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Date : 20030502

Dossiers : T-9509-82

T-2556-94

Référence neutre : 2003 CFPI 550

T-9509-82

ENTRE :

                                                            THOMAS JOHN O'NEIL

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                    SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

représentée par LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                               défenderesse

T-2556-94

ENTRE :

                                                            THOMAS JOHN O'NEIL

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE,

représentée par LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                               défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE


[1]                 Le Dr O'Neil, demandeur, cherche obtenir la réactivation de ces deux actions, qui sont fondées sur des transactions commerciales datant d'aussi loin que 1965. Ces transactions ont été infructueuses et elles ont eu des incidences fiscales pour le demandeur, portant sur les années 1973 à 1976, et 1980.

LE CONTEXTE

[2]                 L'action T-9509-82 a été radiée pour défaut de poursuite par une ordonnance en date du 3 août 1995. Le demandeur n'a pas fait opposition à la requête et il n'a pas non plus fait appel du résultat. La deuxième action, T-2556-94, a été radiée, après audition des deux parties, comme constituant une utilisation abusive des procédures de la Cour et parce qu'elle était hors délai. L'ordonnance et les motifs d'ordonnance ont été délivrés par le greffe le 5 mai 2000. Il n'y a pas eu d'appel. Je vais renvoyer à ces deux actions sous l'appellation l'action de 1982 et l'action de 1994, ainsi qu'aux ordonnances qui y ont mis fin sous l'appellation l'ordonnance de 1995 et l'ordonnance de 2000.

[3]                 Par la présente requête, datée du 2 avril 2003, le demandeur cherche premièrement à obtenir une extension de délai pour interjeter appel des ordonnances des 3 août 1995 et 5 mai 2000, et deuxièmement l'autorisation de déposer un appel des deux ordonnances ainsi que de déposer de nouvelles déclarations dans les deux cas. Troisièmement, il sollicite une ordonnance pour la « détention » de ses biens, que j'interprète dans le contexte comme une demande d'ordonnance en vertu de l'article 377 des Règles pour la conservation de biens.


[4]                 Comme je l'ai déjà mentionné, il n'y a eu aucune requête pour interjeter appel des ordonnances radiant les actions. S'agissant de l'action de 1982, je voudrais aussi faire remarquer que lorsqu'une partie ne dépose pas d'opposition à une requête alors qu'elle a été avisée dans les formes et qu'elle est disponible, on ne s'attend pas à un appel.

[5]                 À l'époque de l'ordonnance de 1995, le paragraphe 336(5) des Règles prévoyait un délai de 14 jours pour interjeter appel de l'ordonnance d'un protonotaire. L'article 51 des Règles actuellement en vigueur, qui s'applique à l'ordonnance de 2000, accorde 10 jours pour interjeter appel. Bien sûr, ces délais peuvent toujours faire l'objet d'une prorogation.

EXAMEN

[6]                 Lorsque la présente requête du Dr O'Neil a procédé à l'audience, il est apparu que, par suite d'un problème de messagerie, le Dr O'Neil n'avait pas reçu le dossier déposé en défense par la Couronne. J'ai donc ajourné l'audience pour deux semaines, après avoir fait remarquer au Dr O'Neil qu'il devait d'abord se préoccuper d'obtenir une prorogation de délai ainsi qu'examiner avec attention le précédent sur lequel la Couronne s'appuyait en matière de délai, Canada (Procureur général) c. Hennelly (1999), 244 N.R. 399 (C.A.F.), à la page 400. Le critère établi dans cet arrêt par la Cour d'appel pour l'octroi d'une prorogation de délai exige que le demandeur démontre :

1.           une intention constante de poursuivre sa demande;

2.           que la demande est bien fondée;

3.           que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; et

4.           qu'il existe une explication raisonnable justifiant le délai.


L'intention constante

[7]                 Je traiterai tout d'abord de l'intention constante de poursuivre l'appel. Le Dr O'Neil fait état de diverses manoeuvres frauduleuses de la part de la Couronne par le passé, ainsi que de sa conviction qu'il a été escroqué par ses anciens associés et par Revenu Canada. Il soutient aussi que la Cour suprême de la Colombie-Britannique ne lui a pas accordé une occasion raisonnable de présenter sa cause en 1988 et que ce n'est que maintenant qu'il détient la preuve des escroqueries perpétrées à son égard.

[8]                 J'ai examiné la documentation déposée par le Dr O'Neil, qui contient des pièces datant d'aussi loin que 1964. Même les documents les plus récents sont antérieurs à l'ordonnance de 2000, qui radiait l'action de 1994. Par conséquent, il n'y a aucune documentation récente rattachée à la présente requête. Toute la documentation semble correspondre à celle que le Dr O'Neil a déjà présentée à la Cour, soit avant l'ordonnance de 1995, soit avant celle de 2000.

[9]                 Dans ses prétentions écrites, le Dr O'Neil soutient que le délai est attribuable au fait qu'il croyait que les ordonnances radiant ces actions n'étaient pas susceptibles d'appel, que Revenu Canada ne lui a rien demandé avant décembre 2000, et qu'une nouvelle preuve de l'escroquerie de ses avocats et de Revenu Canada fait qu'elle [traduction] « est maintenant claire alors qu'on ne pouvait s'en rendre compte avant très récemment. Certains aspects étaient connus, mais non la preuve claire nécessaire à établir l'existence d'une fraude. » (Prétentions écrites déposées le 2 avril 2003.)


[10]            Quoique le Dr O'Neil peut ne pas avoir l'expérience d'en appeler devant notre Cour, il connaît certainement la procédure en général. J'ai ici à l'esprit ses appels à la Cour fédérale des décisions de la Cour de l'impôt, ainsi que ses appels à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. La documentation qu'il a déposée ne contient aucun élément nouveau, et nous n'avons que ses prétentions qu'il se rend maintenant compte de ce qui lui est arrivé. Il ne suffit pas que le demandeur affirme qu'il se rend finalement compte après toutes ces années de la façon dont il a été escroqué. Il semble aussi que la preuve en cause a toujours été en sa possession, ou disponible. Comme je l'ai dit, il ne semble y avoir rien de nouveau dans les documents que le Dr O'Neil présente dans le cadre de cette requête. La meilleure interprétation possible de son intention de poursuivre l'affaire serait qu'il a mis 30 ans, ou du moins plusieurs des dernières années, à réinterpréter les documents et qu'il veut maintenant, au vu des procédures prises contre lui pour faire exécuter les jugements, essayer à nouveau de contester ses cotisations d'impôt datant de deux ou trois décennies. Un litige doit s'arrêter quelque part et un réexamen ou une nouvelle approche à la preuve existante ne peuvent fonder une réactivation d'un litige révolu. Je n'accepte pas la preuve ou les allégations du Dr O'Neil comme la démonstration d'une intention qui s'est continuée sans interruption depuis la période pertinente, et plus particulièrement je considère que le Dr O'Neil n'a pas démontré qu'il ait jamais eu l'intention d'en appeler des ordonnances de 1995 et de 2000 avant aujourd'hui.


Le bien-fondé de la demande

[11]            Je vais maintenant examiner le bien-fondé de la demande. Le Dr O'Neil a consacré du temps à étayer ses allégations au sujet du bien-fondé de ses deux contestations. Ce qui est en cause n'est pas le bien-fondé de la contestation des cotisations d'impôt, bien que je voudrais reprendre en passant le point de vue de la Commission d'appel de l'impôt dans O'Neil Enterprises Limited et T.J. O'Neil c. Le ministre du Revenu national (1982), 82 D.T.C. 1732, décision qui portait sur des cotisations pour plusieurs années. Dans sa décision, M. Bonar souligne que le Dr O'Neil « ... semble être astucieux en affaires et en matière d'investissement... » mais a « fait preuve d'une incapacité étonnante à contester de façon convaincante les nombreux aspects des cotisations qu'il jugeait mal fondés » (page 1733). C'est le Dr O'Neil qui doit démontrer pourquoi on n'aurait pas dû rejeter les actions pour défaut de poursuivre, ou en tant qu'abus des procédures de la Cour. La présentation du Dr O'Neil, ainsi que sa documentation, ne me permettent pas d'identifier l'existence d'une question à trancher qui ferait avancer sa cause.

Le préjudice au défendeur


[12]            Le Dr O'Neil traite de la question du préjudice de la façon suivante : il ne nie pas que la Couronne a subi un préjudice, mais il déclare qu'il a subi un plus grand préjudice encore suite à l'escroquerie perpétrée à son égard par ses associés et par la Couronne. Je suis disposé à admettre que si la Couronne devait maintenant retourner 35 ou 40 ans en arrière, à l'époque où les transactions commerciales du Dr O'Neil ont eu lieu, ou même 30 ans en arrière jusqu'à la première année d'imposition en cause, elle subirait un préjudice. Comme je l'ai dit, le Dr O'Neil ne nie pas ce fait. Le fait qu'il subisse lui-même un préjudice ne fait pas partie du critère de l'arrêt Hennelly, les préjudices ne se prêtant pas nécessairement à la compensation.

L'explication du délai

[13]            Finalement, la seule explication du délai, telle que je la comprends, est qu'après toutes ces années, soit de 30 à 40 ans, le Dr O'Neil déclare qu'il se rend finalement compte comment on l'a escroqué. Cette réalisation semble s'être produite durant les dernières années qui ont suivi la radiation de ses actions. Dans certains cas une cour pourrait accepter une telle affirmation comme commencement d'explication d'un retard, mais je suis aussi conscient du fait que le Dr O'Neil donne aussi comme motif de retard le fait qu'il croyait que les ordonnances radiant ses actions n'étaient pas susceptibles d'appel et qu'il n'était pas urgent de s'occuper de tout cela jusqu'à ce que Revenu Canada entreprenne, assez récemment, des procédures d'exécution.

Conclusion au sujet de la prorogation de délai

[14]            J'ai pondéré tout ce que le Dr O'Neil expose et ce qu'il a dit, comme j'y suis tenu en application de Grewal c. Canada (MEI), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.), afin d'assurer que justice soit faite aux deux parties. Il n'y a pas grand-chose qui plaide en faveur du Dr O'Neil. L'octroi de la prorogation causerait un préjudice majeur à la Couronne. Je n'accorderai donc pas de prorogation pour en appeler des ordonnances du 3 août 1995 et du 5 mai 2000.


L'autorisation de déposer une nouvelle déclaration

[15]            Le Dr O'Neil ne peut obtenir l'autorisation de déposer une nouvelle déclaration pour obtenir un nouveau procès sur les questions en cause dans les actions de 1982 et de 1994. Ces actions ont été rejetées, décisions finales qui liaient les parties, sous réserve qu'elles soient infirmées en appel.

Ordonnance de conservation des biens

[16]            Le paragraphe 377(1) des Règles est rédigé comme suit :

La Cour peut, sur requête, rendre une ordonnance pour la garde ou la conservation de biens qui font ou feront l'objet d'une instance ou au sujet desquels une question peut y être soulevée.

On motion, the Court may make an order for the custody or preservation of property that is, or will be, the subject-matter of a proceeding or as to which a question may arise therein.

Une simple lecture de ce texte permet de constater qu'il porte que les biens à conserver doivent faire ou feront l'objet d'une instance, ou au sujet desquels une question peut y être soulevée. En l'espèce, je crois comprendre que le bien que la Couronne cherche à obtenir devant une cour de la Colombie-Britannique est une maison résidentielle. Cette maison n'a aucun lien avec les actions de 1982 et de 1994 devant la Cour fédérale. Elle a toutefois un lien avec une cotisation confirmée par la Cour de l'impôt.


[17]            Même si l'on ne tenait pas compte de la formulation claire de l'article 377 des Règles, une ordonnance prise en vertu de ce texte doit, bien qu'il ne s'agisse pas d'une injonction, se fonder sur l'examen du critère pour l'octroi d'une injonction interlocutoire, comme on le trouve énoncé, par exemple, dans American Cyanamid Co. c. Ethico Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.) et RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 : voir Perini America Inc. c. Alberto Consani North America Inc. (1992), 57 F.T.R. 139 (C.F. 1re inst.), à la page 143.

[18]            Le critère énoncé dans RJR-MacDonald est, premièrement, que le demandeur doit établir une apparence de droit, ou du moins une question sérieuse à juger; deuxièmement, que le demandeur doit démontrer qu'il subirait un préjudice irréparable si l'injonction n'était pas accordée, préjudice qui pourrait difficilement être compensé par des dommages-intérêts, sinon pas du tout; et, troisièmement, que la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur. La documentation déposée par le Dr O'Neil ne me semble rien contenir qui pourrait même se rapprocher de la norme peu élevée de l'apparence de droit. Le préjudice qui peut être causé au Dr O'Neil est malheureux, mais il n'est pas irréparable. Quant à la prépondérance des inconvénients, elle est en faveur de la Couronne.

CONCLUSION


[19]            Le Dr O'Neil se trouve face à la difficulté causée par le fait qu'il ne peut se placer dans le cadre du critère de l'arrêt Hennelly pour obtenir la prorogation de délai nécessaire à loger un appel des ordonnances de 1993 et de 2000. Deuxièmement, rien dans la preuve n'indique qu'il y ait quelques procédures devant la Cour fédérale relatives au bien en question. Troisièmement, tant dans sa documentation que dans sa présentation, le Dr O'Neil n'a pas satisfait aux exigences du critère de l'arrêt RJR-MacDonald qui auraient pu l'aider à obtenir une ordonnance de conservation des biens.

[20]            La requête est rejetée avec dépens. En l'espèce, le défendeur soutient que la requête elle-même est vexatoire et qu'elle constitue un abus des procédures de la Cour. Par conséquent, j'accorde la somme forfaitaire de 1 200 $ à titre de dépens, en me fondant sur la fourchette supérieure de la colonne III du tarif B. Ceci comprend aussi une allocation pour les débours. Toutefois, le Dr O'Neil peut obtenir des dépens raisonnables pour sa première comparution à Vancouver le 14 avril 2003.

                                                                                                                                     « John A. Hargrave »          

                                                                                                                                                    Protonotaire                  

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 2 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                T-9509-82

T-2556-94

INTITULÉS :                                               Thomas John O'Neil c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada représentée par le ministre du Revenu national

Thomas John O'Neil c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Vancouver (Colombie-Britannique)

DATES DE L'AUDIENCE :                     Les 14 et 28 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         Le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                               Le 2 mai 2003

COMPARUTIONS :

Thomas John O'Neil                                                                       DEMANDEUR

Michael Taylor                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thomas John O'Neil                                                                       DEMANDEUR, en son propre nom

Kelowna (Colombie-Britannique)

Morris A. Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

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