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     Date : 19990520

     Dossier : IMM-2342-99

ENTRE :


ANNA DOVGAN,

OKSANA DOVGAN,

NATALIA DOVGAN,

     requérantes,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[Version révisée et augmentée des motifs prononcés à l'audience

à Toronto (Ontario), le 10 mai 1999]

LE JUGE LEMIEUX :

A.      LES FAITS

[1]      Les présents motifs écrits confirment et précisent ceux que j'ai prononcés à Toronto à l'appui du rejet de la requête présentée par les demanderesses à cette Cour en vue d'obtenir une ordonnance sursoyant à l'exécution d'une mesure de renvoi prise contre elles jusqu'à ce qu'une décision soit rendue relativement à leur demande de contrôle judiciaire. Leur renvoi du Canada vers l'Ukraine était prévu pour le 17 mai 1999.

[2]      Le 7 mai 1999, les requérantes ont déposé une demande d'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ainsi que la requête en sursis entendue aujourd'hui.

[3]      La décision contestée dans la demande de contrôle judiciaire est celle qu'a rendue Z. Barisic, agent chargé d'exécuter la Loi, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), le 8 avril 1999.

[4]      Le 8 avril 1999, M. Barisic a donné aux demanderesses une directive leur enjoignant de se présenter à l'aéroport international Pearson le 17 mai 1999 étant donné que leur renvoi du Canada était prévu pour cette date.

[5]      Arrivées au Canada le 12 mai 1991, la demanderesse, Anna Dovgan, et ses deux filles, Oksana et Natalia, ont obtenu des visas de visiteuses à l'aéroport. Le 10 octobre 1991, elles ont revendiqué le statut de réfugié.

[6]      Avant que leurs revendications du statut de réfugié soient entendues et tranchées, les demanderesses ont demandé une dispense en vue d'obtenir le droit de s'établir au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée le 17 mars 1992, en partie parce que les demanderesses n'ont pas réussi à prouver qu'elles subiraient des sanctions ou des difficultés si elles retournaient dans leur pays d'origine, .

[7]      Le 30 juin 1992, les demanderesses ont reçu un avis d'interdiction de séjour pour le motif qu'elles étaient demeurées au Canada alors qu'elles n'étaient plus des visiteuses.

[8]      Leurs revendications du statut de réfugié ont été rejetées le 22 septembre 1993. La Cour leur a refusé l'autorisation d'interjeter appel le 23 septembre 1994.

[9]      Le 22 mars 1995, les demanderesses ont été avisées que leur dossier avait été évalué en regard de la catégorie des DNRSRC afin de déterminer s'il existait un risque objectivement identifiable que leur vie soit menacée, que des sanctions excessives soient exercées contre elles ou qu'un traitement inhumain leur soit infligé si elles devaient quitter le Canada pour retourner en Ukraine.

[10]      L'agent chargé de la révision des revendications refusées a examiné les formules de renseignements personnels des demanderesses, la décision de la Section du statut de réfugié au sens de la Convention rendue le 22 septembre 1993 et les rapports sur le respect des droits de la personne par les pays pour l'année 1993. Les demanderesses ont été invitées à présenter des observations, mais elles ne l'ont pas fait.

[11]      L'agent chargé de la révision des revendications refusées a conclu ce qui suit :

         [Traduction]         
         Les documents dont je disposais ne contenaient aucune preuve substantielle que les demanderesses seraient exposées à un risque pour leur vie, ni à un risque de traitement inhumain ou de sanctions excessives si elles devaient retourner en Ukraine. Des changements fondamentaux se sont opérés en Ukraine après le départ des demanderesses au mois de mai 1991. L'indépendance et la liberté des cultes ont été obtenues. Les demanderesses n'appartiennent pas à la catégorie des demanderesses non reconnues du statut de réfugié au Canada suivant la définition prévue à l'alinéa 2c) du Règlement sur l'immigration de 1978.         

[12]      Le 24 juin 1997, les demanderesses ont été informées qu'elles ne satisfaisaient pas au critère d'admissibilité prévu pour que l'exécution de leur mesure de renvoi soit différée, parce qu'elles n'avaient pas déposé leur demande dans le délai prescrit.

[13]      Je remarque en lisant le dossier que j'ai entre les mains, que CIC demande aux demanderesses de se présenter à des entrevues afin que des arrangements soient pris pour leur départ du Canada depuis le 14 octobre 1998 et peut-être même avant.

[14]      Le 18 novembre 1998, les demanderesses se sont présentées à une entrevue à CIC à Toronto, où la date de leur départ a été reportée. Un certain nombre d'entrevues ont été prévues entre le 18 novembre 1998 et le 8 avril 1999, mais les demanderesses ou certaines d'entre elles ne s'y sont pas présentées.

[15]      Le 8 avril 1998, une entrevue afin que des arrangements soient pris pour leur départ a eu lieu, mais Natalia Dovgan ne s'est pas présentée. L'avocat des demanderesses était présent. À l'entrevue, les demanderesses ont reçu signification d'une directive leur enjoignant de se présenter à l'aéroport international Pearson le 17 mai 1999, date prévue pour leur renvoi. C'est sur cette directive que porte principalement la demande de contrôle judiciaire.

[16]      À la réunion du 8 avril 1999, CIC a été informé que Natalia Dovgan s'était mariée avec un citoyen canadien le 6 avril 1999.

[17]      Suivant la preuve par affidavit, Oksana Dovgan est également mariée. Elle a épousé son copain d'Ukraine qui est venu la rejoindre au Canada. Ils ont une fille qui est née au Canada. Le mari d'Oksana Dovgan a récemment présenté une demande pour être considéré comme un DNRSRC.

[18]      Le 8 avril 1999, CIC a également remis en mains propres aux demanderesses une lettre datée du même jour les avisant qu'une autre entrevue était prévue pour le 12 avril 1999 afin que les derniers arrangements soient pris relativement à leur renvoi. Les demanderesses devaient alors apporter des photos et les formules de document de voyage remplies par Natalia.

[19]      Le 13 avril 1999, CIC a été avisé que l'avocat des demanderesses avait cessé de les représenter.

[20]      Le 26 avril 1999, CIC a donné aux demanderesses la directive de se présenter à une entrevue le 3 mai 1999. Elles devaient apporter tout document relatif à des affaires criminelles, les dates d'audience fixées, toute recommandation en matière de probation ou de libération conditionnelle, toute preuve ayant trait à la présentation d'une demande de résidence permanente, etc. (le cas échéant).

[21]      Vers le 29 avril 1999, les demanderesses ont déposé à CIC des demandes de résidence permanente au Canada et ont demandé une dispense en vertu de l'article 114 de la Loi sur l'immigration pour des raisons d'ordre humanitaire. Avec l'obtention d'une dispense, leurs demandes pourraient être traitées au Canada.

[22]      Un document intitulé " L'histoire de la famille Dovgan " et daté du 29 avril 1999 était joint aux demandes de résidence permanente des demanderesses. Ce document mentionnait les raisons d'ordre humanitaires sur lesquelles elles fondaient leurs demandes de dispense.

[23]      Essentiellement, suivant ce document, le mari d'Anna Dovgan et ses trois fils (qui sont demeurés en Ukraine après l'arrivée des demanderesses au Canada en 1991) sont devenus les cibles d'extorqueurs qui croyaient que les membres de la familles Dovgan qui vivaient au Canada étaient riches. Ces extorqueurs étaient impitoyables. Un des fils du couple a été enlevé en novembre 1996 et tué parce que la rançon demandée ne pouvait pas être payée. Le crime a été signalé aux policiers, mais les coupables n'ont pas été arrêtés. Le mari d'Anna et ses autres fils se sont ensuite enfuis à Saint-Pétersbourg. Un des fils du couple y est demeuré, l'autre, vit en Russie. Quant au mari d'Anna, il est retourné en Ukraine où il vivait chez sa soeur parce qu'il avait peur de regagner la maison familiale à Polany. Il semble avoir disparu lorsque leur foyer a été mystérieusement détruit. Les membres de la famille Dovgan qui vivent au Canada craignent qu'une bande du crime organisé, qui tente de leur extorquer de l'argent qu'ils n'ont pas, se livre à des voies de fait sur eux, les enlève et les tue.

[24]      L'entrevue du 3 mai 1999 a eu lieu. Le seul compte rendu que j'ai de cette entrevue se retrouve dans les affidavits d'Anna Dovgan et d'Oksana Dovgan qui affirment que le but de cette entrevue était de discuter de leur renvoi et des demandes de résidence permanente qu'elles avaient récemment déposées puisqu'elles devaient apporter ces documents avec elles. Les deux demanderesses qui se sont présentées à l'entrevue (Natalia Dovgan était absente) disent que l'agent chargé d'exécuter la Loi les a longuement questionnées au sujet de leur demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, mais seulement en ce qui concerne leur vie au Canada. Il ne voulait pas accepter qu'elles fournissent des renseignements au sujet des difficultés auxquelles elles devraient faire face, ce qui constituait l'élément central de leur demande.

[25]      Après l'entrevue, les demanderesses ont déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, de même que la requête en sursis dont je suis saisi.

B.      ANALYSE

[26]      La requête en sursis est présentée conformément à l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, qui permet à cette Cour de prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive en ce qui concerne la demande de contrôle judiciaire. Les demanderesses ont également invoqué l'alinéa 50(1)b) de cette même loi, qui confère à la Cour le pouvoir de suspendre les procédures dans toute affaire lorsque l'intérêt de la justice l'exige.

[27]      En ce qui concerne le critère applicable au sursis d'un renvoi, les demanderesses se sont appuyées sur l'affaire Toth c. M.E.I. (1988), 86 N.R. 302. Les demanderesses ont invoqué trois arguments quant à l'existence de questions sérieuses, à savoir :

     a)      CIC n'a pas communiqué de décision aux demanderesses en ce qui concerne les demandes qu'elles ont présentées dans le cadre du programme d'exécution différée des mesures de renvoi;
     b)      L'agent chargé d'exécuter la Loi n'a pas effectué un examen adéquat des motifs d'ordre humanitaire sur lesquels elles s'appuyaient pour que la date de leur renvoi soit reportée afin que leurs demandes fondées sur des considérations humanitaires puissent être étudiées au pays. À cet égard, l'agent a refusé d'exercer correctement son pouvoir discrétionnaire;
     c)      L'agent n'avait pas compétence pour agir lorsqu'il a prétendu, pour s'assurer que le mari de l'une des demanderesses serait renvoyé du Canada le 17 mai 1999, pouvoir interrompre le processus d'évaluation applicable à la catégorie des DNRSRC enclenché par le mari d'Oksana.

[28]      J'ai rejeté la demande de sursis des demanderesses parce qu'elles n'ont pas réussi à me convaincre qu'il existait une question sérieuse à trancher et ce, principalement pour deux raisons.

[29]      Premièrement, les circonstances de l'espèce ressemblent beaucoup aux circonstances examinées par le juge Strayer (maintenant juge à la Cour d'appel) dans l'affaire Shchelkanov c. M.E.I. (1994), 76 F.T.R. 151, où un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi a été refusé.

[30]      Comme en l'espèce, dans l'affaire Shchelkanov, la validité de la mesure d'expulsion n'était pas contestée dans la procédure de contrôle judiciaire. Cependant, une instance de contrôle judiciaire avait été introduite par suite du dépôt à la dernière minute d'une demande de résidence permanente pour laquelle les demanderesses avaient invoqué des motifs d'ordre humanitaire afin qu'elle soit traitée au Canada.

[31]      Dans l'affaire Shchelkanov, le juge Strayer a déclaré qu'il s'avérait peu indiqué en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale d'accorder le sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion parfaitement valide jusqu'à ce qu'une décision soit rendue relativement au contrôle judiciaire d'une action complètement différente (ou inaction), particulièrement en ce qui concerne une demande de dispense fondée sur des raisons d'ordre humanitaire présentée avec un total manque de discipline et déposée à la dernière minute. C'es le cas en l'espèce.

[32]      Dans l'affaire Shchelkanov, le juge Strayer a mentionné qu'il existe des situations dans lesquelles il est indiqué que la Cour prononce le sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion valide. Il a donné comme exemple la hâte que met le ministre à exécuter une mesure d'expulsion et l'impact que ce comportement risque d'avoir sur le processus judiciaire. En l'espèce, je ne suis pas en présence d'un tel facteur ou d'autres facteurs légitimes comme un délai excessif pour examiner la demande fondée sur des considérations humanitaires ou la nécessité de procéder à une évaluation du risque. Voir également Francis c. Canada, IMM-156-97, 14 janvier 1997, le juge Nöel (maintenant juge à la Cour d'appel); Younge c. Canada, IMM-2566-96, 3 janvier 1997, le juge Richard (maintenant juge en chef adjoint); Garcia c. Canada, IMM-3030-95, 9 novembre 1995, le juge McGillis et Brushtulli c. Canada, IMM-2402-97, 12 juin 1997, juge Nöel (maintenant juge à la Cour d'appel).

[33]      Les demanderesses ont tort de dire que la décision en ce qui concerne la question de savoir si l'exécution de leur mesure de renvoi doit être différée n'a pas encore été rendue. Cette question a été tranchée le 24 juin 1997. Elle ont également tort d'affirmer qu'une décision relativement à leur demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a été rendue le 8 avril 1999. Dans le dossier, il n'est pas mentionné qu'une décision a été prise à cet égard. La demande qu'elles ont fondée sur des considérations humanitaires peut être traitée même si elles sont renvoyées. Le dossier n'indique pas non plus que la demande du mari d'Oksana visant à être considéré comme un DNRSRC a été contrecarrée.

[34]      La deuxième raison pour laquelle j'estime que les demanderesses ne m'ont pas convaincu de l'existence d'une question sérieuse tient au fait que leur comportement a affecté leur crédibilité quant à leur peur et quant au risque auquel elles pourraient être exposées en retournant en Ukraine. À cet égard, les faits de la présente cause sont semblables à ceux d'un affaire jugée récemment par la Cour d'appel fédérale, Jeyarajah, A-749-98, 12 février 1999, où le juge Sexton a déclaré :

         La Cour est d'accord avec la conclusion tirée par le juge saisi de la requête. Il est peu vraisemblable, si l'appelant croyait réellement qu'il courrait un risque, qu'il ne l'ait pas fait savoir à Citoyenneté et Immigration Canada quand il a été invité à le faire. En fait, il a attendu près de deux ans et demi après avoir été invité à présenter de telles observations avant de soulever cette question. Pendant ce temps, il a été conseillé par un avocat et a intenté une action contre le ministre sans mentionner de circonstances qui pourraient représenter un risque pour sa personne. Compte tenu de ces circonstances, la Cour estime que le juge saisi de la requête a eu raison de conclure qu'il n'existait pas de question sérieuse à trancher. La simple existence d'un statut de réfugié, particulièrement quant un tel statut a été accordé il y a de nombreuses années, n'est pas, en l'absence d'une preuve d'un risque réel, suffisante pour donner lieu à une question de fait sérieuse.         

[35]      À mon avis, les demanderesses ont eu plusieurs occasions de faire connaître au défendeur, en temps opportun, le risque qu'elles courraient en retournant en Ukraine. Elles ne l'ont pas fait.

[36]      Compte tenu des conclusions que j'ai tirées en ce qui concerne l'existence de questions sérieuses, les demanderesses ne m'ont pas convaincu pour ce qui est des deux autres volets du critère auquel elles devaient satisfaire pour que le sursis leur soit accordé, soit celui du préjudice irréparable et celui de la prépondérance des inconvénients.

[37]      Pour ces motifs, la demande de sursis des demanderesses est rejetée.

     " François Lemieux "

     _______________________

                                             JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

LE 20 MAI 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                  IMM-2342-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Anna Dovgan et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 10 mai 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR Monsieur le juge Lemieux

EN DATE DU :                      20 mai 1999

ONT COMPARU :

Me Arnold Fitz Gerald Kelly              Pour les demanderesses

Me Stephen H. Gold                      Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Arnold Fitz Gerald Kelly

Toronto (Ontario)                      Pour les demanderesses

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur

général du Canada                      Pour le défendeur

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