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Date : 20030718

Dossier : IMM-3854-02

Référence : 2003 CF 895

Entre :

                          CESALON PIERRE

                                                Partie demanderesse

Et :

        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                Partie défenderesse

                        MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après « la Section du statut » ) rendue le 30 juillet 2002 à l'effet que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.


[2]                 Le demandeur allègue avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques réelles et imputées. De plus, le demandeur prétend être une personne à protéger parce qu'il risquerait d'être soumis à la torture et être exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[3]                 Le demandeur est né le 21 juin 1971. Il est citoyen d'Haïti.

[4]                 Selon le Formulaire de Renseignements Personnels (FRP) du demandeur, il a été employé au ministère de la Justice et de la Sécurité publique à l'École de la magistrature. Ce ministère traite en particulier des dossiers des détenus criminels et des trafiquants de drogue. Le demandeur allègue qu'il était un messager, responsable de livrer le courrier au ministère.

[5]                 Le demandeur prétend que le 11 septembre 2001, en transportant le courrier au ministère, quatre policiers affectés au Palais National lui ont demandé le courrier. Il aurait refusé de leur donner et se serait sauvé vers le ministère.


[6]                 Le demandeur allègue que le lendemain, soit le 12 septembre 2001, un groupe d'hommes armés sont venus chez lui mais il a refusé d'ouvrir la porte. Les hommes auraient tiré des coups de feu et le demandeur se serait enfui par une fenêtre. En courant, il se serait fracturé la cheville droite et serait allé à l'hôpital. Il prétend que ces hommes le cherchaient pour le tuer.

[7]                 Le demandeur allègue que, lorsqu'il s'est caché, un ami l'a aidé à faire des démarches pour obtenir un visa à l'ambassade du Canada. Le demandeur a quitté Haïti le 13 octobre 2001. Il a fait sa demande d'asile au Canada le 15 octobre 2001.

[8]                 Le 18 juillet 2002, la Section du statut a conclu que le demandeur n'est pas un réfugié ni une personne à protéger et qu'il a fabriqué son histoire. Elle a basé cette décision principalement sur l'absence de crédibilité du demandeur en général. En particulier, la Section du statut n'a pas cru que le demandeur était un messager en 2001 parce qu'il aurait déclaré qu'il était électricien sur une demande de visa soumise quelque temps auparavant. La Section du statut a rejeté comme preuve de son emploi une photocopie d'une lettre confirmant que le demandeur était messager, parce que la lettre « ne fut pas actualisée » , ainsi que ses cartes d'identités, parce qu'elles n'étaient pas datées.


[9]                 Quant à la conclusion de l'absence de crédibilité en général, la Section du statut a constaté que dans son FRP le demandeur a déclaré être séparé de son épouse, or, dans sa demande de visa, il s'est dit marié. La Section du statut n'a pas accepté l'explication que c'était son ami et non lui-même qui avait complété la demande de visa.

[10]            La Section du statut a constaté aussi que le demandeur n'a pas écrit dans son FRP qu'il vivait avec sa mère, sa soeur et sa fille, et que son fils vivait avec son ex-épouse. De plus, il a omis d'expliquer que le 12 septembre 2001 sa soeur et sa fille se sont sauvées de la maison avec sa mère. La Section du statut n'a pas accepté l'explication du demandeur à l'effet qu'il écrivait son historique et non pas celui de sa famille.

[11]            La Section du statut n'accorde aucune valeur probante à la plainte logée au commissariat de police par la mère du demandeur parce que les faits n'ont pas été vérifiés. De plus, le demandeur n'a même pas mentionné sa mère dans sa réponse à la question 37 de son FRP. La Section du statut note que le demandeur a également omis de mentionner que lors de sa rencontre avec des policiers le 11 septembre 2001 il transportait le dossier de Jean Dominique, le célèbre journaliste de radio et défenseur des droits humains qui a été assassiné le 3 avril 2000.


[12]            La Section du statut n'a pas accordé de valeur probante aux documents et photographies déposés au soutient de l'allégation que la maison de la mère du demandeur a été incendiée, un acte qui selon le demandeur serait relié aux événements ci-haut mentionnés.

[13]            En l'espèce, la question en litige est de déterminer si la Section du statut a commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi et en concluant que la revendication du demandeur n'avait pas un minimum de fondement.

[14]            La décision en l'espèce est basée en partie sur la conclusion d'absence de crédibilité. Plus particulièrement, la Section du statut a conclu que le demandeur n'était pas un messager, et ce parce que sa demande de visa contredit le témoignage et son FRP. Le demandeur a expliqué la contradiction en témoignant que c'était son ami qui avait complété la demande de visa et non pas lui; il a soumis qu'il travaillait comme électricien ainsi que messager. Étant donné que parmi les pièces déposées il y a une lettre et des carte d'identités qui indiquent que le demandeur travaillait comme messager ainsi qu'une certificat d'électricien, je trouve la conclusion de la Section du statut manifestement déraisonnable.


[15]            En ce qui a trait à la conclusion d'absence de crédibilité, la Section du statut a constaté une prétendue contradiction entre le FRP du demandeur indiquant qu'il est séparé de son épouse et la demande de visa indiquant qu'il était marié. Le demandeur a expliqué pendant son témoignage et lors de son "interrogatoire front end" qu'il n'avait pas encore initié les procédures de divorce au moment de la demande de visa. Il n'y aucune contradiction ressortant de ces explications. Il va sans dire qu'une personne peut être mariée et séparée en même temps. Il est aussi probable que son ami ne connaissait pas les détails des circonstances intimes du demandeur. À mon avis, cette conclusion de la Section du statut est manifestement déraisonnable.

[16]            De plus, la Section du statut a basé sa conclusion d'absence de crédibilité en partie sur plusieurs omissions dans le FRP. On soulève que le demandeur n'a pas mentionné qu'il vivait avec sa mère, sa soeur et sa fille, et que sa fille et sa soeur se sont sauvées avec sa mère la nuit du 12 septembre 2001. L'explication du demandeur à l'effet qu'il décrivait dans son historique seulement ses expériences et non celles de sa famille m'apparaît tout à fait raisonnable. La Section du statut n'a donné aucune raison valide justifiant le rejet de cette explication. De plus, il n'est pas significatif que le demandeur ait omis d'indiquer qu'un des dossiers qu'il livrait lorsque les policiers l'ont intercepté était celui du célèbre journaliste Jean Dominique. Le demandeur explique qu'il ne réalisait pas que cette information était pertinente parce qu'il livrait plusieurs dossiers, non seulement celui de Jean Dominique. Cette explication est raisonnable et donc l'omission ne justifie pas une conclusion d'absence de crédibilité.


[17]            Finalement, les conclusions de la Section du statut se rapportant à la preuve déposée, plus particulièrement la plainte de la mère du demandeur et les photos de la maison incendiée, sont manifestement déraisonnables. Premièrement, je trouve déraisonnable que la Section du statut ait écarté cette preuve pour la simple raison que le demandeur n'a pas mentionné sa mère dans le récit de son FRP. Il y a une présomption qu'un revendicateur dit la vérité et ce document a été déposé à l'appui de son récit. Le fardeau serait trop exigeant s'il fallait qu'un revendicateur dépose plusieurs documents différents afin de vérifier chaque fait allégué. De plus, comme le demandeur l'a expliqué, il n'a pas mentionné le fait que sa mère s'était sauvée parce qu'il ne croyait pas ce fait pertinent à sa propre allégation de persécution. Le fait qu'il n'a pas mentionné sa mère ne justifie pas la conclusion que la plainte était frauduleuse.

[18]            Deuxièmement, je trouve les conclusions concernant les photos manifestement déraisonnables. Le fait que les photos de la maison incendiée n'indiquent pas clairement qu'il s'agit de la maison du demandeur et de sa mère ne justifie pas la conclusion d'absence de crédibilité. Il n'y a aucune preuve à l'effet que ces photos ont été déposées de mauvaise foi.

[19]            Pour toutes ces raisons, je suis d'avis que les conclusions de la Section du statut à l'effet que le demandeur n'était pas un messager et qu'il n'était pas crédible étaient manifestement erronées.


[20]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section du statut en date du 30 juillet 2002 est annulée et la demande est retournée pour être considérée de nouveau par un tribunal différemment constitué.

       JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 18 juillet 2003


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                            

DOSSIER :                                    IMM-3854-02

INTITULÉ :

CESALON PIERRE

Demandeur

               

et

MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :         Le 26 juin 2003

MOTIFS :                                      L'honorable juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :              Le 18 juillet 2003

COMPARUTIONS:

Me Luc R. Desmarais                                                              POUR LE DEMANDEUR

Me Mario Blanchard                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Luc R. Desmarais                                                              POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Me Morris Rosenberg                                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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