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Date : 20030626

Dossier : IMM-3251-01

Référence :2003 CFPI 784

Ottawa (Ontario), le jeudi 26 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                              FADY RAAFAT MOHAMMED HASSAN DEGHEIDY

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 M. Degheidy est un citoyen d'Égypte qui a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des immigrants indépendants à titre d'ingénieur de l'extraction et du raffinage du pétrole (CNP 2145). La demande de M. Degheidy a fait l'objet d'une sélection administrative et, après une entrevue personnelle, M. Degheidy a reçu 64 points d'appréciation en tout. M. Degheidy n'a obtenu aucun point d'appréciation pour l'expérience, ce qui montre que l'agente des visas a estimé que les éléments de preuve soumis par M. Degheidy relativement à son expérience de travail n'étaient pas crédibles. L'agente des visas a donc conclu que M. Degheidy n'avait pas exercé un nombre substantiel des fonctions principales de la profession d'ingénieur de l'extraction et du raffinage du pétrole. Vu qu'elle ne lui a accordé aucun point pour l'expérience, l'agente des visas ne pouvait lui délivrer un visa d'immigrant et elle a donc refusé sa demande de résidence permanente.

[2]                 En l'espèce, M. Degheidy demande le contrôle judiciaire de cette décision défavorable. En plus de contester l'appréciation qu'a faite l'agente des visas de son expérience, M. Degheidy conteste aussi la décision de ne lui accorder aucun point d'appréciation pour sa connaissance du français et de lui accorder cinq points d'appréciation pour sa personnalité. En outre, M. Degheidy allègue que, durant l'entrevue, l'agente des visas a agi de manière à faire naître une crainte raisonnable de partialité.

L'ALLÉGATION DE CRAINTE RAISONNABLE DE PARTIALITÉ


[3]                 Il n'y a guère de conflit entre les parties quant aux principes juridiques applicables. Une crainte raisonnable de partialité est établie lorsqu'on peut dire qu'une personne raisonnable et sensée, qui étudierait la question de façon indépendante, réaliste et pratique, aurait lieu de craindre que le décideur ne soit pas impartial. Dans Au c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 243, qui concerne particulièrement les agents des visas, le juge Nadon (maintenant juge à la Section d'appel de la Cour) a souligné qu'étant donné qu'ils n'exercent pas de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, les agents des visas doivent à tout le moins n'avoir aucun conflit d'intérêts et disposer d'un esprit prêt à se laisser convaincre.

[4]                 L'agente des visas et M. Degheidy ne s'entendent vraiment pas sur ce qui s'est passé durant l'entrevue.

[5]                 Selon M. Degheidy, dès qu'il a pénétré dans la salle d'entrevue, il lui est clairement apparu que l'agente des visas et lui [traduction] « se souvenaient de s'être rencontrés antérieurement » relativement à une demande de visa de visiteur qu'il avait présentée, et que l'agente des visas avait conservé l'antipathie qu'elle avait éprouvée pour lui lors de leur première rencontre. M. Degheidy a décrit l'agente des visas comme étant agitée, irritée et hostile, et il a dit qu'elle ne lui avait pas laissé la chance d'expliquer comment il pouvait être un ingénieur de l'extraction et du raffinage du pétrole et ne pas travailler dans ce domaine.


[6]                 L'agente des visas a pour sa part maintenu n'avoir été ni impatiente ni hostile, et avoir laissé à M. Degheidy [traduction] « toute la latitude voulue pour ce qui est de la présentation de tous les faits pertinents pour l'appréciation de son expérience dans la profession qu'il envisageait d'exercer » .

[7]                 Ni M. Degheidy ni l'agente des visas n'ont fait l'objet d'un contre-interrogatoire sur affidavit. Compte tenu de ce que les avocats ont qualifié d'[traduction] « affidavits contradictoires » , il est difficile de déterminer ce qui s'est vraiment passé à l'entrevue. On a prétendu que la version des faits de l'agente des visas s'appuyait sur ses notes au STIDI, mais j'estime que la lettre établie par l'avocat de M. Degheidy presque immédiatement après l'entrevue et avant qu'il ne reçoive la décision défavorable fait contrepoids à ces notes. Dans cette lettre, l'avocat de M. Degheidy exprimait des craintes relativement à la façon dont avait été menée l'entrevue, au contenu de l'entrevue et à l'ambiance d'hostilité dans laquelle elle s'était déroulée.                                                          

[8]                 En bout de ligne, j'estime que les éléments de preuve les plus fiables sont les indicateurs objectifs suivants :

i)           M. Degheidy dit que l'agente des visas a été désagréable avec lui lors de leur première rencontre, soit lorsqu'elle l'a reçu en entrevue relativement à une demande de visa en 1999. Cependant, en 1999, l'agente a accordé un visa de visiteur à M. Degheidy. Cela n'est pas compatible avec une absence d'ouverture d'esprit ou un préjugé défavorable.


ii)          M. Degheidy n'a fait état d'aucun élément de preuve à l'appui de l'allégation suivant laquelle l'agente des visas lui en a voulu pendant les trois années qui se sont écoulées entre l'entrevue relative à sa demande de visa de visiteur et l'entrevue relative à sa demande de résidence permanente. On n'a pas contesté la déposition de l'agente des visas suivant laquelle, compte tenu du volume de demandes qu'elle est appelée à traiter, elle n'a pas reconnu le nom ou les caractéristiques personnelles de M. Degheidy, et que ce n'est que lorsqu'elle a vu ses initiales au dossier qu'elle s'est rendu compte qu'elle avait déjà reçu M. Degheidy en entrevue.

iii)          Lorsqu'à un moment donné elle était incertaine quant aux études de M. Degheidy, l'agente des visas lui a donné le bénéfice du doute et lui a accordé le nombre maximum de points d'appréciation, et ce, bien qu'il ait soumis à l'appui de sa demande des documents dans une forme qu'elle ne connaissait pas. En outre, l'appréciation par l'agente de la connaissance de l'anglais de M. Degheidy (9 points) et de sa personnalité (5 points) ne m'indique pas qu'elle a été motivée par quelque animosité que ce soit.


[9]                 L'agente des visas et M. Degheidy paraissent avoir des perceptions très différentes et sincères de l'entrevue. M. Degheidy n'a toutefois pas réussi à me convaincre que l'agente a tranché sa demande de façon irrégulière ou qu'elle a jugé d'avance sa demande à un point tel que cela dénote l'absence d'un esprit prêt à se laisser convaincre.

[10]            Il peut toutefois être utile d'exposer de nouveau l'obligation de l'agent des visas, décrite par le juge Lutfy (maintenant juge en chef de la Cour fédérale) dans Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 138 F.T.R. 230. Il a écrit au paragraphe 5 de cette décision :

Les principes de justice naturelle et d'équité procédurale s'appliquent à la rencontre que l'agente des visas a tenue avec le requérant. Au cours de ce genre d'entrevue, l'agent(e) des visas est appelé(e) à déterminer si la partie requérante sera en mesure de s'établir avec succès au Canada et il s'agit d'une responsabilité importante. Il(Elle) doit se comporter avec la dignité voulue pour favoriser un échange ouvert et équitable, même dans des circonstances qui doivent parfois être difficiles et éprouvantes. Il convient également de souligner que, pour de nombreux requérants, notamment ceux dont les cultures sont sensiblement différentes de celles de la personne qui représente le Canada, ces entrevues sont stressantes. Dans l'ensemble, lorsqu'une personne interrogée ne se comporte pas bien, l'agent(e) des visas doit demeurer calme pour faire en sorte que la rencontre se déroule bien. L'agent(e) des visas préside l'entrevue. À titre de personne appelée à rendre une décision, l'agent(e) des visas est tenu(e) de fournir, dans la mesure du possible, un environnement calme au cours de l'entrevue pendant laquelle la partie requérante tente de prouver qu'elle respecte les critères de sélection. [Non souligné dans l'original.]

L'APPRÉCIATION DE L'EXPÉRIENCE

[11]            La question de savoir si le demandeur de résidence permanente a l'expérience nécessaire est une pure question de fait au sujet de laquelle la Cour doit faire preuve de retenue. Comme je l'ai écrit dans Ushenin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 315, au paragraphe 5 :


En ce qui concerne la question de la norme de contrôle applicable, les demandes d'admission au Canada à titre d'immigrant sont assujetties à la décision discrétionnaire d'un agent des visas, qui doit tenir compte de certains critères prévus par la loi pour prendre sa décision. Lorsque ce pouvoir conféré par la loi a été exercé de bonne foi et conformément aux principes de justice naturelle et que la décision n'a pas été fondée sur des considérations non pertinentes ou étrangères, les tribunaux ne devraient pas intervenir. Voir Maple Lodge Farms Limited c. gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8; To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 696 (CAF), au paragraphe 3; Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 312, au paragraphe 12.

[12]            Pour ce qui est de l'appréciation de l'expérience en l'espèce, la seule expérience en tant qu'ingénieur de l'extraction et du raffinage du pétrole qu'a fait valoir M. Degheidy dans sa demande est son emploi pour Reliance Enterprises Ltd. (Reliance) au Yemen qu'il a commencé au mois d'août 1998

[13]            Avant de travailler pour Reliance, M. Degheidy a occupé le poste de [traduction] « coordonnateur commercial et administrateur informatique » pour Sahara Imports, et le poste d'[traduction] « administrateur informatique et [de] représentant à l'étranger » pour Egypt Trade. Alors qu'il était au service de Reliance comme [traduction] « ingénieur de l'extraction et du raffinage du pétrole et analyste » , il a également travaillé à temps partiel pour Information Dynamix en tant qu'[traduction] « analyse en informatique et représentant à l'étranger » .


[14]            Bien que M. Degheidy se soit décrit comme ingénieur de l'extraction et du raffinage du pétrole, le curriculum vitae accompagnant sa demande de résidence permanente indique non pas que M. Degheidy occupait chez Reliance un poste d'ingénieur de l'extraction et du raffinage du pétrole, mais bien qu'il portait le titre suivant : [traduction] « analyste de données et de projet et développeur de logiciels » .

[15]            Lorsqu'il a présenté sa demande de visa de visiteur en 1999, M. Degheidy a informé les autorités canadiennes de l'immigration que du mois d'août 1998 au mois d'avril 1999, il avait vécu aux États-Unis. Alors qu'il était dans ce pays, il avait créé une entreprise qui achetait des jeux sur ordinateur au Canada et qui les revendait aux États-Unis. Cette période couvre celle où M. Degheidy dit avoir commencé à travailler pour Reliance en tant qu'ingénieur de l'extraction et du raffinage du pétrole.

[16]            Bien qu'elle accorde le titre d'[traduction] « ingénieur de l'extraction et du raffinage du pétrole et [d']analyste » à M. Degheidy, la lettre de recommandation fournie par Reliance affirme aussi que [traduction] « [e]n raison de sa vaste expérience du marché nord-américain, il exerce les fonctions de représentant à l'étranger et de consultant » .


[17]            Compte tenu de ces faits, l'expérience qu'a fait valoir M. Degheidy en tant qu'ingénieur de l'extraction et du raffinage du pétrole n'a pas convaincu l'agente des visas. En conséquence, elle ne lui a accordé aucun point d'appréciation pour l'expérience. Il était, à mon avis, raisonnablement loisible à l'agente des visas de tirer cette conclusion, et on ne peut considérer qu'elle a tiré cette conclusion en s'appuyant sur des considérations non pertinentes ou étrangères à l'affaire, qu'elle l'a tirée sans tenir compte des éléments dont elle disposait ou que cette conclusion est par ailleurs manifestement déraisonnable.

[18]            Cette conclusion porte un coup fatal à la demande de M. Degheidy. Il n'est donc pas nécessaire que j'examine le nombre de points qui lui a été attribué pour sa connaissance du français ou sa personnalité. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[19]            Les avocats n'ont soulevé aucune question à certifier et le présent dossier n'en soulève aucune.

ORDONNANCE

[20]            LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Eleanor Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-3251-01

INTITULÉ :                                          FADY RAAFAT MOHAMMED HASSAN DEGHEIDY

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE JEUDI 5 JUIN 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                        LE 26 JUIN 2003

COMPARUTIONS :

Benjamin Kranc                                      POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kranc & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)                                    POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada        POUR LE DÉFENDEUR


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