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                                           ACTION RÉELLE DE DROIT MARITIME

Date : 20030613

Dossier : T-1949-99

Référence : 2003 CFPI 712

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGAN

ENTRE :

SEA-LINK MARINE SERVICES LTD.,

UNION TUG AND BARGE LTD. et les propriétaires

des navires « ARCTIC HOOPER » et « SEA-LINK YARDER » ,

et toutes autres personnes intéressées dans lesdits navires

                                                                                                                   demandeurs reconventionnels

                                                                                   et

                                             DOMAN FOREST PRODUCTS LIMITED

                                                                                                               défenderesse reconventionnelle

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION


[1]                 Aux premières heures du 14 novembre 1998, le remorqueur « ARCTIC HOOPER » , ainsi que la barge « SEA-LINK YARDER » , quittaient Tahsis, en Colombie-Britannique, pour se rendre à Nanaimo. La barge était chargée d'environ 1,9 million de pied-planches de bois de charpente, répartis en 1 441 paquets. Entre 2 heures et 3 h 15 le 15 novembre 1998, la cargaison s'est déplacée. Une partie de la cargaison a été perdue et endommagée, et il en a résulté des dommages pour la barge. La présente action ne se rapporte qu'aux dommages subis par la barge, c'est-à-dire à la demande reconventionnelle. Un avis de désistement a été déposé le 28 novembre 2002 dans l'action principale introduite par Doman.

LES FAITS

i) Les parties

[2]                 Sea-Link Marine Services Ltd. (Sea-Link), la demanderesse reconventionnelle, est une société qui exerce ses activités à New Westminster (Colombie-Britannique). À toutes les dates pertinentes, elle était le propriétaire et l'exploitant de la barge « SEA-LINK YARDER » et l'affréteur du remorqueur « ARCTIC HOOPER » .

[3]                 La demanderesse reconventionnelle Union Tug and Barge Ltd. (Union) est une société qui exerce ses activités à New Westminster (Colombie-Britannique) et, à toutes les dates pertinentes, elle était le propriétaire du « ARCTIC HOOPER » .

[4]                 Le « SEA-LINK YARDER » est une barge de 285,29 pieds de longueur et de 2 390,099 tonnes brutes. Elle est immatriculée en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, au port de Vancouver, numéro officiel 189999.


[5]                 Le « ARCTIC HOOPER » est un remorqueur de 102,1 pieds de longueur et de 394,489 tonnes brutes. Il est immatriculé en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, au port d'Edmonton, numéro officiel 368382.

[6]                 La défenderesse reconventionnelle, Doman Forest Products Limited (Doman), est une société exerçant des activités de fabricant et de fournisseur de bois de charpente. Par l'entremise d'une société associée, elle est propriétaire d'une scierie à Tahsis (Colombie-Britannique).

ii) Les faits

[7]                 Durant l'été et au début de l'automne de 1998, Doman et Sea-Link avaient engagé des pourparlers en vue du transport de produits forestiers par Sea-Link, depuis Tahsis jusqu'à Nanaimo. Ces pourparlers avaient conduit à un accord entre les parties, constaté par une lettre télécopiée portant la date du 29 octobre 1998, adressée par Sea-Link à Doman. En conformité avec cet accord, la première cargaison transportée par Sea-Link fut chargée à bord de la barge « SEA-LINK YARDER » les 5 et 6 novembre 1998. Cette cargaison fut déchargée à Tahsis les 8 et 9 novembre 1998, sans incident. Cette première cargaison se composait de 1,78 million de pied-planches de bois de charpente, répartis en 1 440 paquets.

[8]                 La deuxième cargaison, soit 1,9 million de pied-planches répartis en 1 441 paquets, fut chargée à Tahsis les 12 et 13 novembre 1998. Il s'agissait de pruche et de douglas vert. Le remorqueur et la barge ont quitté Tahsis à 0 h 22 la nuit du 14 novembre 1998.

[9]                 La cargaison s'est déplacée, quelque part entre 2 heures et 3 h 15 le 15 novembre 1998, et la barge a été endommagée. Après le déplacement de la cargaison, le convoi s'est dirigé vers Port Renfrew, où les réservoirs basculants de la barge furent submergés pour corriger la gîte de tribord. Le convoi a ensuite pris la route de Nanaimo, où il est arrivé à 8 h 53 le 16 novembre 1998. Un constat d'avaries effectué après l'arrivée a permis de constater qu'environ 130 paquets de planches avaient été perdus.

[10]            Les parties se sont entendues sur les dommages-intérêts réclamés par Sea-Link, pour les sommes suivantes, en dollars canadiens :

a)          Dépenses de main-d'oeuvre                                     5 809,87 $

b)         Matériaux et locations                              17 840,20

c)         Réparations                                                           101 014,66

d)         Honoraires d'inspection                                           8 076,50

TOTAL                                                                 132 741,23 $

Les parties sont également convenues que les intérêts avant jugement s'accumuleraient au taux de 4 p. 100 l'an.


[11]            Les parties ne se sont pas entendues sur la réclamation de 16 000 $ pour perte d'utilisation de la barge durant le temps où elle était en réparation.

iii) Les témoins

[12]            Sea-Link a convoqué le capitaine Kenneth Hemeon, patron du remorqueur, M. Peter Brown, un dirigeant du groupe de sociétés Sea-Link, qui comprend la société Sea-Link Marine Services Ltd. et la société Union Tug and Barge Ltd., et M. Paul Hilder, directeur des opérations de Sea-Link. Sea-Link a aussi adopté, comme partie de sa preuve, en conformité avec les Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, certaines questions et réponses provenant des témoignages de M. Chris Calverley et de M. Orval Forgaard, produits durant les interrogatoires préalables du 29 septembre 2001 et du 27 juin 2001 respectivement. M. Michael Fothergill, capitaine de la marine marchande, et M. Jim Lindsay, expert maritime, ont été convoqués pour produire des témoignages d'expert sur la cause de la perte de la cargaison, et la cause de l'endommagement de la barge.

[13]            Doman, la défenderesse reconventionnelle, a produit les témoignages de ses employés, M. Chris Calverley, coordonnateur du bois de charpente et des expéditions, et M. Orval Forgaard, contremaître de chantier et surveillant des opérations de chargement, ainsi que le témoignage d'expert du capitaine Geoffrey Vale.


iv) Les témoignages

[14]            M. Brown a témoigné sur les divers remorqueurs dont le groupe de sociétés Sea-Link est propriétaire et exploitant. Le « SEA-LINK YARDER » avait à l'origine été construit comme barge autodéchargeuse pour grumes. Il avait été acheté par Sea-Link en 1992 et utilisé pendant plusieurs années comme barge pour grumes. À la fin de 1996, début de 1997, M. Brown avait décidé de l'utiliser comme barge pour cargaisons en tous genres, et des modifications y avaient été apportées.

[15]            Des parois latérales y ont été ajoutées à la fin de 1997. Ces parois étaient des poutrelles d'acier renforcé, munies d'ailes très lourdes. Elles étaient bien adaptées pour l'installation de platines à oeil, faites d'acier, qui étaient les points d'arrimage. Le pont fut quant à lui revêtu d'asphalte; ce travail a été effectué en août-septembre 1998.


[16]            M. Brown a témoigné qu'il n'avait reçu aucune information sur la stabilité de la barge lorsqu'elle avait été achetée. Il est resté imperturbable sur ce sujet, affirmant que souvent les livrets de stabilité se perdent au fil des ans, lorsque les barges changent de mains. Il n'a pas retenu les services d'un ingénieur du génie maritime pour qu'il effectue des essais de stabilité, après que la barge eut été modifiée par ajout des parois latérales et du revêtement d'asphalte. Il estimait que la barge était suffisamment stable et il a fait remarquer qu'elle n'avait pas basculé durant le voyage en question les 14 et 15 novembre 1998.

[17]            Le « SEA-LINK YARDER » avait à l'origine été construit comme barge devant servir au transport de grumes, et il avait été converti, par Sea-Link, en une barge multifonctionnelle, avec des parois latérales et un pont asphalté. M. Brown a témoigné généralement sur les différents genres de remorqueurs dont le groupe de sociétés Sea-Link est propriétaire et exploitant, ainsi que sur ses propres antécédents dans l'industrie maritime. Il s'est exprimé sur le « SEA-LINK YARDER » et sur les modifications qui avaient été apportées à cette barge. Les parois latérales avaient été installées et achevées à la fin de 1997. Le pont avait été revêtu d'asphalte en août-septembre 1998. Les parois étaient des poutrelles d'acier renforcé, équipées de lourdes ailes, plus larges que la normale. Elles convenaient parfaitement pour l'installation des platines à oeil, qui étaient faites d'acier.

[18]            M. Brown a aussi témoigné sur l'historique de l'accord qui avait été conclu avec Doman. En août 1998, M. Brown avait rencontré M. Chris Calverley, de l'entreprise Doman, qui songeait à la possibilité de changer ses services de remorquage pour le transport de bois de charpente, plus exactement la pruche et le douglas vert. M. Calverley connaissait la capacité du « SEA-LINK YARDER » et il savait que cette barge pouvait transporter entre 4 600 et 4 700 tonnes métriques, représentant entre 1,8 et 2 millions de pied-planches.

[19]            M. Brown a dit que, d'après les conditions débattues, l'entreprise de remorquage devait fournir des chaînes d'arrimage, selon les spécifications de Doman, sans dépasser son tarif. D'après lui, Doman voulait opérer de la même façon qu'elle avait opéré avec des entreprises antérieures de remorquage, c'est-à-dire que Doman s'occuperait du chargement et de l'arrimage de la cargaison. Sea-Link devait fournir les chaînes d'arrimage, selon les spécifications de Doman, et les chaînes d'arrimage seraient comprises dans le tarif, mais Sea-Link ne les installerait pas.

[20]            Finalement, les parties ont conclu une entente, qui a été couchée par écrit dans une lettre datée du 29 octobre 1998, dont copie a été versée comme pièce 2. M. Brown a signé cette lettre. L'accord prévoit en partie ce qui suit :

Cargaison                                   -                 minimum 2 millions de pied-planches de bois

Tarif                                            -                 18 $CAN le millier de pied-planches

Le tarif comprend -                 les chaînes d'arrimage

-                 36 heures de chargement - plus de 36 heures, surestaries de 175 $ l'heure

-                 36 heures de déchargement - plus de 36 heures, surestaries de 25 $ l'heure (barge seulement)

Le tarif ne comprend pas

-                 le chargement

-                 le déchargement

-                 l'arrimage ou le désarrimage

[21]            M. Brown a témoigné que la lettre avait été envoyée par télécopieur à Doman. Il avait cru comprendre qu'au départ, une page seulement de la lettre avait été envoyée. Il s'est plus tard demandé, lorsqu'il se trouvait à l'extérieur de son bureau, et peut-être alors qu'il assistait à une conférence en Afrique du Sud, si les conditions usuelles de Sea-Link avaient été envoyées. Après enquête, il apprit qu'elles n'avaient pas été envoyées, et il a demandé alors à son personnel de retransmettre la lettre d'accord, accompagnée des conditions. Cela fut fait, mais M. Brown n'a pas dit quand. Aucune preuve n'a été produite, qu'il s'agisse d'un relevé de télécopie ou d'une facture de téléphone, pour montrer que la deuxième page avait été envoyée. M. Calverley n'a pu se rappeler s'il avait personnellement reçu la page deux de la lettre datée du 29 octobre 1998 qui contenait certaines modalités de transport et qui avait été envoyée par Sea-Link.

[22]            M. Hilder, le directeur des opérations de Sea-Link, qui était intervenu dans le contrat passé avec Doman après qu'il eut été négocié, a témoigné que son rôle était de trouver quelles chaînes d'arrimage seraient requises par Doman. Il a témoigné que M. Brown lui avait dit de communiquer avec Chris Calverley, chez Doman. C'est ce qu'il a fait, et il a dit que M. Calverley avait parlé d'ordonnancement et de sujets tels que l'arrivée de la barge. Selon M. Hilder, M. Calverley n'était pas au fait du déroulement des opérations à Tahsis, et il avait dirigé M. Hilder vers M. Forgaard, le surveillant des opérations de chargement pour Doman, à Tahsis.

[23]            M. Hilder avait communiqué avec M. Forgaard, qui avait voulu savoir quel genre de barge serait utilisé. M. Hilder avait envoyé à M. Forgaard, par télécopieur, un croquis de la barge, avec ses dimensions. M. Forgaard, au nom de Doman, envoya alors par télécopieur, en date du 29 octobre 1998, les spécifications des chaînes qui seraient requises. M. Forgaard a reconnu qu'il avait reçu les dimensions de la barge lorsqu'il avait placé cette commande concernant les chaînes d'arrimage.

[24]            M. Hilder a dit qu'il n'était jamais intervenu dans le chargement de bois de charpente avant ce contrat passé avec Doman. Il s'en était remis à M. Forgaard pour savoir ce qui serait nécessaire en fait de chaînes d'arrimage. Il n'avait demandé l'avis de personne pour le chargement ou la configuration des chaînes. Cependant, M. Hilder avait informé M. Forgaard que les points d'arrimage se trouvaient à des intervalles de 10 pieds, et il lui avait expliqué que le « montage » , sur les parois latérales, était destiné à l'arrimage.

[25]            M. Hilder a dit qu'il avait eu de nombreuses conversations avec M. Forgaard. M. Forgaard lui avait remis une liste des chaînes d'arrimage requises, et M. Hilder avait envoyé les spécifications à deux grandes sociétés de fournitures pour qu'elles proposent des prix. Finalement, Sea-Link avait loué les chaînes d'arrimage auprès de Obert Marine Supply. Sea-Link avait acheté des pièces de coin, qui seraient placées sur les chaînes pour éviter l'endommagement de la cargaison.

[26]            M. Hilder a aussi témoigné à propos de la possibilité d'ajouter, aux points d'arrimage, d'autres platines à oeil, si elles étaient nécessaires. Il était assez facile de souder d'autres platines, faites d'acier, aux extrémités supérieures des parois latérales. M. Hilder a dit que les dispositifs d'arrimage avaient été mis sur la barge et expédiés vers Tahsis. M. Forgaard ne s'est jamais déclaré insatisfait des dispositifs d'arrimage ou des platines à oeil. Il avait commandé ce que M. Forgaard avait demandé. Il n'a communiqué aucun renseignement sur le chargement de cette barge, et il n'a reçu de M. Forgaard aucun renseignement, pas même un plan d'arrimage.

[27]            M. Chris Calverley, coordonnateur du bois de charpente et des expéditions pour Doman, a témoigné au nom de Doman. Ses fonctions consistaient à négocier des contrats pour le transport côtier par barge et à préparer rapidement des cargaisons pour qu'elles soient transportées vers tel ou tel endroit et distribuées aux clients de Doman.

[28]            Le témoignage de M. Calverley a principalement porté sur l'exécution du contrat, bien qu'il ne fût pas concerné par le chargement lui-même ou par d'autres aspects opérationnels. Il ressort clairement de son témoignage que la négociation des conditions de l'accord avait suivi une demande initiale de renseignements de M. Jim Lane, un ancien patron de remorqueur qui travaillait pour Sea-Link comme patron de remorqueur et, lorsque c'était nécessaire, comme agent de liaison chargé de trouver de nouveaux clients. M. Lane était à la recherche de contrats, et M. Calverley l'avait invité à proposer un prix. Une proposition fut envoyée par télécopieur le 20 août 1998.


[29]            Selon M. Calverley, Doman voulait faire transporter environ 2 millions de pied-planches de bois à la fois, afin de maximiser le délai de chargement. C'était là l'objet de la négociation du contrat avec Sea-Link. Un tarif de 18 $ le millier de pied-planches fut finalement arrêté, et ce tarif devait comprendre le coût des pièces d'arrimage. Selon la proposition du 20 août 1998, ce tarif devait exclure le chargement, le déchargement, l'arrimage et le désarrimage. M. Calverley a témoigné que les employés de Doman chargeaient et déchargeaient les barges; c'était la pratique suivie pour d'autres barges louées par Doman. Il en allait de même pour l'arrimage et le désarrimage. Ce travail était exécuté par les employés de Doman ou, dans le cas de Nanaimo, par des débardeurs qui par la suite envoyaient une facture à Doman.

[30]            M. Calverley n'avait obtenu aucun renseignement particulier sur le « SEA-LINK YARDER » . Sa connaissance de la barge reposait sur la description de celle-ci apparaissant dans la proposition envoyée par Sea-Link le 20 août 1998. Il connaissait Jim Lane et il savait qu'il avait de nombreuses années d'expérience dans le transport de bois de charpente. La question de l'expérience de Sea-Link dans cette activité ne s'était pas posée pour M. Calverley. Autant qu'il sût, aucun représentant de la société Doman n'avait inspecté le « SEA-LINK YARDER » avant la première expédition, et il n'y avait eu aucune discussion sur la capacité de la barge d'exécuter les services requis. M. Calverley était chargé des dispositions contractuelles propres au voyage et non des aspects matériels du chargement et de l'arrimage de la cargaison.

[31]            M. Calverley fut interrogé sur une rencontre qu'il avait eue avec M. Brown en août 1998, et sur ses conversations téléphoniques avec M. Hilder et M. Forgaard, à propos des voyages envisagés. Cependant, il ne se rappelait pas très bien la réunion et les conversations en question. Il a pu dire qu'il avait parlé avec M. Forgaard et qu'il avait suggéré à celui-ci de s'adresser à quelqu'un chez Sea-Link. Il a dit qu'il avait donné à M. Forgaard les dimensions de la barge. Il a témoigné qu'il avait sans doute demandé à M. Forgaard de donner par la même occasion à Sea-Link la composition de la cargaison. Il a dit que la composition de la cargaison n'avait peut-être pas été établie avant le départ de la barge. Il a dit qu'une composition préliminaire de la cargaison serait préparée par le bureau principal de Vancouver et qu'elle serait utilisée par les gens chargés de planifier l'arrimage, pour arriver à une composition finale.

[32]            M. Calverley avait travaillé pour Doman depuis 1993 comme coordonnateur du bois de charpente et des expéditions et avait traité avec M. Forgaard depuis cette année-là jusqu'à l'incident de novembre 1998, mais il n'avait pas rencontré M. Forgaard avant le jour du procès. Il n'avait aucune connaissance personnelle des antécédents de M. Forgaard.

[33]            Doman a également convoqué M. Orval Forgaard, un contremaître de chantier et surveillant des opérations de chargement pour Doman. Il occupe ces postes depuis 1997, et ses fonctions consistaient à surveiller le chargement des navires et des barges pour le transport de bois depuis Tahsis. Sa formation pour ce travail lui avait été donnée par d'anciens surveillants des opérations à Tahsis. Il a commencé à travailler pour Doman en 1992.


[34]            M. Forgaard avait une certaine expérience du chargement de bois sur des barges, expérience qu'il avait acquise auprès de Seaspan et de Pacific Towing. Les barges de Seaspan avaient des parois latérales élevées, d'une hauteur de quelque 15 à 18 pieds. La barge de Pacific Towing avait des parois courtes, qui mesuraient environ six pieds. Cette barge était semblable au « SEA-LINK YARDER » .

[35]            M. Forgaard avait accusé réception d'un diagramme indiquant les dimensions de la barge, avant le premier voyage de novembre 1998. Il l'avait reçu soit de Joe Moric, son surveillant direct à l'époque, soit de Chris Calverley. Il avait demandé ce diagramme afin de planifier la cargaison. Autrement, il comprenait que son travail était le chargement de la barge. Il ne s'était pas renseigné sur la ligne de charge ou sur la stabilité de la barge. Il avait cependant parlé à M. Jim Lane, de Sea-Link, à propos du chargement. Cette conversation avait eu lieu avant qu'il ne prépare le plan d'arrimage pour le premier voyage. Il avait demandé à M. Lane de se présenter pour le chargement en vue de ce voyage, parce que jamais auparavant il n'avait chargé une barge comme le « SEA-LINK YARDER » .

[36]            M. Lane s'est rendu à Tahsis après l'arrivée de la barge, mais il n'a donné aucun conseil. Selon M. Forgaard, M. Lane s'était cassé la jambe et, bien qu'il se fût rendu à Tahsis, il n'y était pas resté plus d'une heure. Durant cette période, il avait rendu visite à l'équipage du remorqueur. Il n'avait pas aidé au chargement.


[37]            M. Forgaard avait eu des conversations avec M. Hilder, de Sea-Link, mais il n'a pu se rappeler le contenu de ces conversations, ni dire si elles avaient eu lieu avant ou après l'arrivée de la barge. Il a dit qu'il avait envoyé à M. Lane les détails de ce qu'il considérait être les chaînes nécessaires d'arrimage, notamment entraves et ridoirs. Il a dit que personne, à Sea-Link, ne l'avait informé de restrictions concernant ce qui pouvait être chargé sur la barge.

[38]            M. Forgaard avait préparé un plan initial d'arrimage, avant l'arrivée de la barge. Ce plan d'arrimage n'a pu être déposé comme preuve car M. Forgaard a dit qu'il l'avait effacé de son ordinateur, à une date non précisée.

[39]            M. Forgaard a déclaré qu'il avait dû revoir le plan après avoir vu la barge, lorsqu'il avait découvert que la largeur intérieure de la barge était inférieure à ce qu'il avait prévu, eu égard aux dimensions de la barge. Afin de tenir compte de l'espace réduit, il avait révisé le plan, car il devait alors utiliser des espaceurs. Il a dit qu'il avait parlé de son plan initial d'arrimage avec l'équipage du remorqueur. Il a dit aussi qu'il avait discuté avec eux des modifications qu'il faudrait apporter au plan d'arrimage. Il a dit qu'il avait montré le plan d'arrimage aux membres de l'équipage. Il a identifié l'un des membres en l'appelant « Danny » et il n'a pu se rappeler le nom de l'autre membre.

[40]            M. Forgaard s'est rappelé que cette conversation s'était déroulée après le chargement de la première cargaison, c'est-à-dire au cours de la première semaine de novembre. Il a dit que, après le chargement de cette première cargaison, les membres de l'équipage du remorqueur avaient dit qu'elle était « légère » et qu'un chargement plus élevé pourrait être transporté au voyage suivant.

[41]            M. Forgaard a alors témoigné que, lorsque la barge était revenue pour le deuxième voyage, il avait de nouveau rencontré l'équipage du remorqueur et lui avait montré le plan d'arrimage qu'il avait préparé. Il a dit qu'il avait envisagé d'aller jusqu'à une hauteur de huit pieds et que, autrement, il avait procédé au chargement comme il l'avait fait pour le premier voyage. Il a décrit comme une réaction de satisfaction la réaction qu'avait eue l'équipage du remorqueur à son idée concernant la hauteur. Selon lui, l'équipage avait dit que « cette barge ne coulera jamais » , et avait ajouté que, durant l'été, on pouvait la charger jusqu'à neuf pieds.

[42]            M. Forgaard a dit que le chargement en vue du deuxième voyage s'était déroulé sans incident. Les membres de l'équipage du remorqueur étaient présents durant le chargement, en général deux hommes. Ils faisaient remarquer certaines choses, par exemple des courroies brisées, et les employés de Doman les remplaçaient alors sur-le-champ. Lorsque le temps était venu d'accrocher les chaînes, l'équipage les avait attachées aux côtés. M. Forgaard a dit que si l'équipage du remorqueur voulait que les chaînes soient déplacées, ses hommes les déplaçaient.

[43]            Prié d'expliquer l'utilisation des chaînes longitudinales, M. Forgaard a dit que sa recommandation était qu'elles n'étaient pas nécessaires, vu la manière dont la cargaison devait être chargée, d'avant en arrière, dans une position descendante. Il a dit que les membres de l'équipage avaient parlé au capitaine et étaient revenus pour dire que le capitaine voulait que les chaînes longitudinales soient installées. M. Forgaard a dit que c'était en raison de la « grosse mer » , à laquelle il fallait se préparer, et que le capitaine « craignait de perdre une partie de la cargaison par l'arrière » .

[44]            M. Forgaard a aussi témoigné qu'il avait parlé aux deux membres de l'équipage à propos du temps et il a dit que l'on prévoyait des coups de vent. Il a dit ensuite que l'entreprise antérieure de remorquage, Seaspan, ne naviguait pas par tempête, mais attendait plutôt qu'elle s'apaise, soit au quai, soit dans le détroit de Barclay. Selon M. Forgaard, les membres de l'équipage l'avaient assuré qu'ils remorquaient depuis de nombreuses années des barges chargées de grumes sur la côte ouest de l'île de Vancouver et qu' « ils savaient ce qu'ils faisaient » .

[45]            Le capitaine Hemeon a témoigné, au nom de Sea-Link, sur son expérience dans l'industrie maritime, sur son rôle dans le chargement et l'arrimage de la cargaison et sur la progression du convoi. Le capitaine Hemeon travaille pour Sea-Link comme patron de remorqueur depuis 1996. Il travaille dans l'industrie maritime depuis 1969 et il est passé capitaine en 1982. Il connaît bien la barge « SEA-LINK YARDER » . Il avait travaillé sur cette barge lorsqu'elle était utilisée pour transporter du gravier.


[46]            Le capitaine Hemeon a dit que ni lui ni son équipage n'avaient été concernés par la cargaison, que ce soit pour le premier voyage ou pour le second. Cependant, il n'avait jamais été avant novembre 1998 aux commandes du « SEA-LINK YARDER » pour transporter du bois de charpente. Les chaînes d'arrimage requises pour la cargaison avaient été transportées jusqu'à Tahsis, où les employés de Doman avaient chargé et arrimé la cargaison de planches. Il n'avait pas reçu d'instructions sur le chargement et on ne lui avait pas dit de ne pas dépasser les lignes de charge. La barge avaient des lignes de charge pour le commerce international, non le commerce intérieur, et, bien que le capitaine Hemeon sût que les lignes de charge utilisées pour le bois de charpente étaient différentes de celles utilisées pour d'autres cargaisons, il ne savait pas quelles étaient ces lignes de charge. De plus, le capitaine Hemeon ignorait les caractéristiques de stabilité de la barge. Sea-Link ne l'avait pas renseigné à ce sujet.

[47]            Il a dit qu'il avait suivi les instructions du client concernant le volume de la cargaison à transporter. On lui avait simplement dit en l'occurrence que la barge et le remorqueur se dirigeaient vers Tahsis pour prendre livraison d'une cargaison de bois de charpente qui serait chargée et arrimée par les employés de Doman. Pour aucun voyage, on ne lui avait remis un plan de disposition. Cela était l'affaire de M. Forgaard, avec lequel il n'en discutait pas.


[48]            Le capitaine Hemeon a dit qu'il avait vu une fois les employés de Doman dresser un plan sur une feuille de papier; cependant, cela s'était semble-t-il produit en prévision du premier voyage, après que les gens de Doman avaient pris les mesures intérieures des parois latérales. Ce n'est qu'après l'incident qu'il avait appris que la barge était surchargée.

[49]            Il n'était pas intervenu dans le chargement et l'arrimage, mais lui et son second, Danny Peel, avaient jeté un coup d'oeil sur le travail exécuté par les employés de Doman. Lorsqu'il trouvait quelque chose qu'il n'aimait pas, par exemple trop d'espace entre les paquets, il leur demandait d'assujettir plus solidement le chargement. Il a dit que, même s'il y avait parfois des récriminations, les employés de Doman faisaient comme il leur demandait de faire.

[50]            Le capitaine Hemeon a dit aussi que lui et son second vérifiaient la tension des chaînes d'arrimage en les frappant et en sautant dessus. Lorsqu'il avait trouvé des chaînes desserrées, il avait demandé aux travailleurs de Doman de les tendre. L'équipage du remorqueur avait aussi entravé les chaînes en les fixant aux platines à oeil sur les parois latérales, parce que les gens de Doman hésitaient beaucoup à le faire. Le capitaine Hemeon a dit qu'il avait insisté sur l'utilisation des chaînes longitudinales par-dessus la cargaison, affirmant qu'il n'aurait pas naviguer sans elles, en dépit de l'avis de M. Forgaard, pour qui elles étaient inutiles.


[51]            Le capitaine Hemeon avait assuré les employés de Doman que, pour le deuxième voyage de novembre, il pourrait embarquer une cargaison plus volumineuse que celle qui avait été transportée durant le premier voyage. Il a dit que, lorsque le chargement commençait à la proue, en reculant jusqu'à la poupe, l'équipe de travailleurs de Doman s'en tenait à son plan de disposition et à la quantité qui serait chargée. Il a dit qu'il ne pouvait se souvenir s'il avait discuté avec M. Forgaard de la quantité qui serait transportée au deuxième voyage, mais que Doman voulait charger davantage pour ce voyage.

[52]            Avant le départ, le capitaine Hemeon s'était assuré que la cargaison avait été chargée et arrimée solidement. Selon lui, le convoi allait « bon train » . La barge roulait, mais pas trop, et de toute façon tout roule en mer. Il avait positionné la barge pour qu'elle soit équilibrée par la poupe, avec un angle de deux à trois pieds. Il a dit que c'était la position optimale pour un remorquage.

[53]            Également avant le départ, le capitaine Hemeon avait pris connaissance des prévisions météorologiques et il s'était assuré qu'il pouvait naviguer en toute sécurité. Selon lui, les prévisions étaient « raisonnables » pour novembre. À bord du remorqueur, le capitaine avait accès à des prévisions continues. Les dernières prévisions météorologiques antérieures à son départ avaient été données le 13 novembre 1998 à 21 h 30.

[54]            Les prévisions furent modifiées le samedi 14 novembre 1998 à 4 heures, après son départ de 0 h 22. Selon les dernières prévisions, les vents allaient se lever « vers midi » . Les prévisions précédentes avaient laissé entrevoir que les vents se lèveraient dans l'après-midi. Les vagues atteignaient entre trois et quatre mètres, et le capitaine a dit que les conditions n'étaient pas mauvaises pour cette période de l'année.


[55]            Le voyage de Tahsis jusqu'à l'embouchure du détroit de Nootka, le long de la côte sud de l'île de Vancouver, s'était déroulé dans des eaux assez abritées. Après le détroit de Nootka, la côte est exposée. Le capitaine pensait être dans le détroit de Juan de Fuca à 4 heures du matin le dimanche 15 novembre. Cependant, à 21 heures le samedi, il se trouvait au cap Beale. Le parcours jusqu'au détroit de Juan de Fuca prenait habituellement environ trois heures à partir du cap Beale, mais ce soir-là, il avait fallu cinq heures. L'avis de coups de vent était maintenu, et la progression du convoi s'était ralentie.

[56]            Le capitaine n'avait modifié sa route qu'une seule fois, c'est-à-dire tout près du détroit de Barkley, une zone familièrement appelée les « cahots de Barkley » , parce que plusieurs courants et marées se confondent dans cette zone côtière. C'est là que vers 18 heures il a modifié sa route, pour donner un meilleur allant au remorqueur, pendant que l'équipage prenait le repas du soir.

[57]            Quelque part entre 18 heures et 21 heures, le frein du tambour de remorquage s'était relâché. Le capitaine avait réduit la vitesse et demandé à un matelot de pont d'aller le resserrer.


[58]            Le capitaine avait été sorti de son sommeil par le second à 3 h 15 le 15 novembre. Le second avait remarqué que le câble de halage se distendait à tribord. Cela indiquait un problème. Le câble de halage devait être raccourci, et le moteur principal avait été coupé afin de réduire la puissance. Cet incident est consigné dans le journal de bord à 3 h 30. Selon le capitaine, il avait téléphoné à Paul Hilder, à Sea-Link. Le convoi s'était rendu à Port San Juan, le port le plus proche. Le capitaine pouvait constater que le bois de charpente se déversait de la barge.

[59]            À Port San Juan, la barge fut mise à l'ancre, et les deux câbles de halage furent raccourcis. La barge était couchée sur le flanc par rapport à la houle et elle se balançait dans un roulis constant. Le capitaine avait manoeuvré le remorqueur et la barge pour diriger la proue de la barge vers la houle afin de réduire son roulis et de minimiser la perte des paquets de bois.

[60]            Il a alors obtenu l'autorisation de Sea-Link d'inonder les réservoirs basculants de la coque, afin de corriger la gîte de tribord. Cet effort donna des résultats, et le remorqueur, avec la barge, s'est dirigé vers Nanaimo, où il est arrivé à 8 h 53 le lundi 16 novembre 1998.

[61]            À l'arrivée du remorqueur et de la barge à Nanaimo, plusieurs personnes se trouvaient là pour inspecter les dommages subis par la cargaison et par la barge. M. James Lindsay et le capitaine Vale ont procédé à l'évaluation des dommages et produit des rapports, y compris des opinions, sur la cause du dommage. Le capitaine Fothergill a pris des photographies et donné son avis sur la perte.


[62]            La barge avait subi des dommages. La paroi latérale à tribord s'était partiellement effondrée et se courbait vers l'extérieur du bord. Toute la partie supérieure de la paroi devait être remplacée. L'acier du pont de la barge s'était aussi arraché. Selon M. Brown, les réparations furent effectuées, et la barge était prête pour le service à la mi-janvier de 1999.

[63]            M. Jim Lindsay est un expert maritime professionnel qui compte beaucoup d'années d'expérience dans l'industrie maritime. Il a été retenu pour inspecter la barge et la cargaison au nom des assureurs de Sea-Link et aussi pour apporter une assistance technique aux avocats de Sea-Link. Il a par la suite préparé une opinion d'expert et il a témoigné au procès.

[64]            M. Lindsay a exprimé l'avis que l'accident avait été causé par un mauvais chargement et un mauvais arrimage du bois, et que la cargaison n'avait pas suffisamment de chaînes d'arrimage sur les paquets longitudinaux extérieurs. Il n'a pas parlé du mauvais temps comme d'un possible facteur ayant causé l'incident.

[65]            Le capitaine Fothergill est un capitaine de la marine marchande. Le 16 novembre 1998, il avait vu la barge et le remorqueur au port de Nanaimo. Il avait remarqué des dommages sur la barge ainsi qu'à l'état de la cargaison, y compris les chaînes d'arrimage. Il n'avait pas à l'époque été engagé par l'une ou l'autre des parties, mais il avait préparé un rapport préliminaire qui avait été envoyé par télécopieur le 16 novembre 1998 à M. Chris Calverley, chez Doman. Cette lettre, déposée comme pièce D-6, exprimait l'avis que la perte était attribuable à Sea-Link, mais aucune négligence particulière n'était indiquée, et le capitaine Fothergill faisait observer que la cause de la perte « est encore à déterminer » .


[66]            Les services du capitaine Fothergill n'ont jamais été retenus par Doman. En juillet 2002, Sea-Link lui a demandé de produire en son nom un avis d'expert. Un exposé de son témoignage projeté a été préparé en vue de son témoignage d'expert au procès. Dans son témoignage, le capitaine Fothergill attribuait les dommages à un arrimage défectueux et à des chaînes d'arrimage insuffisantes. Il n'a pas parlé du mauvais temps comme cause possible des dommages.

[67]            Le capitaine Vale, capitaine de la marine marchande et expert maritime, a rédigé deux rapports d'expert, datés du 14 juin 1999 et du 22 octobre 2002, au nom de Doman. Il a aussi témoigné au procès. Le capitaine Vale a exprimé l'avis que le déplacement de la cargaison avait eu plusieurs causes : l'espace excessif entre les points d'arrimage, le mauvais empilage de la cargaison parce que les paquets n'étaient pas imbriqués, les conditions météorologiques au moment du déplacement de la cargaison, enfin le roulis de la barge eu égard à sa hauteur métacentrique élevée. Sur ce dernier point, le capitaine Vale reconnaissait dans son premier rapport qu'il avait dû énoncer certaines hypothèses, car il ne disposait pas de renseignements sur la stabilité du SEA-LINK YARDER.


[68]            Dans le deuxième rapport, il s'exprimait sur les rapports de M. Lindsay et du capitaine Fothergill. Il concluait dans ce rapport, et il a témoigné au procès, que, si la cargaison avait été fixée comme il le fallait, avec des points d'arrimage à intervalles de cinq pieds, et avec imbrication des paquets les uns dans les autres, alors la cargaison aurait pu être chargée en toute sécurité jusqu'à huit niveaux. Le capitaine Vale était aussi d'avis que, pour charger le volume souhaité de cargaison sur la barge, il aurait fallu utiliser une grue.

v) Le chargement de la cargaison

[69]            Le capitaine Hemeon a dit qu'il n'avait reçu, de son employeur, Sea-Link, ou d'un employé de Doman, aucune directive spéciale ou particulière sur le transport du bois de charpente. On lui avait demandé de se rendre à Tahsis, où la cargaison serait chargée par les employés de Doman. La barge était fournie par Sea-Link, avec des chaînes d'arrimage, selon les précisions fournies par Doman. Il n'était pas intervenu dans les opérations de chargement et d'entreposage, mais avait fait un examen d'ensemble. Lorsqu'il avait constaté des espaces entre les paquets, il avait demandé aux employés de Doman de combler les espaces afin de réduire les possibilités de mouvement.

[70]            La cargaison avait été chargée à l'aide d'un chariot élévateur par les employés de Doman, selon une disposition avant-arrière, les paquets étant d'abord empilés sur deux niveaux, pour ensuite s'élever à huit niveaux. Les paquets avaient été chargés de l'avant à l'arrière sur deux rangées le long de chaque côté, et par le travers dans l'espace restant. Les paquets avaient été empilés les uns sur les autres, ils ne chevauchaient pas comme le font les briques dans une maçonnerie.


[71]            Selon des notes non datées consignées par M. Forgaard, la colonne par le travers avait été augmentée graduellement, à partir de l'extrémité avant de la barge, passant de deux paquets de hauteur à huit paquets, pour revenir ensuite graduellement, de nouveau, à quatre paquets de hauteur à l'extrémité arrière. La section avant avait des étançons verticaux de deux pouces par six pouces entre les hauteurs successives afin d'empêcher les paquets de basculer vers l'avant durant un fort tangage. Les niveaux avant et arrière étaient hauts de sept paquets contre les parois latérales pour le niveau extérieur, et de huit paquets pour le niveau intérieur.

[72]            Dans ses notes, M. Forgaard mentionnait aussi qu'une gîte était subitement apparue à bâbord lorsque la barge avait été chargée aux deux tiers. Il l'avait attribuée aux eaux dormantes de la barge. Selon son témoignage, il en avait fait part à un membre de l'équipage du remorqueur. On avait compensé la gîte en chargeant quatre rangées avec une compensation de 18 pouces à tribord et en ajoutant deux paquets à la hauteur à tribord, ce qui avait ramené la gîte à 6 pouces.


[73]            La cargaison avait été assujettie avec vingt-deux ensembles de chaînes d'arrimage, d'un demi-pouce de diamètre chacune, placées à intervalles de dix pieds, fixées par des entraves à des platines à oeil soudées au sommet des parois latérales de la barge. Les chaînes passaient sur le sommet de la cargaison, pour se rencontrer approximativement sur la ligne centrale de la barge. Une chaîne était fixée à l'une des extrémités d'un ridoir, et le crochet de rétention du ridoir passait dans l'autre chaîne pourvue d'un gros maillon ovale. Ce crochet de rétention est ensuite ramené sur la partie fixe et un maillon ovale est inséré dans le crochet.

[74]            Les chaînes avaient été fixées aux parois latérales par l'équipage du remorqueur parce que les employés de Doman hésitaient beaucoup à se tenir sur les sommets des parois latérales de la barge. La cargaison avait été encore assujettie à l'aide de trois chaînes longitudinales allant de l'avant à l'arrière. Pour faire ces trois chaînes longitudinales, deux chaînes avaient été jointes dans le milieu afin de faire une seule longue chaîne. Elles avaient été passées par-dessus la cargaison et attachées à une chaîne qui traversait la poupe de la barge. À la poupe, il n'y avait pas de points d'arrimage. M. Forgaard a dit que c'était « un peu comme une toile d'araignée » .

CONCLUSIONS DE SEA-LINK

[75]            Selon Sea-Link, le contrat, bien que bref, est clair en ce qui concerne les obligations de chargement, de déchargement, d'arrimage et de désarrimage. Ces responsabilités étaient expressément dévolues à Doman, et Doman avait pour cette raison obtenu un tarif réduit.


[76]            Sea-Link dit que, si le texte du contrat suscite un doute, alors les actions de Doman, qui exprimaient la compréhension que Doman avait du contrat, permettent d'affirmer que Doman était effectivement responsable du chargement et de l'arrimage de la cargaison. Doman avait planifié la charge et la disposition, avait précisé les chaînes d'arrimage qui devaient être utilisées, puis avait chargé et arrimé la cargaison sur la barge sans que Sea-Link intervienne véritablement.

[77]            Selon Sea-Link, les témoignages de M. Brown et de M. Hilder sont plus fiables que ceux de M. Calverley et de M. Forgaard, en ce qui a trait aux conversations qui avaient précédé l'exécution du contrat. Sea-Link signale l'interrogatoire préalable de M. Calverley, qui représentait Doman, interrogatoire au cours duquel M. Calverley avait admis qu'il savait que Doman serait la partie qui devait charger, disposer et arrimer la cargaison. M. Brown a témoigné que M. Calverley l'avait informé que M. Forgaard indiquerait à Sea-Link quel dispositif d'arrimage était requis.

[78]            Sea-Link soutient que le témoignage de M. Brown à propos de ces conversations devrait être préféré aux souvenirs de M. Calverley, qui avait admis en contre-interrogatoire que sa mémoire concernant lesdites communications était « le moins que l'on puisse dire, pas très sûre » . Par ailleurs, Sea-Link soutient que le témoignage de M. Hilder à propos des conversations qu'il avait eues avec M. Forgaard devrait être préféré, car M. Forgaard ne pouvait se souvenir de ces conversations.


[79]            Selon Sea-Link, le capitaine du navire a le droit, non l'obligation, de surveiller le chargement et l'arrimage d'une cargaison et le droit, mais non l'obligation, d'intervenir, à moins que son intervention ne soit requise pour éviter que la cargaison n'endommage la structure du navire, ou lorsque l'arrimage nuit à la stabilité du navire. La responsabilité du capitaine sera également limitée à la mesure de son intervention, et elle ne sera engagée que si son intervention a causé effectivement la perte. Au soutien de ces arguments, Sea-Link s'appuie sur l'arrêt rendu par la Chambre des lords dans l'arrêt Court Line Limited c. Canadian Transport Company Ltd. (1940), 67 Lloyd's L.R. 161 (H.L.), ainsi que sur l'arrêt Transocean Liners Reederei GmbH c. Euxine Shipping Co. Ltd. (The « Imvros » ), [1999] 1 All E.R. 724 (Q.B. Comm.).

[80]            Sea-Link a décrit son travail de surveillance et ses interventions dans les opérations de chargement et d'arrimage. Son équipage avait passé les entraves dans les platines à oeil, parce que les aconiers de Doman ne voulaient pas escalader les parois latérales. Le capitaine avait signalé des espaces vides dans la cargaison, demandant qu'ils soient comblés afin de garantir un arrimage plus compact et plus serré, et il avait exigé le resserrement des chaînes d'arrimage et l'utilisation, sur la cargaison, de trois chaînes « longitudinales » , de l'avant à l'arrière, déployées sur la longueur du navire.

[81]            Sea-Link soutient que ces interventions n'ont pas entraîné la perte et ont tout probablement amélioré la situation. Sea-Link dit qu'elles n'ont pas pour effet de transférer la responsabilité de Doman à Sea-Link. Du reste, si l'on arrive à la conclusion que M. Forgaard a bien montré son plan de disposition au capitaine Hemeon, cela ne saurait être interprété comme une « approbation » du plan de disposition.

[82]            Sea-Link dit que le « SEA-LINK YARDER » n'était pas surchargé. Sea-Link se réfère au témoignage de l'expert de Doman, M. Vale, qui avait confirmé que huit niveaux de bois de charpente pouvaient en toute sécurité être chargés sur le « SEA-LINK YARDER » .

[83]            Selon Sea-Link, les arguments de Doman relatifs à de présumés problèmes qui rendent la barge impropre à la navigation devraient être rejetés. Elle dit qu'il n'est pas établi que les barges destinées à transporter tous genres de cargaisons devraient présenter des points d'arrimage à des intervalles déterminés, et que M. Forgaard avait reconnu que des points d'arrimage auraient pu facilement être fabriqués et ajoutés à la barge à titre exceptionnel, si lui-même ou d'autres personnes de la société Doman les avaient jugés nécessaires.

[84]            Puisqu'il incombait à Doman de planifier et d'exécuter les opérations de chargement et d'arrimage, Sea-Link dit que les antécédents de son capitaine en ces matières ne sont pas en cause dans la présente action. La barge n'était pas instable lorsqu'elle avait été chargée, et le capitaine Hemeon, en ce qui concerne la stabilité, n'avait fait aucune erreur. Le capitaine ne saurait être blâmé de ne pas avoir repensé la disposition planifiée par Doman, une entreprise qui avait une expérience considérable du chargement de cargaisons de bois de charpente.


[85]            Sea-Link, s'appuyant sur les précédents suivants : Ismail c. Polish Oceans Lines (The « Ciechocinek » ), [1976] 1 Q.B. 893 (C.A.), N.M. Paterson and Sons Ltd. c. Mannix Ltd., [1966] R.C.S. 180, et Trident Freight c. Meyer's Sheet Metal Ltd., [2002] B.C.J. no 1064 (C.S. C.-B.), croit pouvoir dire qu'un chargeur qui participe activement à l'arrimage et insiste pour que sa cargaison soit disposée d'une certaine manière, ne peut plus tard se plaindre si les marchandises sont endommagées en raison de la manière dont elles ont été disposées.

[86]            Sea-Link s'appuie aussi sur des précédents dans lesquels des transporteurs n'avaient pas été jugés responsables de dommages subis par une cargaison parce que la cargaison avait été mal emballée par le chargeur : D.M. Duncan Machinery Company Limited c. Canadian National Railway Company et al., [1951] O.R. 578 (H.C.J. Ont.) et Guadano c. Hamburg Chicago Line, G.m.b.H, [1973] C.F. 726 (1re inst.).

[87]            De plus, selon Sea-Link, les Règles de La Haye-Visby (les Règles) sont applicables en vertu de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (la LRM). L'article 4(2)(i) des Règles a pour effet de limiter sa responsabilité.

CONCLUSIONS DE DOMAN


[88]            L'argument principal de Doman est que Sea-Link est responsable des dommages subis par sa barge parce que Sea-Link avait l'obligation de garantir l'aptitude de la barge à naviguer, ce qui comprend l'aptitude à transporter des cargaisons, et Sea-Link ne s'est pas acquittée de cette obligation. Selon Doman, l'aptitude à naviguer varie en fonction de la cargaison qui est l'objet du contrat de transport et elle varie aussi avec le voyage particulier qui doit être accompli. En l'espèce, la barge n'était pas en état de navigabilité au regard de la cargaison à transporter et au regard du voyage devant être accompli.

[89]            À titre d'argument secondaire, Doman affirme que le patron de la barge, le capitaine Hemeon, a commis une négligence en ne cherchant pas un refuge pour s'abriter des intempéries durant la progression du convoi, ce qui avait contribué à la perte.

[90]            Doman avance plusieurs autres arguments portant sur la responsabilité. D'abord, Doman soutient que, s'il lui revenait, de par le contrat, de disposer et d'arrimer la cargaison, alors Sea-Link est malvenue à se plaindre de la disposition et de l'arrimage de la cargaison puisque son équipage avait participé activement auxdites opérations, en signalant certaines imperfections et pas d'autres. Au soutien de cet argument, Doman invoque l'arrêt Upper Egypt Produce Importers et al. c. The « Santamana » (1923), 14 Lloyd's L.R. 159 et l'arrêt N.M. Paterson & Sons, précité. Doman relève également que le second, Danny Peel, n'a pas été appelé à témoigner, et elle invite la Cour à interpréter défavorablement son absence.


[91]            Doman avance ensuite l'argument subsidiaire selon lequel, s'il lui revenait de par le contrat de charger et de disposer la cargaison, alors les dommages subis par la barge ont été causés par les interventions de Sea-Link concernant la hauteur de la cargaison. Doman soutient que, si la Cour devait conclure que les opérations de chargement et de disposition de la cargaison ici ont été menées conjointement par les deux parties, conduisant à une responsabilité partagée, alors Sea-Link ne saurait obtenir réparation étant donné que les dommages-intérêts ne sont pas divisibles. Ici, Doman s'appuie sur l'affaire Farr Inc. c. Tourloti Compania Naviera S.A., [1985] A.C.F. n ° 602 (1re inst.), confirmée [1989] A.C.F. n ° 462 (C.A.).

[92]            Quant à la perte d'utilisation alléguée par Sea-Link, Doman affirme que Sea-Link n'a produit aucune preuve du préjudice qu'elle aurait subi par suite de la perte d'utilisation de la barge. Subsidiairement, Doman affirme que le préjudice allégué pour perte d'utilisation est exagéré.

[93]            Selon Doman, le principe de navigabilité comprend ce qui suit : (1) un capitaine et un équipage compétents et expérimentés, (2) des directives suffisantes du capitaine en ce qui a trait au chargement, (3) un navire qui est suffisamment équipé pour effectuer le voyage, en l'occurrence qui a suffisamment de points d'arrimage et des parois latérales suffisamment élevées pour la cargaison envisagée, (4) le refus d'une cargaison qui dépasse la capacité du navire, et (5) une disposition adéquate de la cargaison, qui ne met pas en péril la sécurité du navire.


[94]            Doman dit que la présence d'un capitaine et d'un équipage expérimentés est un aspect de l'état général de navigabilité du navire et constitue une responsabilité implicite du transporteur. L'expérience du capitaine Hemeon en matière de cargaisons de bois de charpente était limitée à des barges complètement couvertes et à des petites barges dans des eaux intérieures où aucune chaîne d'arrimage n'était nécessaire. Doman dit que l'inexpérience du capitaine dans le transport de ce genre de cargaisons pour ce genre de voyage est à retenir parce que le capitaine assume finalement l'obligation générale de s'assurer que le navire, une fois chargé, est dans un état de navigabilité qui le rend apte au voyage prévu.

[95]            Doman prétend que cette responsabilité est reconnue dans le Manuel des opérations de Sea-Link, où l'on peut lire que la hauteur des cargaisons est quelque chose que le capitaine doit vérifier avant le départ, afin de s'assurer de la navigabilité. Selon Doman, le capitaine Hemeon a admis qu'il n'avait aucune idée de la hauteur de la cargaison qui pouvait être disposée de manière à ne pas mettre en péril la navigabilité de la barge.

[96]            S'appuyant sur l'arrêt Standard Oil Company of New York c. Clan Line Steamers Ltd. (1923), 17 Lloyd's L.R. 120 (H.L.), Doman affirme que même si, en vertu d'un accord, la responsabilité de la disposition de la cargaison repose sur une personne autre que le transporteur, un tel arrangement peut dispenser le capitaine de l'obligation de prêter attention au chargement effectif de la cargaison, mais il ne le dispense nullement de [traduction] « ... l'obligation de voir précisément quel est l'effet de la disposition de la cargaison sur la stabilité de son navire, par exemple les poids relatifs de la partie de la cargaison rangée dans la cale, et de la partie rangée entre les ponts » (Standard Oil, précité, page 124).

[97]            Doman excipe aussi de l'arrêt Papera Traders Co. Ltd. and others c. Hyundai Merchant Marine Co. Ltd. and another (The « Eurasian Dream » ), [2002] 1 Lloyd's L.R. 719 (Q.B. Comm.), où le tribunal a jugé qu'un navire peut être rendu inapte à la navigation en raison de l'incompétence ou de l'inefficacité du capitaine ou de l'équipage. Pour prouver qu'il a exercé la prudence requise en la matière, le transporteur doit montrer qu'il a nommé un capitaine et un équipage généralement compétents et que le capitaine et l'équipage avaient des aptitudes particulières adaptées au navire et au voyage en question : Eurasian Dream, précité, page 738.

[98]            Doman dit ensuite que Sea-Link avait l'obligation de donner des instructions adéquates de chargement et d'obtenir des documents adéquats concernant la stabilité du navire. Doman soutient que, si un transporteur ne remet pas à son capitaine les documents et directives qui s'imposent, alors le navire est inapte à la navigation. Doman dit que Sea-Link a failli à cette obligation.


[99]            Doman soutient que Sea-Link a apporté des modifications à la barge, plus précisément que des parois latérales y ont été ajoutées et que le pont a été revêtu d'asphalte. Sea-Link a négligé ensuite d'obtenir des données de stabilité concernant la barge ainsi modifiée et n'a pas fait procéder à des essais pour voir comment la barge ainsi modifiée réagirait une fois complètement chargée d'une cargaison de bois de charpente. Doman dit que Sea-Link n'a pas consulté de spécialistes à propos du chargement et de la disposition du bois de charpente et ne connaissait pas la hauteur à laquelle le bois pouvait en toute sécurité être disposé sur la barge. Au soutien de l'argument susmentionné, Doman s'appuie sur l'arrêt Tahsis Company Ltd. c. Vancouver Tug Boat Co. Ltd., [1969] R.C.S. 12.

[100]        Doman soutient que l'état de navigabilité oblige le transporteur à fournir un navire qui est suffisamment équipé pour effectuer le voyage. En l'espèce, Doman dit que Sea-Link n'a pas fourni suffisamment de points d'arrimage. Au soutien de cet argument, Doman s'appuie sur Scrutton on Charterparties, 20e éd. (1996), pages 97-9, où, se référant à plusieurs antiques précédents anglais, l'auteur dit que la notion de navigabilité comprend l'obligation de s'assurer que le navire est apte en tous points à transporter sa cargaison en toute sécurité à destination, compte tenu des périls ordinaires auxquels une telle cargaison serait exposée au cours d'un tel voyage.

[101]        Doman affirme que, dans cette affaire, tous les spécialistes ont exprimé l'avis que des points d'arrimage espacés de dix pieds n'étaient pas suffisants pour le volume de la cargaison de Doman que Sea-Link s'était engagée à transporter, et que les points d'arrimage auraient dû être espacés de cinq pieds pour mieux assujettir la cargaison. Par ailleurs, Doman dit que l'idée de Sea-Link selon laquelle Doman aurait pu ajouter à la barge davantage de platines à oeil au moyen de soudures est déraisonnable et que, en tout état de cause, aucune règle de droit n'oblige un chargeur à corriger un vice quelconque sur un navire.

[102]        Doman dit aussi que la barge n'était pas en état de tenir la mer parce que ses parois latérales n'étaient pas d'une hauteur suffisante et étaient dépourvues d'étançons en acier. Doman dit que, si les conclusions de M. Lindsay sont acceptées, c'est-à-dire s'il est admis que la présence de points d'arrimage à intervalles de cinq pieds n'aurait pas de toute façon empêché la perte de la cargaison, alors la barge était déficiente parce que ses parois latérales n'étaient pas assez hautes, ce qui a entraîné la perte de la cargaison et les dommages subis par la barge.

[103]        Doman dit que le contrat conclu entre les parties concernait le transport de 2 millions de pied-planches de bois de charpente et que la barge fournie par Sea-Link n'était pas en réalité capable de transporter une cargaison d'un tel volume. Une cargaison de 1 779 159 pied-planches avait été transportée lors du premier voyage, qui s'était déroulé sans incident. Une cargaison de 1 938 871 pied-planches avait été transportée lors du second voyage, celui qui est l'objet de la présente procédure. Depuis cette époque, la charge la plus élevée qu'ait jamais transportée Sea-Link a été de 1 647 974 pied-planches, et Sea-Link n'a jamais transporté 2 millions de pied-planches. Doman se réfère aux volumes effectifs transportés par le « SEA-LINK YARDER » , qui sont indiqués dans la pièce intitulée « Liste des cargaisons de bois de charpente » . Doman dit aussi que le capitaine Hemeon a admis en contre-interrogatoire que la barge était surchargée.


[104]        Finalement, selon Doman, un mauvais arrimage peut rendre un navire incapable de tenir la mer lorsque le mauvais arrimage met en péril la sécurité du navire et ne se limite pas à compromettre la cargaison elle-même. Sur ce point, Doman s'appuie sur Scrutton on Charterparties, 20e éd. (1996), page 98. Doman affirme que le mauvais arrimage de la cargaison a « manifestement » mis en péril la sécurité du navire et a donc rendu le navire incapable de tenir la mer, ce dont Sea-Link avait l'obligation de s'assurer. Doman soutient que M. Fothergill a admis en contre-interrogatoire que l'arrimage non seulement avait compromis la cargaison, mais encore avait mis en danger la barge tout entière.

[105]        Selon Doman, les Règles s'appliquent à cette situation, en application de l'alinéa 7(2)b) de la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21 (la LTME). L'article 3(1)a) des Règles impose au transporteur l'obligation d'exercer une diligence raisonnable pour mettre le navire en état de navigabilité. L'article 3(2) des Règles impose au transporteur l'obligation, sous réserve de l'article 4, de procéder, de façon appropriée et soigneuse, au chargement, à la manutention, à l'arrimage, au transport, à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises transportées.

[106]        Doman soutient que, si l'on juge que la barge n'était pas en état de navigabilité, il en résultera que Sea-Link ne pourra s'appuyer sur l'une des exceptions prévues par l'article 4(2) des Règles, parce que Sea-Link aura alors manqué à son « obligation première » , selon l'article 3(1), de fournir un navire en état de navigabilité :Maxine Footwear Co. Ltd. c. Canadian Government Merchant Marine Ltd., [1959] 2 Lloyd's L.R. 105 (C.P.), page 113.


ANALYSE ET DISPOSITIF

[107]        Le point principal posé par la présente action est de savoir qui est responsable des dommages subis par la barge. Il s'agit d'interpréter les obligations contractuelles découlant de l'accord consigné dans la lettre du 29 octobre 1998, et de savoir si les obligations contractuelles en question sont modifiées par un principe de common law selon lequel un transporteur aurait l'obligation de fournir un navire en état de navigabilité.

[108]        L'accord du 29 octobre 1998 se rapporte au transport de marchandises sur la barge « SEA-LINK YARDER » , remorquée par le « ARCTIC HOOPER » . Le voyage en question dans la présente instance s'est déroulé le long de la côte sud de l'île de Vancouver, au départ de Tahsis, en Colombie-Britannique, le 14 novembre 1998. Il était donc soumis à la LTME et aux Règles de La Haye-Visby (les Règles), qui constituent l'annexe I de la LTME.

[109]        Les parties ont fait valoir des arguments opposés. Sea-Link soutient que les dommages sont le résultat du déplacement de la cargaison et que la responsabilité du chargement et de l'arrimage de la cargaison incombait à Doman. Cette responsabilité découle des termes mêmes de l'accord, outre la conduite des employés de Doman, qui montre la manière dont Doman voyait l'accord.

[110]        Selon Doman, la responsabilité, du moins en partie, incombe à Sea-Link, qui, en tant que transporteur, a l'obligation primordiale et personnelle de fournir un navire en état de navigabilité, c'est-à-dire un navire qui est apte à faire le voyage et capable de transporter la cargaison en toute sécurité, sans endommager la cargaison ou la barge. Doman soutient aussi que cette obligation comprend celle de fournir un capitaine compétent qui prend à sa charge la décision ultime d'appareiller, après avoir constaté que le chargement de la cargaison est adéquat et que les conditions météorologiques sont favorables.

[111]        Subsidiairement, Doman soutient que, si ses employés étaient responsables de la manière dont la cargaison avait été chargée, alors Sea-Link est responsable de la décision du capitaine Hemeon d'appareiller, alors que s'annonçait un coup de tabac. Si une responsabilité conjointe est constatée, alors Doman est d'avis que Sea-Link n'a pas droit à réparation parce que les dommages-intérêts sont indivisibles.


[112]        Des témoignages ont été produits par ceux qui étaient intervenus dans la négociation du contrat, ainsi que par ceux qui sont effectivement intervenus dans le voyage en question. Trois témoins experts ont aussi présenté des rapports et produits leurs témoignages au procès. La seule preuve recueillie avec réserve concernait une partie du rapport d'expert déposé par le capitaine Vale. À l'instruction de la présente affaire, l'avocat de Sea-Link s'est opposé à l'admission de certaines parties du deuxième rapport du capitaine Vale, daté du 22 octobre 2002. J'ai indiqué que j'entendrais la preuve en question et que je déciderais plus tard de sa recevabilité.

[113]        L'avocat de Sea-Link s'est opposé à deux paragraphes du rapport de M. Vale, dans lesquels M. Vale s'exprimait sur les responsabilités d'un capitaine et de son équipage à l'égard de la cargaison. Selon l'avocat de Sea-Link, M. Vale y énonçait des conclusions de droit, qui se rapportaient à la responsabilité de chacune des parties selon l'accord conclu entre elles, un aspect qui relevait de la Cour. L'avocat s'est également opposé à ce que M. Vale exprime son avis sur les diverses causes de l'accident, en les classant. L'avocat ne s'opposait pas à ce que M. Vale énumère une diversité de causes possibles, mais il s'opposait à ce qu'il les énumère par ordre d'importance. Selon l'avocat, l'expert empiétait sur le rôle de la Cour en matière d'appréciation de la preuve.

[114]        Je souscris en partie à cet argument. M. Vale n'a pas été convoqué pour sa connaissance du droit, mais plutôt pour sa connaissance des questions maritimes, à propos de la cause des dommages subis par la barge. Dans les deux paragraphes contestés de son rapport, il parle, dans l'abstrait, du principe selon lequel un capitaine et son équipage sont tenus d'agir d'une certaine manière à l'égard du navire et de sa cargaison. J'accepterai ces paragraphes comme preuve, mais je leur accorderai peu de poids. M. Vale n'explique pas la source de cette information, et les paragraphes en question ont un contenu un peu partisan.

[115]        Dans l'affaire Emil Anderson Construction Co. Ltd. et al. c. British Colombia Railway Company, [1987] 5 W.W.R. 523 (C.S. C.-B.), un précédent soumis durant l'instruction par l'avocat de Sea-Link à propos de cette question, le tribunal avait jugé qu'un rapport d'expert contenant un avis juridique qui était inséparable de l'avis d'expert validement admis ne devrait pas être admis. Dans l'affaire Quintette Coal Limited c. Bow Valley Resource Services Ltd. (1988), 29 B.C.L.R. (2d) 127 (C.S. C.-B.), un précédent également fourni par l'avocat de Sea-Link, le tribunal avait rejeté un rapport d'expert, signé par plusieurs spécialistes, qui était rempli de conclusions juridiques formelles ou sous-entendues.

[116]        En l'espèce, les deux paragraphes qui traitent des obligations générales d'un capitaine et de son équipage peuvent être soustraits du reste du rapport. Par conséquent, il n'y a pas lieu de croire que cet avis juridique, s'il s'agit bien de cela, a pour effet de vicier le reste du rapport.

[117]        La deuxième objection de l'avocat de Sea-Link, selon laquelle le classement que fait M. Vale des causes possibles de la perte de la cargaison ne devrait pas être admis parce qu'il empiète sur mon rôle d'arbitre ultime des faits, ne peut être acceptée. C'est là l'essence des témoignages d'expert. Les experts proposent leurs opinions éclairées, dans leurs domaines de spécialisation, sur les raisons pour lesquelles un événement s'est produit de la manière dont il s'est produit, ou sur ce qui a causé un résultat donné. M. Vale a les compétences d'un spécialiste des sinistres maritimes. S'il a énuméré « par ordre d'importance » les causes possibles des dommages subis par la barge, le rôle de la Cour n'en est pas pour autant réduit.


[118]        Les témoins ont été le plus souvent crédibles, sous réserve de mes commentaires ci-après à propos du capitaine Fothergill. Cependant, bien que généralement crédibles, les témoignages n'ont pas été entièrement satisfaisants. M. Calverley et M. Forgaard, employés de Doman, n'ont pu se souvenir tout à fait des événements en cause. Ils ont produit leurs témoignages avec une certaine désinvolture qui jette le doute, à mon avis, sur le niveau d'attention qu'ils ont prêté à leurs rôles respectifs dans la mise à exécution du contrat en question.

[119]        Quant aux témoins experts, je suis d'avis que M. Lindsay et le capitaine Vale ont produit des témoignages crédibles. Je n'en suis pas aussi sûre en ce qui concerne le capitaine Fothergill qui, à l'origine, dans l'espoir d'être engagé par Doman, a donné une opinion « préliminaire » attribuant à Sea-Link la responsabilité des dommages. Le capitaine Fothergill a par la suite retourné sa veste et a comparu comme témoin de Sea-Link, en exprimant un avis contraire et en critiquant les actions de Doman. Le capitaine Fothergill a ainsi compromis la valeur de son témoignage. Par ailleurs, la manière dont il s'est trouvé mêlé à la présente affaire, c'est-à-dire après une tentative avouée de solliciter du travail, est une autre raison qui fait que son témoignage est sujet à caution. J'accorde peu de poids, et même aucun, au témoignage du capitaine Fothergill.


[120]        Les témoignages de M. Lindsay et du capitaine Vale sont utiles pour la question du chargement et de l'arrimage. Ils sont également crédibles. La cargaison avait été assujettie à l'aide de chaînes qui passaient par le travers, au-dessus de la cargaison, et qui étaient fixées à des points de correspondance au sommet des parois latérales. Vingt-quatre ensembles de chaînes étaient utilisés de cette façon, et trois chaînes longitudinales étaient passées d'avant en arrière, elles aussi par-dessus la cargaison. M. Lindsay et le capitaine Vale ont exprimé l'avis que les points d'arrimage étaient insuffisants, parce qu'ils étaient espacés par des intervalles de dix pieds, plutôt que par des intervalles de cinq pieds. Par ailleurs, le capitaine Vale a exprimé l'avis que, si des points d'arrimage espacés de dix pieds devaient être utilisés, il aurait fallu des chaînes d'un diamètre plus épais. Ici, les chaînes avaient un diamètre d'un demi-pouce et le capitaine Vale a dit que, dans ce cas, il aurait fallu utiliser des chaînes ayant un diamètre de trois quarts de pouce.

[121]        Les experts s'accordent aussi pour dire que la cargaison de planches avait été mal disposée. Elle avait été chargée à bord de la barge à l'aide d'un chariot élévateur, par étage, à partir d'un niveau de deux étages jusqu'à un niveau de huit étages de hauteur. Ce mode de chargement avait été adopté parce qu'il était plus facile pour les opérateurs du chariot élévateur de charger de cette manière. Les paquets de la cargaison n'avaient pas été imbriqués parce que ce travail était plus difficile à exécuter pour les opérateurs du chariot élévateur et qu'il aurait nécessité plus de temps.


[122]        M. Lindsay a conclu qu'un nombre excessif d'étages de paquets avait été chargé au-dessus de la paroi de la cargaison et que cela avait contribué au déplacement de la cargaison. Le capitaine Vale a exprimé son désaccord, affirmant que, si les paquets avaient été disposés d'une manière imbriquée et si les points d'arrimage avaient été fixés à des intervalles de cinq pieds, alors il aurait été possible de charger en toute sécurité huit étages de cargaison.

[123]        M. Calverley et M. Forgaard, dans leurs témoignages, ont reconnu qu'ils avaient compris qu'il revenait à Doman de charger et de décharger la barge. M. Forgaard a admis qu'il avait préparé un plan de disposition de la cargaison, mais que, par étourderie, ce plan avait été perdu par lui sur son ordinateur à une date non précisée.

[124]        Sea-Link a également jeté le doute sur l'expérience de M. Forgaard en matière de planification et de chargement de barges. Interrogé sur son expérience du chargement d'une barge telle que le « SEA-LINK YARDER » , M. Forgaard n'a pu produire de détails comparatifs ni même se rappeler combien de fois il était intervenu dans de telles opérations.

[125]        À mon avis, le texte de l'accord du 29 octobre 1998 montre clairement que Doman avait la responsabilité du chargement, du déchargement, de l'arrimage et du désarrimage. L'accord dit expressément que le tarif n'inclurait pas « le chargement, le déchargement, l'arrimage ou le désarrimage » . Le témoignage de M. Forgaard et celui de M. Calverley, sur la manière dont ils comprenaient l'accord, montrent qu'ils savaient que ces activités seraient effectuées par les employés de Doman. Les employés avaient exécuté ce travail, du moins le chargement et l'arrimage, au début du voyage.


[126]        Doman soutient maintenant que l'équipage du Sea-Link « s'est interposé » dans le chargement et l'arrimage, et que par conséquent la responsabilité des problèmes résultant de ces activités incombe à Sea-Link. Doman soutient que Sea-Link n'a pas convoqué M. Peel comme témoin et dit que cette omission autorise une conclusion défavorable.

[127]        Je n'accepte pas ces arguments. D'abord, la preuve montre que le capitaine et le second n'ont fait rien de plus que jeter un coup d'oeil sur les opérations de chargement et d'arrimage exécutées par Doman. C'était juste et c'était nécessaire dans l'accomplissement de l'obligation qu'ils avaient d'assurer la sécurité du navire et celle de la cargaison. J'accepte le témoignage du capitaine Hemeon, qui affirme qu'il n'est pas intervenu directement dans le chargement et l'arrimage et qu'il n'a pas non plus donné de directives en la matière dont l'effet serait de transférer les responsabilités.

[128]        Lorsqu'il y a incompatibilité entre le témoignage du capitaine Hemeon et celui de M. Forgaard à propos des discussions qu'ils avaient eues concernant le chargement, je donne la préférence au témoignage du capitaine Hemeon. Il a témoigné qu'il n'avait pas discuté du plan de chargement avec M. Forgaard pour aucun des voyages exécutés pour Doman. M. Forgaard « s'en chargeait personnellement » . Il s'est rappelé, seulement pour le premier voyage, avoir vu des employés de Doman travailler sur un papier indiquant un plan de disposition de la cargaison.

[129]        En revanche, M. Forgaard dit qu'il avait discuté du plan de disposition avec l'équipage de la barge avant le deuxième voyage. Cependant, il n'a pas produit de plan de disposition. Il a témoigné qu'il l'avait chargé sur son ordinateur, mais qu'il ne l'avait pas sauvegardé sur une disquette. Il n'a pas fait état d'un plan « sur papier » . Le document informatisé avait été « vidé » à une date non précisée, avant l'interrogatoire préalable de M. Forgaard, qui a eu lieu le 27 juin 2001. Dans l'extrait de cet interrogatoire qui a été consigné dans le dossier en conformité avec les Règles de la Cour fédérale (1998), on peut lire l'échange de propos suivant :

212 Q                        Très bien. Existerait-il une copie du plan de disposition que vous...

       R                        Non, il n'y en a pas. Nous l'avons cherché.

213 Q                        Très bien.

       R                        Nous l'avions dans un ordinateur, et je ne l'ai pas sauvegardé sur une disquette ou sur autre chose. J'avais simplement un fichier que j'avais appelé « barges » ou « disposition » -- « barges » , et j'y transférais simplement mes plans de disposition. Donc, quand j'avais besoin d'un tel plan, je les parcourais et je choisissais parmi ceux qui s'y trouvaient, et puis nous avons eu des problèmes d'ordinateur. On m'avait dit : « Vous avez chargé beaucoup de programmes. Votre disque dur est trop chargé » , et on m'a dit : « parcourez le contenu et enlevez tout ce dont vous n'avez pas besoin » . J'ai donc parcouru le contenu et j'ai enlevé un tas de choses. Cela n'a rien changé.

214 Q                        Mais tout ce contenu avait donc disparu?

        R                        Tout a disparu. Il m'a fallu tout recommencer.


[130]        J'en conclus que le plan de disposition, s'il a jamais existé, a été détruit quelque part entre le 13 novembre 1998 et le 27 juin 2001. Doman a eu connaissance de cette mésaventure au plus tard le 16 novembre 1998, lorsqu'un expert nommé en son nom, le capitaine Vale, s'est présenté sur la barge à Nanaimo pour inspecter les dommages subis par la cargaison et par la barge. Il est improbable que le plan de disposition ait pu être jeté avant l'arrivée prévue de la cargaison à Nanaimo, même si cette mésaventure ne s'était pas produite.

[131]        Par ailleurs, M. Forgaard a témoigné à propos du temps nécessaire pour préparer un plan de disposition. Il est improbable qu'il ait pu détruire par hasard ce document, qui prend du temps à préparer.

[132]        Quant à l'argument avancé à propos de l'absence de M. Peel comme témoin, je ferais observer que l'on ne peut s'approprier un témoin. Si Doman voulait produire le témoignage de M. Peel, elle aurait pu lui signifier une assignation l'obligeant à comparaître. Quoi qu'il en soit, je mets en doute l'utilité de convoquer M. Peel puisque le capitaine Hemeon était au moins aussi bien placé pour témoigner à propos du rôle joué par l'équipage du remorqueur en prévision du voyage en question. En ma qualité d'arbitre des faits, je refuse de tirer la conclusion défavorable préconisée par Doman.

[133]        Eu égard à l'ensemble des témoignages, notamment ceux de deux des experts, M. Lindsay et le capitaine Vale, j'arrive à la conclusion que le chargement de la cargaison par les employés de Doman a été fautif et qu'il a été la cause des dommages subis par la barge. Pour les motifs qui suivront, je suis d'avis que Doman doit être rendue partiellement responsable des actes de ses employés et de l'entente contractuelle qu'elle avait conclue.

[134]        Dans l'arrêt Court Line Ltd., précité, la Chambre des lords avait jugé que, dans l'interprétation d'une clause d'une charte-partie conclue entre le chargeur et le transporteur, clause qui indiquait que les affréteurs (ou chargeurs) devaient « charger, arrimer et équilibrer la cargaison à leurs frais, sous la surveillance du capitaine » , le transporteur était de ce fait libéré de sa responsabilité résultant d'un mauvais arrimage, responsabilité qui avait été transférée, par contrat, au chargeur. Lord Wright s'était exprimé ainsi, à la page 168 :

[traduction] Abstraction faite de dispositions ou circonstances spéciales, il appartient au navire d'arrimer les marchandises convenablement, non seulement dans l'intérêt de l'aptitude du navire à tenir la mer, mais aussi afin d'éviter l'endommagement des marchandises, et aussi pour éviter la perte d'espace ou le faux-fret résultant d'un mauvais arrimage. De nos jours, le travail d'arrimage est généralement confié à des aconiers, mais cela ne relève pas les armateurs de leur obligation, même si les aconiers doivent selon la charte-partie être nommés par les affréteurs, à moins que des dispositions spéciales n'aient cet effet, expressément ou implicitement. Mais, selon la clause 8 de cette charte-partie, les affréteurs devaient charger, arrimer et équilibrer la cargaison à leurs frais. Je crois que ces mots supposent nécessairement que les affréteurs assument eux-mêmes la tâche de charger et d'arrimer la cargaison. Il en découle nécessairement que non seulement ils dispensent le navire de l'obligation de chargement et d'arrimage, mais encore, entre eux et les armateurs, ils ne peuvent imputer à ces derniers la responsabilité d'un mauvais arrimage, hormis les mots « sous la surveillance du capitaine, » ,...

[Non souligné dans le texte]

[135]        La clause en question dans l'affaire Court Line Ltd. détaillait davantage les obligations des parties que ne le fait la disposition contractuelle en cause dans la présente affaire. Ici, l'accord est beaucoup moins détaillé, puisqu'il dit :

Le tarif ne comprend pas

-                 le chargement

-                 le déchargement

-                 l'arrimage ou le désarrimage

[136]        Néanmoins, je suis d'avis que cette clause, outre les témoignages produits par les représentants de Doman et de Sea-Link sur la manière dont ils comprenaient le contrat, indique manifestement qu'il appartenait à Doman, l'affréteur-chargeur, de charger et d'arrimer la cargaison. Je suis également d'avis que la cause première des dommages a été le mauvais arrimage de la cargaison, notamment l'insuffisance des chaînes d'arrimage et la mauvaise planification de la charge, les paquets de bois de charpente n'ayant pas été chargés d'une manière imbriquée.

[137]        À mon avis, lorsque Doman a pris la responsabilité du chargement et de l'arrimage, elle a donné à entendre qu'elle avait une connaissance suffisante de la manière d'exécuter ces tâches. Autrement, son engagement contractuel de les exécuter n'aurait eu aucun sens. Dans ces conditions, je suis d'avis que Doman est le principal responsable des dommages subis par la barge par suite du déplacement de la cargaison.

[138]        Dans l'affaire N.M. Paterson & Sons, précitée, il existait un contrat prévoyant le transport de marchandises, et les employés du chargeur avaient aidé à l'arrimage. La Cour suprême du Canada a jugé que la perte avait résulté d'une défaillance des chaînes d'arrimage et que l'obligation première d'arrimer une cargaison dans un navire incombe à l'armateur et à son capitaine, à moins qu'il n'existe un accord contraire exprès ou que les circonstances permettent de supposer qu'un tel accord a été conclu.

[139]        En définitive, dans l'arrêt N.M. Paterson & Sons, précité, la Cour suprême a jugé que l'accord conclu entre les parties ne renfermait aucune disposition rendant le chargeur responsable de l'arrimage et que les officiers du navire avaient inspecté et approuvé la manière dont la cargaison avait été placée et assujettie sur le pont. La Cour a jugé que c'était la preuve qu'il n'existait, entre les parties, aucun accord implicite qui aurait relevé le transporteur de son obligation de disposer et d'arrimer soigneusement les marchandises sur le navire.

[140]        Sea-Link a invoqué l'affaire Trident Freight Logistics Ltd., précitée. Cependant, ce précédent se distingue manifestement de la présente affaire, car l'opération contestée était régie par le Motor Vehicle Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C., 1996, ch. 318, et par les règlements pris en vertu de cette loi, qui précisaient qu'un connaissement devait renfermer une entente spéciale en matière de responsabilité. Ici, nous avons affaire à un transport de marchandises par navire. D'ailleurs, le précédent en question a récemment été infirmé par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique : voir 2003 CACB 342, [2003] B.C.J. no 1316 (C.A.)(QL). La Cour d'appel de la C.-B. a jugé que, même si les faits avaient permis de croire à l'existence d'un accord implicite dont l'effet aurait été de relever le transporteur de la responsabilité du chargement, alors il aurait fallu, selon le règlement provincial, que l'accord en question soit mentionné dans le connaissement.


[141]        Les précédents Court Line Ltd. et N.M. Paterson & Sons, précités, font encore autorité pour le principe selon lequel la responsabilité du transporteur au regard du chargement et de l'arrimage d'une cargaison peut être transférée au chargeur par une disposition contractuelle expresse, ou d'une manière implicite, si les circonstances permettent de déduire ce transfert de responsabilité.

[142]        Doman a fait valoir que, si elle est jugée partiellement responsable des dommages subis par le « SEA-LINK YARDER » , alors Sea-Link ne peut recouvrer de dommages-intérêts car ils ne sont pas divisibles. Sur ce point, Doman invoque un jugement rendu par la Cour fédérale dans l'affaire Farr c. Tourloti, précitée, qui avait été confirmé par la Cour d'appel fédérale, sans commentaires de fond. Dans cette affaire, le juge Pinard avait jugé le transporteur et le chargeur tous deux responsables des dommages subis par la cargaison, dommages qui avaient résulté de deux causes, d'une part l'insuffisance de l'empaquetage, attribuable au chargeur, et d'autre part le fait que la cargaison avait été insuffisamment assujettie au navire, un manquement attribuable au transporteur. Le juge Pinard avait estimé que, puisque la responsabilité des dommages ne pouvait être divisée, le transporteur devait être rendu responsable de la perte tout entière.


[143]        À mon avis, le jugement Farr c. Tourloti, précité, doit être interprété à la lumière de l'arrêt plus récent rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 R.C.S. 1210, où la Cour suprême a jugé que la règle de common law qui interdit, en droit maritime, d'imputer une part de responsabilité à la victime du dommage devrait être abolie, au nom de la justice et de l'équité. Je suis d'avis que le jugement Farr c. Tourloti ne fait pas obstacle à un partage de la responsabilité qui tienne compte de la faute respective de chacune des parties dans cette affaire.

[144]        Subsidiairement, Doman affirme que, si les dommages-intérêts sont jugés divisibles, alors Sea-Link devrait supporter la majeure partie de la perte, parce qu'elle a commis une faute lorsqu'elle a continué le voyage par gros temps et lorsqu'elle a appareillé avec un arrimage qui était chargé trop haut pour la barge. À mon avis, Doman n'a pas prouvé que la décision du capitaine Hemeon de continuer le voyage malgré le mauvais temps a été fautive ou imprudente.

[145]        Le capitaine Vale considérait, dans son deuxième rapport daté du 22 octobre 2002, que l' « insouciance » du capitaine à l'égard des conditions météorologiques avait été une cause « significative » des dommages. Cependant, en contre-interrogatoire, M. Vale a déclaré que lui-même, personnellement, n'aurait pas continué sa route au vu des prévisions météorologiques le jour en question, en avouant qu'il ne pouvait s'exprimer sur la pratique de l'industrie ou dire si la plupart des capitaines auraient poursuivi leur route dans de telles conditions.


[146]        À mon avis, en l'absence d'une preuve fondée sur une norme industrielle ou sur le témoignage d'un expert de l'industrie du remorquage en Colombie-Britannique, Doman n'a pas prouvé que la décision du capitaine de poursuivre sa route dans les conditions météorologiques du moment avait été fautive ou que cette décision était la cause véritable des dommages subis par la barge. Le capitaine Hemeon a témoigné que les conditions météorologiques étaient normales pour cette période de l'année et qu'il les avait déjà connues à plusieurs reprises dans le passé. Il a aussi témoigné que de « nombreuses » autres compagnies de remorquage travaillent dans des conditions semblables et que les conditions ne justifiaient pas la recherche d'un refuge.

[147]        Le point suivant à décider est la question de savoir si la capacité de naviguer, qui s'est développée en droit maritime et qui est évoqué dans les Règles de La Haye-Visby, englobe la « capacité de transporter une cargaison » , ainsi que divers autres éléments, comme le voudrait Doman. Sea-Link a-t-elle manqué à son obligation de fournir un navire en état de naviguer et, dans l'affirmative, quelle est sa responsabilité?

[148]        L'obligation de navigabilité a été examinée dès les premiers litiges portant sur les relations contractuelles dans les affaires maritimes. Dans l'arrêt Actis Co. Ltd. c. Sanko Steamship Co. Ltd. (The « Aquacharm » ), [1982] 1 Lloyd's L.R. 7 (C.A.), lord Denning écrivait, à la page 9 :

[traduction] ... Je crois que les mots « en état de navigabilité » , dans les Règles de La Haye, sont employés dans leur sens ordinaire, et non dans un sens élargi ou artificiel. Ces mots signifient que le navire - ainsi que son capitaine et son équipage - est lui-même en mesure d'affronter les périls du voyage et aussi qu'il est en mesure de transporter la cargaison en toute sécurité durant ce voyage : voir Scrutton on Charterparties, 18e éd. (1974), page 83.

Le bon état de navigabilité est interprété comme un état qui englobe l'aptitude à transporter une cargaison; voir Carver's, Carriage by Sea, 13e éd., vol. 1 (1982), page 118, et l'arrêt Produits forestiers Canadien Pacifique Ltée-Région du Pacifique Tahsis c. Beltimber (Le), [1999] 4 C.F. 320 (C.A.), aux pages 334-335, autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, le 25 mai 2000, Bulletin de la C.S.C., 2000, page 969.


[149]        Ainsi que le mentionne Carver's dans Carriage by Sea, 13e éd., vol. 1 (1982), page 115 :

[traduction] Mais l'obligation de fournir un navire en état de naviguer n'équivaut pas à l'obligation de fournir un navire qui est parfait, c'est-à-dire qui ne peut tomber en panne si ce n'est en cas de péril extraordinaire. Ce que l'expression veut dire, c'est que le navire doit présenter le degré d'aptitude qu'un propriétaire ordinairement soigneux et prudent voudrait que présente son navire au début de son voyage, eu égard à toutes les circonstances probables du voyage.

[Italique dans le texte]

[150]        Il ressort clairement des précédents que, pour imposer une responsabilité au transporteur, la non-navigabilité du navire doit avoir été une cause réelle et effective de la perte : voir l'arrêt Smith Hogg & Co. c. Black Sea and Baltic General Insurance Co. (1940), 67 Lloyd's L.R. 253, à la page 259, et l'arrêt Maxine Footwear Co. Ltd., précité, à la page 113.

[151]        Doman a prétendu que Sea-Link avait contrevenu à son obligation de common law de fournir un navire en état de naviguer, parce qu'elle n'avait pas équipé suffisamment la barge pour qu'elle effectue le voyage. Doman dit que les points d'arrimage, sur la barge, disposés à des intervalles de dix pieds ne convenaient pas pour la cargaison et que les parois latérales étaient trop basses pour le volume de cargaison précisé dans l'accord.


[152]        En ce qui concerne la présumée insuffisance des chaînes d'arrimage et le caractère inadéquat des intervalles de dix pieds pour les points d'arrimage, j'accepte les arguments de Sea-Link selon lesquels Doman avait connaissance de cet arrangement lorsqu'elle avait donné à Sea-Link les spécifications d'arrimage. Doman avait présenté une demande écrite faisant état d'un minimum de 48 chaînes. Deux chaînes étaient raccordées par-dessus la cargaison, ce qui donnait 24 ensembles de chaînes par le travers. Cela veut dire que M. Forgaard avait calculé que l'espace disponible et utilisable de chargement sur la barge était d'environ 240 pieds, c'est-à-dire 24 ensembles de chaînes à des intervalles de dix pieds.

[153]        M. Forgaard a reconnu qu'il avait reçu les dimensions de la barge avant de procéder aux préparatifs du premier voyage, dimensions qui indiquaient que la longueur du pont principal de la barge était de 245 pieds. Il est logique qu'il ait déduit un espace jugé inutilisable. Sa demande d'un minimum de 48 chaînes permet de supposer qu'il savait que les points d'arrimage étaient à des intervalles de dix pieds, et c'est la conclusion à laquelle j'arrive. Doman ne peut aujourd'hui se plaindre que des intervalles de dix pieds ne convenaient pas.


[154]        De même, l'information relative aux dimensions de la barge faisait état d'une hauteur de 6,33 pieds pour les parois latérales. Doman avait cette information lorsqu'elle avait préparé son plan de disposition, et elle n'a pas à ce moment-là soulevé la question de la hauteur des parois latérales. Doman a indiqué que des étançons d'acier auraient dû être ajoutés par Sea-Link aux parois latérales. Cependant, l'expert de Doman, le capitaine Vale, relevait dans son premier rapport que, selon son expérience, la fixation de montants d'acier aux parois latérales a pour résultat d'entraîner la rupture des montants à leur point de fixation lorsque le navire est dans un violent mouvement de roulis. M. Vale a aussi témoigné que la hauteur de la cargaison n'aurait pas été un problème si les paquets avaient été disposés par imbrication, avec des points d'arrimage moins espacés.

[155]        L'expert de Sea-Link, M. Lindsay, a témoigné que la cargaison n'aurait pas dû être chargée à une telle hauteur, au-delà des parois latérales. M. Lindsay a admis en contre-interrogatoire que des étançons d'acier additionnels auraient pu permettre, pour le voyage en question, le chargement de la quantité voulue de bois.

[156]        Je préfère sur ce point le témoignage du capitaine Vale à celui de M. Lindsay. La cause des dommages n'était pas attribuable à la hauteur des parois latérales, mais plutôt à la manière dont la cargaison avait été disposée, c'est-à-dire que les paquets n'étaient pas imbriqués et que les points d'arrimage étaient trop espacés. D'ailleurs, lorsque Doman avait reçu les dimensions de la barge, elle connaissait, ou aurait dû connaître, la hauteur des parois latérales, puisque ce renseignement figurait sur ce document. M. Forgaard a déjà admis qu'il avait reçu les dimensions avant l'arrivée de la barge pour le premier voyage.


[157]        La navigabilité d'un navire est aussi interprétée comme un attribut qui englobe la présence d'un capitaine et d'un équipage compétents : voir Standard Oil, précité, page 125, et « Eurasian Dream » (The), précité, page 738. Ici, Doman dit que Sea-Link est responsable de l'inexpérience de son capitaine sur le « SEA-LINK YARDER » , inexpérience qui avait conduit le capitaine à décider d'entreprendre le voyage avec l'arrimage tel qu'il était, bien que la cargaison ne fût pas suffisamment assujettie.

[158]        Dans l'arrêt Standard Oil, précité, lord Atkinson avait jugé qu'un navire peut devenir un navire qui n'est pas en état de naviguer si le capitaine et l'équipage n'ont pas les compétences ou les qualités requises. Il s'était exprimé ainsi, à la page 125 :

[traduction] ... Il ne peut y avoir de différence en principe, je crois, entre une incompétence paralysante et une ignorance paralysante. L'une et l'autre rendent le capitaine inapte et inhabile à commander, avec pour résultat que le navire qu'il commande n'est plus en état de naviguer. Et le propriétaire qui ne communique pas au capitaine les renseignements nécessaires devrait, en toute logique, répondre tout autant des conséquences de l'ignorance du capitaine que s'il avait privé ce dernier des compétences et qualités générales que sans doute il possédait.

[159]        Dans l'affaire Standard Oil, le tribunal avait jugé que le capitaine s'était trouvé dans une « ignorance paralysante » parce que l'armateur ne lui avait pas communiqué les renseignements nécessaires concernant la stabilité du navire. Par conséquent, l'armateur fut jugé responsable des dommages. Aussi, dans l'affaire « Eurasian Dream » (The), précitée, à la page 738, le juge Cresswell avait estimé qu'un transporteur sera tenu pour responsable de ne pas avoir fourni un navire en état de naviguer s'il n'a pas nommé un capitaine et un équipage ayant les aptitudes que requièrent le navire et le voyage en question.

[160]        Le critère permettant de dire si l'incompétence ou la carence du capitaine et de l'équipage ont rendu un navire inapte à naviguer a été reformulé dans l'arrêt « Eurasian Dream » (The), précité, à la page 737, comme il suit :


[traduction] Un propriétaire raisonnablement prudent, qui connaît les faits pertinents, aurait-il permis que ce navire prenne la mer avec ce capitaine et cet équipage, compte tenu de leur niveau de connaissance, de leur formation et de leur instruction?

[161]        Doman dit que le « SEA-LINK YARDER » avait chargé une cargaison qui dépassait sa capacité et que le capitaine ne disposait pas de l'information qui lui aurait appris que son intervention était nécessaire pour s'assurer que la barge était en mesure de transporter la cargaison. Doman dit aussi que le manque d'expérience du capitaine Hemeon dans le transport de bois sur le « SEA-LINK YARDER » équivalait à une incompétence, de telle sorte que le navire n'était plus en état de naviguer.

[162]        S'agissant du niveau d'expérience et de compétence du capitaine pour le voyage en question, je suis d'avis que son manque d'expérience dans le remorquage de chargements de bois avec le « SEA-LINK YARDER » n'atteint pas la norme de l'incompétence « paralysante » évoquée dans l'arrêt Standard Oil, précité. La preuve ne permet pas de dire que le capitaine avait pour le voyage une ignorance ou une incompétence « paralysante » . Il était passé capitaine en 1982. Il avait acquis beaucoup d'expérience dans le remorquage de barges transportant une diversité de cargaisons, notamment gravier, grumes et ferrailles. Il a manoeuvré dans toutes les saisons, depuis la frontière Mexique-États-Unis, au sud, et au nord jusque dans le sud-est de l'Alaska.

[163]        En contre-interrogatoire, le capitaine Hemeon a reconnu que la barge paraissait surchargée si l'on tenait compte de la ligne de charge indiquée pour le « SEA-LINK YARDER » . Il a indiqué qu'il ne croyait pas que la barge était surchargée au moment du voyage.

[164]        C'est à la partie qui allègue l'innavigabilité d'en apporter la preuve : voir Carver, Carriage of Goods by Sea, 13e éd. (1982), vol. 1, page 124. Lorsqu'il s'agit de l'obligation de navigabilité, et des obligations respectives de chacune des parties selon les Règles, le fardeau de la preuve est légèrement différent, comme on le verra ci-après.

[165]        L'arrêt Tahsis, précité, rendu en 1969 par la Cour suprême du Canada ne favorise pas à mon avis l'argument de Doman selon lequel Sea-Link n'a pas fourni une barge en état de naviguer au motif que Sea-Link n'a pas donné au capitaine Hemeon suffisamment de renseignements ou d'instructions. Cela découle des motifs concordants du juge Spence. Dans l'arrêt Tahsis, le juge Pigeon s'était exprimé en son nom et au nom du juge Martland. Le juge Ritchie avait rédigé des motifs dissidents, auxquels avait souscrit le juge Abbot. Le juge Spence, dont les motifs concordants ont déterminé l'issue de cette affaire, avait rédigé le troisième jugement, en souscrivant, pour le dispositif, à l'avis du juge Pigeon.


[166]        Le juge Pigeon, se fondant sur l'arrêt Standard Oil, précité, avait estimé que la notion de navigabilité signifiait que le transporteur devait donner de bonnes directives de chargement, quand bien même l'affréteur-chargeur aurait la responsabilité du chargement en application d'un accord. Il s'était exprimé ainsi à la page 33 :

[traduction] ... Je crois qu'il est clair que la responsabilité à l'égard des chalands au cours du chargement ne saurait avoir pour effet de dispenser le transporteur, durant cette période d'exercer une diligence raisonnable afin de rendre le navire en état de naviguer. Il est bien établi que la navigabilité requiert davantage qu'une solidité de la structure; elle requiert aussi de bonnes directives : Standard Oil Co. of New York c. Clan Line Steamers Ltd., [1924] A.C. 100. Même si ce n'était pas là une obligation légale, le contrat conclu entre les parties en ferait une telle obligation parce qu'il prévoit « le chargement et l'équilibrage » en conformité avec les directives de chargement données périodiquement par le transporteur au chargeur. La responsabilité du chargeur au cours du chargement n'avait certainement pas pour objet de supplanter l'obligation d'exercer une diligence raisonnable en vue de rendre le navire en état de naviguer, au moyen d'instructions adéquates de chargement, sans lesquelles le navire ne serait pas, durant le chargement, en état de naviguer. Les prétentions de l'intimée auraient pour effet de placer sur les épaules de l'appelante l'obligation de donner aux débardeurs chargeant la barge les directives de chargement que l'intimée avait le devoir légal et contractuel de donner.

[167]        Le juge Pigeon avait fait une distinction entre, d'une part, une obligation juridique fondamentale selon laquelle la navigabilité englobe le principe Standard Oil, qui impose au transporteur l'obligation de donner des instructions adéquates se rapportant aux opérations d'arrimage si telles opérations influent sur la stabilité du navire, quelle que soit l'entente conclue entre les parties, et, d'autre part, une obligation contractuelle qui découlerait de l'entente des parties sur leurs responsabilités respectives.


[168]        Le juge Spence paraît avoir souscrit à la conclusion du juge Pigeon sur l'obligation du transporteur de donner des instructions. Cependant, à mon avis, une lecture de son jugement montre qu'il fondait son raisonnement sur la clause contractuelle effective de l'accord de transport maritime conclu entre les parties, et non sur une obligation générale et personnelle du transporteur de donner des instructions concernant le chargement de la cargaison. À la page 46, le juge Spence écrivait :

[traduction] ... Il me semblerait que les mots de la clause 7b) de l'accord, dans cette affaire, à savoir « les chalands seront chargés et équilibrés en conformité avec les directives de chargement données périodiquement par le transporteur au chargeur » , signifient que le transporteur a l'obligation, et non un simple droit, de donner de telles directives au chargeur...

[169]        À mon avis, le juge Spence souscrivait à la conclusion du juge Pigeon, sur la base du texte effectif de la disposition de l'accord conclu entre le transporteur et le chargeur, et non sur la base d'une obligation juridique supérieure du transporteur de donner au chargeur des directives de chargement, quelle que puisse être leur entente. Par ailleurs, comme l'a noté Sea-Link, les circonstances de l'affaire Tahsis étaient vues comme tout à fait particulières, en ce sens que les chalands (plateaux peu profonds utilisés pour le transport d'une cargaison) étaient très « sensibles » durant le chargement.

[170]        Par conséquent, l'arrêt Tahsis ne nous dit rien sur l'obligation que pouvait avoir Sea-Link de donner des instructions à Doman à propos du chargement, alors que, conformément à l'entente écrite, les opérations de chargement et d'arrimage relevaient de la responsabilité de Doman.


[171]        Doman s'appuie sur l'arrêt Standard Oil, précité, pour affirmer que, nonobstant tout accord conclu avec Sea-Link, le transporteur, concernant le chargement de la cargaison, Sea-Link demeure tenue de vérifier si ce chargement nuit à la stabilité de la barge. Pour sa part, Sea-Link soutient que l'arrêt Standard Oil est un cas d'espèce qui n'est pas applicable ici. Dans l'affaire Standard Oil, le navire en question était un navire particulier, équipé de tourelles. L'information qui n'avait pas été communiquée par le capitaine concernait en particulier la tendance d'un tel navire à chavirer. Le navire en question présentait des caractéristiques tout à fait particulières au chapitre de la stabilité.

[172]        Dans le cas qui nous occupe, le navire en question n'est pas un navire spécialisé. Le « SEA-LINK YARDER » est une barge, utilisée pour le transport de différents types de produits. Il n'a pas été établi que la barge était un « navire spécialisé » , soit avant soit après l'exécution des modifications.

[173]        Doman invoque l'arrêt Standard Oil, précité, au soutien de son argument selon lequel la négligence de Sea-Link à donner au capitaine Hemeon des instructions adéquates sur le chargement, ainsi que des renseignements sur la stabilité de la barge, a contribué à rendre la barge inapte à naviguer.


[174]        Il est indéniable, eu égard à la preuve, que M. Brown n'a pas donné au capitaine Hemeon des directives sur le chargement ou sur la stabilité de la barge. M. Brown avait même montré une attitude désinvolte sur la question de la stabilité, se contentant semble-t-il de faire observer que la barge n'avait pas chaviré durant le voyage en question. Cependant, à mon avis, la question est de savoir si l'absence d'instructions et d'informations a nui au capitaine Hemeon lorsqu'il a pris les commandes de la barge durant le voyage du 14 novembre 1998.

[175]        À mon avis, cette absence d'instructions n'a pas rendu la barge inapte à naviguer, parce que cette information n'était pas spécialisée au point que son absence ait pu rendre le capitaine incapable de comprendre les principes de base présidant à la stabilité des barges et d'agir en conséquence.

[176]        D'ailleurs, l'expert de Doman, le capitaine Vale, a exprimé l'avis qu'il aurait été possible de charger en toute sécurité huit étages de cargaison dans cette situation si la disposition des paquets avait été plus compacte. Le capitaine Vale a aussi déclaré que le volume de cargaison prévu par l'accord aurait pu être transporté en toute sécurité si une grue avait été utilisée pour le chargement. Doman n'a pas utilisé de grue.

[177]        Eu égard à ces témoignages, je ne puis accepter la proposition de Doman selon laquelle l'ignorance du capitaine Hemeon concernant le volume de cargaison qui pouvait être chargé sur la barge a fait que la barge n'était plus en état de naviguer. Pour qu'on obtienne ce résultat, il faudrait que ce facteur soit une cause réelle des dommages subis par la barge. Au lieu de cela, les témoignages tendent à montrer que les dommages subis par la barge ont résulté en réalité du mauvais chargement et du mauvais arrimage de la cargaison.

[178]        Je suis donc d'avis que l'ignorance du capitaine, bien que regrettable, n'a pas été la cause effective du déplacement de la cargaison, et que Sea-Link ne peut être présumée avoir manqué à son obligation de fournir un navire en état de naviguer. Néanmoins, Doman a soulevé la question de savoir ce que Sea-Link aurait pu faire pour éviter les dommages de la barge qui ont finalement été causés par les actions de Doman. Sur ce point, Sea-Link devrait être tenue pour partiellement responsable de sa perte.

[179]        Ma conclusion serait la même si elle était fondée sur les droits et obligations qui sont exposés dans les Règles. Sea-Link et Doman se réfèrent toutes deux aux Règles, chacune affirmant que ces Règles soutiennent leurs positions respectives concernant la responsabilité des opérations inadéquates ou fautives de chargement et d'arrimage de la cargaison. Selon Doman, les Règles sont applicables à la présente situation, en vertu de la LTME, tandis que Sea-Link dit que les Règles sont applicables en vertu de la LRM.

[180]        La LTME a été abrogée le 8 août 2001 par L.C. 2001, ch. 6, art. 130, et remplacée par la LRM, qui est entrée en vigueur, sauf ses articles 45 et 129, le même jour. Les dommages se sont produits le 15 novembre 1998, et la présente action a été introduite le 5 novembre 1999. Les deux dates sont antérieures à l'abrogation de la LTME et antérieures à l'entrée en vigueur de la LRM.

[181]        Dans l'arrêt Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. c. Castor (Le) (2002), 297 N.R. 151 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a jugé qu'un certain article de la LRM n'avait pas d'effet rétroactif et s'est référée au principe de non-rétroactivité des lois. À mon avis, la LRM ne s'applique pas à la présente instance et, en tout état de cause, elle n'en dispose pas, car les Règles seraient transposées dans le droit canadien dans l'un ou l'autre cas, c'est-à-dire par l'effet de la LTME ou par l'effet de la LRM.

[182]        En application de l'alinéa 7(2)b) de la LTME, les Règles sont applicables aux contrats de transport de marchandises par navire, d'un endroit du Canada à un autre endroit du Canada. Le paragraphe 7(4) de la LTME ne s'applique pas à cette situation.

[183]        L'article 3(1)a) des Règles impose au transporteur l'obligation d'exercer une diligence raisonnable pour mettre le navire en état de navigabilité. Doman soutient que, si l'on dit que le navire n'était pas en état de naviguer, alors Sea-Link ne peut se fonder sur aucune des exceptions de l'article 4(2) des Règles.


[184]        L'article 3(2) des Règles impose au transporteur l'obligation de procéder de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l'arrimage, au transport, à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises. La responsabilité générale d'un transporteur en ce qui concerne le chargement, l'arrimage et le déchargement, d'une façon appropriée et soigneuse, des marchandises transportées peut être écartée par l'une des exceptions énumérées dans l'article 4(2). L'article 3(2) prévoit expressément qu'il est énoncé « sous réserve des dispositions de l'article 4 » . Sea-Link s'appuie sur l'article 4(2)(i) pour limiter sa responsabilité. L'article 4(2)(i) est ainsi rédigé :

Ni le transporteur ni le navire ne seront responsables pour perte ou dommage résultant ou provenant :

...

(i) d'un acte ou d'une omission du chargeur ou propriétaire des marchandises, de son agent ou représentant;

[185]        Contrairement à l'article 3(2), l'article 3(1) ne renferme pas l'expression selon laquelle il est « sous réserve » des exceptions énumérées dans l'article 4, et il a été jugé, dans l'arrêt Maxine Footwear Co. Ltd., précité, à la page 113, et dans l'arrêt « Eurasian Dream » (The), précité, que l'article 4(2) des Règles ne peut être invoqué lorsque le transporteur a manqué à son « obligation primordiale » de fournir un navire en état de naviguer et lorsque ce manquement est à l'origine des dommages.


[186]        Selon les Règles, une fois que le propriétaire de la cargaison établit que la cargaison a été endommagée, c'est au transporteur qu'il revient d'opposer une défense. Le transporteur peut alors transférer de nouveau le fardeau de la preuve au chargeur en établissant que la perte ou le préjudice est attribuable à l'une des exceptions énumérées dans l'article 4. Le propriétaire de la cargaison doit alors établir soit que le transporteur a été négligent, soit à la fois que le navire n'était pas en état de naviguer et que la perte a été causée par l'innavigabilité du navire. Si l'innavigabilité est établie, alors le transporteur ne peut échapper à sa responsabilité qu'en établissant qu'il a exercé une diligence raisonnable pour mettre le navire en état de navigabilité : voir l'affaire Kruger Inc. c. Baltic Shipping Co., [1988] 1 C.F. 262 (1re inst.), confirmé [1989] A.C.F. n ° 229 (C.A.)(QL), et l'affaire Nova Steel Ltd. c. Lithuanian Shipping Co. (2002), 216 F.T.R. 1.

[187]        En l'espèce, les problèmes causés par l'ignorance du capitaine et par sa décision de commencer le voyage avec un arrimage qui était défectueux n'ont pas causé eux-mêmes les dommages finalement subis par la barge. Doman avait accepté de prendre la responsabilité du chargement et de l'arrimage, et c'est le caractère défectueux de son travail en la matière qui a causé le déplacement de la cargaison, entraînant ainsi les dommages subis par la barge. Les autres facteurs qui auraient pu ou non contribuer à éviter ces dommages ne changent pas cette conclusion. Dans cette perspective, je suis d'avis que Sea-Link doit être tenue pour partiellement responsable de la perte, mais non parce qu'elle aurait fourni un navire qui n'était pas en état de navigabilité.

[188]        La cause des dommages subis par la barge est « un acte ou une omission du chargeur » , à savoir un chargement défectueux de la cargaison par Doman. L'accord stipulait que Doman se chargerait elle-même de ces activités.


[189]        Sea-Link n'a pas manqué à son obligation primordiale de fournir un navire en état de navigabilité, conformément aux principes de common law ou conformément aux Règles de La Haye-Visby. L'état du « SEA-LINK YARDER » lorsqu'il a commencé son voyage était celui qu'aurait exigé un propriétaire ordinaire, prudent et soigneux. La barge aurait été en mesure de transporter sa cargaison si la cargaison avait été convenablement arrimée. Selon ce que prévoyait l'accord conclu entre les parties, c'était à Doman qu'il incombait de planifier la disposition et le chargement de la cargaison.

[190]        S'agissant de la réclamation pour perte d'utilisation, Sea-Link n'a produit aucune preuve au soutien de cette réclamation. Elle n'a pas prouvé les occasions perdues ni montré quelles activités elle exerçait habituellement en décembre et janvier d'une année « normale » . M. Brown, au nom de Sea-Link, a témoigné que la barge « SEA-LINK RIGGER » avait été disponible et non utilisée durant la période postérieure au 8 décembre 1998 et que la barge « ARCTIC TUK » de Sea-Link avait été disponible et non utilisée durant toute la période. Par ailleurs, M. Brown n'a pu indiquer aucun contrat qu'il aurait refusé parce que le « SEA-LINK YARDER » était en réparation.


[191]        Je suis d'avis que la réclamation de Sea-Link pour perte d'utilisation procède d'une réclamation pour dommages spéciaux. Les dommages spéciaux doivent être strictement prouvés. Quoi qu'il en soit, la partie qui demande réparation de tels dommages doit produire une preuve suffisante, et la Cour ne peut chiffrer elle-même de tels dommages : voir l'affaire Pembina Resources Ltd. c. ULS International Inc., [1990] 1 C.F. 666 (1re inst.), aux pages 702-703. L'argument avancé au nom de Sea-Link selon lequel Sea-Link entretenait « un espoir » d'utilisation de sa barge ne répond pas au niveau de preuve qui est requis pour que des dommages-intérêts soient accordés sous cette rubrique.

[192]        En résumé, l'action est accueillie en partie. Je déclare Doman responsable, à raison de 60 p. 100, des dommages convenus, c'est-à-dire à raison de 60 p. 100 de la somme de 132 741,23 $, et Sea-Link supportera 40 p. 100 de la perte. Les intérêts après jugement n'ont pas été arrêtés par les parties, et n'ont pas non plus été considérés dans les arguments. J'invite les parties à me présenter de brèves conclusions sur ce point, en tenant compte du paragraphe 37(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, pour le cas où les parties ne s'entendraient pas sur cet aspect. Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire selon les Règles de la Cour fédérale (1998), les dépens seront partagés entre les parties selon le même rapport que la responsabilité, tels dépens devant être taxés en tant que dépens partie-partie.

ORDONNANCE


L'action est accueillie en partie, et Sea-Link Marine Services Ltd., Union Tug and Barge Ltd. et les propriétaires des navires « ARCTIC HOOPER » et « SEA-LINK YARDER » ainsi que les autres personnes intéressées dans lesdits navires, demandeurs reconventionnels, ont le droit de recouvrer 60 p. 100 des dommages convenus, à l'exclusion de la perte d'utilisation, les intérêts avant jugement au taux de 4 p. 100 l'an qui ont été convenus, des conclusions devant être présentées sur la question des intérêts après jugement, sauf entente contraire des parties, et les dépens de cette action seront taxés en conformité avec les Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, tarif B, en tant que dépens partie-partie, tels dépens devant être partagés entre les parties à raison de 60 p. 100 pour les demandeurs reconventionnels et de 40 p. 100 pour Doman Forest Products Limited, défenderesse reconventionnelle.

                                                                                        « E. Heneghan »            

                                                                                                             Juge                     

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-1949-99

INTITULÉ :                                              Doman Forest Products Limited c. Les navires « ARCTIC HOOPER » et « SEA-LINK YARDER »

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Vancouver (Colombie-Britannique)

DATES DES AUDIENCES :                 les 26, 27, 28 et 29 novembre et le 3 décembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     Madame le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                           le 13 juin 2003

COMPARUTIONS :

M. Chris Giaschi                                        POUR LA DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

M. Gary Wharton                                       POUR LES DEMANDEURS RECONVENTIONNELS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GIASCHI MARGOLIS                           POUR LA DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

Vancouver (Colombie-Britannique)

BERNARD ET ASSOCIÉS                      POUR LES DEMANDEURS RECONVENTIONNELS

Sous-procureur général du Canada


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