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Date : 20031020

Dossier : IMM-6343-02

Référence : 2003 CF 1219

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2003

En présence de Madame la juge Tremblay-Lamer                         

ENTRE :

                                                            ERKAN OZTURK

                                                                                                                                    demandeur

                                                                          et

                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                      défendeur

                              MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 12 novembre 2002 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                M. Erkan Ozturk (le demandeur) a revendiqué le statut de réfugié prétendant craindre avec raison d'être persécuté par les musulmans sunnites du fait de sa religion parce qu'il est de confession alévie. Il a aussi revendiqué le statut de réfugié au motif qu'il est une personne à protéger, alléguant que, s'il retournait en Turquie, il serait exposé au risque d'être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[3]                La Commission a rejeté la demande, jugeant que le témoignage du demandeur n'était pas crédible. Le demandeur ne remet pas en cause les conclusions de la Commission quant à la crédibilité de son témoignage, mais il conteste son refus de lui accorder la demande d'ajournement faite en vertu de l'article 48 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles).

[4]                Le procureur du demandeur avait demandé un ajournement afin d'obtenir une évaluation médicale de son client, alléguant que celui-ci était intellectuellement incapable de comprendre pleinement le processus dans lequel il était engagé.

[5]                Dans ses motifs verbaux, la Commission a justifié comme suit son refus d'accorder la demande d'ajournement :

[TRADUCTION]


[...] Avant l'audience, votre procureur m'a demandé un ajournement parce qu'il estimait n'avoir pu s'entretenir assez longtemps avec vous. Il disait avoir besoin d'un délai supplémentaire pour obtenir certains renseignements à caractère médical. J'ai refusé de vous accorder ce délai, et telle est ma décision. Je n'ai pas à expliquer ma décision mais je le ferai tout de même. Vous êtes dans ce pays depuis plus de trois ans. À mon avis, vous avez eu amplement l'occasion de vous trouver un procureur et de lui donner vos directives. À peine quelques jours avant l'audience, votre ancienne procureure m'a fait savoir qu'elle cessait de vous représenter. Elle ne m'a pas fait part des motifs de sa décision mais ceux-ci peuvent être de divers ordres. Peut-être n'avez-vous pas payé votre procureure ou encore celle-ci s'est peut-être rendu compte qu'elle ne pouvait s'entendre avec vous ou que vous ne pouviez vous entendre avec elle. Quoi qu'il en soit, congédier votre procureure quelques jours à peine avant l'audience vous laissait très peu de temps pour vous précipiter, tout à coup, à la recherche d'un nouveau procureur. Je considère que ces agissements sont plutôt le fait d'une personne qui cherchait à faire ajourner l'audience pour gagner du temps; c'est ainsi que j'ai rejeté votre demande. La Commission a comme mandat de veiller à ce que les audiences se tiennent sans délai et équitablement; c'est pourquoi l'audience est fixée à cet après-midi. [...]

Dossier du tribunal, à la p. 104.

[6] Dans ses motifs écrits, la Commission a ajouté ce qui suit pour justifier son refus d'accorder l'ajournement. Elle a conclu que le demandeur n'avait pas préparé sa demande de façon diligente; son ancienne procureure arrivait difficilement à le joindre. De plus, la Commission était d'avis que le demandeur était au courant du processus puisque cinq membres de sa famille immédiate revendiquaient également le statut de réfugié. Elle a aussi noté qu'aucune demande n'avait été faite pour lui nommer un représentant désigné.

[7] Le défendeur soulève une objection préliminaire basée sur le défaut du demandeur d'appuyer sa demande par un affidavit fondé sur sa connaissance personnelle. Il soutient qu'il s'agit là d'un vice fatal et que la demande devrait, pour ce seul motif, être rejetée. Je ne suis pas d'accord.

[8] Lorsqu'une demande de contrôle judiciaire n'est pas appuyée par un affidavit fondé sur la connaissance personnelle, il n'en résulte pas automatiquement un rejet de la demande. En l'absence d'une preuve fondée sur la connaissance personnelle, toute erreur alléguée doit être manifeste au vu du dossier (voir la décisionTurcinovica c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 216 F.T.R. 305).

[9] En l'espèce, les faits pertinents sur lesquels s'appuie le demandeur sont manifestes au vu du dossier, indépendamment de l'affidavit du procureur; ils ressortent notamment des motifs de la décision de la Commission et de la transcription de l'audience.

[10]                       La Cour a souvent examiné la question de la norme de contrôle applicable à l'exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire d'accorder un ajournement; celle-ci a établi que la norme applicable était celle de la décision raisonnable simpliciter (voir les décisions Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 336; Mangat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1301).

[11]                       Le demandeur allègue que le refus de la Commission d'accorder la demande d'ajournement constitue une violation de la justice naturelle et de l'équité procédurale.


[12]            En premier lieu, dans les motifs qu'elle a exposés lors de l'audience, la Commission pose l'hypothèse que c'est le demandeur qui a congédié sa procureure, quelques jours à peine avant l'audience. Elle en a conclu que le demandeur s'était conduit comme une personne qui cherchait à faire ajourner l'audience pour gagner du temps. Toutefois, la procureure, Mme Legget, établit clairement dans son affidavit que c'est elle qui, quelques jours seulement avant l'audience, a prié le demandeur de se chercher un autre procureur car elle était incapable de communiquer avec lui ou de le rejoindre. Ainsi, la Commission ne pouvait raisonnablement tenir le demandeur responsable du fait qu'il devait se chercher un nouveau procureur à la dernière minute.

[13]            En second lieu, rien dans les motifs de la Commission n'indique que celle-ci a tenu compte des inquiétudes du procureur au sujet de la santé mentale de son client ou y a même prêté attention. À mon avis, la santé mentale d'un demandeur est un élément de la plus haute importance lorsqu'il s'agit d'évaluer son témoignage et la crédibilité de sa revendication.


[14]            Une lecture attentive de la transcription de l'audience révèle que le demandeur a plusieurs fois été incapable de comprendre les questions qui lui ont été posées en interrogatoire, ce qui soulève un doute quant à sa capacité de comprendre la nature de la procédure. Si la capacité intellectuelle du demandeur est amoindrie, son aptitude à témoigner ou à communiquer de même que sa mémoire peuvent s'en trouver affectés. Ainsi, la Commission ne pouvait raisonnablement refuser la demande d'ajournement du procureur alors qu'une évaluation médicale aurait pu jeter un éclairage totalement différent sur le témoignage du demandeur. Ainsi, je partage l'avis du demandeur lorsqu'il soutient qu'il n'a pas eu droit à un procès équitable.

[15]            Pour ces motifs, j'accueille la demande de contrôle judiciaire et je renvoie l'affaire devant un tribunal différemment constitué.

                                                   ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée devant un tribunal différemment constitué.

                                                                                      « Danièle Tremblay-Lamer »

J.C.F.

TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME                                                   

Ghislaine Poitras, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE

                                            Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                             IMM-6343-02

INTITULÉ :                            ERKAN OZTURK

                                                                                                                   demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                     défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        le 14 octobre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE DE :                                         Madame le juge TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                               le 20 octobre 2003       

COMPARUTIONS :                                     

M. Alex Billingsley                                                         pour le demandeur

M. Tamrat Gebeyehu                                                     pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Alex Billingsley

Cintosun & Associates

100, rue Adelaide Ouest, bureau 408

Toronto (Ontario)

M5H 1S3

pour le demandeur                    

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                pour le défendeur


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