Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030310

Dossier : IMM-1668-02

Référence : 2003 CFPI 289

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                             GUNANIDHI SHARMA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 13 mars 2002, refusant le statut de réfugié au demandeur, ce dernier étant exclu en vertu de l'alinéa b) de la section F de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés.


[2]                 Le demandeur, Gunanidhi Sharma, est un citoyen du Népal âgé de 41 ans. Il a fait ses études en Inde et il est revenu au Népal en 1984, où il a travaillé comme enseignant pendant deux ans. Par la suite, il a travaillé sur la ferme familiale. À un moment donné, il a ouvert un magasin d'habillement. Le demandeur allègue qu'il jouait un rôle influent dans sa région parce que son père était un personnage important. Il semble que son père ait été astrologue et qu'il avait beaucoup de disciples. Son père pratiquait aussi le prêt d'argent aux particuliers.

[3]                 Le demandeur a adhéré au Front uni populaire (FUP) (aussi connu sous le nom de Parti maoïste), un parti politique d'obédience communiste légal à ce moment-là. Le FUP s'est toutefois scindé en deux factions en 1994 par suite de divergences idéologiques. Le demandeur a choisi le FUP (B) (B pour son chef, Baburam), la faction illégale du FUP. L'autre faction, le FUP (V), est toujours un parti politique légal au Népal.

[4]                 À deux occasions, le demandeur a pris part au vol de titres de propriété d'agriculteurs locaux, détenus par des banques en garantie de prêts. La première de ces incursions a eu lieu en mai 1996 et huit autres maoïstes y ont participé. La seconde a eu lieu en avril 1997, 18 autres personnes y prenant part. Dans les deux cas, des armes à feu ou des couteaux étaient en évidence.

[5]                 Le demandeur prétend que ces vols étaient des actions de type « Robin des bois » , prenant aux riches pour donner aux pauvres. Toutefois, à ces occasions le demandeur était chargé de prendre le nom des personnes qui voulaient recouvrer leurs biens, de les recruter comme membres du FUP et, en échange de leur participation et de leur adhésion, de leur remettre les titres de leurs fermes.


[6]                 Le demandeur a été arrêté un certain nombre de fois par les autorités népalaises par suite de sa participation à un parti illégal et à la commission des vols. On l'a alors interrogé et battu. Craignant pour sa personne au Népal, il a quitté son pays pour aller au Royaume-Uni. On lui a refusé le statut de réfugié et il a été frappé d'une mesure d'expulsion. Il s'est alors rendu au Canada le 14 août 2000, muni d'un faux passeport danois. Quatre jours plus tard, il réclamait la protection du Canada.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[7]                 La Commission a conclu que le demandeur n'était pas victime de persécution, mais qu'il était plutôt susceptible de poursuites judiciaires au Népal. La Commission a noté que le demandeur a choisi de rallier le FUP (B), la faction illégale du parti, et qu'il a délibérément commis les crimes dont il est le seul responsable. La Commission a comparé ses crimes à celui de vol qualifié au sens du Code criminel canadien.

[8]                 La Commission a noté le fait que le Royaume-Uni n'avait pas accepté que le demandeur était un militant politique en traitant sa demande de statut de réfugié. La Commission a déclaré douter sérieusement qu'il soit la personne qu'il prétend être, sur le plan politique, au Népal.


[9]                 La Commission a estimé que le demandeur a commis des vols à main armée pour acquérir une certaine notoriété et pour s'attirer le même respect qu'il croyait que son père inspirait. La Commission a évoqué la preuve au dossier pour conclure que rien ne confirmait que le demandeur ait été un chef politique dans sa localité, sauf son propre témoignage. Elle a conclu que ses crimes n'avaient pas de justification politique.

[10]            La Commission a appliqué le critère de l'arrêt Gil c. Canada (M.E.I.), [1995] 1 C.F. 508 (C.A.), et déterminé que le demandeur n'y répondait en aucune façon au vu de l'alinéa 1Fb).

LA QUESTION EN LITIGE

[11]            Le demandeur admet la gravité des crimes qu'il a commis, mais il conteste la conclusion de la Commission voulant qu'il ne s'agisse pas de crimes politiques. Par conséquent, la Cour doit donc décider la question de savoir si la Commission a commis une erreur de faits et/ou de droit en arrivant à la conclusion que les crimes commis n'étaient pas de nature politique et que le demandeur est exclu de l'application de la définition de réfugié au sens de la Convention.

ANALYSE


[12]            Je voudrais d'abord traiter la question de la norme de contrôle qui s'applique à la décision de la Commission d'exclure le demandeur en vertu de l'alinéa 1Fb). Le demandeur soutient que la question en est une de faits et de droit. Je suis aussi de cet avis, étant donné que la Commission devait évaluer les faits au vu de l'analyse juridique que l'on trouve dans la jurisprudence relative à la clause d'exclusion. Toutefois, je ne considère pas que la norme soit celle de la décision correcte. Selon moi, la norme de contrôle à appliquer en matière de questions de faits et de droit est celle de la décision raisonnable simpliciter. En d'autres mots, la Commission avait-elle « clairement tort » , comme le juge Evans, J.C.A., l'affirme dans l'arrêt Cihal c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 577 (C.A.F.), au paragraphe 18 :

La question de savoir si les faits admis ont satisfait à l'exigence législative est une question mixte de faits et de droit sur laquelle la Commission a compétence : Nina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F. 1re inst., A-735-92, le 24 novembre 1994), au paragraphe 28. Sur ce genre de question, la Commission a droit à une certaine retenue judiciaire et la Cour ne devrait pas intervenir à moins qu'elle ne soit convaincue que la Commission avait clairement tort : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.

[13]            Je vais maintenant aborder la question de fond en l'espèce : la Commission a-t-elle commis une erreur de faits et/ou de droit en arrivant à la conclusion que les crimes commis n'étaient pas de nature politique? Afin de mieux comprendre le contexte du débat, il importe de citer ici l'alinéa 1Fb) de la Convention, qui a été incorporé en annexe à la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

...

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;...

[14]            Bien que le demandeur admette la gravité des crimes qu'il a commis, il soutient qu'ils répondaient à une motivation politique et qu'on ne peut donc lui appliquer la clause d'exclusion.


[15]            Afin de déterminer si un crime est de nature politique, il faut satisfaire au critère du « caractère accessoire » énoncé par le juge Hugessen (alors à la Cour d'appel) dans l'arrêt Gil, précité, à la p. 509 :

La jurisprudence concernant l'extradition, plutôt que la reconnaissance du statut de réfugié, émanant du Royaume-Uni, des États-Unis et d'autres ressorts a élaboré le critère dit du « caractère accessoire » pour déterminer si l'infraction avait ou non un caractère politique. Le premier volet de ce critère exige que les crimes reprochés aient été commis dans le cours de troubles politiques violents, comme une guerre, une révolution ou une rébellion, ou qu'ils leur soient accessoires. L'exception liée au « caractère politique » de l'infraction ne s'applique donc que lorsque la violence atteint un certain niveau et que ceux qui s'y livrent cherchent à atteindre un objectif précis comme réaliser un changement politique ou réprimer l'opposition politique violente. Le deuxième volet du critère est axé sur l'existence d'un lien entre le crime et l'objectif politique poursuivi. Il faut examiner la nature et le but de l'infraction, et notamment vérifier si elle a été commise pour des motifs véritablement politiques ou pour des raisons personnelles ou des considérations de profit, si elle visait une modification de l'organisation politique ou de la structure même de l'État et s'il existe un lien de causalité direct et étroit entre le crime commis et le but et l'objectif politique invoqué. L'élément politique doit en principe avoir prépondérance sur le caractère de droit commun de l'infraction, ce qui risque de ne pas être le cas lorsque les actes commis sont complètement disproportionnés par rapport à l'objectif visé, ou lorsqu'ils sont de nature atroce ou barbare.

[16]            Plus précisément, le paragraphe 152 du Guide du HCNUR [Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés] est rédigé comme suit :

152. Pour déterminer si une infraction est de « droit commun » ou, au contraire, une infraction « politique » , il faut tenir compte en premier lieu de sa nature et de son but, c'est-à-dire rechercher si elle a été commise pour des motifs véritablement politiques et non pas simplement pour des motifs personnels ou des considérations de profit. Il faut également qu'il existe un lien de causalité étroit et direct entre le crime commis et le but politique invoqué. L'élément politique de l'infraction doit en outre l'emporter sur son caractère de droit commun. Cette condition ne serait pas remplie si l'acte accompli était tout à fait hors de proportion avec l'objectif prétendument visé. De même, le caractère politique d'un crime est plus difficilement admissible lorsque ce crime consiste en un acte atroce. [non souligné dans l'original]


[17]            Le demandeur admet que la Commission a utilisé le critère approprié, mais il soutient qu'elle n'a pas bien évalué les faits en regard de ce critère. S'agissant du premier volet du critère, savoir si les actions ont été commises dans le cadre d'une rébellion, le demandeur soutient que la documentation sur la situation au Népal confirme l'existence dans ce pays d'une rébellion maoïste depuis au moins 1996. Le fait qu'il y ait eu une rébellion ne vient pas automatiquement placer les vols qualifiés en cause dans le cadre de cette rébellion. La Commission avait des raisons de conclure que les crimes ne visaient pas la promotion d'une cause politique, mais plutôt que le demandeur les avait commis pour sa propre gloire et pour obtenir le respect de sa communauté.

[18]            S'agissant du deuxième volet du critère, savoir qu'il doit y avoir un lien entre les crimes et les objectifs de la rébellion, le demandeur soutient que la Commission a fait preuve d'incohérence en concluant qu'il n'était pas un rebelle ni qu'il défendait une cause bien connue, mais plutôt qu'il considérait agir comme une sorte de « Robin des bois » pour aider les pauvres. Le demandeur soutient qu'une conduite de « Robin des bois » illustre clairement une philosophie politique, et donc le lien avec l'objectif poursuivi par la rébellion. De plus, le demandeur soutient que la Commission n'a pas compris l'objectif premier de ses crimes, qui n'était pas de recruter des membres mais bien de redonner aux pauvres leurs titres de propriété.


[19]            Je ne suis pas d'accord avec ces prétentions étant donné que le demandeur admet que sa conduite de « Robin des bois » n'était pas complètement désintéressée. En fait, le demandeur a reconnu qu'il faisait chanter les gens qui voulaient récupérer leurs titres de propriété, les forçant à devenir membres du FUP (B) et à verser le montant requis pour leur adhésion avant de leur rendre leurs titres. Selon moi, ceci vient diluer le lien politique prétendu pour les crimes en question. De toute façon, le vol des titres de propriété n'avait pas pour objectif de renverser le gouvernement du Népal ou de l'obliger à modifier ses politiques.

[20]            Le demandeur soutient de plus que ses actions n'étaient pas disproportionnées par rapport à l'objectif visé. Il n'y a pas eu de dommages à la propriété, ni de morts. Étant donné que j'ai conclu que les crimes n'étaient pas politiques, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de déterminer s'ils étaient en proportion du remède visé par leur commission. Pour sa part, la Commission a évalué cet aspect :

« En ce qui concerne le troisième volet, le fait de perpétrer des vols à main armée avec des armes à feu et des couteaux dans le but de soustraire des gens à devoir rembourser des prêts qu'ils avaient obtenus de l'État ou d'autres établissements bancaires, en mettant en péril la vie des gens, est disproportionné par rapport au fait de pouvoir vendre une carte d'adhésion pour la somme de deux roupies et de vouloir acquérir de la notoriété. »

[21]            Avant de conclure, je note que la Commission n'a pas ajouté foi à la version des faits présentée par le demandeur. Sa crédibilité n'était pas suffisante pour qu'il obtienne un résultat positif. La transcription de l'audience vient appuyer la conclusion de la Commission.


[22]            En conclusion, je partage l'avis du défendeur et juge que la décision de la Commission voulant que les vols à main armée commis par le demandeur n'étaient pas de nature politique est fondée sur l'interprétation qu'elle donne des faits ainsi que sur la preuve au dossier. Je partage l'avis de la Commission au sujet des faits. De toute façon, il est notoire que notre Cour n'a pas pour fonction de réexaminer les faits et d'imposer son propre point de vue sur une question de faits, à moins que la conclusion en cause soit manifestement déraisonnable. Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[23]            Les avocats n'en ayant pas proposé, il n'y aura pas de question certifiée.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, datée du 13 mars 2002, est rejetée.

    « Simon Noël »

ligne

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.                              


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-1668-02

INTITULÉ :              GUNANIDHI SHARMA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 25 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                                     Le 10 mars 2003

COMPARUTIONS :

Me Jean-François Bertrand                                               POUR LE DEMANDEUR

Me Annie Van der Meerschen                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BERTRAND, DESLAURIERS                                       POUR LE DEMANDEUR

83, St-Paul ouest

Montréal (Québec)

H2Y 1Z1

Ministère de la justice du Canada                                    POUR LE DÉFENDEUR

Complexe Guy-Favreau

200, boul. René-Lévesque ouest

Tour est, 5e étage

Montréal (Québec)

H2Z 1X4

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.