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     Date : 19971107

     T-2497-88

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 NOVEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE MARC NADON

ENTRE :

     CLAUDE DULUDE,

     demandeur,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     L'action du demandeur est rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse.

     "MARC NADON"

                                         Juge

Traduction certifiée conforme :                                                           F. Blais, LL.L.

     Date : 19971107

     T-2497-88

ENTRE :

     CLAUDE DULUDE,

     demandeur,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

     défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

INTRODUCTION

[1]      Le 29 juin 1988, le demandeur, qui était membre des Forces armées canadiennes (les "Forces"), a été arrêté par la police militaire à sa résidence de Trenton, en Ontario.

[2]      Le demandeur soutient avoir été blessé au cours de son arrestation, qu'il prétend illégale. Le demandeur affirme plus précisément avoir été blessé au genou droit au moment de son arrestation. Il prétend en outre que son arrestation lui a causé des troubles psychologiques et émotifs.

[3]      En conséquence, le demandeur réclame des dommages-intérêts généraux de 50 000 $ et des dommages-intérêts spéciaux de 10 000 $. Il réclame également des dommages-intérêts punitifs et exemplaires.

[4]      Le demandeur soutient que son arrestation était illégale pour les motifs suivants :

         [Traduction]                 
         7.      Le demandeur affirme que son arrestation par les représentants de la défenderesse était illégale pour les motifs suivants :                 
         a)      Les représentants de la défenderesse ont refusé d'informer le demandeur de la raison de son arrestation;                 
         b)      Les représentants de la défenderesse ont refusé de permettre au demandeur de consulter un avocat au moment de son arrestation;                 
         c)      Les représentants de la défenderesse n'avaient pas compétence pour arrêter le demandeur en territoire civil;                 
         d)      Le demandeur n'avait commis aucune infraction pouvant justifier son arrestation.                 

[5]      Le sous-procureur général, au nom de la défenderesse, fait valoir que l'arrestation du demandeur était légale à tous égards. Le sous-procureur général nie que le demandeur ait été blessé au cours de son arrestation et il affirme que, quoi qu'il en soit, les policiers qui ont procédé à l'arrestation du demandeur ont employé uniquement la force raisonnablement nécessaire à cette fin.

LES FAITS

[6]      Voici les faits pertinents. Le demandeur a été membre des Forces du mois de janvier 1976 à l'automne 1988. Entre le mois de mars 1985 et le 29 juin 1988, le demandeur était affecté à la Base des Forces canadiennes Trenton ("BFC Trenton"). Entre les mois de mars et de juin 1988, le demandeur était affecté au réapprovisionnement global. Le chef de cette section était le capitaine Peterson.

[7]      En avril 1988, le demandeur a reçu un avis de surveillance et de mise en garde pour une période de six mois en raison de son [Traduction] "attitude inacceptable envers l'autorité militaire" et de son [Traduction ] "non-respect des ordres". Le 9 juin 1988, le commandant du demandeur, le lieutenant-colonel Jensen, a recommandé que le demandeur soit libéré des Forces pour avoir contrevenu à sa mise en garde et surveillance. Le commandant de la BFC Trenton, le colonel Diamond, a approuvé la recommandation du lieutenant-colonel Jensen.

[8]      Malgré l'ordre qu'il avait reçu du capitaine Peterson de se présenter au travail la fin de semaine des 25 et 26 juin 1988, le demandeur ne s'y est pas présenté. Le demandeur ne s'est pas non plus présenté au travail les 27 et 28 juin 1988. Le demandeur et la défenderesse ne s'entendent pas sur la question de savoir si le demandeur était alors en congé de maladie. Je reviendrai brièvement sur ce point litigieux.

[9]      À l'époque en cause, le major Don Caldwell était l'officier d'administration du personnel de la BFC Trenton. Il relevait de l'officier de l'administration de la base, le lieutenant-colonel Jensen. Chaque fois que le lieutenant-colonel Jensen s'absentait de la base, c'est le major Caldwell qui le remplaçait.

[10]      Les 28 et 29 juin 1988, le lieutenant-colonel Jensen était en vacances. Par conséquent, c'est le major Caldwell qui était alors le commandant du demandeur. Le 28 juin 1988, le major Caldwell a été avisé par le capitaine Peterson que le demandeur ne s'était pas présenté au travail et qu'il était absent sans autorisation. Le major Caldwell, préoccupé par la sécurité du demandeur, a ordonné à la police militaire de se rendre à la résidence du demandeur pour faire enquête. Le major Caldwell a alors examiné le dossier du demandeur.

[11]      En étudiant le dossier, le major Caldwell a pris connaissance de la recommandation de libérer le demandeur des Forces et constaté que le demandeur ne s'était pas opposé à cette recommandation. Selon le major Caldwell, la recommandation de libérer le demandeur avait été faite parce qu'il ne travaillait pas bien en équipe.

[12]      Les officiers de la police militaire ont informé le major Caldwell qu'ils n'avaient pas réussi à trouver le demandeur. Le major leur a alors demandé de poursuivre leurs recherches et de ramener le demandeur à la base s'ils le trouvaient. Vers 8 h le 29 juin 1988, le demandeur s'est présenté de lui-même à la base pour être libéré et toucher son indemnité de cessation d'emploi. Le major Caldwell, avisé de la présence du demandeur sur la base, a ordonné qu'il soit amené immédiatement à son bureau. Lorsque le major Caldwell lui a demandé pourquoi il ne s'était pas présenté au travail depuis le 25 juin, le demandeur lui a répondu qu'il était en congé de maladie. Toutefois, selon le major Caldwell, le demandeur n'a pas pu produire d'autorisation de congé de maladie comme l'exigeait le règlement militaire.

[13]      Le major Caldwell a ordonné au demandeur de se rendre dans le hall de l'édifice et d'attendre là qu'on lui donne de nouvelles instructions. Le major Caldwell a alors consulté le personnel du juge-avocat et, en se fondant sur leur avis, il a conclu que la meilleure solution consistait à libérer le demandeur des Forces le plus rapidement possible. Le major Caldwell a alors téléphoné au quartier général de la Défense nationale ("QGDN") à Ottawa et il a appris que la décision de libérer le demandeur avait été prise mais que les instructions relatives à sa libération n'avaient pas été encore délivrées.

[14]      Pendant que le major Caldwell demandait l'avis du personnel du juge-avocat et s'adressait à Ottawa, le demandeur, contrairement aux ordres exprès que lui avait donnés le major Caldwell, a quitté la base. En apprenant cela, le major Caldwell a ordonné à la police militaire d'arrêter le demandeur et de le ramener à la base.

[15]      Cela nous amène aux événements précis qui fondent l'action du demandeur. Aux paragraphes 3, 4 et 5 de sa déclaration modifiée, le demandeur fait valoir les allégations qui suivent :

         [Traduction]                 
         3.      Vers le 29 juin 1988, à environ 10 h, deux représentants de la défenderesse, savoir les officiers de la police militaire Anthony Neil Wanamaker [sic] et Heather Louise Ball, ont pénétré dans la résidence civile du demandeur au 296, avenue Dufferin, Trenton (Ontario) et l'ont arrêté de force.                 
         4.      Le demandeur a résisté à son arrestation, de sorte que les officiers de la police militaire Anthony Neil Wanamaker [sic] et Heather Louise Ball ont commis des voies de fait sur le demandeur, lui causant des lésions corporelles importantes.                 
         5.      Les officiers de la police militaire Anthony Neil Wanamaker [sic] et Heather Louise Ball ont ensuite transporté le demandeur à la base des Forces à Trenton (Ontario) et l'on emprisonné jusqu'à peu après midi, lui causant des malaises physiques ainsi que des troubles psychologiques et émotifs.                 

[16]      Quatre policiers se sont présentés le matin du 29 juin 1988 à la résidence du demandeur située sur la rue Dufferin à Trenton. Deux de ces policiers appartenaient au corps de police de Trenton et deux autres étaient membres de la police militaire.

[17]      Les quatre policiers ont témoigné devant moi à l'instruction. Selon la version des faits qui ressort de leur témoignage, ils sont arrivés à la résidence du demandeur vers 10 h le 29 juin. Ils se sont identifiés et ont demandé à parler au demandeur. Le demandeur a été informé par les officiers de la police militaire qu'ils avaient reçu l'ordre de le ramener à la base parce qu'il était absent sans autorisation. Le demandeur a clairement manifesté son intention de ne pas quitter sa résidence en compagnie des policiers. Il se rendrait à la base lorsqu'il serait prêt à le faire.

[18]      Une tentative de médiation a été entreprise. L'agent Davis de la police de Trenton a pénétré dans la résidence du défendeur et a tenté de le convaincre qu'il devait quitter "paisiblement" les lieux avec la police militaire. Il était évident, du point de vue de l'agent Davis, que le demandeur éprouvait une très forte colère contre les Forces. L'agent Davis a déclaré que l'épouse du demandeur lui a demandé avec insistance de se rendre à la base avec la police militaire. Le demandeur a toutefois refusé sans broncher, selon l'agent Davis. La discussion entre l'agent Davis et le demandeur a duré de 15 à 20 minutes. Pendant ce temps, les officiers de la police militaire et l'agent Hall, l'autre agent de la police de Trenton, attendaient à l'extérieur.

[19]      Pendant que l'agent Davis négociait avec le demandeur, les officiers de la police militaire Anthony Wannamaker et Heather Ball ont communiqué avec leur supérieur à la BFC Trenton, le caporal-chef Rushton, pour obtenir de nouvelles instructions. Ils ont reçu l'ordre d'arrêter immédiatement le demandeur. Peu de temps après, les deux officiers de la police militaire et l'agent Hall ont pénétré dans la résidence du demandeur et ont procédé à son arrestation.

[20]      Selon les témoignages des quatre policiers, le demandeur était très agressif et n'arrêtait pas de s'adresser à eux en criant. L'agent Wannamaker a saisi le demandeur par le bras et l'a plaqué au sol, puis l'agent Ball l'a menotté. Étant donné que le demandeur refusait de se relever, les trois policiers de sexe masculin l'ont soulevé et l'ont transporté à l'extérieur de la maison. L'agent Davis a déclaré que le demandeur [Traduction] "donnait beaucoup de coups de pied".

[21]      Le demandeur a alors été placé dans une voiture de la police militaire munie d'un grillage. Comme il menaçait de fracasser les glaces de l'automobile, l'officier Wannamaker s'est assis à l'arrière avec lui. Le demandeur a été amené à la base et placé dans une cellule. Selon le témoignage de l'agent Ball, le demandeur est sorti de lui-même de la voiture de police militaire et s'est rendu jusqu'aux cellules en marchant.

[22]      Après être entré dans sa cellule, le demandeur a refusé de parler. Les officiers de la police militaire ont demandé à un officier d'expression française, le caporal Lafontaine, de lui lire ses droits et l'ordre d'arrestation donné par le major Caldwell, en français. L'officier Ball a affirmé qu'on avait tenté de lire ses droits au demandeur au moment de son arrestation, mais que cela n'avait pas été possible parce qu'il n'arrêtait pas de hurler. Le demandeur a refusé de parler au caporal Lafontaine.

[23]      La police militaire a demandé à un médecin militaire, le Dr Brent Moloughney, d'examiner le demandeur. Le Dr Moloughney a vu le demandeur dans la cellule où il était détenu, mais il n'a pas réussi à communiquer avec lui parce que celui-ci refusait toujours de parler. Le Dr Moloughney a déclaré ne pas avoir examiné le demandeur parce qu'il paraissait agressif. Le Dr Moloughney a quitté la cellule où le demandeur était détenu et a rencontré le major Caldwell et le colonel Diamond qui voulaient libérer le demandeur le plus rapidement possible. Il a été convenu que le colonel Diamond tenterait de parler au demandeur. Le Dr Moloughney est retourné dans la cellule de détention avec le colonel Diamond. Le colonel Diamond a parlé au demandeur et, selon le Dr Moloughney, il a "conversé calmement" avec lui. Le Dr Moloughney a alors conclu que le demandeur ne présentait pas de risque pour lui-même ou pour autrui et il est parti. Pendant le temps qu'il a passé dans la cellule, le Dr Moloughney n'a pas constaté ni remarqué de lésions corporelles dont aurait souffert le demandeur. Le Dr Moloughney a informé le colonel Diamond qu'il n'avait pas d'objection à ce que le demandeur soit libéré. Dès qu'il a appris que le demandeur pouvait être libéré, le major Caldwell a ordonné qu'il soit libéré immédiatement des Forces. Il a demandé à la police militaire d'escorter le demandeur pendant le processus de libération [Traduction] "en raison de sa tendance à désobéir". Peu après, le demandeur a achevé son processus de libération et a quitté la base.

[24]      Le 28 juin 1988, le QGDN, à Ottawa,a envoyé des instructions par télex à la BFC Trenton, pour informer les personnes qui s'y trouvaient qu'il avait décidé de libérer le demandeur des Forces armées en vertu du RMO-15.01(D). Le télex informait également la BFC Trenton que des instructions de libération suivraient peu après. Ces instructions, qui ont été reçues le jour suivant, indiquaient que la date d'entrée en vigueur de la libération serait le 30 octobre 1988, en raison des congés (71 jours) et des vacances annuelles (11 jours) accumulés par le demandeur.

[25]      Comme je l'ai déjà mentionné, le demandeur soutient que son arrestation qui a été effectuée le 29 juin 1988 était illégale. Le demandeur soutient en outre que les officiers Wannamaker et Ball ont commis sur lui des voies de fait qui lui ont causé des [Traduction] "lésions corporelles importantes".

LES QUESTIONS EN LITIGE

[26]      Les questions qui doivent être tranchées sont les suivantes :

     1.      Compte tenu de toutes les circonstances, l'arrestation du demandeur, effectuée le 29 juin 1988 était-elle légale?         
     2.      Compte tenu de toutes les circonstances, la police militaire a-t-elle employé une force supérieure à celle qui était raisonnablement nécessaire pour arrêter le demandeur?

ANALYSE

[27]      La première question à trancher est celle de savoir si l'arrestation du demandeur était légale. Il faut selon moi y répondre par l'affirmative. Je suis convaincu que le 29 juin 1988, le demandeur était absent de la base sans autorisation, contrairement au règlement militaire. En conséquence, l'ordre d'arrestation du demandeur donné par le major Caldwell à la police militaire et son arrestation par les officiers Wannamaker et Ball étaient légaux dans les circonstances.

[26]      Il ne faut pas oublier que le demandeur s'est absenté du travail du 25 au 28 juin 1988. Il prétend qu'il était alors en congé de maladie. Selon la version présentée par le major Caldwell, le demandeur était absent sans autorisation pendant ces jours, car il n'avait pas d'autorisation de congé de maladie comme l'exige le règlement militaire.

[29]      L'article 16.16 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes ("ORFC") traite du "congé de maladie" et prévoit :

         16.16 - CONGÉ DE MALADIE                 
         (1)      Un officier ou militaire du rang peut se voir accorder un congé de maladie ne dépassant pas :                 
             (a)      30 jours civils consécutifs, par son commandant, sur la recommandation d'un médecin militaire;                 
             (b)      91 jours civils consécutifs, y compris tout congé de maladie accordé en vertu du sous-alinéa (a), par son commandant sur la recommandation d'une commission médicale;                 
             (c)      183 jours civils consécutifs, y compris tout congé de maladie accordé en vertu des sous-alinéas (a) et (b), par le chef d'état-major de la défense, sur la recommandation du chef des Services de santé.                 
         (2)      Un officier ou un militaire du rang qui a été en congé de maladie doit se présenter chez le médecin militaire dès son retour à son unité.                 

[30]      Les paragraphes 67, 68 et l'alinéa 69a) de la section 4 de l'ordonnance administrative des Forces canadiennes 16-1 sont également pertinents :

         67.      Le congé de maladie constitue un complément au traitement médical dispensé à tout militaire et est accordé à l'égard de toute période de temps où le militaire est inapte au service, mais n'est pas obligé de demeurer en convalescence dans une infirmerie ou un hôpital.                 
         68.      Le congé de maladie se calcule en jours civils et est sujet aux dispositions du paragraphe 10. Lorsqu'un militaire est libéré de l'hôpital et qu'il bénéficie d'un congé de maladie, le congé de maladie commence le lendemain de sa sortie de l'hôpital.                 
         69.      Sur recommandation d'une autorité médicale compétente, comme le précise l'article 16.16 des ORFC, Congé de maladie, il peut être accordé à un militaire un congé de maladie d'au plus :                 
             a.      30 jours civils continus par le commandant du militaire ou par une autorité désignée par le commandant;                 

[31]      L'article 16.16 des ORFC et la section 4 de l'ORFC-16-1 établissent de façon limpide qu'un militaire peut obtenir un congé de maladie allant jusqu'à trente jours civils consécutifs en demandant une recommandation d'un médecin militaire et en la faisant approuver par son commandant. En l'espèce, comme nous le verrons très bientôt, le demandeur a obtenu une recommandation d'un médecin militaire qui lui accordait deux jours de congés de maladie, mais il n'a jamais obtenu, ni tenté d'obtenir l'approbation de son commandant.

[32]      L'article 90 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-4, est également pertinent. Il se lit ainsi :

     90.(1)      Quiconque s'absente sans permission commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans.         
     (2)          S'absente sans permission quiconque :         

             a)      sans autorisation, quitte son poste;

             b)      sans autorisation, est absent de son poste;

             c)      ayant été autorisé à s'absenter, ne rejoint pas son poste à l'expiration de la période d'absence autorisée.                 

[33]      En conséquence, un militaire qui s'absente sans permission est coupable d'une infraction et est passible d'emprisonnement s'il est déclaré coupable. Le fait de quitter son poste ou d'en être absent sans autorisation constitue une absence sans permission au sens de l'article 90.

[34]      Pour trancher la question de savoir si le demandeur était valablement en congé de maladie du 25 au 26 juin et celle de savoir s'il a désobéi à l'ordre du major Caldwell le 29 juin 1988, il faut faire remonter notre enquête au 23 juin 1988.

[35]      Premièrement, ce jour-là, le défendeur a demandé au capitaine Peterson l'autorisation de s'absenter le lendemain. Cette permission lui a été refusée par le capitaine Peterson. Le 24 juin 1988, le demandeur a consulté Donald C. Maybin, D.C., un chiropraticien exerçant à Trenton au Chiropractic Centre de la rue Dundas. À la suite de cette consultation, monsieur Maybin a écrit une lettre adressée au Médecin militaire, BFC Trenton pour l'informer que, à son avis, le demandeur [Traduction] "doit s'abstenir de travailler pendant au moins une semaine...". Voici un extrait de cette lettre :

         [Traduction]                 
         Le caporal Du Lude [sic] s'est fait traiter à notre bureau pour un syndrome cervico-dorsal caractérisé par une myalgie et une mobilité réduite.                 
         Ce problème s'est atténué rapidement mais il s'est aggravé récemment en raison d'un grand stress émotionnel.                 
         Je lui ai ordonné d'éviter toute situation aggravante, et plus particulièrement celles auxquelles il fait face dans son milieu de travail car elles ont un effet négatif très important sur son état.                 
         Cet homme doit s'abstenir de travailler pendant au moins une semaine, période pendant laquelle il suivra un traitement.                 
         J'espère pouvoir compter sur votre plus entière collaboration pour régler cette situation.                 
         N'hésitez pas à communiquer avec notre bureau pour obtenir tout renseignement supplémentaire.                 

[36]      Le 24 juin 1988, le demandeur a été examiné par le Dr Moloughney, un médecin militaire, à la BFC Trenton. Selon le Dr Moloughney, le demandeur [Traduction] "s'est présenté après la fermeture pour me demander une fiche de visite médicale". Aux dires du Dr Moloughney, le demandeur n'avait aucun problème, c'est-à-dire qu'il n'avait aucun malaise physique pouvant justifier qu'on lui accorde un congé de maladie.

[37]      Le Dr Moloughney a examiné le dossier médical du demandeur et remarqué que celui-ci avait des problèmes au travail. Après avoir bien évalué la situation, le Dr Moloughney a décidé de recommander deux jours de congé de maladie pour le demandeur. Le Dr Moloughney a signé la fiche de visite médicale ; selon lui, le demandeur aurait dû apporter cette fiche à son officier supérieur pour qu'il l'approuve, comme l'exige le règlement.

[38]      Le demandeur ne s'est pas adressé à son officier supérieur pour obtenir son approbation. Il s'est contenté de ne pas se présenter à son travail les 25, 26, 27 et 28 juin 1988. D'après le témoignage du demandeur, il a rendu visite à son médecin de famille, le Dr S. Wiesenberg-Smith, m.d., le 27 juin 1988. Le Dr Wiesenberg-Smith a signé un document qui se lit comme suit :

         [Traduction]                 
         Date :          27 juin 1988                 
         Objet :          Claude Simo-Dulude                 
         J'atteste par la présente que le patient susmentionné s'est absenté du travail du 27 au 30 juin 1988 pour des raisons médicales.                 
         Bien à vous,                 

[39]      Le 28 juin 1988, le capitaine Peterson a informé le major Caldwell que le demandeur était absent sans autorisation. En conséquence, le major Caldwell a demandé à la police militaire de faire enquête. Comme je l'ai déjà mentionné, la police militaire s'est rendue à la résidence du demandeur à Trenton, mais ne l'y a pas trouvé. Le demandeur s'est présenté à la base le matin du 29 juin et le major Caldwell a été informé de sa présence. Après avoir discuté avec lui de son absence du travail depuis le 25 juin, le major Caldwell a ordonné au demandeur d'attendre dans le hall qu'on lui donne de nouvelles instructions. Malgré les instructions claires que lui a données le major Caldwell, le demandeur a quitté la BFC Trenton et s'est rendu à sa banque. Après, il a rendu visite à un ami et est revenu chez lui. Il a soutenu qu'il avait alors l'intention de retirer ses vêtements civils et de revêtir ses vêtements militaires.

[40]      Voici comment le demandeur explique pourquoi il n'a pas obéi à l'ordre du major Caldwell. Il est arrivé à la BFC de Trenton le matin du 29 juin peu après 8 h. Il portait des vêtements civils. Il s'est rendu aux quartiers généraux, et plus particulièrement au service de libération, dirigé par madame Wallace. Madame Wallace ne faisait pas partie de la chaîne de commandement du demandeur. Selon le témoignage du demandeur, madame Wallace l'a informé qu'il ne pouvait être libéré s'il ne portait pas son uniforme militaire.

[41]      Après avoir quitté madame Wallace, le demandeur a rencontré le capitaine Peterson dans le hall et celui-ci lui a ordonné d'attendre pendant qu'il informait le major Caldwell de sa présence sur la base.

[42]      Lorsque le major Caldwell a appris que le demandeur avait quitté la base, il a immédiatement ordonné à la police militaire de l'arrêter. Les officiers Wannamaker et Ball ont reçu pour instructions de leur supérieur, le caporal-major Rushton, de se rendre à la résidence du demandeur pour l'arrêter.

[43]      Dans ces circonstances, je n'ai aucune réticence à conclure que le demandeur était absent sans permission au sens de l'article 90 de la Loi sur la défense nationale, et que le major Caldwell a donc ordonné valablement son arrestation. Le major Caldwell avait ordonné directement et clairement au demandeur d'attendre dans le hall qu'on lui donne de nouvelles instructions. Le demandeur a désobéi à cet ordre. Il ne fait non plus aucun doute que le demandeur s'est absenté sans permission de la base du 25 au 28 juin 1988. Bien que le Dr Moloughney ait recommandé qu'on lui accorde deux jours de congés de maladie, le demandeur n'a pas obtenu l'approbation de son commandant.

[44]      J'examinerai maintenant la deuxième question. Les officiers Wannamaker et Ball ont-ils exercé une force supérieure à celle qui était raisonnablement nécessaire pour arrêter le demandeur? Je dois souligner que le demandeur a admis dans sa plaidoirie écrite avoir résisté à son arrestation. Si l'on s'en remet à la preuve, ce fait ne peut être mis en doute. Lorsqu'ils sont arrivés à la résidence du demandeur, les policiers se sont identifiés et ont expliqué les motifs de leur visite. Étant donné le manque de collaboration de la part du demandeur et la résistance manifeste qu'il a opposée à son arrestation paisible, les officiers de la police militaire et les agents de police de Trenton se sont entendus pour que l'agent Davis tente de convaincre le demandeur de les accompagner "paisiblement". Les efforts déployés à cette fin par l'agent Davis pendant 15 à 20 minutes se sont avérés vains. C'est seulement à ce moment que les officiers de la police militaire, exécutant les instructions reçues de leur commandant, ont pénétré dans la maison et procédé à l'arrestation du demandeur en utilisant la force. Je suis totalement convaincu que les policiers qui ont procédé à l'arrestation n'ont pas employé une force supérieure à celle qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances. Le demandeur a simplement été plaqué au sol et menotté. Comme il ne voulait pas se relever, trois des policiers l'ont soulevé et l'ont transporté dans la voiture de police située en face de sa maison. Il a alors été amené à la base et enfermé dans une cellule.

[45]      Si, au cours de son arrestation, le demandeur a été blessé, ces blessures ne sauraient à mon avis être imputables aux policiers qui, dans des circonstances difficiles, ont essayé de ne pas avoir recours à la force. Leurs efforts ayant échoué, les policiers ont utilisé uniquement la force raisonnablement nécessaire pour arrêter le demandeur. Quoi qu'il en soit, le demandeur n'a pas fait la preuve de ses blessures ou d'un autre préjudice.

[46]      L'article 154 de la Loi sur la défense nationale autorisait amplement le major Caldwell à décider d'ordonner l'arrestation du demandeur. Cette disposition autorise également la police militaire à "employer la force raisonnablement nécessaire" pour procéder à l'arrestation. Voici le libellé de l'article 154 :

         154.(1)      Peut être mis aux arrêts quiconque a commis, est pris en flagrant délit de commettre ou est accusé d'avoir commis une infraction d'ordre militaire, ou encore est soupçonné, pour des motifs raisonnables, d'avoir commis une telle infraction.                 
         (2)          Toute personne autorisée à effectuer une arrestation sous le régime de la présente partie peut employer la force raisonnablement nécessaire à cette fin.         

[47]      L'article 156 de la Loi sur la défense nationale autorise la police militaire à détenir et à arrêter le demandeur. Il se lit comme suit :

         156. Les officiers et militaires du rang nommés aux termes des règlements d'application du présent article peuvent :                 
             a) détenir ou arrêter sans mandat tout justiciable du code de discipline militaire - quel que soit son grade ou statut - qui a commis, est pris en flagrant délit de commettre ou est accusé d'avoir commis une infraction d'ordre militaire, ou encore est soupçonné, pour des motifs raisonnables, d'avoir commis une telle infraction;                 
             b) exercer, en vue de l'application du code de discipline militaire, les autres pouvoirs fixés par règlement du gouverneur en conseil.                 

[48]      Par conséquent, dans les circonstances, je suis d'avis que la conduite du major Caldwell et des officiers Wannamaker et Ball est sans reproche. Ils ont simplement accompli leur travail dans les circonstances.

[49]      Pour ces motifs, l'action du demandeur doit être rejetée. Je ne vois pas pourquoi les dépens ne seraient pas adjugés en faveur de la défenderesse.

                                     "MARC NADON"

                                     JUGE

Ottawa (Ontario)

7 novembre 1997

Traduction certifiée conforme :     
                     F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              T-2497-88
INTITULÉ DE LA CAUSE :          CLAUDE DULUDE c.
                         SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L'AUDITION :              OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDITION :              DU 22 AU 25 SEPTEMBRE 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE NADON

DATE DU JUGEMENT :              7 NOVEMBRE 1997

ONT COMPARU :

CLAUDE DULUDE                  POUR LE DEMANDEUR
ALAIN PRÉFONTAINE              POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

CLAUDE DULUDE                  EN SON PROPRE NOM

TRENTON (ONTARIO)

GEORGE THOMSON              POUR LA DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)

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