Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                               Date :    20040928

                                                                                                                           Dossier :    T-279-03

                                                                                                              Référence :    2004 CF 1326

Ottawa, Ontario, le 28e jour de septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                     JEAN TRÉPANIER ET AL. (VOIR ANNEXE A)

                                                                                                                                       Demandeurs

                                                                          - et -

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

1                     Le litige en l'espèce porte sur une demande de contrôle judiciaire de la décision du Directeur de classification du programme des ressources humaines de rejeter les griefs des demandeurs portant sur la classification, au motif que ces derniers ont été déposés alors que la prescription était acquise.                                       

Les faits


2                     Les faits dans cette affaire sont simples. Entre le 24 février 2000 et le 24 septembre 2002, les demandeurs ont déposé des griefs contestant leur description de travail ainsi que la classification de leurs postes respectifs en raison du fait que leur employeur avait modifié leurs tâches de manière substantielle et graduelle depuis plusieurs années. Le 15 janvier 2003, près de trois ans plus tard, le Directeur a pris la décision de rejeter ces griefs car ils étaient hors délai.

3                     Les demandeurs ont déposé un avis de demande de contrôle judiciaire de cette décision le 17 février 2003.

Compétence de cette Cour

4                     Depuis la décision de la Cour suprême du Canada dans St. Anne Nackawic Pulp and Paper Co. Ltd. c. Section locale 219 du Syndicat canadien des travailleurs du papier, [1986] 1 R.C.S. 704, il est de jurisprudence constante que les tribunaux judiciaires n'ont pas juridiction pour régler un différend entre un employé et son employeur lorsqu'un remède alternatif adéquat existe sous un régime législatif. À la page 718 de la décision, le juge Estey a écrit :

      La convention collective établit les grands paramètres du rapport qui existe entre l'employeur et ses employés. Ce rapport est ajusté d'une manière appropriée par l'arbitrage et, en général, ce serait bouleverser et le rapport et le régime législatif dont il découle que de conclure que les questions visées et régies par la convention collective peuvent néanmoins faire l'objet d'actions devant les tribunaux en common law. [...] L'attitude plus moderne consiste à considérer que les lois en matière de relations de travail prévoient un code régissant tous les aspects des relations de travail et que l'on porterait atteinte à l'économie de la loi en permettant aux parties à une convention collective ou aux employés pour le compte desquels elle a été négociée, d'avoir recours aux tribunaux ordinaires qui sont dans les circonstances une juridiction faisant double emploi à laquelle la législature n'a pas attribué ces tâches.

5                     Le juge Estey a également déclaré que les recours aux tribunaux judiciaires dans cette matière dépassent rarement des demandes interlocutoires et les actions en dommages-intérêts. Lorsqu'une cause tourne autour de l'application, l'interprétation ou l'exécution d'une convention collective, incluant le processus de griefs, il faut s'en remettre au régime créé par la loi.


6                     Plus récemment, dans l'arrêt Johnson-Paquette c. Canada, [2000] A.C.F. No 441 (QL), la Cour d'appel fédérale a réitéré que la LRTFP prévoit un code complet en matière de relations de travail qui exclut la juridiction des tribunaux ordinaires :

10.       L'intention du législateur d'exclure l'intervention des tribunaux dans les litiges en matière de relations de travail peut donc être formulée expressément ou ressortir implicitement. Lorsque, comme c'est le cas pour la LRTFP, le législateur a, au moyen d'une loi, adopté ce qui se veut manifestement un code complet applicable à la résolution des litiges en matière de relations de travail dans un secteur donné d'activité et a rendu l'issue des recours prévus dans la loi finale et obligatoire pour les personnes concernées, le fait de permettre le recours aux tribunaux ordinaires auxquels ces tâches n'ont pas été attribuées porterait atteinte au régime législatif. Pour donner effet à ces régimes, il faut considérer que le législateur a exclu le recours aux tribunaux ordinaires. (Bas de page omis)

7                     Sur cette question, le défendeur soumet que c'est la Commission des relations de travail dans la fonction publique ( « la Commission » ) qui a compétence pour entendre cette cause en vertu de l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), c. P-35 (la « LRTFP » ). Les demandeurs ne se sont pas prononcés sur cette question.

8                     L'article 23 de la LRTFP donne à la Commission la compétence d'entendre les plaintes reliées au non-respect des règlements adoptés selon l'article 100 de la LRTFP par l'employeur ou une organisation syndicale ou une personne agissant pour leur compte :



23. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle l'employeur ou une organisation syndicale ou une personne agissant pour le compte de celui-là ou de celle-ci n'a pas, selon le cas :

a) observé les interdictions énoncées aux articles 8, 9 ou 10;

b) mis à effet une disposition d'une décision arbitrale;

c) mis à effet une décision d'un arbitre sur un

grief;

d) respecté l'un des règlements pris en matière de griefs par la Commission conformément à l'article 100.

                                                                         (Je souligne)

23. (1) The Board shall examine and inquire into any complaint made to it that the employer or an employee organization, or any person acting on behalf of the employer or employee organization, has failed

(a) to observe any prohibition contained in section 8, 9 or 10;

(b) to give effect to any provision of an arbitral award;

(c) to give effect to a decision of an adjudicator with respect to a grievance; or

(d) to comply with any regulation respecting grievances made by the Board pursuant to section 100.

                                                                     (My emphasis)


9                     Le Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993) DORS/93-348 (le « Règlement » ) a été adopté en vertu de l'article 100 de la LRTFP. Les articles 71 et 74 du Règlement prévoient les délais pour déposer et répondre aux griefs.



71. (1) Le fonctionnaire visé à l'alinéa 92(1)b) de la Loi peut présenter un grief à son supérieur hiérarchique immédiat ou à son chef de service local, sur la formule visée à l'article 70 :

a) au premier palier de la procédure applicable aux griefs, si le grief n'a pas trait à la classification, à une rétrogradation ou à un licenciement visés aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

b) au dernier palier de la procédure applicable aux griefs, si le grief a trait à la classification, à une rétrogradation ou à un licenciement visés aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

(2) Le fonctionnaire visé à l'alinéa 92(1)c) de la Loi peut présenter un grief à son supérieur hiérarchique immédiat ou à son chef de service local, sur la formule visée à l'article 70 :

a) au premier palier de la procédure applicable aux griefs, si le grief n'a pas trait à la classification ou à une mesure disciplinaire entraînant le licenciement;

b) au dernier palier de la procédure applicable aux griefs, si le grief a trait à la classification ou à une mesure disciplinaire entraînant le licenciement.

(3) Le fonctionnaire présente son grief au plus tard 25 jours après le premier en date des jours suivants : le jour où il a eu connaissance pour la première fois de l'action, de l'omission ou de la situation à l'origine du grief ou le jour où il en a été avisé.

74. (1) Le représentant autorisé de l'employeur au palier où un grief, autre qu'un grief relatif à la classification, est présenté par un fonctionnaire conformément aux articles 71 ou 73 remet à celui-ci une réponse écrite au plus tard 15 jours après la date de présentation du grief à ce palier.

(2) Lorsqu'un grief ayant trait à la classification est présenté par un fonctionnaire conformément à l'article 71, le représentant autorisé de l'employeur au dernier palier remet au fonctionnaire une réponse écrite au plus tard 60 jours après la date de présentation du grief à ce palier.

                                                                         (Je souligne)

71. (1) An employee described in paragraph 92(1)(b) of the Act may present a grievance to the employee's immediate supervisor or the local officer-in-charge in the form referred to in section 70,

(a) where the grievance does not relate to classification, a demotion or the termination of employment pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, at the first level of the grievance process; and

b) where the grievance relates to classification, a demotion or the termination of employment pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, at the final level of the grievance process.

(2) An employee described in paragraph 92(1)(c) of the Act may present a grievance to the employee's immediate supervisor or the local officer-in-charge, in the form referred to in section 70,

(a) where the grievance does not relate to classification or disciplinary action resulting in termination of employment, at the first level of the grievance process; and

(b) where the grievance relates to classification or disciplinary action resulting in termination of employment, at the final level of the grievance process.

(3) An employee shall present a grievance no later than on the twenty-fifth day after the day on which the employee first had knowledge of any act, omission or other matter giving rise to the grievance or the employee was notified of the act, omission or other matter, whichever is the earlier.

74. (1) Where an employee presents a grievance at any level in the grievance process in accordance with section 71 or 73, other than a grievance that relates to classification, the authorized representative of the employer at that level shall provide the employee with a reply, in writing, to the grievance, no later than on the fifteenth day after the day on which the grievance was presented at that level.

(2) Where an employee presents a grievance that relates to classification in accordance with section 71, the authorized representative of the employer at the final level shall provide the employee with a reply, in writing, to the grievance, no later than on the sixtieth day after the day on which the grievance was presented at that level.

                                                                     (My emphasis)


10                 À première vue, selon le sous-paragraphe 23(1)(d) de la LRTFP, il appert que la Commission a compétence sur la présente cause car on traite du défaut des parties de se conformer aux dispositions du Règlement régissant les procédures de griefs (voir Pollack c. Reid, [1994] C.R.T.F.P.C. no.82 (Commission des relations de travail dans la fonction publique) (Q.L.), Buchanan c. Conseil du trésor (Service Correctionnel du Canada), [2002] C.R.T.F.P. no 35 (Commission des relations de travail dans la fonction publique) et Woodland et le Conseil du trésor (Agriculture Canada), [1992] C.R.T.F.P.C. no 64 (Commission des relations de travail dans la fonction publique) (Q.L.)).

11                 Cependant, l'article 23 de la LRTFP stipule que la Commission peut être saisie d'une « plainte » et non de ce qui, essentiellement, est un appel d'une décision finale. Je suis d'avis, qu'en l'espèce, ce recours ne représente pas une alternative à l'intervention des tribunaux par le biais d'un contrôle judiciaire.


12                 En effet, le par. 96(3) de la LRTFP prévoit qu'une décision rendue au dernier palier de la procédure, à l'exception des griefs pouvant être renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92, est finale et obligatoire et que les mesures prévues dans la Loi ne peuvent être d'aucun secours aux parties.


96. (1) Sauf règlement pris par la Commission aux termes de l'alinéa 100(1)d), le renvoi d'un grief à l'arbitrage de même que son audition et la décision de l'arbitre à son sujet ne peuvent intervenir qu'après l'observation intégrale de la procédure applicable en la matière jusqu'au dernier palier.

(2) En jugeant un grief, l'arbitre ne peut rendre une décision qui aurait pour effet d'exiger la modification d'une convention collective ou d'une décision arbitrale.

(3) Sauf dans le cas d'un grief qui peut être renvoyé à l'arbitrage au titre de l'article 92, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est finale et obligatoire, et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché.

                                                                           (Je souligne)


96. (1) Subject to any regulation made by the Board under paragraph 100(1)(d), no grievance shall be referred to adjudication and no adjudicator shall hear or render a decision on a grievance until all procedures established for the presenting of the grievance up to and including the final level in the grievance process have been complied with.

(2) No adjudicator shall, in respect of any grievance, render any decision thereon the effect of which would be to require the amendment of a collective agreement or an arbitral award.

(3) Where a grievance has been presented up to and including the final level in the grievance process and it is not one that under section 92 may be referred to adjudication, the decision on the grievance taken at the final level in the grievance process is final and binding for all purposes of this Act and no further action under this Act may be taken thereon.

                                                                     (My emphasis)


13                 Il est clair, à la lecture des dispositions du para. 92(1) de la LRTFP, que le grief qui nous concerne en l'espèce n'en est pas un qui peut être renvoyé à la procédure d'arbitrage puisqu'il porte sur la classification de postes.



92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award,

(b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4),

(I) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or

(ii) termination of employment or demotion pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, or

                                               

(c) in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty,

and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication.


14                 Tel que l'indique bien le paragraphe 96(3) de la LRTFP, la décision du Directeur est « finale et obligatoire » et aucun recours devant la Commission n'existe pour en faire la révision. Le grief se trouve à être tranché puisque la décision de le rejeter pour cause de prescription a pour effet de mettre fin aux procédures pour les demandeurs, qui sont d'ailleurs privés d'un recours dans la Loi, par opération du par. 96(3).

15                 À ce titre, il y a lieu de faire référence à une décision émanant de cette Cour dans l'affaire Pieters c. Canada (Procureur général), 2004 C.F. 342, [2004] A.C.F. no 435 (QL), où le grief du demandeur avait été rejeté parce que déposé hors des délais prévus dans la convention collective. Le juge O'Reilly a statué que cette décision était finale et obligatoire, selon les termes du par. 96(3) de la LRTFP et j'estime qu'il y a lieu d'appliquer cette conclusion en l'espèce.

8. Pour ce qui est de la première question, la décision de l'administrateur doit bénéficier d'un degré élevé de retenue judiciaire. En effet, une décision de ce genre est considérée « finale et obligatoire » en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, paragraphe 96(3).

                                                                                                                                                         (Je souligne)


16                 Il est également utile de faire appel au raisonnement élaboré par le juge Reid au nom de la Cour divisionnaire de l'Ontario dans Roosma c. Ford Motor Co. of Canada Ltd (1988), 66 O.R. (2d) 18. Deux employés avaient déposé des griefs et des décisions ont été rendues sur des questions préliminaires, de nature procédurale. Un appel s'en est suivi. La Cour a conclu qu'un appel est permis seulement si la décision peut être qualifiée de « finale » . Le juge Reid a jugé qu'une décision serait considérée finale si elle a pour effet de mettre fin aux procédures et disposer des droits des parties impliquées.

The accepted test of a final decision or order depends on its effect, not on the proceedings by which it was achieved. It is final if it disposes finally of a claim or issue. An interlocutory decision does not. (Références omises)

Thus, on an interlocutory motion a decision may be made to release a party from the proceedings. That is a final decision because it ends a party's involvement in the proceedings. It is quit of them. But a decision that a party may not be released is not a final one for that party is not quit of the proceedings. This is the accepted test.

17                 En l'espèce, la décision de rejeter le grief pour cause de prescription est nettement une décision finale, ayant pour effet de mettre un terme aux procédures pour les parties impliquées. Pour toutes ces raisons, je suis d'avis que le recours à la Commission prévu au par. 96(3) de la LRTFP n'est pas une option dont peuvent se prévaloir les demandeurs. Par conséquent, je dois considérer la demande de contrôle judiciaire sur le fond.

Norme de contrôle judiciaire

18                 Les demandeurs soumettent que la norme de contrôle judiciaire applicable en l'espèce est celle de la décision correcte, car la computation des délais est une question juridictionnelle et le Directeur n'a pas l'expertise particulière pour faire cette détermination.


19                 Le défendeur fait valoir que la détermination que les griefs de classification des demandeurs étaient hors délai relève des pouvoirs du Directeur. Le Directeur possède une expertise en matière de classification de même qu'une connaissance approfondie des politiques, procédures et règles de l'employeur applicables aux griefs de classification. Le défendeur ajoute que la computation des délais est un exercice de nature factuelle et, donc, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

20                 Dans Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, la Cour suprême du Canada a réitéré que l'approche pragmatique et fonctionnelle retrouvée dans U.E.S. Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, et Pushpanathan c. MCI, [1998] 1 R.C.S. 982, doit être appliquée dans le cadre de révisions judiciaires pour déterminer le degré de déférence judiciaire applicable. L'approche pragmatique et fonctionnelle nécessite une analyse de quatre facteurs contextuels.

1)         La présence d'une clause privative ou d'un droit d'appel

21                 En l'espèce, le paragraphe 96(3) constitue une clause privative forte qui milite en faveur d'une grante retenue judiciaire.

2)         L'expertise relative


22                 Le paragraphe 71(3) du Règlement ne contient aucune question juridique. Le calcul du délai de vingt-cinq jours est une question purement factuelle qui relève certainement de la compétence du Directeur. Comme le souligne le défendeur, le Directeur possède une grande expertise en matière de classification de même qu'une connaissance approfondie des politiques, procédures et règles de l'employeur relatives aux griefs de classification. Ceci mérite une grande déférence.

3)         L'objet de la loi

23                 La loi en l'espèce est une loi polycentrique vu qu'elle vise à résoudre des questions touchant des objectifs de politique contradictoires ou les intérêts de groupes différents et qu'elle n'a pas seulement pour objet d'opposer l'État à l'individu. En conséquence, une plus grande retenue serait indiquée.

4)          La nature de la question

24                 Finalement, le quatrième facteur à considérer dans l'approche fonctionnelle et pragmatique est celui de la nature de la question.

25                 Dans l'arrêt IBM Canada Ltée c. Hewlett-Packard (Canada) Ltée, [2002] A.C.F. no 1008 (QL), (2002), 291 N.R. 262, la Cour d'appel fédérale a décidé que la détermination qu'une plainte est prescrite est une question de fait et ne met pas en jeu la compétence du tribunal. À ce sujet, le juge Décary a écrit au paragraphe 16 de la décision :

Il faut résister à la tentation de qualifier certaines questions de "juridictionnelles" dans le simple but d'appliquer une norme faisant appel à un degré moindre de retenue judiciaire (voir Canada c. McNally Construction Inc. et Abco Industries Limited, 2002 CAF 184, le juge Stone, au par. 23). Le Tribunal a compétence pour décider si une plainte est prescrite; l'interprétation du paragraphe 6(1) du Règlement ne soulève aucune question juridique; la détermination, en l'espèce, du point de départ constitue une pure question de fait; et la connaissance qu'a le Tribunal de la procédure de passation des marchés publics en fait le mieux placé pour se prononcer sur le moment où un plaignant a découvert ou aurait dû découvrir les faits à l'origine d'une plainte.


26                 Cette logique est également applicable en l'espèce. La décision du Directeur reposait sur une évaluation des faits dans le dossier. Ceci requiert une grande déférence de la part de cette Cour.

27                 À la lumière de cette analyse, je conclus que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable. D'ailleurs, cette conclusion rejoint celle tirée par le juge O'Reilly dans Pieters sur une question quasi identique.

Tel que je l'ai mentionné plus haut, l'administrateur a tiré deux conclusions. La première était purement une question de fait, à savoir si le grief avait été déposé en dehors du délai imparti. La deuxième était une question de droit, à savoir si la fin d'un emploi d'une durée déterminée peut constituer un congédiement.

Pour ce qui est de la première question, la décision de l'administrateur doit bénéficier d'un degré élevé de retenue judiciaire. En effet, une décision de ce genre est considérée « finale et obligatoire » en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, paragraphe 96(3). De plus, l'administrateur avait la pleine responsabilité de la supervision du personnel du Greffe et il possédait beaucoup d'expertise dans ce domaine. Je n'aurais dû intervenir que si j'avais trouvé sa décision manifestement déraisonnable.

                                                                                                                         (Je souligne)

Analyse sur le fond

Les demandeurs ont-ils agi dans les délais prescrits ?

28                 Les demandeurs soutiennent que leurs griefs de classification ont bel et bien été déposés dans le délai de vingt-cinq jours prévu par le paragraphe 71(3) du Règlement. Malheureusement, il n'y a pas de preuve au dossier à cet effet.


29                 Les demandeurs n'ont pas démontré quelles étaient les actions, omissions ou mesures prises par leur employeur qui ont eu pour effet de changer leurs conditions d'emploi. Pour cette raison, il est impossible pour cette Cour de juger si les griefs avaient été déposés dans les délais prévus, c'est-à-dire, dans les vingt-cinq jours suivants le jour où ils ont pris connaissance des changements, et de déterminer s'il y a eu erreur de la part du Directeur. Je rejette donc cet argument des demandeurs.

30                 Les demandeurs avancent également que, selon le sous-paragraphe IV.A.5 de la Procédure du règlement des griefs de classification établie par le Secrétariat du Conseil du Trésor, le Directeur avait l'obligation de re-classifier les postes en question après avoir pris une décision sur le grief relatif à la description d'emploi.

31                 Malheureusement, les demandeurs n'ont soumis aucune preuve au dossier à l'effet que les griefs de description d'emploi des demandeurs avaient été traités. Il est donc impossible pour cette Cour de déterminer si le Directeur a omis de remplir ses obligations selon cette procédure.

Y a-t-il eu violation des règles d'équité procédurale ?

32                 Les demandeurs soumettent aussi que le Directeur n'a pas respecté les règles d'équité procédurale lors du traitement de leurs griefs car il a ignoré la pratique de traitement de griefs de classification déjà en place depuis un nombre d'années et soudainement, sans avertir les demandeurs, a décidé de suivre les dispositions du Règlement à la lettre. Les demandeurs estiment que ce comportement vicie la décision du Directeur.


33                 La pratique en question serait à l'effet que, lorsque trois griefs sont déposés, soit des griefs contestant la description du travail, le salaire et la classification de l'emploi, les parties mettent le grief de classification en suspens en attendant la résolution du grief portant sur la description de travail.

34                 Dans l'arrêt Brink's Canada Ltd. c. Canada Council of Teamsters et al., [1995] A.C.F. no 1114 (QL), la Cour d'appel fédérale a rejeté la soumission du défendeur basée sur l'existence d'une attente légitime. Commençant au paragraphe 21 de la décision, le juge MacDonald a présenté un résumé des arrêts principaux relatifs à cette doctrine :

21    Dans l'arrêt Council of Civil Service Unions v. Minister for Civil Service [Voir Note 13 ci-dessous], Lord Fraser de Tullybelton décrit comme suit la doctrine de l'attente légitime :

Note 13:[1985] A.C. 374 (C.L.), p. 401.

Mais même lorsqu'une personne qui réclame un avantage ou un privilège quelconque n'a aucun droit à cet égard, selon le droit privé, elle peut s'attendre légitimement à l'obtenir, et dans ce cas, les tribunaux protégeront cette attente par voie de révision judiciaire conformément au droit public. Ce sujet a été amplement expliqué par mon collègue, lord Diplock, dans l'arrêt O'Reilly v. Mackman, [1983] 2 A.C. 237, aussi n'ai-je pas à répéter ce qu'il a dit récemment. Des attentes légitimes, ou raisonnables, peuvent découler soit d'une promesse formelle faite pour le compte d'une autorité publique, soit de l'existence d'une pratique courante au maintien de laquelle le demandeur peut raisonnablement s'attendre.

22    Lord Fraser poursuit en disant que, pour déterminer si une pratique courante crée une attente légitime,

[TRADUCTION] Il faut savoir si la pratique... était bien établie ... au point où le gouvernement agirait de façon inéquitable ou incompatible avec une bonne administration s'il allait à l'encontre de la pratique dans ce cas. [non souligné dans l'original]

[...]


24      Dans l'affaire Re Procureur général du Canada et Organisation nationale anti-pauvreté et al; Bell Canada International et al [Voir Note 15 ci-dessous], le juge Stone, J.C.A., mentionne que :

Note 15:[1989] 3 C.F. 684, p. 708.

... nul n'a mieux décrit cette doctrine que lord Fraser de Tullybelton dans l'arrêt Council of Civil Service Unions v. Minister for Civil Service, [1985] A.C. (C.L.), p. 401.

25     Le juge Stone poursuit en disant qu'il est d'accord avec lord Fraser lorsque celui-ci conclut que, pour que la doctrine s'applique, la partie concernée doit présenter une preuve établissant l'existence d'une "pratique courante" [Voir Note 16 ci-dessous].

Note 16: Le juge Hugessen, J.C.A., applique également la doctrine de l'attente légitime dans l'arrêt Bendahmane c. Canada, [1989] 3 C.F., p. 27.

26     À mon avis, même si la requérante peut s'attendre légitimement à ce que le Conseil suive des procédures régulières qui ne sont pas exigées par le Code, elle doit néanmoins démontrer que la procédure constitue une pratique courante du Conseil depuis un certain temps.

                                                                                                                                          (Je souligne)                            

35                 Cet extrait illustre la nécessité pour une partie de bien prouver la pratique alléguée.

36                 En effet, la preuve soumise par les demandeurs comporte des lacunes à tous les niveaux. Nous ne connaissons pas les dates des griefs de tous les demandeurs. Nous ne savons pas quand les changements à leurs tâches ont pris place, ni la nature de ces changements. Nous ne savons pas si les griefs relatifs aux descriptions des tâches ont été traités. De plus, il n'y a aucune preuve au dossier relative à la convention collective régissant les relations entre le Directeur et les demandeurs.


37                 Les demandeurs ont soumis la décision de Lois Pearce, Déléguée du sous-chef chargé des griefs en matière de classification, relative au grief de M. Simard, l'affiant pour les demandeurs, comme preuve de l'existence de la pratique alléguée. Cette preuve ne peut pas servir pour soutenir l'existence de cette prétendue pratique car elle n'indique pas qu'il y a effectivement eu une décision sur le grief relatif à la description des tâches de M. Simard avant la décision sur sa classification, ni qu'il n'y a pas eu de décision dans les 25 jours précédant le grief.

38                 De plus, M. Simard ne mentionne pas si son grief a été déposé en raison des mêmes changements graduels et substantiels qui auraient été imposés sur les tâches des demandeurs. Il est donc impossible de lier la décision prise à son égard avec les faits invoqués par les demandeurs en l'espèce.

39                 J'en arrive à la même conclusion vis-à-vis le grief de M. Serge Guérin également déposé par les demandeurs pour démontrer l'existence de la pratique alléguée. Bien qu'il ait déposé deux griefs, un de classification et un contestant sa description de travail, et que la classification de son poste a été changée, les demandeurs n'ont pas démontré qu'il n'y avait pas eu une décision relative à la classification de M. Guérin moins de 25 jours avant la décision de changer sa classification. Ces documents ne sont donc d'aucune utilité pour prouver l'existence de la pratique.

40                 De plus, je considère que les conclusions insinuées par les demandeurs à partir de certains commentaires retrouvés dans l'affidavit de Mme Morin-Smith, conseillère en griefs de classification dans la Division de la classification du Secrétariat du Conseil du Trésor, à l'effet que cette pratique existe, ne constituent pas une preuve suffisante pour soutenir une soumission d'attente légitime et de manquement aux règles d'équité procédurale.


41                 Un contrôle judiciaire doit être effectué exclusivement à la lumière de la preuve déposée au dossier. Aucune preuve additionnelle ne peut être considérée par le tribunal lorsqu'il forme ses conclusions (voir Noor c.Canada (Développement des ressources humaines), [2000] A.C.F. no. 574 (Q.L.) (C.A.F.), Rodbom c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l'immigration), [1999] A.C.F.. no. 636 (Q.L.) (C.A.F.), Asafov c.Canada (Ministère de la citoyenneté et de l'immigration), [1994] A.C.F. no. 713 (Q.L.) (C.F. 1ère inst.)).

42                 Le fait de déposer deux griefs le même jour tel que l'ont fait les demandeurs, M. Simard et M. Guérin, soulève des questions importantes et pourrait servir d'indication qu'il y a effectivement une pratique qui prévoit une telle démarche. Par contre, comme je l'ai illustré plus haut, un nombre de questions se posent qui ne sont pas adressées par la preuve en l'espèce. De plus, la preuve au dossier est insuffisante pour établir clairement qu'il existe une pratique convenue entre les parties qui déplace les dispositions du Règlement et modifie les conditions de recevabilité des griefs de classification.

43                 Pour ces raisons, je ne peux pas donner raison aux demandeurs. Toute conclusion à cet effet serait purement spéculative.

La doctrine de fin de non-recevoir est-elle applicable en l'espèce?


44                 Dans l'arrêt La Reine c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1984] 1 C.F. 1081, il a été allégué que le Ministre des Transports avait auparavant laissé ses employés en cause dans des enquêtes à caractère administratif retenir les services d'avocats contrairement aux dispositions de la Convention collective. Sous la plume du juge Pratte, la Cour d'appel fédérale a rejeté cette prétention. À la page 1085 de la décision, le juge Pratte a expliqué cette décision de la manière suivante :

Bien que la théorie de la force obligatoire d'une promesse soit loin d'être claire, il semble établi qu'il ne peut exister une telle irrecevabilité en l'absence de promesse, expresse ou implicite, dont les effets sont clairs et précis. En l'espèce, le comportement qui donnerait naissance à l'irrecevabilité est celui de la direction du ministère des Transports qui, pendant plusieurs années à ce qu'il semble, a laissé les employés en cause dans des enquêtes de caractère administratif retenir les services d'avocats pour les représenter au cours desdites enquêtes. À mon avis, un tel comportement ne constituait pas une promesse claire et précise par laquelle le Ministère manifestait qu'il était d'accord avec l'interprétation de l'article 6.01 faite par le syndicat, ou par laquelle il s'engageait à ne pas invoquer dans l'avenir 1e sens véritable de l'article 6.01. En outre, il semble également établi que la théorie de la force obligatoire d'une promesse exige non seulement que la promesse soit claire et précise, mais aussi qu'elle ait amené celui qui a reçu cette promesse à agir autrement qu'il l'aurait fait en d'autres circonstances.

                                                                                                                                                                                         (Je souligne)                             

45                 Une fois de plus, la preuve de la pratique est primordiale pour démontrer le bien-fondé d'une allégation basée sur la fin de non-recevoir.

46                 En raison des lacunes dans la preuve au dossier que j'ai mentionnées plus haut, à mon avis les demandeurs n'ont pas démontré l'existence d'une telle pratique antérieure régulière, établie et convenue avec l'employeur. Il leur est donc également impossible de réclamer l'application de la doctrine de fin de non-recevoir.

Conclusion

47                 Fondé sur la preuve au dossier, je ne peux déterminer que la décision du directeur est manifestement déraisonnable. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire d'une décision du Directeur de classification du programme des ressources humaines datée du 15 janvier 2003 rejetant les griefs de classification déposés par les demandeurs au motif que ceux-ci auraient été déposés hors délai est rejetée.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »        

                                                                                                                                                     Juge                     


COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                         T-279-03

INTITULÉ :                                        Jean Trépanier et al. (voir annexe A) c. Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 21 juin 2004

MOTIFS [de l'ordonnance ou du jugement] : Le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       le 28 septembre 2004

COMPARUTIONS :

Me Sean McGuy                                                           POUR LES DEMANDEURS

Me Annie Berthiaume

Me Jennifer Champagne                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan Power Payne s.r.l.                                            POUR LES DEMANDEURS

1900-66, rue Slater

Ottawa (Ontario) K1P 5H1

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario) K1A 0R5


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.