mesure correctives


[8]          Dans une lettre en date du 27 juillet 1998, la CFP a donné pour directive au ministère de prendre des mesures précises pour corriger les lacunes décrites par le premier comité d"appel.



[9]          Le ministère a reçu plus précisément pour directive de prendre les mesures correctives suivantes :

[Traduction]
1. expliquer pourquoi et comment les cotes ont été attribuées aux candidats sous la rubrique Qualités personnelles;
2. relativement au facteur " connaissance des lois et règlements administrés par les Douanes ", identifier de façon plus précise les lois et règlements relativement auxquels les candidats seront évalués et en informer les candidats;
3. évaluer à nouveau les candidats relativement au facteur " Connaissance des lois et règlements administrés par les Douanes ";
4. établir une nouvelle liste d"admissibilité et accorder des droits d"appel aux candidats;
5. confirmer par écrit à la soussignée [Brenda Marchbank] le résultat de ces mesures correctives3.



[10]          Le ministère a répondu à la première mesure corrective dans une lettre en date du 29 septembre 1998, qui contenait des explications précisant comment et pourquoi les cotes des demanderesses leur avaient été attribuées relativement à leurs qualités personnelles; une pièce décrivant le système de cotation était jointe à cette lettre. Le ministère s"est conformé à la deuxième mesure corrective en tenant un examen écrit entre les mois d"août et de septembre 1998.



[11]          Toutefois, le ministère a avisé les demanderesses, par une lettre en date du 29 septembre 1998, que la nouvelle évaluation n"avait rien changé au classement des candidats. Les demanderesses n"ont pas été sélectionnées pour être nommées à nouveau pour une période déterminée au ministère.

     4. La décision visée par la demande de contrôle


[12]          Les demanderesses ont interjeté appel, en vertu du par. 21(4) de la LEFP, des mesures correctives prises par la CFP et des nominations pour une période déterminée qui en ont résulté. À l"audience devant le comité d"appel, les 17 et 18 février 1999, les demanderesses ont fait valoir les deux allégations suivantes, par l"intermédiaire de leur représentant :

[Traduction]
1. Les mesures correctives imposées par la Commission de la fonction publique le 27 juillet 1998 n"ont pas mené à une sélection fondée sur le mérite;
2. Le jury de sélection n"a pas correctement mis en oeuvre la première mesure corrective imposée par la CFP, car les lettres explicatives précisant comment et pourquoi les cotes ont été attribuées sous la rubrique " qualités personnelles " ne démontraient pas que le processus de sélection était transparent et équitable et fondé sur le mérite relatif des candidats4.



[13]          Le 17 février 1999, la personne qui présidait le comité d"appel, dénommée Brown, a entendue les observations du représentant des demanderesses et du représentant du ministère concernant la première mesure corrective. Comme cette personne n"était pas convaincue que le ministère s"était pleinement conformé aux directives de la CFP, l"audience a été ajournée au lendemain pour permettre au ministère de s"y conformer.



[14]          Le 18 février 1999, le représentant du ministère a produit une explication plus détaillée précisant comment et pourquoi les cotes avaient été attribuées à chaque candidat et il a déposé en preuve un document intitulé [Traduction] " Explications précisant comment et pourquoi les cotes ont été attribuées sous la rubrique qualités personnelles ".



[15]          La personne qui présidait le comité d"appel a entendu les allégations des demanderesses et, après les observations des deux parties, elle a rejeté les appels. Les motifs suivants sont exposés dans la décision du 26 février 1999 :

[Traduction]
Après avoir soigneusement examiné la preuve et les arguments, je ne suis pas d"avis que mon intervention est justifiée relativement aux appels. Voici les motifs de ma décision.
Premièrement, ma compétence dans le cadre de l"appel est limitée à la question de savoir si la mesure corrective prise par le ministère à la suite de la décision confirmée en appel a mené à des nominations fondées sur le mérite. En l"espèce, il fallait, pour s"assurer que la mesure prise satisfasse à ce critère, examiner les documents fournis par le ministère lors de la première audience avec ceux préparés en vertu du paragraphe 21(3) de la Loi au regard de la directive reçue par la Commission de la fonction publique. Il ressort clairement de l"examen des motifs fournis à l"appui de la décision d"accueillir l"appel, que le comité d"appel était préoccupé par le manque de clarté et d"exemples à l"appui fournis par le jury de sélection pour l"évaluation des qualités personnelles des candidats. De plus, le comité d"appel a exprimé la nécessité que le jury de sélection " fournisse des explications précisant clairement comment et pourquoi les cotes ont été attribuées à chaque candidat "; il n"a toutefois pas indiqué que les évaluations en elles-mêmes étaient viciées, mais plutôt que le manque de clarté de l"information n"était ni " transparent ni équitable ".
Je suis d"avis que les mesures prises par le jury de sélection à la suite de la directive reçue par la Commission de la fonction publique en vertu du par. 21(3) de la Loi corrigent suffisamment les défauts relevés dans la décision confirmée en appel en date du 30 juin 1998. Comme les remarques formulées dans cette décision touchent uniquement les explications précisant comment et pourquoi les cotes ont été attribuées relativement aux qualités personnelles, je ne vois pas pourquoi je devrais intervenir.
En conséquence, les appels de C. Griffiths et de G. Goad sont rejetés.
[non souligné dans l"original] 5



[16]          La demande de contrôle judiciaire découlant de ces motifs a été introduite par voie d"avis de demande en date du 1er avril 1999.

B. Analyse


[17]          En ce qui concerne la première question énoncée, l"avocate du défendeur a fait deux aveux importants : elle a reconnu que, compte tenu de l"absence d"explications claires concernant les décisions prises pour la sélection, le premier comité d"appel ne pouvait pas décider si le principe du mérite avait été respecté; elle a aussi reconnu que le deuxième comité d"appel, qui a rendu la décision visé par la demande de contrôle, devait, eu égard aux mesures correctives ordonnées, examiner à nouveau la question de savoir si le principe du mérite avait été respecté lors des nominations.



[18]          Étant donné le premier aveu, je conclus que le deuxième comité d"appel a manifestement commis une erreur en affirmant dans sa décision que le premier comité d"appel " n"a pas indiqué que les évaluations en elles-mêmes étaient viciées ". En raison de cette erreur, il semble que le deuxième comité d"appel ait procédé en tenant pour acquis que le premier comité d"appel avait déjà décidé que le processus de sélection avait été mené selon le principe du mérite. Par conséquent, je conclus que le deuxième comité d"appel ne s"est pas demandé si le principe du mérite avait été appliqué dans le processus de sélection, alors qu"il était tenu de le faire, de l"aveu de tous.



[19]          En raison de l"erreur mentionnée, je conclus que la question de savoir si le principe du mérite a été appliqué dans le processus de sélection n"a pas été tranchée en l"espèce. Compte tenu de l"obligation du deuxième comité d"appel de vérifier si les personnes les mieux qualifiées ont été nommées, je conclus que son défaut de le faire constitue une erreur de droit ouvrant droit à l"exercice du pouvoir de contrôle judiciaire.



[20]          Par conséquent, j"annule la décision du deuxième comité d"appel et je renvoie l"affaire pour réexamen par un comité différemment constitué, en lui donnant pour directive expresse de décider si les nominations ont été faites en fonction du mérite en l"espèce.



[21]          Comme les demanderesses ont gain de cause, je leur accorde conjointement les dépens contre le procureur général du Canada.


OTTAWA (Ontario)

2 février 2000

    

     Juge

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-269-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Claire Griffiths et autres c. Procureur général du Canada et autres
LIEU DE L"AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 31 janvier 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

EN DATE DU :              2 février 2000

ONT COMPARU :

Me David Yazbeck              POUR LES DEMANDERESSES
Me Lysanne Lafond              POUR LE DÉFENDEUR (LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     
Raven, Allen, Cameron & Ballantyne          POUR LES DEMANDERESSES

Ottawa (Ontario)

Me Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR (LE PROCUREUR
Sous-procureur général du Canada          GÉNÉRAL DU CANADA)
__________________

1      Leckie c. Canada, [1993] 2 C.F. à la p. 481.

2      Le Mémoire des faits et du droit du défendeur fournit un résumé pratique dont s"inspire l"exposé des faits qui suit. (Dossier du défendeur, vol 1, p. 1 à 7.)

3      Dossier de demande des demanderesses, vol. 1, onglet 3, p. 48 et 49.

4      Dossier de demande des demanderesses, vol. 1, onglet 3, p. 121.

5      Dossier de demande des demanderesses, vol. 1, onglet 3, p. 14 à 23.

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