Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20051209

Dossier : IMM-2856-05

Référence : 2005 CF 1676

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL U.C. ROULEAU

ENTRE :

HARJIT SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 14 avril 2005, dans laquelle la Commission a refusé de reconnaître qualité de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger au demandeur, en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La Commission a fondé sa décision sur le fait que le récit allégué par le demandeur n'était pas crédible.

[2]                Le demandeur, Harjit Singh, est un citoyen de l'Inde qui prétend craindre d'être persécuté par la police, en Inde.

[3]                Le demandeur soutient que la police l'a arrêté le 23 novembre 1996 et qu'elle l'a accusé d'aider des terroristes à raviver le terrorisme au Penjab. Il prétend avoir nié ces allégations et avoir été détenu illégalement pendant six jours. Pendant sa détention, le demandeur soutient qu'il a été longuement torturé dans le but de le faire passer aux aveux.

[4]                Le demandeur prétend qu'un deuxième incident s'est produit le 21 février 2004. Il dit qu'il s'est arrêté à un restaurant et que, quand il est revenu à son camion, deux hommes étaient assis dans la cabine. Il prétend que l'un d'eux l'a menacé avec une arme à feu en le sommant de respecter les consignes. Le demandeur allègue avoir constaté qu'une jeep de police les suivait. Les deux jeunes hommes lui auraient dit de s'arrêter dans un virage puis ils seraient descendus de la voiture et se seraient enfuis.

[5]                Le demandeur a ensuite été arrêté, détenu pendant plusieurs jours et torturé avec des bâtons, des ceintures et un rouleau. Il prétend s'être échappé pendant que la police le transférait au camp d'Udhampur. Ils s'étaient arrêtés pour manger et le demandeur a pu s'enfuir du véhicule.

[6]                Par la suite, le demandeur est venu au Canada après avoir quitté l'Inde en août 2004. Il soutient que la police le recherche toujours et qu'elle prétend qu'il a des liens avec des terroristes cachemiriens notoires. Il a demandé l'asile le 8 octobre 2004.

[7]                La Commission a examiné la demande d'asile et a conclu que le demandeur n'était pas un témoin crédible. Dans sa décision, datée du 14 avril 2005, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas produit une preuve crédible concernant les incidents qui l'exposeraient à un risque. La Commission a conclu qu'il y avait rien de plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit personnellement exposé à une menace à sa vie, ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités s'il était renvoyé en Inde.

[8]                La Commission a tiré six conclusions importantes en décidant que le demandeur n'était pas crédible. Premièrement, la Commission a jugé qu'il était invraisemblable que le demandeur ignore l'existence de la commission du peuple sur les droits de la personne qui a été établie pour enquêter sur le type de plaintes alléguées par le demandeur (la détention et la torture arbitraires et illégales).

[9]                Deuxièmement, la Commission a conclu que des parties pertinentes de la preuve contenue dans le Formulaire de renseignements personnels du demandeur (FRP) étaient absentes du témoignage du demandeur pendant l'audience.

[10]            Troisièmement, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas allégué la torture au médecin qu'il avait consulté après son arrivée au Canada. La Commission conclut que le demandeur n'a produit aucune preuve médicale crédible pouvant établir qu'il avait été torturé en Inde.

[11]            Quatrièmement, la Commission a mentionné qu'il y avait une incohérence entre l'entrevue que le demandeur avait subie avec un agent d'immigration le 1er décembre 2004 et les allégations contenues dans son FRP. La Commission mentionne que le demandeur a dit à l'agent, relativement au deuxième incident allégué, que la police l'avait détenu et qu'il s'était enfui quand les policiers avaient arrêté le véhicule pour prendre le thé. La Commission a dit que les notes de l'agent ne mentionnent pas que le demandeur a été détenu pendant plusieurs jours.

[12]            Cinquièmement, la Commission a mentionné que le demandeur n'avait pas toujours donné la même réponse quand on lui avait demandé si un mandat d'arrestation avait été lancé contre lui. Le demandeur a d'abord dit qu'il y avait un mandat; plus tard, il a affirmé le contraire. La Commission a conclu que la police lancerait un mandat si elle soupçonnait que le demandeur avait des liens avec des terroristes cachemiriens. La Commission a conclu que l'incohérence minait davantage la crédibilité du demandeur.

[13]            Enfin, la Commission a mentionné que le demandeur possédait de faux documents (un permis de conduire soumis à une analyse pour contrefaçon). La Commission a également mentionné le délai de deux mois avant que le demandeur ne demande l'asile et ne se rende de Vancouver à Montréal avant de déposer la demande. La Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible et elle a rejeté sa demande.

[14]            La Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible et qu'il n'avait donc pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger. La Commission a rejeté la demande d'asile du demandeur.

[15]            En l'espèce, la seule question en litige est de savoir si la décision de la Commission concernant la crédibilité du demandeur était raisonnable. La décision de la Commission n'est sujette à révision que si elle a été prise de manière abusive ou arbitraire ou sans égard à la preuve dont la Commission disposait.

[16]            L'appréciation de la crédibilité est un domaine d'analyse dans lequel le tribunal doit faire preuve d'une grande déférence envers la Commission. La Cour a établi le processus de contrôle applicable à une conclusion en matière de crédibilité dans R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2003] A.C.F. no162, aux paragraphes 7 et 8 :

¶ 7       L'évaluation de la crédibilité d'un demandeur constitue l'essentiel de la compétence de la Commission. La Cour a statué que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d'un demandeur : voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800, au parag. 38 (QL) (1re inst.); Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au parag. 14.

¶ 8       En outre, il a été reconnu et confirmé qu'en ce qui concerne la crédibilité et l'appréciation de la preuve, la Cour ne peut pas substituer sa décision à celle de la Commission si le demandeur n'a pas réussi à établir que la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont elle disposait : voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, au par. 14 (QL) (1re inst.) (Akinlolu); Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1124, au parag. 9 (QL) (1re inst.) (Kanyai); le motif de contrôle prévu à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.

[17]            Toutefois, malgré toute la déférence que la Cour doit avoir à l'égard de la Commission quand celle-ci se prononce en matière de crédibilité, la décision que la Commission a prise doit néanmoins être raisonnable. Dans Dev Singh Gil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 921, le juge Pinard a dit, au paragraphe 13 :

Pour ces motifs, je suis d'avis que, malgré l'argumentation fort habile de l'avocat du défendeur, la Commission en est arrivée à sa décision sur le fondement d'un trop grand nombre de conclusions tirées à partir d'une interprétation microscopique, exagérée et erronée de la preuve.

[18]            En outre, le juge Muldoon a dit, dans Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] A.C.F. no 1131, que le tribunal ne peut :

[...] conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend [...]

[19]            Dans la présente affaire, la Commission a effectué une analyse exagérée et microscopique de la situation du demandeur et elle s'est fondée sur des conclusions en matière d'invraisemblance qui ne respectent pas les critères établis par le juge Muldoon dans Valtchev, précité.

[20]            Eu égard aux conclusions en matière d'invraisemblance, à savoir que le demandeur aurait dû connaître l'existence de la commission des droits de la personne et qu'il aurait signalé au médecin la torture qu'il avait subie en Inde, elles sont à ce point invraisemblables qu'elles débordent le cadre de ce à quoi on pourrait logiquement s'attendre. La Commission a commis une erreur en tirant ses conclusions en matière d'invraisemblance.

[21]            Quant aux conclusions selon lesquelles le récit du demandeur contenait des omissions et des contradictions, je suis d'avis que la Commission a effectué une analyse exagérée du récit du demandeur, et sa décision est donc manifestement déraisonnable. L'analyse des omissions effectuée par la Commission relativement à l'utilisation du rouleau et à l'élongation des pieds est microscopique et ne saurait être confirmée. Je conviens avec le demandeur que la Commission ne pouvait pas raisonnablement rejeter sa preuve au motif qu'il avait omis de préciser un détail de la torture qu'il avait subie. En outre, la confusion entourant la question de l'existence du mandat qui a été soulevée pendant l'interrogatoire du demandeur exigerait, comme le prétend le demandeur, qu'il réponde à des questions concernant les mobiles de personnes sur lesquelles il n'a aucun contrôle (la police). On s'attendait à ce qu'il suppute les motifs. Je suis d'avis que la conclusion a été tirée à partir d'un examen étriqué de la preuve et ne saurait être confirmée.

[22]            Compte tenu des conclusions inquiétantes en matière de crédibilité tirées par la Commission, j'estime que, dans l'ensemble, la décision de la Commission est manifestement déraisonnable et ne peut être confirmée.

JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

« Paul U.C. Rouleau »

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2856-05

INTITULÉ :                                        HARJIT SINGH

                                                            c.

                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 6 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                       LE 9 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Ethan Friedman                                    POUR LE DEMANDEUR

Edith Savard                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ethan Friedman                                  POUR LE DEMANDEUR        

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.